vendredi 14 novembre 2008

Crise immobilière, démographie russe et guerres à venir...

http://asilverston.blog.lemonde.fr/files/demogr4.gif


Alain Silverston affirme que:

La Russie semble en plein effondrement démographique, prise en tenaille entre un taux de natalité en chute libre (0,84%) et un taux de mortalité en très forte progression à 1,47% ! En d'autres termes, du seul fait des évolutions démographiques endogènes, la Russie perd chaque année plus de 800 000 habitants. Parmi les raisons de la forte mortalité, l'alcoolisme et…un taux de criminalité 4 fois supérieur à celui des Etats-Unis ! Je n'ai pas trouvé d'étude sur l'émigration russe actuelle, mais je déduis de ces chiffres qu'au moins 400 000 personnes émigrent chaque année. Un article complet sur la démographie russe peut être trouvé sur : http://www.kadouchka.com/russie/demographie.htm ou http://www.robert-schuman.org/synth40.htm. Alors que la population russe est de 140 millions actuellement, elle chuterait, selon les scénarios, à 77 millions ou 102 millions en 2050 ! Sa pyramide des âges est impressionnante !

NEW YORK (Nations unies), 13 novembre - RIA Novosti.

La population russe diminuera d'ici 2050 de 34 millions de personnes par rapport à l'année en cours et se chiffrera à 107,8 millions d'habitants, stipule le rapport du Fonds de l'ONU pour la population présenté mercredi au Comité d'Etat-major des Nations unies à New York.

En 2008, selon les donnés du Fonds, 141,8 millions de personnes habitent la Russie dont 73% en zone urbaine. La population russe diminue de 0,5% annuellement.

En 2005, le Fonds avait prévu des rythmes moins élevés de diminution de la population russe, annonçant une baisse de 31 millions de personnes d'ici 2050.

Parmi les ex-républiques soviétiques (à l'exception des pays baltes), le Tadjikistan affiche le meilleur indice, avec une augmentation annuelle de la population de 1,5%, alors qu'à l'opposé, la Moldavie perd, selon l'ONU, 0,8% de sa population par an.

Démographie: moins 34 millions de personnes en Russie d'ici 2050 (ONU)
RIA Novosti - Moscow,Russia
NEW YORK (Nations unies), 13 novembre - RIA Novosti. La population russe diminuera d'ici 2050 de 34 millions de personnes par rapport à l'année en cours et ...
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Une solution, revenir aux projets de Stolypine et au crédit social.

l'Académie Stolypine de la fonction publique de la région Basse-Volga (Saratov, Russie)

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REMERCIEMENTS

      

      Je tiens à remercier tous ceux qui ont permis de faire aboutir cette thèse. Je pense tout d'abord à ma directrice de recherche Madame Annie Allain dont l'attention, la disponibilité et la générosité constantes m'ont été essentielles. Ses conseils me sont toujours restés présents à l'esprit. Je pense également à ma codirectrice Madame Claire Mouradian dont les séminaires m'ont été particulièrement utiles.

      Je tiens à témoigner ma gratitude à Monsieur Serge Rolet qui m'a donné des conseils précieux.

      Je remercie également Madame Karine Alaverdian et Messieurs Yves Hamant et Jean-Paul Barbiche qui ont accepté de participer à mon jury.

      Je dois aussi beaucoup aux collègues et amis qui m'ont apporté un ultime soutien dans la relecture et dans la correction de mon travail. Je pense en particulier à mon épouse Louisette Lamarche, aux amis Philippe Vandevelde et Christine Meunier.

      Cette étude n'aurait pu être réalisée sans l'aide efficace et généreuse des bibliothécaires de l'Université des Sciences humaines de Moscou, des Académies des Sciences d'Arménie et de Géorgie, des bibliothèques nationales d'Arménie, du Kazakhstan, de Géorgie, du Kirghizistan et de Russie, ainsi que de l'Institut français d'études sur l'Asie centrale.

      

      

      

      


INTRODUCTION

      

      

      D'une superficie d'environ 400 000 km², la Caspienne est la plus grande mer fermée du monde située à 26 mètres (2004) au-dessous du niveau de l'océan. L'espace caspien est une région stratégique convoitée par le monde entier pour ses richesses en hydrocarbures. Positionnée sur les plaques des fractures tectoniques, climatiques, culturelles et linguistiques, entre Europe et Asie, elle avoisine le Caucase du Sud, la Russie méridionale et l'Asie centrale. Elle est également placée au cœur des poussées impériales de plusieurs puissances et des flux migratoires qui ne se sont pas apaisés jusqu'à présent.

      À différentes époques, la Caspienne a changé de nom. Au total on compte plus de 58 désignations 1 . C'est la seule mer au monde qui a porté tant de dénominations. En règle générale, c'est le nom des villes côtières (Bakou, Derbent, Abaskoun), des États (Guirkanie, Khazarie), des régions riveraines (Mazandéran, Tabaristan, Khorasan, Khârezm, Djourdjan), des montagnes (Deïlem) qui a été repris par extension pour ce gigantesque plan d'eau. Certaines tribus (turkmènes, gouzes, etc.) habitant au bord de la mer ont également laissé leurs traces dans la toponymie de la mer. D'ailleurs, l'origine du nom actuel remonte à l'une d'entre elles, les caspis, implantés sur la rive sud-ouest de la mer, entre la rivière Araxe et la ville actuelle d'Astara, aux 2e et 1er millénaires avant notre ère 2 . On rencontre cette dénomination pour la première fois chez des auteurs grecs du 5e siècle avant notre ère (Hérodote) 3 . Enfin, les Russes appelaient la mer Khvalynskoe (mer des Khvalisses), du nom d'un peuple disparu d'origine touranienne qui habitait dans l'embouchure de la Volga 4 . La ville de Khvalynsk et un des gisements du secteur russe de la Caspienne Xvalynskoe gardent également ces traces.

      L'abondance des noms s'explique aussi bien par les conditions géographiques très variées de la région que par des raisons socio-économiques. Depuis longtemps la Caspienne a servi de route commerciale et militaro-stratégique incontournable entre l'Orient et l'Europe. Pour cette raison, la mer et ses territoires riverains furent toujours convoités par différents peuples. Compte tenu du fait que jusqu'au 19e siècle ils ne se trouvèrent jamais sous la domination absolue d'un pays, chacun d'entre eux laissa ses traces toponymiques.

      


A. – L'affirmation de la Rous/la Russie au « cœur de l'Eurasie »

      

      Géographiquement l'Europe est divisée en deux parties incommensurables : l'Europe maritime (océanique) ou occidentale et l'Europe continentale ou orientale avec son suppléant asiatique qui diffère sensiblement de l'Asie proprement dite (Chine, Inde, monde musulman, etc.). Dans son schéma révolutionnaire, qui retraçait l'histoire politique du monde, le théoricien des relations internationales, géographe et fondateur de l'école anglo-saxonne de géopolitique Halfold Mackinder (1861-1947) introduit la notion d'Île Mondiale (World Island) composé de l'Europe, de l'Asie et de l'Afrique. La partie faiblement peuplée et la plus inaccessible aux puissances maritimes est appelée le Heartland 5 , le cœur de la Terre ou de l'Eurasie. Les fleuves s'y jettent dans les mers intérieures (Caspienne, Aral) ou dans l'océan Glacial arctique. Cet espace principal est appelé le Pivot géographique de l'histoire, identifié à la Russie et plus tard, au territoire de l'ancienne Union soviétique. Cet espace est entouré de terres côtières et de péninsules, appelées coastlands, facilement accessibles par l'océan. Malgré sa vaste étendue, le Heartland a une mobilité assez restreinte.

      Dès le début, les limites du « cœur de la Terre » n'étaient pas clairement définies. Elles sont ajustées en fonction des changements des situations politiques. En général, Mackinder situe le Heartland entre les mers Baltique et Caspienne, et la Sibérie orientale. Riche en matières premières, cette région est classée dans la zone littorale susceptible à être utilisée par des puissances maritimes contre le Continent-cœur.

      L'histoire mondiale, selon A. Mackinder, est une lutte permanente de deux principes et de deux civilisations – océanique et continentale – d'où viennent les sources des conceptions géopolitiques « atlantistes » et « eurasistes ». L'auteur formula sa vision géopolitique concernant l'Eurasie dans la fameuse thèse : « Qui tient l'Europe orientale, contrôle le Heartland, qui tient le Heartland, domine l'Île Mondiale, qui domine l'Île Mondiale, domine le monde entier ».

      Selon les hypothèses de A. Mackinder, la pression venant de l'intérieur de la « Terre centrale » dans toutes les directions conduit à l'élargissement de la sphère d'influence du pays détenteur de l'Eurasie. Le bilan géopolitique de la Seconde Guerre mondiale en est une brillante illustration : l'espace sous contrôle du Heartland (de l'ancien Union soviétique) dépassa même l'empire de Gengis Khan. Les idées géopolitiques de Mackinder seront largement utilisées dans la politique de containment des États-Unis et de l'OTAN pendant la guerre froide.

      Ainsi, vu l'importance géopolitique de l'Eurasie, toute son histoire est marquée par des tendances d'unification politique et culturelle et par des tentatives successives pour créer un État commun eurasien. Pendant les deux derniers millénaires, la grande steppe eurasienne se réunit trois fois sous les drapeaux turc, mongol et russe. Dès le Moyen Âge, différents types de formation d'État se succédèrent dans l'espace eurasien.

      À l'aube de notre ère, l'explosion démographique en Mandchourie fut la cause de l'avancée des Mongols vers l'Ouest, « à la suite de la course du soleil », la voie vers le sud étant bien fermée par la Grande Muraille de Chine. Sur leurs chemins, ces tribus évincèrent, anéantirent, supplantèrent ou assimilèrent les aborigènes appartenant à d'autres groupes ethniques. Timudjin dit Gengis Khan mit un point final aux tentatives de pénétration de la culture européenne en Asie centrale. Par la suite, les gengisides devinrent un facteur puissant de consolidation du monde nomadique morcelé.

      Avec la conquête mongole, la Russie fut entraînée dans l'histoire commune de l'Eurasie. Cette conquête fut pour elle une « catastrophe géopolitique » 6 , selon V. Kolossov et N. Mironenko, en l'éloignant de l'Europe pendant presque 250 ans. Après le démembrement de la Horde d'Or, c'est la Moscoviequi prit la relève de cette dernière dans l'hégémonie sur l'espace eurasien. Si aux 13e-15e siècles la Steppe (l'Empire mongol) avait vaincu la Forêt (la Rous), au 15e siècle c'est la Forêt (la Russie moscovite) qui prit sa revanche sur la Steppe en devenant ainsi l'héritière de la Horde d'Or et non pas de la Russie kiévienne 7 . Par son apparence, l'État russe était slave, mais par sa mentalité et sa psychologie il était tatar. La construction de l'État avait beaucoup de traits communs avec les despotismes orientaux.

      Un nouveau processus de réunification des terres russes fut lancé. L'État moscovite mit le cap sur la création d'un empire. Après la chute de Constantinople (1453), elle resta le seul pays gardien de la culture orthodoxe orientale. Par opposition à la Russie kiévienne qui s'est formée entre les mers Baltique et Noire, tout le long de la route commerciale des « Varègues aux Grecs » (axe nord-sud), la Moscovie déplaça cet axe plus à l'est en valorisant la voie des « Arabes aux Varègues » par la Volga-Caspienne. Parallèlement, la Russie s'étira de la mer Baltique à l'océan Pacifique (axe ouest-est), mais sans grands succès perceptibles dans la création d'un pont économique entre l'Europe et l'Orient.

      Au 16e siècle, le tsar moscovite Ivan le Terrible, gengiside du côté maternel, conquit les khanats de Kazan (1552), d'Astrakhan (1556) et de Sibérie (1581-1585) par de violents combats. La lutte pour l'hégémonie sur l'héritage eurasien de la Horde d'Or se passa entre l'État moscovite et le puissant khanat de Crimée. Soutenu par l'Empire ottoman, ce dernier inquiétait beaucoup les Russes en osant même s'approcher de Moscou. Cette rivalité séculaire dura jusqu'au 18e siècle quand Catherine II mit également fin au khanat de Crimée (1783).

      À l'époque de Pierre le Grand et de Catherine II, la situation géopolitique de la Russie en direction de l'Occident changea radicalement : l'Empire russe obtint l'accès aux mers Baltique et Noire en englobant tous les territoires entre elles, et s'affirma aux bords de la Caspienne et du Pacifique. Au 19e siècle, la Russie connut la période de l'industrialisation qui eut son impact sur le développement géopolitique de l'espace eurasien. Grâce à leurs richesses naturelles, la région caspienne, la Sibérie et l'Extrême-Orient passèrent au premier plan. L'achèvement de la colonisation de ces territoires ainsi que la conquête de l'Asie centrale ont été mis à l'ordre du jour. La construction des voies ferrées facilita ce processus. Parallèlement, le gouvernement impérial mena une politique de russification des populations dans les territoires conquis.

      Ainsi durant des siècles, la Russie se chargea de la conquête et de la pacification successive des territoires eurasiens.   La fameuse « largeur de l'âme russe » (chirota douchi) vient de l'étendue de l'espace de l'Empire où la société se déchargeait de son entropie 8 . L'unification de l'État russe fut réalisée d'une main rigide avec une mentalité asiatique et non européenne. Par le biais de la colonisation, l'Empire russe essaya de rassembler l'espace eurasien sous la tutelle d'une seule patrie (otetchestvo) en minimisant et atténuant ainsi le choc des guerres permanentes.

      Du point de vue géopolitique, l'URSS prit la relève du rôle exercé par l'Empire russe, malgré le rejet du tsarisme et l'émergence d'une nouvelle idéologie. Au cœur du continent eurasien, l'Union soviétique reçut en héritage une fonction géostratégique similaire. La nouvelle formation politique conserva également l'essence messianique de sa politique aussi bien intérieure qu'extérieure : la révolution mondiale, le rempart et l'avant-garde de la lutte contre l'impérialisme qui justifiaient l'expansion, etc.

      


B. – La percée russe dans la région caspienne

      

      La mer Caspienne se trouve à la croisée de l'Orient et de l'Occident. C'est par elle que différents peuples guerriers riverains effectuaient dès l'antiquité de nombreuses campagnes pour parvenir dans les pays caspiens de la soie et dans les déserts et oasis transcaspiens. Les multiples expéditions scientifiques explorèrent les richesses poissonneuses de la mer et des sous-sols, dont notamment le pétrole des bandes côtières maritimes. En plus de leur importance matérielle, les « feux » du naphte s'associèrent historiquement à la spiritualité religieuse du Zoroastrisme, ancienne religion des peuples caspiens, en particulier des Perses. Le pétrole deviendra finalement la source principale de convoitise de la mer et des territoires adjacents.

      Nous nous intéresserons principalement aux quatre pays riverains de la Caspienne. Dans cette étude, nous focaliserons notre attention sur les plus importants événements historiques et politiques qui ont eu lieu dans la région et qui sont relatifs à l'histoire de la Russie, de sa première apparition sur les eaux de cette mer jusqu'à nos jours.

      Pendant plusieurs millénaires, de nombreuses civilisations se formèrent autour de la Caspienne. Seulement deux d'entre elles ont subsisté jusqu'à nos jours : la russe et l'iranienne. D'ailleurs, cette dernière est la seule qui, dès l'antiquité, fut continuellement liée à l'histoire de la Caspienne et de la région. Jusqu'à la moitié du 16e siècle, cette mer était persano-turanienne. Après la prise d'Astrakhan (1556), les Russes s'interposèrent entre ces deux mondes.

      Or, les premiers contacts des anciens Russes (Rous) avec les peuples habitants les bords de la Caspienne, notamment le territoire de l'actuel Azerbaïdjan, remontent au Moyen Âge. Les marchands russes leur rendirent souvent visite dès le 9e siècle. Grâce à la situation géographique de la région située au carrefour des voies des caravanes, ces visites sont vite devenues régulières et se sont développées sans interruption durant les siècles suivants, excepté pendant la période de la domination tatare en Russie (13e - 15e siècles). Au 15e siècle, on voit apparaître les premiers contacts diplomatiques entre la Moscovie et le Chirvan.

      Avant Pierre le Grand, les relations entre les pays caspiens et la Russie avaient un caractère essentiellement économiques, hormis au 10e siècle quand eurent lieu plusieurs campagnes militaires. Sous le règne du premier empereur russe, la Russie effectua une véritable percée en direction de la Caspienne. C'est ainsi que les empires persan et russe devinrent voisins pour deux siècles et demi. La campagne persane de Pierre le Grand (1722-1723) fut couronnée par la reconquête d'une partie de la Caspienne persane. Néanmoins, un projet d'occupation de ces régions existait bien avant 9 . L'avancée russe fut préparée par une longue période expansionniste vers le Caucase durant le 16e et le début du 17e siècles. Ainsi, à partir du 18e siècle, la dimension militaire apparut dans les relations russo-caspiennes. Mais la Perse ne fut pas évincée d'un coup de l'extrémité sud de la Caspienne.

      Le 19e siècle commença par l'imposition de la présence de la Russie sur la mer et sur son littoral occidental et se termina par l'annexion de la côte orientale en laissant à la Perse une petite portion au sud. Bien que les parts occupées fussent inégales, la Caspienne se transforma en une mer russo-persane. C'est également au 19e siècle que le pétrole de l'Apchéron devint un enjeu important qui marquera toute la période ultérieure jusqu'à nos jours. Enfin, c'est à cette époque que furent paraphés les premiers traités concernant la Caspienne et le destin de la région qui sera désormais liée à l'Empire et au peuple russes.

      Cependant, la Russie et la Perse ne furent pas les seules puissances présentes dans la région. Ancrée en Inde, l'Angleterre tentait à la fois de stopper l'expansion russe et de se fixer dans la partie sud du bassin caspien. Une autre puissance, l'Empire ottoman, essaya vainement de s'approcher de la Caspienne. La Première Guerre mondiale, les révolutions russes, la Guerre civile et l'intervention étrangère des deux premières décennies du 20e siècle rendirent extrêmement compliquée la situation politique sur les deux rives de la Caspienne. La Russie soviétique nouvellement constituée réussit à défendre toute la région caspienne russe et à faire entrer les républiques riveraines dans le cadre de l'Union soviétique.

      C'est Lénine qui abolit le régime de la mer, établi entre l'Empire russe et la Perse depuis un siècle. L'Union soviétique a succédé à la Russie tsariste, tandis que la Perse est devenue une monarchie constitutionnelle. Ainsi la mer resta toujours sous la co-souveraineté absolue des deux États sans toutefois être partagée entre eux.

      Pendant la Seconde Guerre mondiale, le pétrole de la Caspienne et l'artère de transport stratégique Volga-Caspienne jouèrent un rôle décisif dans le grand tournant de la « Grande Guerre patriotique » et dans la défaite des Allemands.

      Dès 1991, la région caspienne a connu des bouleversements considérables. À l'issue de la dissolution de l'URSS, le nombre d'États riverains est passé de deux à cinq : la Russie, l'Iran, le Kazakhstan, l'Azerbaïdjan et le Turkménistan. Aucune région de l'ex-espace soviétique ne fut autant convoitée que la région caspienne. De même, aucun plan d'eau ne suscita tant de questions et ne révéla tant de problèmes que la Caspienne.

      Bien avant le démembrement de l'URSS, la Caspienne avait de nombreux problèmes de type politique, économique, écologique, hydrologique et autres. À l'époque post-soviétique, tous ces problèmes se sont accrus : négocier à deux était une tâche beaucoup plus facile que négocier à cinq. Avec des actions souvent unilatérales, chaque État tente de tirer à lui le profit. En l'absence d'une réelle coopération et d'une intégration régionales, chacun d'entre eux déclarait ses droits sans tenir compte de ceux de ses voisins.

      L'enjeu principal de la Caspienne consiste dans ses réserves considérables de ressources énergétiques. La région est « en passe de devenir une nouvelle super-puissance pétrolière et gazière » 10 . Compte tenu de l'importance primordiale des hydrocarbures à l'échelle planétaire, sur le plan aussi bien économique que stratégique, la mainmise sur les richesses énergétiques caspiennes, de leur extraction à leur commercialisation, provoque une lutte géopolitique sans merci. La rivalité se déroule entre le triangle classique : producteurs, consommateurs et transitaires des hydrocarbures. Pour la Russie, l'enjeu stratégique de la Caspienne autour de laquelle s'est réalisée l'expansion territoriale séculaire de l'Empire russe est toujours important. Sur le terrain elle s'est d'emblée heurtée aux États-Unis et à l'Europe occidentale, à l'Iran et à la Turquie et essaye de reconfigurer sa conduite par rapport à cette région dans les nouvelles circonstances géopolitiques.

      Du point de vue juridique, la pratique conventionnelle, exclusivement bilatérale, de ces trois derniers siècles, n'a guère traité les eaux de la mer fermée comme des eaux internationales. La Russie et l'Iran n'ont jamais procédé à une délimitation complète de la Caspienne, aussi bien de sa surface aquatique que de ses sous-sols. Les lacunes et les non dits juridiques se sont fait sentir après le démembrement de l'Union soviétique avec un nombre de pays riverains augmenté. Dès lors, la Caspienne s'est trouvée au centre des rivalités des puissances.

      Les nouveaux États indépendants se sont mis à prospecter les fonds marins dans le but de découvrir de nouveaux gisements d'hydrocarbures susceptibles de réanimer leurs économies nationales en pleine crise. Quant aux deux anciens maîtres, ils ont été progressivement évincés vers les flancs sud (l'Iran) et nord-ouest (la Russie) de la mer. Le retrait de la Russie se fait toujours sentir dans les trois États issus de l'Union soviétique. Il a eu et a un impact, directement ou indirectement, sur les politiques aussi bien intérieures qu'extérieures de ces pays.

      Enfin, le destin des populations russes coincées involontairement dans les trois nouveaux pays riverains (le Kazakhstan, l'Azerbaïdjan, le Turkménistan) constitue un autre facteur d'importance nationale pour la Russie. À la veille de la dissolution de l'URSS, le Kazakhstan abritait la deuxième plus grande diaspora russe au monde (environ 6 millions de personnes) après celle de l'Ukraine. La dérive autoritaire et la pérennité des régimes sont liées, entre autres, au poids des communautés russes sur place. Dans le même sens, la Russie a été évincée des pays caspiens où le pourcentage de Russes était moins important.

      Les populations russes se retrouvent face à des choix difficiles entre adaptation et intégration aux sociétés nationales locales et émigration. L'existence de ces communautés et leur comportement se répercutent, d'une part, sur le niveau des relations bilatérales entre la Russie et les trois anciennes républiques soviétiques, de l'autre, sur les politiques intérieures des pays respectifs, en devenant ainsi un facteur géopolitique.

      


C. – Les enjeux et l'actualité de l'étude

      

      La région caspienne est une des rares, si ce n'est la seule, où se produit une réorganisation, a priori pacifique, des territoires autour des ressources naturelles stratégiques avec la reconstitution d'une politique d'accès et de distribution internationale. Au début des années 1980, Yves Lacoste invoqua la configuration de la « géologie sous-marine pour fonder des droits « naturels » à l'annexions des fonds marins, surtout si l'on y suppute la présence du pétrole » 11 . Le géopoliticien n'évoque pas le cas de la Caspienne parce qu'elle a un caractère fermé et appartient à deux États. Mais il prédit, dans une certaine mesure, ce qui peut se passer pour les plans d'eau dont les fonds marins comportent des matières premières stratégiques comme les hydrocarbures.

      Depuis 1991, la carte géopolitique de l'ancien espace soviétique s'est fragmentée en de multiples États indépendants, reconnus et non reconnus. À l'instar de la nature qui ne tolère pas le vide, les territoires adjacents de l'ex-URSS se sont rapidement transformés en un objet d'intérêt élevé pour des États et des forces géographiquement plus éloignés que la Russie et l'Iran, les deux anciens maîtres de la Caspienne.

      Un nouveau « Grand Jeu » est annoncé et on observe le retour de cette opposition historique vieille d'un siècle, mais avec une géographie élargie et un nombre croissant d'acteurs. Ces deux facteurs aggravent d'emblée la situation tout en la distinguant par une complexité extrême. On assiste également à une nouvelle répartition des voies de communications, y compris des oléoducs et des gazoducs. De surcroît, cet espace n'est pas resté neutre ni stable et l'hostilité potentielle prend parfois des formes dangereuses.

      Depuis la chute de l'Union soviétique, moins d'un quart du bassin caspien fait encore partie de la Fédération de Russie. Sortis de l'isolement et d'une « servitude » séculaire, les nouveaux pays de cet espace, grâce à leurs richesses en matières premières, se retrouvèrent d'emblée exposés aux péripéties des convoitises russe, turque, iranienne, américaine, européenne et chinoise. Sous la menace permanente d'une radicalisation croissante des classes politiques et des tensions de type ethno-religieux, ces sociétés en pleine reconstitution essayent de faire face aux défis de la période moderne de leur histoire et à de futures secousses politiques. Chaque État riverain est déchiré par des contradictions politiques et économiques, des antagonismes internes, des aspirations culturelles, ethniques et confessionnelles, des ambitions géostratégiques de leadership régional.

      Économiquement et géopolitiquement, l'enjeu de la Caspienne est énorme. Dès l'antiquité, ses ressources minérales et sa faune maritime (le poisson, notamment l'esturgeon) constituèrent la base des économies des pays riverains. Depuis la fin du 19e siècle s'y sont ajoutés le pétrole et le gaz. De nos jours, ces facteurs majorés par celui des voies de communication existantes et futures (gazoducs, oléoducs, transport maritime, ferroviaire et routier) sont également devenus les priorités essentielles des politiques extérieures de ces États, mais également d'autres, proches et éloignés.

      Avec l'émergence des nouveaux pays riverains, la question du partage du sous-sol de la mer et de ses réserves s'est nettement posée, vu l'importance stratégique de ces richesses. La répartition inégale des ressources énergétiques par pays, le statut de cette mer fermée et l'exploitation de certains gisements provoquèrent de nombreux débats et des situations de conflit entre les États riverains, parfois portées à la limite d'une opposition armée. Cependant, durant ces treize dernières années, les positions des cinq pays caspiens se sont de plus en plus rapprochées. Les Russes ne se sont pas fermement opposés aux investissements occidentaux dans cette région sans néanmoins se laisser totalement évincer.

      Les intérêts de plusieurs pays s'entrecroisent, ce qui donne à ce territoire une dimension non seulement régionale, mais également internationale. Le développement des économies de tous les pays caspiens repose sur l'exportation des hydrocarbures. Alors que la Russie et l'Iran, et partiellement le Kazakhstan, possèdent d'autres régions pétrolifères et gazifères, l'Azerbaïdjan et le Turkménistan sont entièrement tributaires des ressources énergétiques caspiennes.

      Les facteurs qui définissent, dès 1991, l'importance de la région caspienne pour la Fédération de Russie sont d'ordre :

      sécuritaire : après la dissolution de l'URSS, elle est devenue une zone tampon entre la Russie et le monde islamique (Iran, Turquie, Afghanistan) d'après la guerre froide ;

      politico-économique : le contrôle de l'exploration, de l'exploitation et de l'acheminement des ressources énergétiques garantit une influence politique ;

      militaro-stratégique : l'arrivée des trois nouveaux membres dans le « club caspien » a augmenté le risque d'apparition de forces militaires étrangères dans la région susceptible de menacer la sécurité nationale de la Russie. La présence militaire russe dans la région pourrait en contenir l'agressivité et permettrait à Moscou de déployer rapidement ses forces en cas de graves conflits armés ;

      identitaire et culturel : depuis 1991, la Russie essaye d'adopter une conduite appropriée à l'égard des communautés russes locales et instrumentalise cette question dans sa politique caspienne.

      


D. – L'état des études sur le sujet et les sources principales

      

      Les premières relations des anciens Rous avec les peuples d'Orient ont attiré l'attention des historiens dès la fin du 19e siècle. Dans ce contexte, une place importante a été réservée aux rapports politiques et commerciaux qui s'étaient formés à travers la mer Caspienne et ses territoires riverains.

      Le célèbre orientaliste B. Dorn réunit et analysa, le premier, plusieurs documents et œuvres historiques d'auteurs persans, arabes et turcs sur les campagnes des anciens Rous au sud de la mer Caspienne. Il s'agit notamment de l'Histoire du Tabaristan de l'auteur persan du 12e-13e siècles Ibn Isfandijara.

      Dans la présente étude nous avons utilisé :

      les écrits des auteurs de la seconde moitié du 19e siècle et du début du 20e qui contenaient d'importantes informations et données de type politique et économiques concernant la région caspienne 12  ;

      les publications des auteurs des périodes soviétique et post-soviétique – russes, arméniens, azéris, turkmènes, kazakhs et géorgiens – spécialistes de l'Asie centrale et de la Transcaucasie ;

      les publications des auteurs occidentaux qui ont traité des multiples problèmes de cette région ;

      les documents de presse, notamment, en ce qui concerne la période contemporaine.

      Une analyse complète de l'évolution des intérêts géopolitiques de la Russie dans la région caspienne, dans ses dimensions à la fois historique, politique, économique, géostratégique et humaine, n'est pas encore réalisée. Cependant, certains grands axes et aspects de la politique russe dans la région en question sont séparément étudiés par des chercheurs russes, kazakhstanais, azerbaïdjanais, américains et européens, notamment après l'implosion de l'URSS. Les plus nombreux sont des spécialistes russes et américains. La plupart des ouvrages et des articles portent un caractère grand public construit à travers une analyse politique au détriment des aspects historiques. Ils reflètent souvent la position officielle des pays respectifs ou les stratégies particulières des compagnies internationales, sont donc subjectifs.

      Les analyses russes sont réalisées au sein de différents ministères (des Affaires étrangères, des Transports, de l'Industrie pétrolière), d'autres institutions gouvernementales et des centres de recherches des Instituts aussi bien supérieurs que scientifiques 13 . Les résultats de leurs recherches sont régulièrement publiés dans la presse périodique spécialisée 14 . Les monographies des spécialistes russes de la Caspienne ne traitent que des aspects politique,

      économique et juridique de la région caspienne et jamais au même niveau de l'aspect humain (les communautés russes encore présentes et leurs destins). On a par exemple : A. Boutaev A. La Caspienne : pourquoi l'Occident a besoin d'elle ?, 2004, S. Jiltsov, I. Zonn et A. Ouchkov La géopolitique de la région caspienne, 2003, V. Gousseïnov Le pétrole caspien, 2002, E. Mitiaeva Le problème de la Caspienne dans les relations russo-américaines, 1999, I. Barsegov La Caspienne dans le droit international et la politique mondiale, 1998, R. Mamedov Le régime juridique international de la mer Caspienne (thèse de doctorat), 1989, et autres.

      Compte tenu du fait qu'à l'époque soviétique la région caspienne était la chasse gardée de l'URSS et de l'Iran, les chercheurs occidentaux ne se sont pas penchés spécialement sur la problématique caspienne. En France l'unique thèse soutenue à ce sujet l'a été en 1961, par A. Dowlatchahi, La mer Caspienne. Sa situation au point de vue du droit international. La situation change radicalement après la dislocation de l'Union soviétique. Les auteurs et les spécialistes anglo-saxons se sont alors montrés les plus intéressés. Plusieurs centres de recherches traitent des questions liées aux ressources minérales et aux aspects politiques, économiques et écologiques de la Caspienne 15 . De nombreux séminaires et conférences sont régulièrement organisés au sein de ces centres.

      Les spécialistes et chercheurs français se concentrent également sur les multiples problèmes actuels de la Caspienne. Une place particulière est occupée par les les thèses de M. Nazemi La mer Caspienne et le droit international : Contribution à l'étude de sa situation juridique au carrefour des frontières, 2001 et de M. Dashab Les problèmes politiques, juridiques et financiers posés par le transport des hydrocarbures par pipelines, 2000, et par les ouvrages de P. Karam Asie centrale. Le nouveau Grand Jeu, 2002, de D. Allonsius Le régime juridique de la mer Caspienne. Problèmes actuels de droit international public, 1997, de A. Dulait et F. Thual La nouvelle Caspienne. Les enjeux post-soviétiques, 1998, etc. Sans oublier de citer également les livres de M.-R Djalili et T. Kellner Géopolitique de la nouvelle Asie centrale, 2001, et de R. Yakemtchouk Les hydrocarbures de la Caspienne, 1999. Ils portent sur les différentes problématiques de la Caspienne. Plusieurs périodiques spécialisés publient régulièrement des articles ou consacrent des « numéros spéciaux » à ce sujet qui ont un intérêt pratique et scientifique : Cahiers d'études sur la Méditerranée orientale et le monde turco-iranien, Le courrier des pays de l'Est, Hérodote, Géopolitique, Problèmes politiques et sociaux, Politique internationale et autres.

      Les sources documentaires de la thèse sont constituées de documents qui reflètent le processus de formation des grandes lignes de la politique russe par rapport à la région caspienne. Elles sont très variées et touchent de nombreux domaines. On peut les diviser en plusieurs groupes. Les traités, les accords et les conventions signés entre l'Empire russe/l'Union soviétique et les autres États faisant partie de la région constituent le premier groupe 16 . Dans le deuxième groupe on peut citer les traités et les accords paraphés entre la Fédération de Russie et les trois nouveaux pays de la région (Kazakhstan, Azerbaïdjan, Turkménistan) et l'Iran, ainsi que les nouvelles lois nationales (sur la citoyenneté, sur les langues officielles, etc.) et les actes législatifs adoptés dans ces pays 17 .

      Les données statistiques sont également entrées dans les sources documentaires. Compte tenu des divergences de chiffres existants, nous avons choisi de nous appuyer sur les données des Statistical Review of World Energy, Country Analysis Brief. U.S. Department of Energy, Energy Information Administration, Alexander's Gas and Oil Connections, Revue statistique du Kazakhstan, ainsi que des revues spécialisées comme Oil and Capital, Neftegazovaïa vertikal. La presse périodique a complété les données statistiques : Le Courrier des pays de l'Est, Journal teorii i praktiki evrazistva, Nezavissimaïa gazeta, etc.

      


E. – Le positionnement du problème et le champ de l'étude

      

      L'objectif de cette étude est, d'une part, de poser la question de l'importance et du rôle que la mer Caspienne et les territoires riverains ont joué et jouent encore dans l'histoire de l'État russe, de sa création à nos jours (périodes précoloniale, coloniale, soviétique et post-soviétique). D'autre part, de démontrer quelle influence la Russie a exercée sur le destin des pays caspiens et quelle place lui a été finalement réservée. Pour analyser et comprendre mieux les processus contemporains du point de vue scientifique, il est indispensable de s'intéresser à l'histoire des relations bilatérales russo-caspiennes, qui remontent au 9e siècle.

      Les États de cette vaste région sont très différents les uns des autres par leurs caractéristiques géographiques, économiques, politiques et sociales. La diversité repose également sur leur attitude à l'égard de la Russie. Ce groupe d'entités territoriales hétérogènes est étudié du point de vue de l'expansion de l'Empire russe, de l'Union soviétique et de son successeur la Fédération de Russie, sous l'angle économique, politique et, dans une moindre mesure, culturel. L'histoire intérieure proprement dite des pays riverains ne fait pas partie de la présente étude.

      Le travail sur le terrain nous a amené à analyser certains aspects des politiques intérieures actuelles de ces pays, mais sous l'angle du développement de leurs relations avec la Russie. Leurs politiques extérieures sont également traitées à travers le prisme des rapports avec Moscou. En particulier, nous nous sommes focalisé sur le développement des processus politiques dans les trois nouveaux États riverains qui se structurent parallèlement à l'évolution de leurs rapports avec la Russie. Le niveau de la présence russe (politique, économique, culturelle, démographique) a sa répercussion sur le niveau de la démocratisation, quoique ce soit paradoxal à première vue, et de la stabilité des pays en question.

      L'escalade des tensions autour de la mer Caspienne après la dislocation de l'URSS a révélé un des problèmes récurrents de la région : l'absence de statut juridique clair de la mer qui réunit cinq pays dont quatre post-soviétiques. Le problème du statut ne se serait sans doute pas posé si le démembrement de l'Union soviétique ne s'était pas produit. Cela nous a conduit à nous focaliser sur la pratique contractuelle concernant la Caspienne et sur le contexte historique de la disparition des Soviets.

      Un autre grand axe relatif aux ressources énergétiques de la région n'a pas échappé notre attention. C'est celui lié aux questions du contrôle des gisements pétrolifères et gazifères, des moyens de leur acheminement.

      


F. – Le cadre géographique de l'étude

      

      Le cadre spatial de l'étude englobe la région caspienne restreinte aux pays riverains. Ainsi, nous n'avons retenu que la Russie, l'Azerbaïdjan, le Turkménistan, le Kazakhstan, l'Iran, tous pays riverains. Ces cinq États forment un cercle d'une série de trois positionnés autour de la mer Caspienne. Pendant une longue période historique, les territoires occupés par ces pays ont été l'objet des aspirations coloniales de la Russie.

      Cinq autres pays, placés en une sorte de croissant méridional, sont également liés, d'une manière ou d'une autre, à la région caspienne : la Turquie, la Géorgie, l'Arménie, l'Afghanistan et l'Ouzbékistan. Leur étude détaillée n'entre pas dans le cadre de notre recherche qui la rendrait d'ailleurs trop vaste. Cependant, ces acteurs sont abordés dans la mesure où ils ont une influence sur les relations des pays du premier cercle avec la Russie. L'Ouzbékistan, malgré ses ressources énergétiques importantes et son niveau avancé d'implication dans plusieurs projets et problèmes caspiens ne fait pas pour autant exception.

      Un troisième cercle composé des puissances d'importance mondiale est seulement abordé pour son interventionnisme dans les pays riverains de la Caspienne, souvent en s'opposant à la Russie : les États-Unis, l'UE, l'Inde, la Chine, le Japon.

      Historiquement, les cinq pays riverains n'ont jamais représenté une entité géopolitique en tant que telle. Par ailleurs, depuis le 18e siècle, seulement deux États se partagent la région. C'est à partir du démembrement de l'Union soviétique que l'Azerbaïdjan, le Kazakhstan et le Turkménistan entrent sur la scène internationale. Ainsi, dès 1991 se dessine distinctement une nouvelle configuration régionale comprenant les cinq pays riverains.

      On aurait pu pousser l'étude jusqu'à considérer le cas des sujets caspiens de la Russie : le Daghestan, la Kalmoukie et la région d'Astrakhan. Cependant, leur développement, leur poids politico-économique et leur intégration à la Russie n'en font pas des entités autonomes dans la politique interventionniste russe. Ils n'ont jamais été pleinement parties prenantes des négociations concernant la mer et ses multiples problèmes.

      


G. – Le cadre chronologique de l'étude

      

      Le cadre chronologique de l'étude intègre les treize dernières années (décembre 1991-2005) qui ont suivi la chute de l'Union soviétique et la création de la Communauté des États indépendants. C'est la période pendant laquelle la politique russe dans la région a subi des restructurations considérables dans de nouvelles conditions géopolitiques. Or, la situation actuelle des pays caspiens et la position russe à leur égard possèdent des ramifications très lointaines qu'il est indispensable d'appréhender pour comprendre et analyser de nombreux problèmes d'actualité.

      La politique de la Russie dans la région caspienne s'est constituée sur plusieurs siècles. Cet espace fait partie depuis très longtemps des intérêts nationaux de la Russie. Ils ont été conditionnés par différentes circonstances historiques et géopolitiques qui ont déterminé le niveau d'importance de la Caspienne dans l'histoire russe. C'est la raison pour laquelle nous traiterons dans la première partie les questions liées à l'évolution des intérêts géopolitiques russes. Un aperçu historique qui s'étend des origines de l'apparition des anciens Rous sur la Caspienne jusqu'à la veille du démembrement de l'URSS et de la naissance des quatre États indépendants caspiens. Il nous permettra de poser les jalons de notre étude.

      La durée de constitution de cette thèse s'est étendue de 2001 à 2004 et a nécessité une réactualisation constante. Certaines mises à jour se sont même faites jusqu'au troisième trimestre 2005.

      


H. – L'objectif de l'étude et l'approche méthodologique

      

      Nous allons partir à la découverte de l'éveil du premier intérêt des anciens Rous pour la région caspienne. Nous le verrons s'amplifier progressivement, puis mûrir parallèlement à la centralisation du pouvoir de la Moscovie, puis de l'Empire russe, notamment sous Pierre le Grand et Catherine II. Une attention particulière est accordée à la participation des Russes aux grands courants d'échanges du commerce international entre l'Europe et l'Orient via la Caspienne et la Volga.

      L'étude est effectuée en utilisant des sciences contiguës : histoire, politologie, relations internationales, économie politique, démographie. Cela a permis de démontrer les liens de cause à effet qui conditionnent la situation contemporaine de l'espace caspien. Une telle approche multidimensionnelle a permis de révéler les spécificités de la période actuelle de la région qui représente un entrelacement d'intérêts géopolitiques, économiques et nationaux.

      L'étude se donne pour objectif principal l'analyse des défis de la période post-soviétique lancés par la région caspienne à la Russie. Afin d'y parvenir, nous effectuons l'analyse de ladite région comme un des centres géostratégiques mondiaux, placé au cœur de l'Eurasie, qui a joué un rôle important dans l'histoire russe et où se croisent les intérêts de plusieurs pôles. On tente de révéler le caractère de l'évolution des rapports de la Russie actuelle avec les trois nouveaux États caspiens, ainsi qu'avec l'Iran, après la dissolution de l'URSS.

      Les principes établis dans la science historique tels que l'approche chronologique, l'objectivité, l'approche systématique, l'analyse des questions sous tous leurs aspects, nous ont guidés lors de la préparation de la présente étude.

      L'analyse historiographique est basée sur les méthodes de la chronopolitique qui nous a permis de suivre les problèmes géopolitiques clés qui ont surgi sur la voie du développement des différentes formations de l'État russe sous l'angle de la chronologie historique.

      Par l'approche historique, nous avons mené une analyse des événements marquants dans leur développement successif et progressif qui aboutit à quelques conclusions sur le plan géopolitique. Cela nous a permis de révéler les origines des faits historiques, leurs causes qui, en fin de compte, ont largement déterminé le contenu et le caractère de leur évolution. Nous n'avons jamais prétendu à une exhaustivité d'analyse purement historique.

      L'approche multidimensionnelle et l'utilisation de différentes sources provenant de tous les pays concernés, ainsi que des auteurs occidentaux permettent d'atteindre une certaine objectivité.

      Le principe de l'analyse sous tous leurs aspects a permis de traiter les questions en tenant compte de toutes les circonstances qui se répercutent sur la politique et sur les intérêts russes dans la région caspienne.

      La méthode de la périodisation et de l'analyse logique ont également été utilisées.

      


I. – Les difficultés rencontrées

      

      Lors de la réalisation de la présente étude, nous avons essayé de comprendre les problématiques caspiennes posées au cœur des préoccupations de la politique intérieure et étrangère russe à travers lesquelles se dessine la place et le rôle que la Russie compte jouer dans la région. L'ensemble de l'analyse porte à la fois sur les plans juridique, économique sans pour autant entrer dans chaque champ d'études.

      Nous nous sommes heurté à des problèmes de divergence dans certains domaines qui remettent en cause la fiabilité des données chiffrées. Nous avons essayé de les réunir, de les ordonner et ensuite d'en dégager le sens. Même les chiffres concernant les données géographiques divergent parfois d'une source à l'autre. Finalement, nous avons limité ce recensement en nous contentant de ne retenir que les statistiques des agences les plus citées. Nous avons également renoncé à fournir simultanément plusieurs chiffres comme le pratiquent certains chercheurs.

      Une autre difficulté a été liée à l'actualisation permanente de notre travail de recherche au cours de ces quatre dernières années. Certaines idées ont du être abordées plusieurs fois sous différents angles selon le contexte étudié, ce qui pourrait parfois donner un sentiment de répétition. C'est également le cas lorsqu'une situation similaire vécue par plusieurs pays est décrite dans des parties successives.

      L'objet de l'étude initiale – les relations entre la Russie et les anciennes républiques soviétiques méridionales – était trop large et par conséquent a été réduit à la seule région caspienne. Même l'analyse des cinq pays restants représente un grand travail de recherche. De nombreux déplacements à l'étranger m'ont permis de réunir des sources considérables. Néanmoins, certains pays sont restés inaccessibles pour différentes raisons ce qui a restreint le choix des supports documentaires disponibles hors des frontières de ces pays.

      


J. – La genèse du sujet

      

      Nous avons commencé, il y a cinq ans, à travailler sur les relations post-soviétiques entre la Russie et les républiques du Caucase du Sud, notamment l'Arménie.

      Dans les constructions géopolitiques contemporaines, le Caucase du Sud et l'Asie centrale sont souvent considérés comme une entité géopolitique unie malgré leur séparation par la mer Caspienne. Interpellé par cette approximation, nous avons alors souhaité étendre nos recherches scientifiques, dans le cadre de ce doctorat, aux anciennes républiques soviétiques méridionales. Nous avons choisi de traiter comme sujet de thèse les rapports entre la Russie et les huit nouveaux États issus du démembrement de l'Union soviétique.

      En effet, ces derniers sont impliqués dans de nombreux projets communs qui les rapprochent. Initialement, nous nous sommes intéressé aux processus migratoires des minorités nationale, notamment russes, dans ces républiques pendant la période post-soviétique. Mes missions effectuées en Géorgie, au Kazakhstan, en Arménie, au Kirghizistan et en Ouzbékistan, ma participation dans ces pays à de nombreuses manifestations concernant les questions des minorités nationales et la migration ont contribué à ce choix. En étudiant de près ce véritable chassé croisé de populations, nous nous sommes orienté vers l'analyse de ses causes et conséquence politiques et économiques. Pour cela, j'ai souhaité travailler sur une longue période historique qui remonte à la première apparition des anciens Rous sur les eaux caspiennes.

      L'ampleur des territoires touchés par ces migrations s'est révélée trop vaste. Il nous a paru intéressant alors de concentrer la suite de nos recherches sur la Caspienne et ses pays riverains compte tenu de leur importance permanente pour la Russie. Ce champ d'étude une fois déterminé, j'ai affiné l'analyse de l'évolution des intérêts géopolitiques russes dans leurs dimensions historique, politique, économique, militaire et humaine. Dans ce contexte, analyser la migration des populations russes sous l'angle de la constitution des États nations à l'intérieur des pays post-soviétiques me semblait prometteur. L'évolution de la politique russe aux différentes époques et la continuité de certains de ses aspects méritaient à mes yeux d'être soulignées. C'est ainsi que la problématique de la thèse s'est constituée.

      


K. – L'exposé pratique du travail réalisé

      

      L'exploitation partielle des résultats de l'étude a eu lieu durant toute la période de rédaction de la thèse lors des conférences, colloques, séminaires et doctoriales régionaux, nationaux et internationaux.

      Une partie des conclusions principales a été présentée et publiée dans différents interventions et articles. Plusieurs publications ont été faites sur le sujet de la thèse dans la presse, dans des périodiques spécialisés 18  et dans des mélanges.

      Les grands axes de ce travail ont été exposés lors des doctoriales annuelles de l'équipe de recherche TRACES au sein de l'Université de Lille3 19 , des journées d'études, des séminaires, des conférences et de l'Université d'été 20 , des tables rondes 21 .

      


L. – L'intitulé de l'étude

      

      Cette étude se propose de s'intituler La géopolitique de la Russie dans la région caspienne avec pour sous-titre Évolution des intérêts. Rivalités anciennes, enjeux nouveaux. En effet, au fur et à mesure de l'étude, il s'est avéré que le titre principal devait être revu. Le

      terme « géopolitique » s'est révélé à la fois trop large et abstrait. C'est la raison pour laquelle nous avons précisé l'intitulé en ajoutant un sous-titre. En utilisant une approche historique, nous mettons en exergue la continuité et le sens de la politique russe à l'égard de la région caspienne.

      


M. – La structure de la thèse

      

      La thèse se présente en deux volumes. Le premier volume comporte trois parties. La première partie est consacrée à un aperçu historique du 9e à la fin du 20e siècles qui retrace l'évolution des intérêts et de la politique russe relatifs à la région caspienne.

      Les deuxième et troisièmes parties couvrent les années post-soviétiques de 1991 à nos jours. La deuxième partie s'interroge sur de nombreux problèmes et défis révélés après les nouvelles découvertes des ressources énergétiques dans la Caspienne et dans les territoires riverains.

      La troisième partie aborde, d'une part, les questions des politiques étrangères, aussi bien des pays régionaux que des puissances en présence, sous l'angle des rapports avec la Russie, de l'autre, la répercussion des événements qui se déroulent dans cet espace et autour de lui sur le destin des communautés russes vivant dans les trois anciennes républiques soviétiques.

      Le deuxième volume est composé de la bibliographie des ouvrages cités, de la chronologie des événements qui ont marqué l'histoire de la région, de cartes et d'annexes.

      


N. – Quelques remarques et questions de terminologie

      

      Pour nous, l'Empire russe, l'Union soviétique et la Fédération de Russie ne sont pas les mêmes malgré toutes les ressemblances et la relative pérennité. À l'époque soviétique, les relations entre la RSFSR et les républiques soviétiques ne sont pas traitées comme les relations entre la métropole et les colonies. Néanmoins, dans le texte, pour une lecture facile, nous utilisons parfois les termes « métropole » et « satellite ». Sous ces derniers, nous sous-entendons la Russie et les ex-républiques soviétiques pour des raisons purement géographiques, car la Russie était la seule qui avait des frontières communes avec la plupart des républiques, et dans la perception des peuples elle est restée la « métropole ». Enfin, le centre soviétique avait pour siège Moscou qui était aussi la capitale de la RSFSR.

      Pour ce qui concerne la transcription des mots russes et des titres des ouvrages et des articles, nous nous sommes aligné sur une pratique courante consistant en l'utilisation de deux façons d'écrire à la fois. Dans le corps du texte, nous avons adopté la transcription française traditionnelle afin de faciliter la lecture. Quant aux notes de bas de page et, par conséquent, à la bibliographie, nous utilisons la translittération scientifique.

      Nous utilisons le terme « Caucase du Sud » quand il s'agit de la période post-soviétique. En dehors de ce cas est employée l'appellation « Transcaucasie ». De même, l'Iran est utilisé après les années 1920, pour la période précédente, nous parlons de « Perse ».

      Nous utilisons également les termes « kazakh » et « azéri » qui ont une signification relative à l'ethnie. Dans le reste des cas, nous faisons usage des mots « kazakhstanais » et « azerbaïdjanais ».

      


PREMIÈRE PARTIE
LA POUSSEE RUSSE VERS LA CASPIENNE :
APERÇU HISTORIQUE

      

      

      

      Une étude complète de la situation géopolitique contemporaine de la région caspienne et de la place de la Russie dans la nouvelle répartition des rôles ne peut être réalisée sans une synthèse rétrospective des événements historiques qui ont marqué l'espace en question. Un aperçu historique permettra de suivre l'évolution de l'intervention progressive de la Russie à travers ses différentes formations étatiques : la Russie Kiévienne, la Moscovie, l'Empire russe, l'Union soviétique. Par une analyse diachronique, nous essayerons de démontrer la répercussion des événements géopolitiques clés sur la situation de la Russie dans la région Caspienne.

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      


CHAPITRE I
DE SVIATOSLAV À PIERRE LE GRAND

      

      

      Dès l'antiquité, la Caspienne et les territoires voisins représentaient une intersection entre plusieurs mondes (iranien, romain, byzantin, arabe, touranien, russe), entre les intérêts politiques, économiques et culturels de l'Europe et de l'Asie, une arène des mouvements dramatiques qui ont laissé leur empreinte sur les destins des ethnies peuplant la région et sur le développement ultérieur de l'histoire de l'Eurasie.

      Du point de vue géographique, les terres russes étaient bien placées par rapport aux anciennes voies commerciales liant l'Europe à l'Orient et le Nord au Sud. Deux d'entre elles – des Varègues aux Grecs et des Varègues aux Arabes 22  (de la Volga-Caspienne) – primaient sur les autres routes. La deuxième appelée également des Bulghars aux Perses 23  était l'axe majeur reliant l'Europe au monde arabe, aux Indes, aux pays d'Asie centrale et à la Chine avant la découverte de la voie maritime vers l'Inde contournant le continent africain 24 .

      

      


§ 1. Des premières campagnes caspiennes des Rous à l'apparition d'une vision géopolitique sur l'ensemble de la Steppe (9e-15e siècles)

      

      

      La conquête de la région caspienne commença dès l'antiquité. Les anciens Rous connaissaient la Caspienne depuis leur entrée sur la scène historique. Les premières mentions concernant les liens commerciaux entre les anciens Slaves Orientaux et les habitants du Moyen-Orient, notamment, de l'actuel Azerbaïdjan, remontent aux 5e-6e siècles 25 , c'est-à-dire à la période préislamique. La découverte de monnaies et d'objets en argent de l'époque sassanide (224/226-651) au Nord des steppes de la Russie méridionale indiquent indirectement que les marchands rous ou perses s'aventuraient déjà loin à la recherche de marchandises orientales, prisées chez les anciens Russes, ou des fourrures et de l'ambre tant appréciés par les Perses 26 . En ce qui concerne les premiers témoignages écrits, ils n'apparaissent qu'à l'époque des Abbassides (750-1258).

      


A. – Les premières apparitions des Rous sur la Caspienne

      

      Les premiers Rous apparurent sur les eaux caspiennes à la fin du 9e siècle. À partir de cette période, les anciens Rous commercèrent en permanence avec les Perses, les Arabes et d'autres peuples d'Orient. Selon le chroniqueur al-Massoudi, à cette époque, seuls les Rous naviguaient sur la Caspienne 27 . Un autre auteur, l'Arabe ibn Khordadbèh, écrit à propos des Slaves Orientaux (Rous) : « Les marchands rous, qui sont de la tribu des Slaves […] descendent en bateaux le fleuve Slave [la Volga – G.G.], en passant par le golfe jusqu'à la capitale des Khazars […]. Puis ils naviguent vers la mer Djourdjan [la partie sud de la Caspienne - G.G.] et débarquent en tout point de la côte […]. Parfois ils transportent leurs marchandises sur des chameaux jusqu'à Bagdad […] » 28 . Les annales arabes mentionnent également l'apparition de petites colonies rous à Itil et à Bagdad (846) 29 .

      Cependant, les contacts ne furent pas trop intenses, car les territoires russo-slaves étaient séparés de ceux du monde islamique par des empires nomades. Ainsi, les marchands rous furent obligés de mener leurs activités commerciales avec l'Orient via les capitales bulghare (Bulghar) et khazare (Itil) situées sur la Volga. Pour traverser ces territoires, ils furent contraints de payer aux autorités locales des droits de passage et de douane.

      À cette époque, les intentions des Rous à l'égard des territoires situés autour de la Caspienne étaient principalement commerciales, donc pacifiques. Le développement des intérêts commerciaux et les récits des marchands rous à propos des richesses de l'Orient, notamment de la Perse et du territoire de l'actuel Azerbaïdjan, éveillèrent l'envie des Rous de faire des campagnes militaires qui ne tardèrent pas à se réaliser. Selon N. Tebenkov, la politique orientale de Byzance pouvait également inciter les Rous à faire des expéditions en direction de la Caspienne 30 . On peut penser que ces derniers, à leur tour, et suivant ce modèle, commençaient à avoir une vision politico-économique beaucoup plus large par rapport aux territoires et aux marchés orientaux les plus proches et les plus accessibles.

      Quelquefois, les droujines 31  des marchands se transformèrent en bandes de pillards. On rencontre les premières mentions de brigands rous sur la Caspienne à partir de la seconde moitié du 9e siècle (864-884) 32 . En 880, ils sillonnèrent la mer Caspienne et prirent d'assaut l'île d'Abaskun 33 . Cependant, les renseignements historiques relatifs à cette époque sont très pauvres.

      Pendant le siècle qui va suivre, les campagnes des Rous entreprises dans la région caspienne s'intensifièrent. Les expéditions des droujines rous du prince Oleg (879-912) marquèrent la Russie ancienne pendant la première moitié du 10e siècle. Leur histoire fut relatée dans les premières chroniques de la Russie kiévienne. Ainsi, en 909, 16 barques (ladia 34 ) rous (1150 soldats et matelots) apparurent au Sud de la Caspienne, dans le golfe d'Astrabad sur la côte du Tabaristan. Après avoir pris l'Abaskoun, les Rous se dirigèrent vers la côte Ouest et retournèrent chez eux avec un butin conséquent 35 . En 910, les guerriers rous réapparurent sur la côte méridionale de la Caspienne, prirent et ravagèrent la ville de Sary. En dépit d'une défaite maritime sur leur route 36 , la droujine rous écrasa la résistance des troupes musulmanes au Gilân (Iran Nord-Ouest) et au Chirvan (Azerbaïdjan central et septentrional) avant de rentrer heureusement, avec le butin gagné. Ces attaques furent une sorte de prélude à de vastes campagnes mieux préparées et organisées qui vont suivre plus tard.

      Après avoir conclu un nouveau Traité de paix avec Byzance (911), la Russie kiévienne put entreprendre une vaste campagne en direction des côtes occidentale et méridionale de la Caspienne. En 913, le Grand Prince Igor, à la tête des 50 000 guerriers 37  sur 500 grandes barques, commença une nouvelle campagne militaire dont le but était d'atteindre la mer Caspienne et, sans doute, de récolter un beau butin 38 . Certains historiens affirment qu'en entreprenant cette campagne, les Rous accomplissaient leurs obligations vis-à-vis des Byzantins : conformément au traité de paix signé par Oleg, ils intervenaient pour détourner l'attention des Arabes de la Transcaucasie et pour porter secours aux chrétiens du Caucase – Arméniens et Géorgiens – contre les musulmans 39 . Ainsi, on voit apparaître, pour la première fois, la fameuse thèse de « la Russie protectrice des chrétiens orientaux » qui sera institutionnalisée sous Ivan le Terrible au 16e siècle, instrumentalisée par Pierre Ier et la Grande Catherine au 18e siècle, pour finalement justifier certaines conquêtes territoriales au 19e siècle.

      D'autres chercheurs estiment que cette campagne des Rous n'était pas officiellement entreprise par l'État russe, mais était organisée par la droujine russo-varègue, à ses propres risques et périls 40 . Les troupes descendirent dans le golfe Nitas (mer d'Azov) lié avec la mer Khazar (Caspienne) via le portage (perevolok) de la rivière du Don. À Sarkel, ils obtinrent la permission du roi khazar d'atteindre la rivière al-Khazar (Volga) et de se diriger vers la mer Caspienne à condition de partager le butin pris sur les peuples riverains.

      Ce fut la plus grande campagne caspienne de cette période. Divisés en plusieurs groupes, les Rous attaquèrent et dévastèrent l'Abaskun, le Tabaristan, le Djilan (Gilân) et le « pays pétrolifère » (la presqu'île d'Apchéron) situé au bord de la mer Djourdjan 41 . Les îles situées aux environs de Bakou servaient de base aux Rous. Habituées à recevoir des bateaux de marchands et de pêcheurs, les populations locales n'étaient pas prêtes à s'opposer à cet ennemi inattendu. À la hâte, le dirigeant du Chirvan réunit les musulmans sur des barques et bateaux marchands qui tentèrent de s'approcher des positions des Rous. Écrasant cette faible résistance, ces derniers pillèrent, brûlèrent et tuèrent impunément. Les peuples riverains, connaissant bien les marchands rous du pays lointain, découvrirent également de quoi était capable ce peuple nordique sur le champ de bataille.

      Enrichie, la droujine rous décida de rentrer. Selon l'accord conclu avec l'État khazar, les Rous devaient laisser une partie du butin au khagan au titre du droit de passage. Cependant, à cette époque, le nombre des musulmans de l'État khazar, soutenus par le Khârezm et les pays du khalifat, s'était considérablement accru. Les rumeurs à propos des atrocités commises par les Rous à l'égard des peuples du sud de la Caspienne, incitèrent les musulmans à venger leurs coreligionnaires. Les Rous subirent des pertes énormes sur le portage Volga-Don. Les cinq mille guerriers rous épargnés dans les batailles atroces furent contraints d'emprunter une route détournée, vers l'amont de la Volga. Sur cette route, ils furent exposés cette fois aux attaques des Bulghares de la Volga et anéantis définitivement. Désormais, faire des campagnes dans la Sud-Caspienne devint dangereux. Les incursions dans cette direction s'arrêtèrent pour trois décennies.

      En 941, le prince Igor effectua sa première campagne contre les possessions byzantines en Asie Mineure. La Russie Kiévienne perdit la bataille maritime contre les Grecs et se tourna en direction de l'Est – la Transcaucasie et la Caspienne – afin de compenser ses échecs militaires. En effet, au cours de son histoire, la Russie, à chaque défaite en Europe reportait ses efforts sur l'Asie pour regagner son prestige et reconstituer ses pertes matérielles. Par rapport aux précédentes, cette campagne était mieux organisée. Les Rous choisirent la route habituelle qui passait par la forteresse de Sarkel. Cette fois ils formulèrent leurs demandes et conditions auprès du kaghan khazar : le droit de passage par son territoire vers la Caspienne, le partage du butin gagné et des garanties de retour en pleine sécurité. Ce dernier point de l'accord était une nouveauté. Pour éviter la confrontation et, sans doute, l'éventuelle guerre avec les Rous, le kaghan s'adressa à la communauté musulmane concentrée principalement sur les territoires limitrophes Nord-Caspiens. Se trouvant dans une situation délicate entre les Rous, le kaghan et leurs coreligionnaires Sud-Caspiens, les dirigeants des musulmans décidèrent de donner la permission de passage à condition que les guerriers rous s'engagent à ne guerroyer qu'avec les combattants musulmans et à épargner les populations civiles des pillages et des meurtres.

      Après avoir accepté les propositions des musulmans khazars, les Rous se dirigèrent vers la ville de Berdaa (943), située sur la Koura, qui contrôlait la voie commerciale menant en Transcaucasie. La ville fut prise. Le lendemain les Rous annoncèrent à la population : « Nous n'avons aucun différend religieux. La seule chose que nous désirons c'est le pouvoir. Nous nous sommes engagés à vous traiter correctement si vous nous obéissez bien » 42 . En réalité, les guerriers rous étaient intéressés par les droits de commerce perçus auparavant par les dirigeants de Berdaa. À plusieurs reprises, ils tentèrent de mettre de l'ordre dans la ville. Cependant, les attaques fréquentes des musulmans et la révolte des habitants de Berdaa, amplifiée par les conditions climatiques et par une nourriture inhabituelles ainsi que par une épidémie, poussèrent les Rous à retourner chez eux sans encombre au début de 944.

      Ainsi, dans la première moitié du 10e siècle, les droujines rous organisèrent quatre expéditions caspiennes. Si les campagnes contre Byzance, dirigées directement par des princes kiéviens, aboutissaient à la conclusion d'importants accords politico-militaires, et aussi commerciaux, à long terme, celles faites en Caspienne poursuivaient le but de s'emparer de richesses et d'obtenir la gloire militaire. Les relations commerciales entre les Rous et les peuples caspiens ne s'interrompirent pas pendant toutes ces décennies, hormis pendant quelques courtes périodes de guerres déjà évoquées.

      


B. – De Sviatoslav à la fin du joug mongol

      

      Le fils d'Igor, Sviatoslav ( ? – 972), commença sa carrière par des attaques contre l'État khazar. D'abord il conquit les Viatitchi sur l'Oka, qui étaient tributaires des Khazars. Ensuite, il dirigea toute sa force contre la Khazarie. En 965, il pilla le pays, y compris ses deux villes principales, Sarkel (Belaïa Veja) sur le Don et Itil sur la Volga, centre exclusif du commerce de transit entre Arabes et Normands 43 . Elles finirent par tomber sous le pouvoir de Sviatoslav. Comme on l'a déjà évoqué, le but principal des précédentes campagnes était le pillage. À la différence de ses prédécesseurs, Sviatoslav poursuivit plutôt des fins géopolitiques qui consistaient à s'affermir dans la Basse Volga et à créer un nouvel empire sur les ruines de l'ancien 44 . Selon certains chercheurs, sans cet exploit géopolitique de Sviatoslav la Russie kiévienne ne pouvait pas se constituer 45 .

      Cependant, le prince guerrier ne resta pas longtemps sur la Volga. Après avoir porté secours à l'empereur byzantin contre les Bulgares du Danube, il quitta définitivement Itil, attaqua la Bulgharie volgienne et s'installa à Pereïaslavets, sur le Danube. Selon G. Vernadski, l'empire de Sviatoslav (du Danube à la Volga) était plus vaste que les empires des Avars ou des Khazars et ne pouvait être comparé qu'avec celui des Huns (4e-5e siècles). À l'essence de l'État de la Steppe, Sviatoslav ajouta l'essence de l'État de la Forêt 46 . Mais l'affaiblissement de l'État khazar par Sviatoslav entraîna la disparition progressive d'un bouclier qui protégeait les steppes de l'Europe Orientale des hordes turques nomades. Ces dernières coupèrent les voies commerciales de la Russie menant à l'Orient 47 .

      À la fin du 10e siècle, les bateaux rous naviguaient librement sur la Volga et apparaissaient de temps en temps sur la Caspienne. En 987, l'émir de Derbent, pour lutter contre la noblesse locale, appela à l'aide des Rous qui vinrent sur 18 bateaux. Après un échec de débarquement, ces derniers mirent cap au Sud vers le Chirvan et le Moughan. Il semble qu'une partie des Rous s'infiltrèrent quand même dans la ville, puisque deux années plus tard, l'émir fut exclu de Derbent sous le prétexte de s'être entouré d'une garde rous 48 . C'était la première demande d'aide militaire à la Russie d'un dirigeant local. Lors des siècles suivants, ces appels à l'aide ponctuels vont se multiplier pour se transformer ensuite en des souhaits de protection interprétés presque toujours par l'État russe comme un « rattachement volontaire » de nouveaux territoires.

      Les Chroniques attestent que pendant la première moitié du 11e siècle les Rous étaient maîtres de la Basse Volga. Cependant, la part des marchands rous dans le commerce avec la Perse n'était pas si importante par rapport aux autres pays de l'Orient et cela malgré la proximité géographique et la présence d'une voie fluviale et maritime. Selon A. Khammad, cela s'explique par le fait qu'à cette époque, le monopole du commerce russo-iranien se trouvait dans les mains des petits commerçants arméniens et persans qui, dans la plupart des cas, s'occupaient de la revente des marchandises, y compris d'origine russe, entravant ainsi le développement du commerce bilatéral russo-persan 49 . À cette époque, on exportait déjà le pétrole de la presqu'île d'Apchéron 50 , un facteur qui deviendra neuf siècles plus tard l'enjeu principal de la région. Une partie des marchandises persanes atteignait également le territoire russe via la Crimée et la mer d'Azov.

      En 1030, les Rous, sur 38 bateaux, apparurent de nouveau sur la côte du Chirvan. Ils écrasèrent les troupes du chirvanchah et montèrent la Koura pour prêter secours au régent de Gandja (Arran) dans sa lutte contre son frère. Grassement récompensés, les guerriers rous rentrèrent chez eux par la voie terrestre. Ils répétèrent leur campagne deux ans plus tard (1032). Au retour, avec le butin, ils furent exterminés par l'émir de Derbent ce qui provoqua sans doute de vaines attaques des Rous et des Alains contre Derbent en 1033 51 .

      Les Chroniques mentionnent très vaguement encore une expédition des Rous avec des alliés Alains et Khazars contre le Chirvan à la seconde moitié du 12e siècle. Vraisemblablement, elle fut liée à la sécurisation de la route terrestre de la rive occidentale de la Caspienne, située au Nord de Derbent. Elle fut abandonnée à cause d'attaques permanentes de Montagnards et d'accrochages armés entre Arabes et nomades des steppes au-delà de la chaîne du Grand Caucase 52 .

      Suite à l'invasion des hordes mongolo-tatares, les relations directes politiques, économiques et militaires entre les Rous et les peuples caspiens s'interrompirent brusquement. Durant cette période, seul un commerce marginal se développa, car la route commerciale de la Volga fut monopolisée par les Tatars qui, en plus d'être bons guerriers, se distinguaient également par leur habilité à organiser les relations commerciales si primordiales pour le développement des villes et pour le ravitaillement des différentes tribus mongoles.

      Saraï, la capitale de la Horde d'Or créée par les descendants de Gengis Khan, devint un important centre de commerce où les marchands rous entraient en relations avec leurs homologues orientaux. Ainsi, le commerce par la Volga puis par la Caspienne se trouva presque entièrement entre les mains des marchands musulmans (turcs, arabes, persans, alains) 53 . Selon le spécialiste de l'histoire du commerce russe P. Melgounov, l'« invasion mongole contribua à l'achèvement définitif du processus de déplacement du centre du commerce du sud-ouest de la Russie, avec sa voie commerciale « des Varègues aux Grecs », au nord-est avec l'artère fluviale puissante Volga-Russie de Souzdal, précurseur de Moscou » 54 . Après la dévastation de Saraï par les troupes de Tamerlan (1395), les commerçants rous réapparurent au Sud et Sud-Ouest de la Caspienne où les villes de Chemakha, de Derbent et de Tabriz prospéraient.

      C'est à cette époque qu'on rencontre les premières mentions historiques de la piraterie organisée sur les eaux de la Volga et de la Caspienne. Elles sont liées aux ouchkouïniks, hommes libres, souvent membres des droujines armées. Dans la plupart des cas, ils étaient très bien armés et équipés par des boïars et marchands d'abord du Grand Novgorod, puis de Nijni Novgorod. Sur de petites barques à voile et à rame à fond plat (ouchkouïs), ces bons soldats et habiles matelots firent des incursions sur la Volga et la Kama et sillonnèrent jusqu'à la mer Caspienne.

      Les incursions et la piraterie des ouchkouïniks atteignirent leur apogée dans la seconde moitié du 14e siècle (1360-1375) quand la Horde d'Or entra dans sa phase de déclin et fut incapable de contrôler la région. L'apparition de ces nouveaux « corsaires » sur la Volga coïncida avec l'augmentation des activités commerciales sur le fleuve et l'accroissement de l'importance des anciennes villes moyennes volgiennes (Bulghar, Nijni Novgorod) en tant que centres incontournables du commerce intercontinental. Une lutte farouche commença entre Russes et Tatars pour le contrôle de l'axe fluvial. Novgorod sera bien évidemment impliqué dans ce conflit.

      Ainsi, bien avant Ivan le Terrible, les principautés russes visaient déjà les territoires voisins de la Volga et caressaient l'idée de devenir seules maîtresses du fleuve qui représentait un gage pour leur développement économique et leur prospérité. Selon V. Bernadski, certes les raids des ouchkouïniks poursuivaient le pillage de la moyenne Volga, mais ils faisaient partie d'une politique plus vaste des princes de Novgorod dont l'objectif final était la soumission de ces territoires et la conversion du pillage en une sorte de tribut 55 .

      Les ouchkouïniks pillaient aussi bien les villes et villages de la Horde d'Or que ceux de la Russie. Parmi les victimes des pirates de la Volga on trouvait également les caravanes et les bateaux marchands, aussi bien musulmans que chrétiens. Cependant, certains écrivains russes et historiens soviétiques considèrent les actions des ouchkouïniks comme une des formes de protestation des pauvres ou bien de lutte pour la libération nationale du peuple russe contre le joug tatar 56 .

      Du point de vue militaire, les ouchkouïniks représentaient une force considérable qui inquiétait non seulement les troupes russes, mais également celles de la Horde d'Or. Les annales russes décrivent plusieurs expéditions d'ouchkouïniks dont la plus importante eut lieu en 1375. Environ deux mille pirates russes, sous le commandement des atamans Prokofi et Smolianine, attaquèrent les villes de Iaroslavl, Kostroma et Nijni Novgorod sur 70 embarcations. Les pillages continuèrent sur la Kama, ensuite sur l'amont de la Volga jusqu'à Hadji-Tarkhan (Astrakhan) où ils subirent une défaite fatale de la part du khan de cette ville Saltcheï 57 . En conséquence de cette défaite, tout le mouvement des ouchkouïniks fut réduit à néant 58 . Pour résumer, par l'intermédiaire des ouchkouïniks, Novgorod « fit son entrée sur la scène pour défendre par elle-même ses intérêts économiques » et « conférer aux Novgorodiens le droit de commercer directement sur la Volga » 59 .

      


C. La naissance d'une vision géopolitique à l'égard de la région caspienne

      

      Le 15e siècle fut la période de l'unification des principautés russes sous la tutelle de Moscou après trois siècles de domination tatare. L'unification politique des terres russes fut principalement achevée sous le règne d'Ivan III (1462-1505). C'était un tournant de la lutte avec et pour la Steppe : la Moscovie prenait progressivement la relève de l'empire des steppes sur les vastes étendues eurasiennes. Le khan était remplacé par le grand prince qui deviendra tsar 60 . Côté européen, les revendications du patrimoine de la Russie kiévienne servirent de prétexte à une extension territoriale plus large 61 .

      Ainsi, l'autorité et le prestige de l'État russe sur la scène internationale augmentaient, poussant ses dirigeants à viser d'autres territoires. Une nouvelle voie commerciale se dessina de Tver à Astrakhan, puis, par la mer Caspienne, vers l'Asie centrale, le Daghestan, le Chirvan, la Perse et aussi l'Inde 62 . À la fin du 15e siècle, les marchands russes empruntaient intensivement cette route commerciale pour se rendre en Perse et dans les régions intérieures de Transcaucasie et d'Asie centrale. Une colonie marchande russe forte de 300 membres environ s'établit à Tabriz 63 . Inversement, les marchands locaux apparurent de plus en plus souvent dans les villes russes. Coupés de l'Extrême-Orient par la poussée turque, les marchands occidentaux, à leur tour, privilégièrent de plus en plus souvent le territoire russe pour se rendre en Asie.

      Chemakha, la capitale du Chirvan, devint un centre important de commerce et attira de nombreux marchands étrangers, y compris russes, notamment, de Tver et de Moscou. En 1465, Hassan bek, l'envoyé spécial du chirvanchah Farrukh Iasir, arriva à Moscou et se présenta au Grand Prince Ivan III. La visite réciproque ne tarda pas ; presque parallèlement l'ambassade du boïar Vassili Panine se rendit, à son tour, à Chemakha (1466). Ce furent les premiers contacts diplomatiques entre l'État russe centralisé et le Chirvan 64 . Le fameux voyage du marchand et voyageur de Tver d'Afanasi Nikitine en Inde via la Caspienne (1466-1472), 30 ans avant l'arrivée en Inde de Vasco da Gama, coïncida avec le retour de Hassan bek. Il fut le premier à ouvrir la route des Indes du côté nord.

      Dorénavant, les khanats de Kazan, d'Astrakhan et du Caucase représentaient un obstacle pour les intérêts hégémoniques russes naissants. De plus, les caravanes et les bateaux commerciaux russes subissaient en permanence les attaques des Tatars, des Nogaïs et d'autres peuples nomades habitant ces territoires. À partir du 16e siècle, les tsars russes se mirent à résoudre progressivement ce problème pour dégager une fois pour toute la route de la Perse.

      En 1475, le Grand prince Ivan III, en quête d'alliés dans la lutte contre la Horde d'Or, envoya une ambassade auprès du chirvanchah. Une tentative de conclure un traité d'amitié entre la Russie et le Chirvan, à qui Ivan III accordait une attention particulière dans ses visions géopolitiques concernant cette région, eut également lieu en 1499 65 . En effet, Ivan III entra dans l'histoire russe comme tsar ayant une politique clairvoyante par rapport au monde musulman, couronnée de succès diplomatiques évidents. Dans les siècles à venir, la Russie verra toujours en la Perse une alliée stratégique potentielle en dépit de toutes les contradictions, voire les guerres, existantes dans les relations bilatérales.

      

      

      CONCLUSION

      

      Le commerce avec les peuples autochtones était à l'origine des campagnes militaires des Rous dans la région Caspienne. Avant de se lancer dans ces entreprises militaires, les Rous connaissaient bien la région et ses richesses. Les marchands russes, via les villes volgiennes de Bulghar et d'Itil, avaient des relations commerciales avec les plus importants centres marchands régionaux de l'époque : Berdaa, Derbent, Chemakha, Tabriz, etc. Les objectifs poursuivis par les expéditions avant Sviatoslav furent purement militaires et commerciaux.

      À la différence des précédentes, la campagne de Sviatoslav avait notamment un caractère politique : s'ancrer durablement dans la Basse Volga. Sortis de la Forêt et dominant la Steppe, les Rous tentèrent, pour la première fois, d'établir des constructions géopolitiques. Encore fragiles, elles s'arrêtèrent avec la disparition de Sviatoslav.

      Les invasions mongolo-tatares ont pratiquement interrompu, durant presque trois siècles, les échanges entre les Russes et les peuples habitant sur la côte ouest de la Caspienne.

      À partir du 15e siècle, en rassemblant les terres russes sous sa tutelle, la Moscovie commença à étendre son territoire vers le sud, en direction de la Caspienne. Les terres à la fois de la Russie kiévienne et de la Horde d'Or furent visées pour l'extension territoriale.

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      


§ 2. Le début de la revendication du patrimoine de la Horde d'Or et la revalorisation stratégique du commerce de transit Est-Ouest (16e-17e siècles)

      

      

      Ce fut Ivan le Terrible (1533-1584) qui inaugura une nouvelle ère dans l'avancée et la conquête russe des territoires situés des deux côtés de la Volga. Le fleuve, qui recevra le nom de « rivière mère russe », ouvrait la voie vers la mer méridionale Caspienne et vers tout l'Orient. En effet, le rôle de la Volga dans l'ethnogenèse de la Russie est similaire avec celui du Dniepr pour la Rous ancienne, soit celui d'un fleuve asiapète donnant sur l'Eurasie et au-delà 66 . La volonté de devenir l'État dominant de l'ancienne voie commerciale et d'empêcher l'avancée de l'Empire ottoman dans cette direction poussa la Moscovie à prendre une série de mesures. C'était le début de la revendication des terres de la Horde d'Or, comme sous les prédécesseurs d'Ivan le Terrible qui convoitaient le patrimoine de la Russie kiévienne.

      


A. – La prise des khanats musulmans de Kazan et d'Astrakhan

      

      Ivan IV se considérait plutôt comme un tsar orthodoxe que russe. Au début du 16e siècle, le moine Philothée formula dans son Épître au grand-prince Vassili Ivanovitch la célèbre prophétie « Moscou – troisième et dernière Rome », ce qui signifiait le transfert de la capitale du royaume orthodoxe à Moscou : « … deux Romes sont tombées, mais la troisième est debout et il ne saurait y en avoir une quatrième » 67 . Dans sa politique extérieure, le tsar privilégiait la lutte contre les infidèles de l'Orient musulman et de l'Occident latin. La prise de Kazan, ce passage obligé vers l'Oural, la Sibérie, la Perse et l'Asie centrale, devait être le premier pas dans la réalisation de cette « croisade » du tsar russe orthodoxe contre, notamment, l'islam. Ainsi, l'idée « Moscou, dernière Rome », devenue de plus en plus obsessionnelle, constitua le fondement idéologique de l'empire en pleine construction.

      Les premières campagnes contre Kazan (1547-1548, 1549-1550) ne furent pas couronnées de succès. En fin de compte, la ville tomba en 1552 et une partie des Tatars furent convertis à l'orthodoxie 68 . Avant cette opération militaire, l'État moscovite travaillait âprement au rassemblement des terres de la Russie ancienne qui « justifiait » ses actions.

      L'annexion d'une entité étatique qui n'avait jamais été intégrée auparavant aux territoires historiques de la Rous « faisait voler en éclats les conceptions juridiques traditionnellement admises » 69 . La prise de Kazan fut la première opération militaire qui plaça les musulmans sous la domination de la Moscovie orthodoxe en inaugurant ainsi une longue période historique de conquête et d'assujettissement d'autres populations musulmanes. Nulle part en Moscovie, en dehors du khanat de Kazan, l'église orthodoxe et l'État ne travaillèrent mieux en tandem et en harmonie 70 . Par cette conquête, l'État russe s'affirma également comme un ensemble politique multiculturel.

      À la soumission du khanat de Kazan succédèrent la liquidation de la Horde nogaï (1556) et la chute du khanat d'Astrakhan (1556) 71 . Malgré le cosmopolitisme présent (communautés arménienne, géorgienne, indienne, daghestanaise, persane, grecque, tatare, de Khiva, de Boukhara, etc.), Astrakhan, lieu de rencontres des marchands musulmans et chrétiens, se transforma davantage en une ville russe et la Volga en un « fleuve russe ». La ville jouera un rôle inestimable dans la formation du marché intérieur russe et dans le développement des liens commerciaux et culturels avec les pays de l'Orient. C'est pourquoi, dans les décennies suivantes, elle sera convoitée par le sultan turc et le khan de Crimée (1564, 1569), les Kalmouks (1630), les Tatars (1660) et les révoltés de Stépan Razine (1665, 1670).

      Par la prise d'Astrakhan, la Moscovie devint une puissance caspienne et conserva ce statut jusqu'à nos jours. En outre, un État majoritairement slave et orthodoxe évolua vers un empire multiethnique et multiconfessionnel 72 . Selon l'expression de M. Heller, « la carte de l'empire moscovite se modifie comme par magie » 73 . Par l'évolution du « rassemblement des anciennes terres rous » avec celui des terres de l'empire gengiskhanide, la Moscovie, en effet, prit la relève de la Horde d'Or, ce qui représenta un événement majeur dans l'histoire de toute l'Eurasie.

      En s'emparant du cours inférieur de la Volga, la Russie devint quasiment seule maîtresse de l'ancienne voie commerciale de la Volga donnant accès direct vers l'Orient. Ainsi, Ivan le Terrible « restaurait l'ancienne organisation russe de l'État possédant en même temps la forêt, la steppe et une mer méridionale » 74 . Dorénavant, les Russes pouvaient établir les relations diplomatiques et commerciales avec les Persans sans les intermédiaires musulmans traditionnels.

      Par l'incorporation du khanat d'Astrakhan, le tsar russe créa une tête de pont pour progresser en direction du Caucase du Nord et de la Caspienne, morcelés en petites royautés dont les princes et les roitelets ne s'entendaient pas, ce qui rendait ainsi leurs territoires vulnérables face aux interventions extérieures. En 1557, la Kabardie passa sous le protectorat de la Russie, suivi par les tribus nogaïs et kalmouks. Le mariage du tsar avec Marie, une princesse kabarde, prouva une fois de plus la détermination de la Moscovie à disputer le Caucase à l'Empire ottoman et à son vassal le khanat de Crimée 75 .

      Après cette avancée, la Russie entreprit une vaste campagne de colonisation populaire de la région volgienne et du « champ sauvage » (situé au sud de l'affluent Oka) et la construction de forteresses dont la plus importante était celle de Terka (1567) sur la rivière de Sounja en Tchétchénie. Selon B. Nolde, la fondation de Terka, destinée à devenir le point de départ de la pénétration russe dans le Caucase, fit de la Russie une puissance caucasienne 76 . Le tsarisme entreprit la construction de la fameuse route militaire de Géorgie après avoir soumis les Kabardes et les Ossètes qui contrôlaient ce passage unique à travers la chaîne du Grand Caucase.

      Dans cette politique expansionniste, beaucoup d'espoirs furent placés dans la cosaquerie, cette couche sociale particulière, dont la base socioculturelle étaient les colonies autonomes avec leur propre mode de vie. C'est à cette période que les Cosaques du Don, marqués initialement par un « fort élément turcophone » 77 , se manifestèrent comme des gardes-frontières, des défenseurs fiables des confins méridionaux de l'État russe. Au début, on appelait Cosaque toute personne qui aspirait à se libérer, à réaliser ses rêves, à changer son destin et à tout recommencer. Les vastes étendues du futur Empire russe servirent à la réalisation de cette utopie russe, à l'instar des colonisateurs multiethniques qui assimilaient les terres du continent américain.

      

      Caractérisés par leur loyalisme, les Cosaques commencèrent à exercer, à partir du 16e siècle, un rôle géopolitique particulier dans la construction de l'organisation, du développement et de l'expansionnisme de l'État et de l'histoire russes. Ils contribuèrent à l'intégration stratégique des terres russes tout en défendant et en élargissant les confins de l'empire. Désormais, ce rôle ne cessa d'augmenter. Après avoir progressivement peuplé les terres du Don, les communautés guerrières des Cosaques commencèrent à être transférés au Kouban, vers le piémont caucasien (1777-1781) où naquit la cosaquerie du Terek. Le processus de leur métissage avec les peuples autochtones, en particulier avec les populations turques, était très intense. Les Cosaques steppiques, avec le temps, se transformèrent en paysans fermiers. Ainsi, les Cosaques deviennent peu à peu une partie intégrante du paysage ethnique complexe du Caucase, des « populations caucasiennes slavophones » 78 .

      Ainsi, le comportement expansionniste des Russes amplifia les inquiétudes et les craintes des Turcs et des Tatars de Crimée pour leurs possessions limitrophes des nouvelles frontières russes.

      


B. La triangulaire des rivaux : Moscovie, Empire ottoman, Perse des séfévides

      

      Les guerres aussi bien avec les Suédois et les Polonais à l'Ouest (guerre de Livonie (1558-1583) qu'avec les Turcs et les Tatars au Sud empêchaient la Russie de continuer avec succès sa politique caucasienne. Les Ottomans, à leur tour, ne voulaient pas se résigner au fait que le commerce entre l'Orient et l'Europe soit détourné de l'Asie Mineure en faveur de la voie Volga-Caspienne notamment après la prise d'Astrakhan. En outre, l'avancée russe coupa les contacts commerciaux, militaires et humains (caravanes de pèlerins centrasiatiques, etc.) directs entre les Ottomans et leurs coreligionnaires d'Asie centrale au nord de la Caspienne. En effet, dans leurs esprits, la chute de Kazan et d'Astrakhan représentait un « recul de l'aire de l'Islam » 79 . Ce furent les raisons de l'expédition turque contre Astrakhan qui essuya une grave défaite en 1569.

      Le regain d'activité des relations russo-persanes coïncida avec la création d'une nouvelle formation d'État sur le territoire persan : l'État séfévide (1501-1736). Il coupa l'Empire ottoman de l'Asie centrale turcophone, cette fois au sud de la Caspienne, traditionnellement plus fréquenté que le passage du nord. Le tsar Ivan le Terrible saisissait toutes les opportunités de confrontation des Séfévides avec les Ottomans qui étaient considérés comme ennemi commun. Ainsi, en 1568, l'envoyé spécial du tsar Alexis Khoznikov arriva à Kazvin avec 100 canons et 500 fusils ce qui, pour son époque, représentait une aide militaire considérable compte tenu du fait que le chah ne disposait pas en propre d'armes à feu 80 . Malgré les efforts de la Moscovie, l'armée ottomane, en 1578, conquit presque toute la Transcaucasie et s'approcha de la Caspienne 81 . En 1583, Chemakha et Bakou tombèrent en rompant temporairement les relations entre la Russie et les provinces caspiennes de Transcaucasie. Le commerce passa sous contrôle des Ottomans et, par conséquent, Astrakhan perdit son importance en tant que centre du commerce avec la Perse et les pays d'Asie Centrale. Cependant, en état de faiblesse, ni le tsar Fiodor Ivanovitch (1584-1598) ni son successeur Boris Godounov (1598-1605) n'osait déclarer la guerre à l'Empire ottoman.

      À la fin du 16e siècle, le chah séfévide Xodabende (1578-1587), après la défaite des Ottomans, envoya son ambassadeur Andi bek à Moscou et demanda l'aide militaire de la Moscovie afin de faire face à l'Empire ottoman. En contrepartie, le chah se déclarait prêt à laisser, pour toujours, sous protectorat du tsar, les villes de Derbent, de Bakou et la bande côtière entre elles, libérées de la présence turque. La proposition du chah était tellement attrayante pour le tsar Fiodor Ivanovitch, qu'il ordonna de rembourser vingt fois les biens de l'ambassadeur pillé par des Cosaques lors de son voyage vers Moscou et d'exécuter plus de 400 d'entre eux pour ce brigandage 82 . Au 16e siècle, l'État russe ne contrôlait pas encore entièrement la région de la Volga. Les pays riverains de la Caspienne, hormis la Perse, ne possédaient pas de flotte militaire pour assurer le contrôle de l'espace maritime. Les Persans disposaient de bateaux, mais ne contrôlaient que la partie sud de la Caspienne qui bordait directement sa zone côtière 83 .

      Cependant, lors du séjour diplomatique d'Andi bek à Moscou, un coup d'État se produisit en Perse. Le fils du chah, Abbas Ier (1587-1629), arriva au pouvoir et enclencha une renaissance de l'État séfévide. Cet événement interrompit les négociations de l'alliance militaire à peine entamées. Le nouveau chah, qui convoitait les territoires caspiens, tenta vainement de provoquer un affrontement entre la Russie et l'Empire ottoman. Parallèlement, en profitant de la faiblesse de l'État russe, il se préparait pour une campagne militaire au Caucase du Nord qui aurait dû se couronner par la prise d'Astrakhan 84 . En raison de la situation politique défavorable, l'avancée séfévide s'arrêta au Daghestan.

      Néanmoins, Abbas Ier n'hésitait pas à demander l'aide militaire de Moscou lors des guerres contre les Turcs et cela même pendant les périodes où l'État russe était affaibli 85 . À cette fin, il envoyait des ambassades en Russie avec assurance de « l'amour et de l'amitié ». Ainsi, à l'aube du 17e siècle, les échanges diplomatiques aboutirent à la conclusion d'une alliance militaire avec Boris Godounov (1598-1605) contre l'Empire ottoman. Le tsar engagea même quelques escarmouches au Nord-Caucase contre les intérêts ottomans pour soutenir le chah 86 . À la différence de son prédécesseur, il évitait la question d'une possible concession à la Russie des territoires caspiens reconquis à l'aide de l'arme persane.

      À la charnière des 16e-17e siècles, la situation politique, intérieure comme extérieure, de la Moscovie ne lui permettait pas de s'impliquer dans une confrontation militaire directe avec l'Empire ottoman. Les derniers Polonais furent chassés de Moscou en octobre 1612. La lutte intestine acharnée entre des différents groupes de boïards se termina par l'élection, le 21 février 1613, de Mikhaïl Romanov au trône russe par l'assemblée des États (zemskij sobor). Par ailleurs, l'ambassadeur Amir Ali-bek fut le premier représentant persan qui, en 1613, reconnut la légitimité de l'avènement au trône du tsar Mikhaïl Romanov 87 . Un an plus tard, l'ambassade russe se rendit à Ispahan. Sa mission fut couronnée par la naissance d'une « entente cordiale » entre la Russie et la Perse. Les relations « cordiales » se refroidiront après le refus d'Abbas I d'accorder une aide financière aux Russes qui projetaient d'entreprendre une campagne contre les Polonais 88 .

      Le premier Romanov commença par restaurer le pouvoir central menacé par de nouvelles attaques des Polonais et des Suédois qui avaient chacun leurs prétendants au trône russe. Parmi les premières tâches qui s'imposaient à la nouvelle dynastie russe (1613-1917) il y avait : la libération des terres des interventionnistes étrangers, la reconstruction de l'économie, le rétablissement aussi bien de la puissance militaire que des relations diplomatiques et commerciales interrompues avec les pays européens et orientaux, en premier lieu, avec la Perse.

      La guerre sur le front européen continuait toujours, entravant le redressement du commerce avec le vieux continent. La réactivation du commerce avec l'Orient était susceptible d'être rapidement réalisée. Cette circonstance poussa l'État russe à activer sa politique en direction du Caucase, notamment de la région caspienne. Mais, en 1613, la ville d'Astrakhan fut prise par l'ataman cosaque rebelle I. Zaroutski et Marina Mnichek, la femme du second Faux-Dimitri. I. Zaroutski prétendait au trône russe pour l'enfant de deux ans de Marina. À défaut, il voulait créer dans Astrakhan un État spécial sous protectorat du chah persan Abbas Ier 89 . Il fallait mettre de l'ordre à Astrakhan, ville dont la vocation d'important centre commercial frontalier augmentait chaque jour pour la Russie comme pour l'Asie centrale et la Perse. Après la normalisation de la situation à Astrakhan (printemps 1614), se posa la question du rétablissement des relations diplomatiques directes avec Ispahan sans les tiers.

      Comme on l'a déjà évoqué, parallèlement à la centralisation du pouvoir en Russie, les Romanov, après être arrivés au trône, manifestaient leur intérêt vis-à-vis de cette région. Les relations diplomatiques avec l'État séfévide continuaient. Pour se protéger des attaques des Tatars de Crimée, le chah proposa au tsar russe d'avancer ses positions au Caucase du Nord et de construire une forteresse et d'autres postes militaires sur les rivières Sounja et Koïsou. Ces équipements devaient faire face aux hordes du khanat de Crimée. Mais, au 17e siècle, la Russie n'était pas encore déterminée à annexer les territoires caspiens. Les deux États ne réussirent pas à consolider leurs relations militaro-politiques. La Russie se contentait du renforcement de son influence politique et de la coopération économique. L'État séfévide, en particulier, était intéressé par la dernière.

      

      

      

      Au milieu du 17e siècle, les positions de la Turquie dans la région étaient considérablement affaiblies au profit de la Perse. Sous Abbas II (1642-1667), l'État séfévide retrouva sa puissance et souhaitait n'avoir aucun rival dans cette zone stratégique. Il visait plus précisément la Russie. C'est la raison pour laquelle il interdit catégoriquement à ses vassaux, notamment daghestanais, d'avoir des rapports directs avec la Moscovie. Ainsi, il rompit les « traditions » de ses prédécesseurs Abbas I et Safi I (1629-1642) qui négligeaient cet aspect des relations bilatérales 90 . Quant aux dirigeants féodaux locaux, ils louvoyaient entre la Perse et la Russie. Certains d'entre eux, pour des raisons sécuritaires, prêtaient serment aussi bien au chah persan qu'au tsar russe. Ils possédaient des sceaux dont une face avait une inscription confirmant la soumission à la Perse et l'autre face à la Moscovie 91 . Leur usage dépendait de la destination des lettres – Chemakha ou Astrakhan.

      


C. – La mainmise russe sur la voie marchande Volga-Caspienne

      

      À cette période, le commerce russe avec l'Occident commença à se concentrer dans la ville d'Astrakhan transformée en porte de l'Orient d'où la voie maritime partait sans obstacle jusqu'à la Perse, au Gilân, producteur de 50 % de la soie persane. D'Astrakhan les bateaux accédaient par les eaux de la Volga au Nord de la Russie, puis à l'Europe. C'était la voie la plus commode et la plus sécurisée de la Perse à l'Europe. Ce fut également le passage obligé d'une des voies de la Soie. En outre, le chah était désireux de donner la préférence à la Russie plutôt qu'à son adversaire l'Empire ottoman qui, dans les ports des bords de la Méditerranée, tirait des bénéfices du transit sous forme de taxes sur le commerce de la soie. Ainsi, la préférence persane revêtait également une dimension politique.

      Les marchands de la Moscovie saisirent vite cette opportunité et empêchaient par tous les moyens leurs rivaux occidentaux d'obtenir le droit de commerce de transit avec la Perse. Compte tenu que la circulation des marchandises s'effectuait principalement par la mer, le gouvernement russe s'efforça d'organiser un trafic maritime plus ou moins régulier. Il donna également à ferme les bateaux russes aux Persans qui lui apportaient des bénéfices supplémentaires.

      Néanmoins, le bon fonctionnement du commerce nécessitait des mesures exceptionnelles de sauvegarde de la sécurité tout au long de la voie commerciale Volga-Caspienne. À cette époque, c'étaient les Cosaques qui dominaient la mer en ébranlant régulièrement les fondements des États russe et persan. Cette période reçut dans l'histoire le nom de razinchtchina, la révolte paysanne de 1670-1671.

      « Libres comme le vent », les Cosaques ne s'occupaient pas d'agriculture et d'élevage, et la chasse et la pêche n'étaient pas suffisantes pour assurer leur existence. Ce problème de ressources fut l'une des causes des activités de pillage des caravanes marchandes et de piraterie. La Volga et la Caspienne sont devenues le théâtre principal de leurs incursions. En 1667, la bande des Cosaques du Don, avec à sa tête l'ataman Stépan (Stenka) Razine, se dirigea vers la Caspienne dans le but de « se promener dans la mer bleue » et de se procurer des deniers « tant qu'il fallait » 92 . Sur la Volga, non loin de Tsaritsyne, ils écrasèrent et pillèrent sans distinction les caravanes de bateaux marchands appartenant aussi bien à de riches commerçants, au patriarche de l'église orthodoxe et au tsar. Ensuite, Razine commença sa fameuse « campagne caspienne » en altérant beaucoup les relations russo-persanes.

      Les pirates attaquèrent à partir de la mer les villes et villages du Daghestan tout en descendant vers les côtes persanes. Suite au massacre des 400 Cosaques à Recht, les rescapés pillèrent et brûlèrent plusieurs villes et villages situés au nord de la Perse dont les plus importants étaient Farabad et Astrabad. En 1669, près de l'île Svinoï (au sud de Bakou), la flotte de S. Razine écrasa celle des Persans composée de 70 navires. Ce fut une des grandes batailles des Russes sur les eaux de la Caspienne. Les attaques des brigands de Stépan Razine étaient le prélude de l'occupation à grande échelle des territoires situés autour de la Caspienne. La même année, il entra en vainqueur dans la région du Don avec un riche butin.  Sa popularité était si importante qu'il décida de se soulever directement contre Moscou. En 1670, la révolte de Razine se propagea dans toute la région de la basse et moyenne Volga, les villes de Saratov, Samara, Tsaritsyne et Astrakhan furent prises par des révoltés.

      Le tsar, comme le chah, était intéressé par la répression des bandes de Razine qu'il écrasa finalement en 1671, près de Simbirsk 93 . Une fois les troubles maîtrisées, l'État russe recommença à mener une politique active en Transcaucasie, notamment, au Daghestan et au Chirvan, afin de renouer les relations commerciales d'antan et d'augmenter son influence

      politique. Pour défendre effectivement les intérêts marchands, l'Empire russe se mit à construire la flotte caspienne (oukase de 1669) 94 . Le tsar Alexis Mikhaïlovitch tenta vainement de réaliser cet objectif pour faire face aux intentions des pays européens de s'implanter sur la voie de commerce Volga-Caspienne ainsi qu'aux pirates qui attaquaient et pillaient les bateaux marchands.

      Ainsi, les questions liées au commerce avec l'Orient, d'un côté, et l'Europe, de l'autre, réapparurent au centre des préoccupations de l'État russe. La première tâche qui lui incombait était d'attirer les habiles marchands arméniens habitant la Nouvelle Djoulfa, banlieue de la capitale persane, dont la population arménienne avait été déplacée de force par Abbas Ier à l'aube du 17e siècle (1603-1605). Les marchands arméniens jouissaient des bonnes faveurs du chah et jouaient un rôle clé dans le commerce caspien. C'était également un important centre de culture et de commerce de la diaspora arménienne 95 .

      En 1667, le tsar Alexis Mikhaïlovitch conclut un contrat avec la Compagnie de Commerce des Arméniens de la Nouvelle Djoulfa qui lui fournissait la plus grande partie de la soie grège du Chirvan et du Gilân 96  si utile pour les premières manufactures russes apparues au 17e siècle. Au détriment de la voie turque d'exportation des marchandises, les marchands arméniens reçurent le droit de se déplacer librement sur le territoire russe afin de se rendre à Moscou et dans d'autres villes russes et européennes. Avec l'argent gagné en Europe, les marchands arméniens s'engageaient à acheter les produits russes pour une revente ultérieure en Perse 97 .

      Les dispositions de l'accord concernaient tous les marchands arméniens et non seulement ceux originaires de la Nouvelle Djoulfa, pour enlever à l'Empire ottoman le maximum du trafic arménien 98 . Ainsi, pour la première fois, un précédent fut créé qui permit aux asiatiques d'obtenir des permissions personnelles de la part de l'État russe pour faire du commerce dans les villes et foires russes. En l'occurrence, les marchands arméniens « agissaient en tant que représentants diplomatiques et commerciaux du chah » 99 . Par la suite, ils joueront un rôle important dans le renforcement des positions russes dans la région caspienne. En 1684, ce fut la Compagnie Perso-Arménienne qui obtint le droit exclusif sur le commerce en ouvrant la voie aux marchands persans et aussi à quelques géorgiens et turco-tatars 100 .

      Au 16e-17e siècles, les États européens cherchaient des voies alternatives vers les marchés orientaux où une lutte acharnée se produisait. Les produits orientaux devenaient de plus en plus courants dans la vie quotidienne des habitants d'Europe Occidentale. Après la découverte de la voie maritime de l'Inde (contournant l'Afrique), le marché persan perdit son importance d'antan en gardant toutefois sa vocation de fournisseur principal de soie aux marchands européens. La voie maritime vers la Perse était très longue. La voie terrestre via le territoire ottoman restait dangereuse à cause des guerres et des multiples accrochages militaires qui se déroulaient dans la région. Ces circonstances renforcèrent l'importance de la troisième voie via le territoire de la Moscovie. Ainsi, sur le plan des relations internationales, Moscou commença à jouer en partie le même rôle que Byzance et la Horde d'Or exerçaient auparavant : celui d'intermédiaire entre Europe et Asie 101 .

      Le rôle d'intermédiaire dans ce commerce apportait des bénéfices solides aux princes et marchands russes. C'est pourquoi les autorités de la Moscovie accordaient rarement le droit de commerce de transit aux marchands occidentaux. Au milieu du 16e siècle (1553), seuls les marchands anglais bénéficiaient de ce droit avec la Perse via Moscou, ce qui ne dura que jusqu'à la fin du même siècle. Il s'agit de la Compagnie de Moscovie (Moscovy company), créée par les Anglais en 1555 pour succéder à la société des Aventuriers-Marchands … (Merchant-Adventurers … fondée en 1553). Le tsar Ivan le Terrible était intéressé par la coopération politique avec l'Angleterre afin de rompre l'isolement de la Moscovie par rapport à l'Europe occidentale entretenu par la Pologne et la Suède. C'est pourquoi il tentait de valoriser la voie maritime du Nord dans le commerce avec le vieux continent. Ces circonstances avaient poussé le tsar à faire des concessions qui s'avérèrent vaines, car les Anglais n'ont jamais envisagé de soutenir la Russie dans sa lutte contre les Polonais ou les Suédois.

      

      La Couronne britannique plaçait beaucoup d'espoirs dans la Compagnie de Moscovie qui devait jouer un rôle clé dans l'expansion commerciale et politique de l'Angleterre dans la région caspienne. La Charte spéciale de la reine Marie adressée à la compagnie en témoignait. Elle lui permettait de soumettre et de conquérir toute ville, île et continent d'infidèles découverts et d'y hisser le drapeau de la Couronne. La domination politique devait assurer le bon fonctionnement du commerce sur les nouveaux territoires. Ainsi, les activités de la Compagnie de Moscovie étaient étroitement liées au gouvernement anglais qui lui accorda le monopole du commerce dans cette zone géographique.

      Pendant des années de privilèges, les Anglais ont effectué plusieurs expéditions dans l'État séfévide. L'objectif n'était pas seulement d'acheminer les convois de la Baltique vers la Caspienne. Ils aspiraient à créer une voie transversale d'échanges entre l'Europe et les Indes en monopolisant le commerce de transit de la Volga-Caspienne et le commerce exercé avec la Perse des séfévides, la Chine et l'Inde 102 . La menace d'être totalement évincée du commerce caspien et l'absence d'un accord de coopération politique avec l'Angleterre, caressé par Ivan IV, poussèrent l'État russe à ne pas renouveler les droits des marchands anglais dans le commerce de transit avec l'Orient via la Caspienne. Ainsi, en 1586, la Compagnie de Moscovie, en dépit de tous les efforts entrepris, ne réussit pas à obtenir le droit de commercer librement avec les Séfévides.

      Durant le 17e siècle, plusieurs pays européens demandèrent à maintes reprises à la Moscovie l'octroi du droit de commerce avec la Perse via son territoire. Par exemple, les ambassadeurs hollandais, en 1680, tentèrent d'obtenir un tel droit pour 30 ans 103 . À chaque fois, ces tentatives rencontraient le mécontentement et l'opposition des marchands russes désireux de conserver leur rôle exclusif d'intermédiaire commercial entre la Perse et l'Europe. Privée du droit de transit via la Russie, l'Angleterre compensa partiellement ses pertes par la conclusion, en 1629, d'un accord octroyant à la Compagnie anglaise des Indes orientales (East India Company) le droit du libre commerce dans l'État séfévide via le golfe Persique.

      À partir du milieu du 17e siècle, l'idée de la conquête des territoires autour de la Caspienne, notamment de la province persane de Gilân, parfois encouragée par les pays européens 104 , commença à occuper les pensées des tsars russes. Mais la Moscovie était encore trop faible pour entreprendre une campagne caspienne susceptible de provoquer le mécontentement non seulement de la Perse, mais également de la Turquie. De plus, à cette époque, Moscou avait des relations de bon voisinage avec la Perse. Enfin, sur le front européen, la Moscovie se trouvait en opposition militaire avec la Pologne et la Suède. C'étaient les raisons principales qui, pour quelques décennies, retenaient les ambitions de conquête de l'État russe sur le flanc méridional. Cependant, cela n'empêchait pas Moscou d'étudier les faiblesses et vulnérabilités de sa voisine méridionale. C'est Pierre le Grand qui passera à l'attaque, mais dans d'autres conditions politiques.

      

      

      CONCLUSION

      

      Les prises de Kazan et d'Astrakhan par Ivan le Terrible ouvrirent de nouveaux horizons pour l'expansion en exposant directement les vastes étendues steppiques eurasiennes. Avec l'incorporation du khanat d'Astrakhan, l'État russe reçut un accès direct à la Caspienne pour y devenir quasiment la seule maîtresse dans les siècles suivants. Enfin, des relations diplomatiques s'établirent entre la Russie et la Perse et ne cessèrent plus.

      Afin de renforcer la présence russe, la Moscovie entreprit le peuplement progressif des nouveaux territoires en réservant un rôle prépondérant aux Cosaques. Ces derniers, prenant la relève des traditions de piratage des ouchkouïniks, par leurs campagnes militaires et raids fréquents, ouvrirent une nouvelle ère de conquête progressive des terres caspiennes au profit de la Russie. En agissant indépendamment de la Moscovie, ils altérèrent gravement le commerce caspien et les relations russo-persanes naissantes.

      L'intérêt grandissant de la Russie pour la région caspienne et la Transcaucasie, en général, va déterminer le cours des événements ultérieurs dans la région jusqu'à nos jours. Pour y renforcer ses positions économiques, politiques et militaires, elle construisit la seule vraie flotte caspienne.

      Pour la première fois, les intérêts de trois puissances se confrontèrent simultanément au Caucase : la Russie, la Perse et l'Empire ottoman. Avec leur accès à la Caspienne, les Russes coupèrent ce dernier du monde musulman turcophone, notamment d'Asie centrale. Or, l'annexion des territoires caspiens n'était pas encore à l'ordre du jour, bien que cette idée ait commencé à germer. La Russie se contenta d'une coopération économique avec les provinces caspiennes tout en renforçant son influence politique dans la région. Elle prit le contrôle de la voie marchande Volga-Caspienne, un des axes majeurs du commerce de transit de l'époque, et élabora progressivement une politique hégémonique dans la région qui, aux siècles suivants, sera complétée par des dispositions politiques et militaires. Les marchands arméniens devinrent le moteur du commerce caspien après avoir obtenu, pour la première fois pour des asiatiques, la permission de l'État russe de commercer avec les villes et foires russes. Les Arméniens joueront ultérieurement un rôle important pour renforcer les positions russes dans la région.

      On voit apparaître un quatrième acteur dans ce secteur : la Couronne britannique. En quête de nouveaux marchés de matières premières et de débouchés, elle visait également la région caspienne. C'est la Compagnie de Moscovie (1554-1586) qui se chargea de réaliser les projets expansionnistes de l'Angleterre en profitant du droit de libre transit par le territoire russe pour commercer dans l'État séfévide. Le but à long terme était l'éviction des marchands russes de la région et le renforcement des positions économiques et politiques de la Couronne. Cependant, sa marge de manœuvre fut limitée par ses moyens économiques et diplomatiques.

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      


§ 3. La campagne caspienne de Pierre le Grand

      

      

      À la charnière des deux siècles, le commerce des caravanes passa au second plan en cédant sa place au commerce maritime. Une lutte sans merci pour la domination de la mer et pour la mainmise sur de nouvelles colonies se produisait entre les puissances d'alors : l'Angleterre, la France, la Hollande et l'Espagne. Pour différentes raisons, au début du 18e siècle, la Russie était coupée des mers, excepté pour la partie russe de la Caspienne. Les Suédois les dérangeaient en Baltique, les Turcs et les Tatars de Crimée en mer Noire. La plus grande partie des marchandises orientales atteignait l'Europe par trois voies : ottomane ou turque (par les ports méditerranéens d'Alep et de Smyrne) ; africaine (par bateaux, en contournant le continent africain) et russe (via la Caspienne et la Volga). La première voie n'était pas sans risque pour les marchands à cause des guerres fréquentes entre le sultan turc et le chah persan. La deuxième était très coûteuse et longue. Ainsi, la revalorisation de la troisième devint d'actualité.

      


A. – Les intérêts économiques : force motrice de la campagne caspienne

      

      Sous Pierre le Grand, la Moscovie surgit comme une nouvelle puissance internationale 105 . Le premier empereur russe entra dans l'histoire en tant que tsar qui avait ouvert l'Europe à la Russie. Certes, il accorda une grande attention à l'Occident, à la mer Baltique sur les rives de laquelle il construisit la nouvelle capitale russe. Cependant, le tsar valorisait aussi l'importance stratégique de l'Orient, notamment, de la région caspienne, à mi-chemin vers l'Asie centrale et l'Inde. À l'instar de tous les conquérants asiatiques, il enviait les richesses des Indes dont il voulait sa part 106 . Il comprenait clairement comment son pays pouvait s'enrichir en jouant le rôle d'intermédiaire dans le commerce entre l'Europe et l'Asie comme le faisaient, depuis longtemps, les marchands moscovites. L'intervention russe semblait urgente puisque le commerce maritime se développait activement et, qu'en plus des Russes et des sujets persans, on voyait quelques commerçants génois et britanniques s'activer également.

      

      L'Europe comme la Russie avait besoin de matières premières, notamment de soie grège, pour le développement de l'industrie textile. C'est pourquoi Pierre le Grand s'orienta en directions des quatre mers : Baltique, Blanche, Noire et Caspienne. Les quatre extrémités de la croix bleue du drapeau marin Andreïevski symbolisent également ces quatre mers.

      Avant sa campagne de 1722, Pierre le Grand donna l'ordre de préparer quelques missions et expéditions au Chirvan et en Perse. Selon B. Nolde, l'intérêt du tsar pour la mer Caspienne, au début, semblait être principalement géographique 107 . Dès 1700, il envoya une expédition, sous le commandement de Meer, afin d'étudier la côte ouest de la Caspienne. L'administration persane l'accepta avec animosité en lui interdisant d'entrer dans les ports caspiens sous tutelle de la Perse. Après cet acte hostile, le tsar se persuada de la nécessité de posséder une flotte navale, gage de la domination sur la mer en question. Après son séjour en Europe (« Grande ambassade » (1697-1698)), Pierre le Grand prit la décision de construire une puissante flotte sur la Volga. Après Voronej, Kazan devint vite la deuxième ville de construction navale par son importance. Entre 1701-1725, on y construisit 110 bateaux pour la navigation sur la Caspienne et seulement 7 à Astrakhan 108 .

      Le tsar accorda une grande attention à l'étude hydro-géographique de la mer Caspienne et des villes littorales encore mal connues. La création de la flotte sous-entendait également la mise en place d'une telle étude et l'établissement des cartes de navigation. En 1718-1719, les expéditions de F. Soïmonov et K. von Verden préparèrent une carte détaillée de la mer avec les baies et les mouillages. En 1721, cette carte fut envoyée à l'Académie de Paris et y fit fureur. Deux ans plus tard, elle fut imprimée en français à Amsterdam 109 .

      Entre autres, les expéditionnaires préparèrent des dossiers concernant les particularités géographiques et les caractéristiques économiques des pays riverains. Les expéditions devaient également étudier les ressources poissonneuses de la Caspienne et de la rivière Koura ainsi que la possibilité de navigation sur cette dernière. Grâce à ce travail préliminaire, le gouvernement russe disposait de renseignements détaillés concernant la situation militaro-politique et économique du Caucase, de la Perse et d'autres territoires caspiens.

      

      Ainsi, la campagne de Pierre débuta en 1722, mais les préparatifs commencèrent bien avant. Il est curieux de constater qu'avant même de se fixer au bord de la mer Baltique, Pierre le Grand ordonna la construction d'un canal reliant les mers Baltique et Caspienne 110 . En 1706, on termina la construction du canal de Vychni-Volotchek. Il se substitua au portage existant entre les rivières du bassin de la Volga et établit une liaison directe entre les deux mers par l'affluent Ilmen et le lac Ladoga et donna à la Russie l'accès à l'Atlantique 111 .

      Cela ne fut pas le seul projet de l'empereur russe qui souhaitait valoriser son vaste réseau fluvial et lier les fleuves Dniepr, Don, Volga et Dvina. Selon le projet initial, la Volga et le Don devaient être reliés par une double liaison : le haut Don avec un sous-affluent de l'Oka et l'affluent du Don, Kamichanka, avec celui de la Volga, Iloulia 112 . Pierre le Grand démarra une entreprise gigantesque consistant en la construction du canal Volga-Don par l'Oka. Cependant, celle-ci s'arrêta à peine commencée puisque Azov fut restitué aux Turcs 113 . Tout cela témoigne de la vision géopolitique perspicace et de grande envergure de Pierre Ier.

      L'idée de construction d'un canal dans cet endroit n'était pas nouvelle. Au 16e siècle, les Ottomans avaient projeté de créer une liaison entre le Don et la Volga après avoir été coupés du monde turcophone en raison de l'expansion russe en direction de la Caspienne. Le futur canal aurait donné aux Turcs l'accès au Caucase et à l'Asie centrale en contournant la Perse. De surcroît, une flotte navale turque aurait pu accéder aux eaux de la Caspienne 114 . Cependant, il faudra attendre quatre siècles pour que le canal Volga-Don voie le jour. Selon l'idée de Pierre le Grand, la route commerciale de l'Europe à la Perse via la Caspienne, devait être prolongée jusqu'à l'Inde voire la Chine 115 . Du point de vue stratégique, la création du réseau de canaux liant les trois mers entre elles, eut une importance primordiale à cette époque.

      Après l'ouverture de la « fenêtre sur l'Europe » dans la Baltique, la Russie entreprit toute une série de mesures techniques et administratives afin de raccourcir la voie commerciale entre l'Europe et l'Asie via son territoire. Pour cela, les bassins des mers Caspienne et Baltique furent liés par de nouveaux canaux, le port d'Arkhanguelogorod fut fermé au commerce extérieur, des privilèges fiscaux furent accordés à Pétersbourg, etc. Pierre le Grand considérait la Caspienne comme un supplément indispensable à la présence en Baltique 116 . Dans une certaine mesure, la politique russe dans la Baltique s'élaborait en tenant également compte des perspectives, notamment économiques, ouvertes par la politique de conquêtes dans la direction du Caucase.

      Sur le terrain, la Russie avait le soutien des peuples chrétiens, notamment des Arméniens et des Géorgiens, qui aspiraient depuis longtemps à se libérer des jougs turc et persan et se déclaraient prêts à se soulever contre ces derniers. Certaines élites féodales, dirigées par l'instinct de conservation, laissaient de côté les différends et les discordes en faveur d'une lutte commune, comme, par exemple, les méliks 117  du Karabakh et les khans musulmans de Gandja 118 . Enfin, en 1722, selon l'oukase du tsar russe, on commença la construction du port de guerre d'Astrakhan.

      Une fois la guerre du Nord terminée (1721, paix de Nystad), plus rien n'empêcha Pierre le Grand de penser à sécuriser le commerce russe dans la région caspienne. Ce commerce de transit lucratif fut un des facteurs autour duquel se construisit la politique coloniale russe au 17e et au début du 18e siècle. La création de l'axe de commerce de transit Caspienne – Baltique apportera des recettes considérables à la monarchie et au capital commercial des marchands russes.

      


B. Le début de l'ingérence russe dans les affaires du Caucase

      

      Habité par des ambitions expansionnistes et obsédé par le mode de vie et de gouvernement occidental, Pierre le Grand imitait, dans une certaine mesure, les puissances coloniales européennes. Leurs rois, en effet, considéraient la possession de territoires outre-mer comme de « bon ton royal » 119 . A. Kappeler estime qu'à cette époque la « Russie emprunta également à Occident un sentiment européocentriste de supériorité envers l'Asie, par rapport à laquelle elle prit ses distances » 120 . La particularité de la colonisation russe résidait dans son élargissement sur des territoires limitrophes et non pas outre-mer.

      Avec la conquête d'Astrakhan, la Russie fut amenée, plus ou moins volontairement, à s'ingérer dans les affaires des peuples caucasiens. Ces derniers étaient divisés tant du point de vue politique que du point de vue religieux, et beaucoup d'entre eux se trouvaient en lutte permanente. La Russie tâchait de créer une tête de pont dans le Caucase afin de faire face à la Turquie avec laquelle une âpre lutte avait commencé en Crimée et autour de la mer d'Azov. Un autre but poursuivi consistait en la conquête de Chemakha et de Derbent au Caucase oriental et du Gilân sur la rive sud de la Caspienne. Le passage de Derbent était le corridor principal nord-sud de la Transcaucasie qui liait la Russie au Moyen-Orient. Plus à l'Est, le tsar visa le territoire entre les mers Caspienne et d'Aral d'où les Kazakhs et les Karakalpaks faisaient des incursions sur la basse et moyenne Volga 121 . Le littoral est donnait également accès vers les khanats de Khiva, de Boukhara et de Kokand.

      Depuis 1639, le Daghestan et l'Azerbaïdjan se trouvaient sous la domination des Séfévides. Dès le début du 18e siècle, en profitant de la faiblesse des Turcs et des Persans, la Russie de Pierre le Grand s'immisça dans la région pour satisfaire ses convoitises. L'État séfévide, le puissant empire d'Orient d'antan, traversait la plus dure période de son histoire et se trouvait au bord de la ruine définitive.

      Le territoire de l'actuel Azerbaïdjan occupait une place importante dans cette vision géopolitique, notamment dans son volet économique. Cette importance fut conditionnée par plusieurs facteurs. Premièrement, deux des trois centres de production de la soie grège (Chemakha et Gandja) se trouvaient dans cette région, le troisième étant à Recht (Gilân). Deuxièmement, les voies commerciales traditionnelles entre l'Orient et l'Europe passaient par ces terres. Troisièmement, à la différence de la côte orientale de la Caspienne, la rive occidentale était parsemée de ports et de havres fortifiés comme Derbent, Bakou et Lenkoran. Enfin, la région disposait d'importants débouchés comme Chemakha, Bakou, Gandja, Tabriz, Ardabil, etc.

      Dans le développement des liens économiques russo-caspiens, la Russie pensait continuer les traditions établies et attirer le capital commercial des Arméniens de la région, toujours intéressés par le commerce de transit via la Russie. Le gouvernement tsariste comptait beaucoup sur l'importance du rôle qu'ils pouvaient y exercer grâce à toute une série d'avantages évidents au nombre desquels le facteur religieux jouait un rôle non négligeable. En 1697, Pierre le Grand édicta un oukase d'Assistance aux marchands arméniens se rendant en Russie par la Perse. Il envoya, par le truchement des commerçants arméniens, une lettre à l'ambassadeur persan concernant le libre transport en Russie de la soie grège de haute qualité et d'autres marchandises persanes 122 .

      Pour atteindre ses fins stratégiques, Moscou déploya en Transcaucasie une activité diplomatique très délicate parallèlement aux actions de reconnaissance et de prospection. En 1716, Artemi Volynski (1689-1740), diplomate et futur gouverneur d'Astrakhan et de Kazan, fut envoyé en Perse avec une mission secrète précise dont le but dépassait largement le cadre diplomatique. La tâche principale du diplomate russe était la recherche des informations de type militaro-stratégique : réunir des renseignements à propos des installations militaires persanes aussi bien terrestres que maritimes, attiser les différends entre la Perse et l'Empire ottoman, valoriser le rôle de la Russie en tant qu'alliée privilégiée, incliner le chah à donner sa préférence à la voie russe de commerce entre l'Inde et l'Europe et à ordonner aux Arméniens de l'emprunter pour le transport de la soie grège, se renseigner à propos des dispositions et des sympathies des Arméniens et autres chrétiens, etc.

      Lors de nombreuses rencontres, Volynski négocia avec les chefs locaux, notamment à Chemakha et à Nizovaïa, les conditions d'exercice des activités des marchands russes et du commerce russe, en général. Lors des négociations avec le chah dans la capitale persane, à Ispahan, il conclut une Convention commerciale entre la Russie et la Perse (1717). Bien que la Convention fût signée avec la Perse, presque toutes ses clauses concernaient le commerce sur le territoire du Chirvan.

      Historiquement, les marchands russes fréquentaient plus souvent le nord de l'actuel Azerbaïdjan qui était géographiquement plus proche et riche en matières premières nécessaires pour le développement de l'économie russe. La monarchie russe aspirait à fournir la soie grège persane aux manufactures en cours de création, situées dans les régions septentrionales de la Russie. Pour cette raison, Volynski mena des négociations afin d'ouvrir à Chemakha un consulat russe. Du fait de l'opposition du chah qui insistait pour l'ouvrir dans la capitale séfévide, le Département russe des affaires étrangères trouva un compromis selon lequel le consul devait se trouver à Ispahan, et le vice-consul à Chemakha. Tout cela démontre une fois de plus la place que Pierre le Grand réservait au Chirvan dans ses futurs projets expansionnistes, ébauchés déjà au sein du gouvernement tsariste depuis un certain temps.

      Cet acte diplomatique représentait un des plus importants résultats de la mission de Volynskij. L'objectif principal du consulat consistait en ce que les échanges commerciaux entre l'Orient et l'Europe passent par la Caspienne au détriment du golfe Persique. Ainsi, la Russie pouvait jouer un rôle d'intermédiaire important dans ce commerce intercontinental qui avait un intérêt non seulement économique, mais également politico-militaire et stratégique.

      Une fois rentré (1718), Volynski s'adressa à maintes reprises au tsar pour agir au Caucase et en Perse plutôt « par la main armée que par la politique » 123 . Nommé gouverneur d'Astrakhan et chef d'état-major du tsar, Volynski était chargé de préparatifs pour la campagne caspienne avec le vice-consul à Chemakha A. Baskakov dont les tâches étaient moins commerciales que politico-militaires et de reconnaissance. Dans ses rapports, le gouverneur plaida également auprès du tsar l'importance de la Transcaucasie dans les futurs conflits avec la Turquie 124 .

      Ainsi, les facteurs politiques, militaires, économiques et religieux s'entrecroisèrent étroitement à la veille et pendant la conquête des territoires caspiens.

      


C. La première tentative d'annexion des territoires caspiens par l'Empire russe

      

      Au début du 18e siècle, les intérêts des trois États – la Russie, la Turquie et la Perse - se heurtèrent dans les territoires se trouvant entre les mers Noire et Caspienne. La mer Caspienne de cette époque avait ses particularités. En effet, la plus grande partie de la mer intérieure, jusqu'à 1722, demeurait sous domination persane. Seule la rive Nord, avec le port d'Astrakhan, appartenait à la Russie. Cependant, cette part était très éloignée des régions productrices de la soie et des centres orientaux de commerce et d'artisanat. Il était d'actualité pour la Russie de conquérir ces territoires ou au moins de s'approcher d'eux. De plus, l'adversaire principal, la Perse, était relativement faible par rapport aux Suédois, aux Tatars ou encore aux Ottomans.

      Mais la Perse et la Russie n'étaient pas les seuls pays qui manifestaient leur intérêt pour les territoires caspiens. Les intérêts de l'Angleterre et de la France s'y entrecroisaient également. La Couronne britannique ayant déjà ses intérêts en Inde, essayait d'empêcher par tous les moyens possibles le renforcement des positions russes dans la région caspienne. Le gouvernement anglais tenta vainement de restaurer les droits d'antan perdus par ses marchands dans le commerce caspien en menaçant même de rompre les relations diplomatiques 125 . C'est pourquoi les Russes étaient contraints de mener une politique prudente afin d'éviter les accrochages directs avec les Anglais. Quelques marchands hollandais et français subirent le même refus.

      Ainsi, la situation politique exigeait de masquer soigneusement les projets hégémoniques. Au début, la diplomatie russe élaborait des projets pour se rapprocher de la France, la rivale traditionnelle de l'Angleterre. Bien que les efforts de la Russie ne fussent pas couronnés de succès, cela n'empêcha pas la France de soutenir à maintes reprises les positions de la Russie dans les discussions diplomatiques à propos de la Caspienne 126 . En corollaire, la Russie craignait qu'en profitant de la faiblesse des Persans, la Turquie ne puisse aussi affermir ses positions au bord de la Caspienne. Le contrôle russe sur la Transcaucasie devait également stopper l'avancée turque en direction de la Caspienne qui était susceptible de couper la voie commerciale russo-persane.

      Pour intervenir dans la Caspienne, la Russie cherchait un prétexte qui ne tarda pas à survenir. En profitant de la faiblesse chronique de la Perse, le chef du clergé sunnite local Eldadj Daoud se plaça à la tête du mouvement national afin de restaurer l'ancien pays Chirvan, indépendant de la Perse. Pour atteindre cet objectif, Eldadj Daoud s'adressa à la Russie en demandant son aide militaire dans sa lutte contre les Persans. Cependant, ce projet allait à l'encontre des intentions géopolitiques de l'Empire russe. Sans avoir obtenu l'aide de Saint-Pétersbourg, en août 1721, Daoud khan passa à l'action afin de conquérir Chemakha, la ville principale de la région. Lors de la prise de la ville, plusieurs centaines de marchands russes furent pillés et tués. Bien que ce ne fût pas un incident rare, il causa l'inquiétude de la Russie et servit de casus belli.

      Pour faire face à d'éventuelles attaques de la part des Russes et des Persans, Daoud khan demanda le protectorat de l'Empire ottoman. L'État séfévide affaibli pouvait être englouti par la Sublime Porte, le Caucase oriental compris qui était déjà visé par le tsar en vue de son annexion. Le renforcement des positions ottomanes aux confins méridionaux de la Russie alarma Saint-Pétersbourg et menaçait l'avenir du commerce de transit via le territoire russe. À Constantinople, l'ambassadeur russe Nepliouev déclara fermement que le tsar russe n'autoriserait l'accès aux bords de la Caspienne à aucune puissance, en particulier, à la Turquie.

      Le consul en Perse Avramov, à son tour, reçut des instructions de la part du tsar pour faire savoir aux Persans ses intentions de marcher sur Chemakha dans le but de punir les Lezguiens pour le pillage des marchands russes ainsi que d'empêcher les Turcs de prendre la ville avant lui. Le diplomate russe devait également expliquer que les actions militaires de la Russie et la prise du contrôle des territoires autour de la Caspienne n'étaient pas dirigées contre la Perse, mais contre la Turquie. Les Russes exprimaient la volonté d'aider les Persans dans la lutte contre leurs ennemis, car, du point de vue stratégique, Pétersbourg désirait avoir un État persan qui contrebalancerait l'Empire ottoman. Pour cette raison, le tsar empêcha la défaite totale de la Perse. Pour le même motif, la Turquie ne souhaitait pas non plus écraser entièrement les Séfévides. Elle voulait les utiliser dans sa lutte contre les Russes.

      En réalité, la Russie était désireuse d'assurer son accès à la mer Caspienne, d'affaiblir les positions turques et de mettre fin à la domination des Persans en Transcaucasie, de renforcer le royaume géorgien et de créer une principauté arménienne sous protectorat russe. En d'autres termes, Pierre le Grand aspirait à transformer la Transcaucasie en une zone tampon entre la Russie et les pays d'Orient 127 . En ce qui concernait les populations locales, elles hésitaient dans leurs préférences entre les Russes et les Turcs.

      Pierre le Grand conduisit en personne la campagne caspienne à la tête d'une armée de 61 000 hommes. La première cible était le territoire de l'actuel Daghestan convoité depuis longtemps par différents conquérants dont les plus actifs étaient les Persans et les Turcs. La prise de Tarok et de Derbent se fit sans coup de feu grâce à l'attitude bienveillante des populations locales vis-à-vis des Russes. Pour attirer les sympathies des peuples autochtones, la Russie misait davantage sur les moyens diplomatiques que sur la force. Face au mécontentement de la politique d'assimilation pratiquée par les Persans et les Ottomans, les peuples du Daghestan et de l'Azerbaïdjan préféraient quelquefois l'attitude des Russes. Une partie d'entre eux aspiraient à renforcer la coopération avec la voisine septentrionale puissante tout en cherchant, dans des situations historiques concrètes, une sorte de protection contre les prétentions hégémoniques de la Turquie et de la Perse.

      Dans un Manifeste spécial écrit en langue maternelle des autochtones, Pierre le Grand s'adressa à la population musulmane locale en lui demandant de garder son calme. Il leur garantissait la préservation de leurs biens et la défense contre leurs ennemis. Il ordonna également à ses troupes de ne pas faire usage de la force à l'encontre de la population civile. Ceux qui ne respecteraient pas les clauses du Manifeste, devaient être sévèrement punis 128 . Pour son temps, une telle indulgence de la partie conquérante était plutôt une exception. Dans le futur, elle sera un facteur supplémentaire pour l'orientation prorusse de différents peuples de la région. Cette ligne de la politique russe contribua à la germination de l'idée de libération par la Russie. Ajoutons enfin que certains féodaux locaux, comme Eldadj Daoud et son entourage, acceptèrent mal ce Manifeste.

      Après la prise de Derbent, l'empereur russe rentra pour ne pas s'absenter longtemps loin de son pays. Mais il n'abandonna pas l'idée de mettre la main sur tout le reste du littoral Ouest de la Caspienne. Il commença d'emblée les préparatifs pour une nouvelle expédition dont le but devait être la prise de Bakou. Entre-temps, les Afghans prirent la capitale persane Ispahan en mettant fin au règne de 220 années des Séfévides. Ils menaçaient aussi d'attaquer le Gilân et les autres villes persanes. Les habitants de Gilân demandèrent la protection de la Russie ce qui précipita son intervention. Quant à la Sublime Porte, elle ne déclara pas la guerre à l'Empire russe malgré les incitations des ambassadeurs anglais et français.

      En décembre 1722, l'escadrille russe débarqua sans difficultés dans le port d'Enzeli. En même temps, les Ottomans pénétrèrent en Transcaucasie et se dirigeaient vers Bakou et la côte caspienne. Les Russes étaient contraints de se dépêcher afin de devancer les Turcs dans leur avancée. Le Manifeste et la lettre de réponse de Pierre le Grand adressés aux habitants de Bakou furent bien accueillis dans la ville par la majorité de la noblesse et de la population civile 129 . En fin de compte, en juillet 1723, les Russes prirent presque pacifiquement Bakou.

      


D. La dérive de la politique orientale de Pierre le Grand

      

      La prise de Bakou fut suivie par la conclusion du Traité de Saint-Pétersbourg (le 12 septembre 1723) à l'insu du chah, et par l'occupation de la ville persane de Recht (1723). Selon le Traité, la Perse reconnaissait la domination russe dans la Caspienne en cédant les villes de Bakou, de Derbent, la bande côtière intermédiaire ainsi que les provinces de Gilân, Mazandéran et Astrabad pour que la Russie y tienne ses troupes prêtes à intervenir dans les conflits intérieurs de la Perse aux côtés du chah contre ses insurgés. Saint-Pétersbourg s'engagea également à prêter son soutien diplomatique si besoin était.

      Le Traité était une importante victoire diplomatique de la Russie : sans violer la paix avec la Perse, elle obtint le Daghestan et les provinces caspiennes à des conditions avantageuses 130 . Par contre, sur le plan stratégique, ces acquis territoriaux n'étaient pas complets. Ils ne permettaient pas d'étendre son influence sur le reste du Caucase et de la Perse, car ils ne communiquaient que par la mer. L'arrière-pays demeurait encore inaccessible et, de surcroît, sous la domination ottomane. Cependant, en réalité, certains de ces territoires n'étaient cédés que sur le papier. En effet, il fallait les conquérir par la force militaire, car la Perse n'avait pas l'intention de faire de véritables concessions territoriales à long terme. Le traité signé à Saint-Pétersbourg devait encore être ratifié par le chah Takhmasp dont la succession au trône était, de surcroît, remise en cause.

      En 1724, fut conclu le Traité de Constantinople définissant les sphères d'influence des Empires russe et ottoman en Transcaucasie. Selon ce traité, la Russie conservait les territoires caspiens conquis, peuplés majoritairement de musulmans. La conclusion du Traité arrêta l'avancée ultérieure des Turcs vers la Caspienne sans que les troupes russes et turques s'affrontent militairement sur le terrain. L'Arménie et la Géorgie chrétiennes ainsi que la plus grande partie du Chirvan passèrent sous la domination des Ottomans. Chemakha resta sous le pouvoir d'Eldadj Daoud, vassal de l'Empire ottoman. Cela fut un « partage conclu à l'amiable » entre les Empires russe et ottoman 131 . La Russie assura la sécurité de ses frontières méridionales et renforça ses positions politique et économique dans la région caspienne en immolant sur l'autel de la grande politique les attentes et espoirs des chrétiens transcaucasiens 132 .

      Ainsi, l'Empire russe devint une puissance caucasienne à part entière. Dès lors, il commença à élaborer des projets de colonisation des nouveaux territoires acquis. Le tsar donna des ordres pour renforcer les citadelles des villes principales (Derbent, Bakou, Ste. Croix), construire un havre à Derbent, effectuer la prospection et l'extraction du cuivre et du pétrole blanc, envoyer en Russie le sucre, les fruits secs, les agrumes ainsi que pour mettre en place un système d'imposition dans ses nouvelles possessions.

      Pierre le Grand estimait que le meilleur moyen de rattachement des provinces acquises était leur peuplement par des chrétiens avec diminution parallèle de la part des musulmans, notamment des sunnites 133 . À cette fin, il envisagea la possibilité d'installer des Russes, des Arméniens et d'autres chrétiens au Gilân et au Mazandéran en évinçant tacitement les populations musulmanes. Les Arméniens ont été particulièrement concernés. Tout au long du 17e siècle et même bien avant, les relations entre la Russie et ces derniers étaient commerciales. À l'aube du 18e siècle, l'élément politique s'introduisit dans les rapports bilatéraux.

      En 1699, les méliks arméniens du Karabakh, impressionnés par la puissance militaire russe, demandèrent la protection du tsar après avoir tenté vainement de la chercher auprès des souverains européens. Ce fut Israël Ori 134  qui, en 1701, se présenta à Pierre le Grand et transmit au tsar le plan de libération des Arméniens du joug persan. Pour des raisons objectives (guerre du Nord), le tsar ne put donner suite à la demande des Arméniens que 22 ans plus tard (1722) en avançant le long de la Caspienne 135 . Cependant, les voyages d'Israël Ori contribuèrent à « faire germer l'idée d'une libération de l'Arménie par la Russie » 136 .

      L'archimandrite Minas tenta de poursuivre les contacts noués par son ami Israël Ori. En caressant l'idée d'une protection russe, il proposa au tsar d'envoyer une lettre au chah pour que ce dernier autorise la construction à Nizovaïa, un havre bien placé entre les deux rivières se jetant dans la Caspienne, d'un monastère arménien qui ressemblait traditionnellement aux forteresses. Compte tenu du fait que les Arméniens vont peupler aussi bien le monastère que les environs, ces derniers pourraient être utiles au tsar dans ses projets de conquête de la région. En 1718, l'archimandrite Minas présenta devant la Cour de Saint-Pétersbourg une demande de la part de tous les Arméniens pour les libérer du joug musulman 137 . Le tsar proposa aux Arméniens d'attendre un peu, car la Russie devait tout d'abord s'ancrer au bord de la Caspienne. Dans le meilleur des cas, les Arméniens étaient autorisés à s'installer dans la région caspienne sous le protectorat russe. Ainsi, Pierre le Grand élaborait des projets pour changer la composition ethnique et confessionnelle de la région caspienne. Le premier empereur russe n'oublia pas la question arménienne dans sa dernière décision concernant les affaires de l'Orient, prise en 1724 138 .

      Or, la protection des Arméniens se faisait, en premier lieu, dans l'intérêt stratégique de l'Empire russe. Cette ligne politique caucasienne russe non seulement envers les Arméniens, mais aussi vis-à-vis d'autres peuples, sera menée durant toute la période historique ultérieure. Quoique cela fût insuffisant, les Arméniens devaient se contenter de ce minimum. Nous sommes témoins de cette continuité de la politique russe au Caucase du Sud, notamment, après l'implosion de l'URSS. Selon certains chercheurs, la russophilie des Arméniens constituera une des causes principales de nombreux massacres et du génocide des Arméniens de 1915 dans l'Empire ottoman qui les désignera « comme des sujets suspects, agents de l'impérialisme du « grand voisin du Nord » » en réglant ainsi leur sort 139 .

      Cependant, après la mort de Pierre le Grand, le gouvernement tsariste montra un certain désintérêt vis-à-vis des territoires caspiens non rentables qui n'apportaient plus de bénéfices. On observa une certaine dérive de la politique orientale du premier empereur russe. L'avancée en Baltique et en Caspienne et les nouvelles conquêtes de vastes espaces dépassaient largement la capacité réelle de gestion militaire et économique de la monarchie russe de cette époque. C'est pourquoi, la conquête des provinces caspiennes fut de courte durée.

      La Perse, pour sa part, ne se résignait pas à la défaite. Le 21 janvier 1732, elle conclut avec la Russie le Traité de Recht qui remplaça celui de Saint-Pétersbourg. Selon ce nouveau traité russo-persan, composé de 8 articles, l'Empire russe devait se replier vers le Nord en faisant d'importantes concessions territoriales : les terres au sud de la Koura repassaient à la Perse à condition de ne pas être cédées à la Turquie. La Russie s'engagea à rendre le reste des territoires annexés dans les cinq ans si Nadir chah (1736-1747), l'« orage de l'univers », réussissait à libérer la Transcaucasie de la présence ottomane. Ainsi, le territoire du Daghestan devint de nouveau une arène de lutte entre la Russie et la Turquie, d'une part, et entre la Perse et la Turquie, de l'autre. Le Traité prévoyait également l'ouverture du consulat russe en Perse.

      L'ambiguïté, l'incohérence et la contradiction de la politique caucasienne russe affaiblissaient les positions de la Russie dans la région. En conséquence, une discordance régnait parmi les dirigeants des peuples dépendants qui, dans leurs orientations de politique extérieure, penchaient vers Istanbul, Pétersbourg ou bien Ispahan. La conclusion du Traité de Recht changea la répartition des forces en faveur de la Perse.

      Un an plus tard (1733), à Bagdad, Nadir chah conclut un traité analogue avec la Sublime Porte après avoir écrasé les troupes de cette dernière. Selon ce traité, Istanbul s'engageait à libérer les anciens territoires persans occupés, y compris une partie du Daghestan et du Chirvan. Cependant, sur le terrain, l'Empire ottoman n'avait pas l'intention de respecter le traité conclu et cherchait de nouvelles possibilités pour conserver son influence en Transcaucasie.

      Suite aux succès militaires et diplomatiques, Nadir chah demanda à la Russie de libérer Bakou et Derbent conformément au Traité de Recht. Toute confrontation russo-persane était attisée par des puissances européennes : la France et surtout l'Angleterre. Elles menaient une politique antirusse active aussi bien en Europe qu'en Asie et soutenaient Nadir chah dans ses exigences. En fin de compte, le Traité de Gandja (1735) obligea les troupes russes à se retirer au-delà de la rivière Soulak en exposant le Daghestan à une nouvelle agression de la part des Persans. Une partie des populations autochtones gagna les terres sous contrôle de l'Empire russe suivant le retrait des troupes 140 . Toutefois, la diplomatie russe fixa dans le traité une clause obligeant la Perse à ne jamais céder Bakou et Derbent à une tierce puissance. Ainsi, le chemin vers la Caspienne resta clos pour l'Empire ottoman. Les importantes concessions russes avaient pour but d'empêcher l'union turco-persane dirigée contre la Russie et de faire de la Perse une alliée potentielle contre la Turquie. Les marchands russes, quant à eux, conservaient le droit de libre commerce sur les territoires de la Perse et sur ses vassaux.

      

      

      Ainsi se termina le projet de Pierre le Grand qui prévoyait la création d'une voie de commerce devant aboutir en Inde et la propagation de l'influence russe sur la Mésopotamie et l'Iran 141 . Ses successeurs ne purent conserver les nouvelles acquisitions territoriales (la « Perse russe ») et élargir la frontière russo-persane. L'historiographie russe et soviétique interprète la campagne caspienne de Pierre le Grand comme un pas tactique et forcé afin de contenir les Turcs. Certes, le renforcement des positions de l'Empire ottoman au Caucase et son arrimage à la Caspienne présentaient un danger pour les intérêts géopolitiques russes. Mais il ne faut pas oublier non plus que cette campagne fut précédée et suivie de beaucoup d'autres dont l'objectif principal était l'expansion territoriale et économique qui s'inscrivait dans le cadre de la politique coloniale de l'Empire russe.

      Mais tout cela ne fut que des concessions temporaires, car, désormais, la Russie n'abandonna plus l'idée de s'étendre dans la direction de la Caspienne et de la Transcaucasie, en général. Cette détermination aura pour conséquence une volonté politique : la Caspienne demeurera une mer exclusivement russo-persane dont l'accès aux puissances tierces sera dorénavant interdit. Le rétablissement de la paix aux frontières méridionales renforça les positions géostratégiques de l'Empire russe entre les mers Noire et Caspienne et contribua à l'achèvement de la colonisation de la basse et de la moyenne Volga et du « champ sauvage » sans intervention extérieure. Le repli sur le Terek coupa également le passage éventuel aux Tatars de Crimée susceptibles de porter secours aux musulmans caucasiens et de fournir un appui à l'Empire ottoman.

      

      

      CONCLUSION

      

      La propagation de l'influence russe dans la région caspienne fut une des étapes de la formation de l'État russe au début du 18e siècle. L'arrivée au trône de Pierre le Grand ouvrit une nouvelle page dans la stratégie impériale vis-à-vis de cette région.

      La Russie désirait devenir un maillon indispensable dans le commerce entre l'Europe et l'Orient. Pour cela, elle concentra son attention en direction des quatre mers : Baltique, Blanche, Noire et Caspienne. Le rôle d'intermédiaire dans les échanges intercontinentaux avait une importance politique et économique primordiale pour l'État russe qui poursuivait deux buts : s'enrichir sur le compte de ce commerce et garder sous sa dépendance les pays aussi bien européens qu'orientaux. Afin d'atteindre ces objectifs, les Russes devaient s'emparer du commerce caspien et s'ancrer dans les pays littoraux. C'est pourquoi Pierre le Grand visait l'occupation de la partie sud de la Caspienne pour la transformer en un point d'appui du commerce avec l'Inde 142 .

      Avant 1722, la situation internationale n'était pas favorable à la réalisation de ces objectifs hégémoniques. Cependant, rien n'empêchait d'étudier les territoires visés et de se préparer à une intervention future.

      La lutte pour la région caspienne était dictée non seulement par des raisons économiques, mais également militaro-stratégiques. Plusieurs facteurs ont conditionné la nécessité de renforcer la présence russe dans la région : la garantie de la sécurité des frontières méridionales et de la voie commerciale Baltique-Volga-Caspienne liant l'Occident à l'Orient, l'exploitation des ressources naturelles du Caucase dans l'intérêt des marchands russes, etc. Sans conquête du Caucase du Nord, du Daghestan et des territoires caspiens littoraux, ces objectifs ne pouvaient pas être atteints. C'est ainsi que la Russie activa son ingérence directe dans les affaires du Caucase en visant notamment le littoral occidental de la Caspienne.

      Dans cette région stratégique, les intérêts des trois puissances se heurtèrent : la Russie, la Turquie et la Perse. Leurs méthodes et moyens pour conquérir ces terres étaient différents. Le renforcement des positions turques dans la région caspienne contrariait les intérêts à long terme de la Russie. La perception de l'Empire ottoman comme ennemi commun joua un rôle important dans le rapprochement politique de la Russie, de la Perse et des khanats caspiens. La politique de l'Empire russe s'avéra plus prudente et adaptée aux attentes des élites locales. L'objectif du tsar était d'assurer l'accès russe à la mer Caspienne, d'affaiblir les positions turques et de mettre fin à la domination persane en Transcaucasie.

      Le premier empereur russe envisagea également la possibilité d'installer des populations russes, arméniennes et d'autres chrétiens dans les provinces caspiennes conquises en évinçant tacitement les musulmans. La Russie continua à développer la thèse de la protection des petits peuples, notamment chrétiens, qui sera largement instrumentalisée au 19e siècle et n'a pas perdu son actualité même à présent. Or, toute protection découlait des intérêts propres de l'Empire russe, mais les peuples en question, notamment de Transcaucasie, en tiraient aussi des bénéfices.

      

      

      Cependant, la conquête des territoires caspiens par Pierre le Grand ne s'avéra pas durable. À sa mort, la politique caspienne de l'Empire subit des changements considérables. Les successeurs du tsar ne réussirent pas à garder les territoires caspiens conquis à cause d'un manque de capacités militaire et économique pour les intégrer. En fin de compte, ils furent restitués à la Perse. La partie sud de la Caspienne restera toujours persane. À cause de la rivalité avec l'Angleterre, les marchands russes se retirèrent petit à petit des régions centrales et méridionales persanes et se concentrèrent sur le territoire de l'actuel Azerbaïdjan dont le rôle économique et géopolitique ne cessa plus d'accroître.

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      


CHAPITRE II
LA VICTOIRE GÉOPOLITIQUE DE L'EMPIRE RUSSE AU CAUCASE ET EN ASIE CENTRALE (FIN 18e–DEBUT DU 20e SIECLE)

      

      

      La Russie se montra déterminée à avancer progressivement en direction de la Transcaucasie et de l'Asie centrale à la fin du 18e siècle, environ un demi siècle après la tentative de Pierre le Grand. Au 19e siècle, l'Empire russe s'ancra sur les territoires contigus de la Caspienne et au-delà. Après des décennies de guerres avec aussi bien la Perse et la Turquie qu'avec des peuples autochtones, le tsar étendit son pouvoir sur les vastes territoires centrasiatiques et transcaucasiens.

      

      


§ 1. Les préparatifs à la conquête durable de la Transcaucasie et de l'Asie centrale

      

      

      Pendant le règne des deux impératrices russes, Anna Ivanovna (1730-1740) et Elizabeth Petrovna (1741-1761), la Russie s'est occupée principalement de la défense de la ligne de Terek, aux abords du Daghestan (ligne de Kizliare) au Caucase. Économiquement faible, l'Empire peinait également à garder son monopole sur le commerce de transit. Il devenait de plus en plus difficile de faire face à l'Angleterre et de la concurrencer.

      


A. – L'évincement de l'Angleterre du sud de la Caspienne

      

      En profitant de la faiblesse de la Russie, la Couronne britannique tenta de s'ancrer et de renforcer davantage ses positions dans la région caspienne. C'était le territoire de l'actuel Azerbaïdjan qui était particulièrement convoité par les Russes et les Anglais en raison de sa situation géographique et de la présence de riches matières premières. Il était également un passage indispensable pour une expansion éventuelle vers les régions intérieures d'Asie jusqu'à l'Inde.

      Après la mort de Pierre le Grand, il était plus facile pour l'Angleterre de négocier avec le gouvernement russe et d'obtenir les privilèges d'antan. En 1734, l'Angleterre conclut avec la Russie un accord commercial d'une durée de 15 ans considéré comme une victoire importante de la diplomatie anglaise. En effet, l'article 8 de l'accord attribuait aux marchands anglais le droit de transit pour se rendre en Perse via le territoire russe, un privilège que la Couronne cherchait à obtenir depuis 148 ans. En conséquence, les Anglais déployèrent dans la région caspienne des activités non seulement économiques, mais également politiques et militaires, afin d'évincer la Russie ou, au moins, d'affaiblir ses positions. Les Anglais iront jusqu'à des tentatives de créer leur propre flotte caspienne dont le premier bateau fut construit en 1741 143 . Les concessions russes avaient pour but de faire de l'Angleterre une alliée stratégique dans les affaires européennes et orientales et de canaliser l'exportation de la soie vers la voie Volga-Caspienne au détriment du territoire turc.

      Avant l'apparition des bateaux anglais, le monopole du transport maritime appartenait aux marchands russes. Désormais, ils se retrouvaient menacés tout comme les marchands arméniens et musulmans locaux qui avaient du mal à rivaliser avec leurs homologues anglais. Ces derniers entravaient la navigation libre des bateaux russes et inondaient le marché régional de leurs produits bon marché. De surcroît, ils payaient plus cher pour la soie grège, base de l'économie locale. Ainsi, dans les années 1740, le chiffre d'affaires du commerce de transit des Anglais était 2,6 fois plus important que celui des Russes 144 . La rivalité anglo-russe eut un impact négatif sur les relations russo-persanes. Dans les décennies qui suivirent, les Russes ne développèrent que des relations économiques dans la région caspienne.

      L'Angleterre soutenait ouvertement la Perse dans sa rivalité avec la Russie et aidait Nadir chah dans la création de la flotte caspienne persane. Avec le concours de l'ingénieur anglais Jones Elton, le chah se mit à construire quelques navires de guerre dont un, le premier croiseur, fut coulé plus tard par les Russes. Toutes les actions anglaises s'inscrivaient dans les projets et activités de la Compagnie de Moscovie (nommée à partir du 18e siècle Compagnie Russe) qui poursuivait le but de renforcer les positions anglaises dans la région caspienne. Nadir chah, pour sa part, prit sous sa protection tous les marchands anglais dans les limites des frontières de son État. Cependant, les efforts du chah étaient vains : Nadir chah et ses successeurs de la dynastie des Qadjar (1779-1925) étaient désormais contraints de faire des concessions devant la puissance des tsars.

      En 1741, à Andalal, Nadir chah fut écrasé par les Montagnards du Daghestan ce qui changea la répartition des forces au détriment de la Perse. En conséquence de cette défaite, le chah s'inquiétait sérieusement de l'accroissement des sympathies prorusses des peuples en question et craignait l'intervention directe de la Russie. Cependant, à cause de la situation internationale, cette dernière n'était pas en mesure d'apporter son aide militaire aux peuples concernés ou de les prendre sous sa protection. Elle ne pouvait qu'encourager les Montagnards dans leur lutte contre les Persans, les ravitailler ou encore, par des réseaux diplomatiques, leur donner en secret de l'espoir.

      Pour conjurer la menace anglaise, en 1746, le tsar russe, suite à quelques mesures de prévention, édicta l'oukase interdisant le passage des marchands anglais qui se rendaient en Perse, de même que le transport de leurs marchandises, par le territoire russe 145 . C'était l'annulation de la clause numéro 8 de l'Accord commercial anglo-russe de 1734. Par cet oukase, la Russie anticipa les conséquences du danger du renforcement ultérieur de l'Angleterre dans ses confins méridionaux et montra sa détermination à conserver ses positions et à renforcer sa présence économique, politique et militaire dans la région caspienne et dans toute la Transcaucasie.

      La mort de Nadir chah, conséquence d'un coup d'État, nuisit définitivement au commerce anglais dans les provinces caspiennes. Les comptoirs anglais furent fermés, les bateaux construits pour la flotte persane brûlés. Désormais, l'Angleterre concentra ses efforts au sud de la Perse à partir duquel la Compagnie anglaise des Indes Orientales tenta de pénétrer à l'intérieur du pays jusqu'à la Caspienne et les régions riveraines afin d'étendre sa sphère d'influence. Dans la deuxième moitié du 18e siècle, les autorités persanes accordèrent aux marchands anglais plusieurs privilèges commerciaux : construire de nouvelles factoreries, mener certaines activités commerciales exonérées de taxes, etc.

      Ainsi, dans la région caspienne, l'Angleterre sortit perdante de sa rivalité avec la Russie. Elle se concentra de nouveau sur le territoire du golfe Persique d'où elle pouvait avoir un accès direct à la Caspienne en évitant le territoire russe.

      

      

      

      

      


B. L'activation de la politique caucasienne sous Catherine II

      

      Une nouvelle étape dans la politique orientale russe commença avec l'avènement au trône de la Grande Catherine (1762-1796). La Russie venait de sortir de la guerre de sept ans (1756-1762) contre la Prusse avec un grand déficit budgétaire. Pour le combler, le gouvernement de Catherine II plaçait beaucoup d'espoir dans le commerce extérieur avec les pays caspiens. Il élabora toute une série de mesures pour le développement de ce secteur. Plusieurs compagnies spécialisées dans le commerce avec la Perse et le Chirvan furent créées. Comme ses prédécesseurs, elle renforça la ligne fortifiée méridionale passant le long du Terek.

      L'importance stratégique du Caucase devint plus évidente pendant la première guerre russo-turque (1768-1774) où la Russie, pour la première fois, ouvrit un second front contre les Turcs. Désormais, attaquer l'Empire ottoman sur les deux fronts (européen et oriental) devint la règle 146  et la Transcaucasie se transforma en théâtre permanent des guerres russo-turques. Le Traité de paix de Kutchuk Kaïnardji (1774) donna aux Russes accès à la mer Noire. Cependant, les acquisitions territoriales n'étaient pas si importantes par rapport à l'octroi du droit pour la Russie de défendre « ses coreligionnaires se trouvant sous le pouvoir de la Porte » 147 . La défaite dans cette guerre russo-turque, entre autres, ébranla considérablement l'influence turque dans la région caspienne.

      Après sa victoire triomphante dans cette guerre, Catherine II renforça ses positions au Kouban et au Caucase du Nord. Dans un premier temps, elle intégra la plus grande partie des territoires des Montagnards, sous forme de protectorat. Soulignons que les Montagnards, ainsi que les peuples au-delà de la chaîne du Caucase, percevaient le protectorat russe comme une forme d'alliance politique dirigée contre des ennemis communs. Dans leur esprit, ils étaient désireux de garder ou d'acquérir leur autonomie voire l'indépendance politique en contrepartie de la reconnaissance de la souveraineté russe. Chaque fois que la Russie tentait de négliger ces facteurs, la situation devenait complexe et prenait souvent une tournure sanglante. Cette situation n'a pas perdu son actualité jusqu'à nos jours.

      Fidèle admiratrice des auteurs des Lumières, Catherine II tenta de justifier la présence russe au Caucase par une mission civilisatrice de la Russie dans la région qui « n'avait connu que la barbarie asiatique » 148 . Malgré les efforts entrepris, la Russie, néanmoins, restait encore modérée dans ses ambitions en Transcaucasie. En 1770, le Sénat russe décida de fermer son consulat en Azerbaïdjan. Cela se répercuta sur la situation aussi bien des marchands russes que du commerce qui se dégrada, notamment, dans la région de Bakou.

      À la fin du 18e siècle, l'industrie manufacturière russe était en plein essor. Elle était basée, entre autres, sur la matière première provenant de la région caspienne. Ainsi, en 1800, la Russie disposait de 186 manufactures qui fonctionnaient avec la soie importée des pays orientaux 149 . Outre cela, son intérêt par rapport au pétrole de Bakou grandissait en permanence. Le gouvernement tsariste supprima même la taxe sur l'importation du pétrole 150 . Ces circonstances incitèrent la Russie à étendre son hégémonie sur le sud-ouest de la Caspienne afin de s'emparer du monopole sur le commerce international.

      L'Empire continua l'étude de la mer Caspienne entamée par Pierre le Grand. En 1764-65, le général I. Tokmatchev fit son voyage d'exploration. Sur la base de ses travaux, l'hydrographe et cartographe A. Nagaev, auteur de l'Atlas de la mer Baltique (1752), créa une carte plus précise de la Caspienne en 1796.

      Dans les années 70 du 18e siècle, le consul russe D. Skilitchi, parmi les mesures destinées au développement du commerce russe dans la région caspienne, proposa d'écarter des opérations commerciales entre la Russie et la Perse les marchands n'ayant pas d'origines russes 151 . Ceci ne concernait pas les commerçants des peuples indigènes dont la situation dans les villes russes n'était néanmoins pas la meilleure. Il suffit de dire que les marchands russes jouissaient du droit de libre commerce sur le territoire persan, tandis que leurs homologues locaux en étaient privés sur le sol russe. Par ailleurs, cela s'inscrivait dans le cadre de la politique coloniale de l'Empire russe où ne pouvaient exister de relations d'égal à égal.

      Sur le reste du territoire persan, les marchands russes ne réussirent pas à concurrencer les Anglais. Ils finirent par concentrer leurs activités commerciales essentiellement sur le territoire de l'actuel Azerbaïdjan. Ce fait valorisait davantage le rôle politique et économique de ce dernier pour l'Empire russe. Cet intérêt persistera jusqu'à la fin du 20e siècle.

      La prospérité du commerce russe dépendait de la stabilité de la situation politique dans la région, y compris la partie russe de la Caspienne. En 1773 éclata l'insurrection populaire de Pougatchev dans les bassins de la Volga et de l'Iaïk, contre laquelle Catherine II envoya son armée 152 . L'Azerbaïdjan était soumis à des luttes intestines qui avaient leur répercussion négative sur les activités commerciales et sur la sécurité des marchands russes. Pour cette raison, en 1781, le gouvernement tsariste décida d'envoyer une expédition navale au sud de la mer sous le commandement de M. Voïnovitch.

      L'expédition n'atteignit pas son but, à savoir, la création d'un centre (opornaja točka) commercial russe. Mais elle aboutit à la conclusion d'un accord commercial avec la Perse qui exonérait les marchands russes des impôts. Après cet échec, l'Empire russe commença à miser davantage sur les moyens pacifiques (économiques et diplomatiques) pour renforcer ses positions et propager son influence. Il était toujours conscient que la religion commune des peuples du Daghestan et de l'Azerbaïdjan avec celle de la Turquie et de la Perse demandait des approches variées et prudentes.

      Catherine II était désireuse de réaliser l'idée de Pierre le Grand de transformer la mer Caspienne en « lac intérieur » de la Russie. Outre cela, selon le projet du responsable impérial de la politique orientale G. Potemkine, le gouvernement tsariste prévoyait la création au nord de l'Azerbaïdjan d'un État tampon du nom d'Albanie. À ce moment, le khanat de Kouba, dirigé par Fathali-khan, se distinguait parmi d'autres khanats musulmans. Il avait l'ambition de réunir ces derniers sous son règne provoquant ainsi le mécontentement de ses voisins. Pour leur faire face, en 1775, Fathali-khan s'adressa à la Russie et demanda son aide militaire. Saint-Pétersbourg entreprit une courte campagne et sauva le khan de Kouba obtenant, en contrepartie, les clefs de Derbent. Pour ne pas détériorer ses relations avec la Porte, la Russie s'arrêta là et refusa à Fathali-khan la prise du khanat sous son protectorat. En réalité, elle ne faisait que gagner du temps.

      Le développement des relations russo-géorgiennes dès le 18e siècle révéla toute la complexité de la diplomatie russe. En 1783, l'Empire russe conclut le Traité de Guéorguievsk avec le roi géorgien Irakli II qui avait de grandes ambitions impériales de créer la « Grande Géorgie ». Conformément au Traité, la Russie réservait à la Géorgie le rôle de leader en Transcaucasie. À l'instar du khan de Kouba, Ibrahim khan du Karabakh demanda également le protectorat de l'Empire par l'intermédiaire de Irakli II. La tsarine russe ne se montra pas pressée de prendre une décision en espérant « soumettre les intérêts des khans azéris [musulmans – G.G.] aux intérêts de la Géorgie et à la décision sur la question arménienne » 153 . Catherine II poursuivait la création d'un État chrétien arméno-géorgien sur les territoires du nord-est de la Perse, y compris le Karabakh, et sur la partie asiatique de la Turquie 154 .

      Selon le traité, la Géorgie, en confiant sa politique extérieure à l'Empire russe et en devenant de facto dépendante de lui, gardait néanmoins son autonomie intérieure et restait un État souverain 155 . Les droits des Géorgiens devenaient équivalents à ceux des sujets russes. Pendant la conclusion du Traité de Guéorguievsk, la tsarine russe demanda qu'on ne nomme pas les Géorgiens sujets russes, mais alliés 156 . En dépit de tout cela, le traité signé, selon son caractère, était « foedus non aequum, c'est-à-dire une union inégale » 157 . L'histoire ultérieure montra le prix important de la protection russe de la Géorgie : la perte définitive de toute forme d'indépendance et d'autonomie avant la ruine fatale.

      À partir de 1783, l'Empire russe commença à se préparer pour une campagne militaire contre la Perse en Transcaucasie dont le commandement fut confié à Souvorov. Une escadrille militaire fut créée à l'embouchure de la Volga prête à intervenir à tout moment. En outre, plusieurs bateaux militaires russes se trouvaient en permanence dans les ports de Bakou, d'Astrabad et d'Enzeli pour « assurer » la sécurité des marchands russes. En fin de compte, cette nouvelle campagne n'eut pas lieu à cause de la guerre russo-turque de 1787-1791 et des troubles au Kouban où Souvorov fut transféré 158 . Toutefois, en 1784, la ville de Makhatchkala passa définitivement sous domination russe.

      Une fois la guerre russo-turque terminée (1791), lors de la prise de Bakou, l'Empire se tourna de nouveau vers la Caspienne. Les navires de guerre russes apportèrent leur aide militaire à Cheikh-Ali khan de Kouba. Ce dernier, en continuant la politique de rapprochement de la Russie de Fathali-khan, renouvela la demande de protectorat auprès de Saint-Pétersbourg (1793) tout en demeurant dans l'incertitude comme son prédécesseur. Deux ans plus tard, le Conseil d'État russe examina également la question de la prise en protectorat du khanat de Bakou. Selon la requête formulée, le khan devait être reconnu par le gouvernement impérial qui déterminait également la politique extérieure du khanat, le port devait accueillir une présence permanente des navires de guerre russes, etc. Mais Catherine II tarda à satisfaire cette demande.

      Cependant, l'expectative russe ne signifiait pas un renoncement à la stratégie d'avancer vers la Caspienne. De nouveaux préparatifs pour une autre campagne commencèrent en 1796 sous le commandement de V. Zoubov 159 . Les actions militaires furent couronnées par la prise définitive de la ville de Derbent (1796), après des luttes sanglantes. Un mois après, les troupes russes entrèrent pacifiquement à Bakou. Mais la mort de Catherine II interrompit cette progression. Son fils, Paul I (1796-1801), renonça à la politique expansionniste de sa mère en Transcaucasie et retira les forces russes de Géorgie et d'Azerbaïdjan en ruinant le crédit de la Russie auprès des khans et des populations prorusses.

      Ainsi, les dernières décennies du 18e siècle furent des années de luttes acharnées et de marchandages entre la Russie et la Perse pour le Daghestan et l'Azerbaïdjan sans égards pour les petits fiefs en faisant partie et quasi indépendants du pouvoir du chah. La tsarine russe et le chah persan considéraient la prise de contrôle sur le Caucase oriental comme vitale pour leur prestige royal 160 . Un troisième acteur, l'Empire ottoman, tenta également d'intervenir dans ce partage des territoires caspiens, notamment, par la voie diplomatique. Néanmoins, il n'obtint pas de réels succès. La Sublime Porte tenta vainement d'instrumentaliser le facteur religieux dans la lutte contre la Russie.

      Le fait que la Russie continuait à considérer, malgré tout, la Perse comme une alliée contre son rival séculaire la Turquie, rendait difficile toute démarche d'Istanbul concernant cette région. Cependant, le renforcement de l'orientation prorusse des dirigeants et chefs locaux inquiétait aussi bien la Perse que la Turquie. Par exemple, la demande d'un protectorat russe des dirigeants de Taliche, de Bakou et de Kouba 161 .

      


C. Les premières tentatives d'exploration de la côte turkmène et le début du rattachement des steppes kazakhes

      

      Les informations sur les premiers contacts russo-turkmènes sont très maigres. Vraisemblablement, les anciens Rous connaissaient déjà les Turkmènes. Ainsi, dans la Chronique de Nestor, on mentionne le nom d'un peuple touranien du nom de turkmène 162 . Aux 11e et 12e siècles, la presqu'île Manguychlak devint une des escales préférées des bateaux qui ne voulaient pas traverser la Caspienne du sud au nord 163 . Puis, les caravanes marchandes continuaient leur route jusqu'au Khârezm ou la basse Volga.

      L'Asie centrale était morcelée en plusieurs khanats en rivalité permanente. Les plus importants d'entre eux étaient la Horde des Kazakhs, de Valkh, de Khiva et de Boukhara. Les tribus turkmènes étaient écartelées entre la domination de leurs puissants voisins (Khiva, Boukhara, la Perse), mais restaient malgré tout indépendantes. Des échanges d'ambassades relativement réguliers se produisaient entre ces derniers et la Moscovie. Les différends frontaliers, les relations commerciales, les problèmes liés à la situation des prisonniers, etc., étaient au centre des questions discutées. En ce qui concernait les tribus turkmènes, depuis le 16e siècle, elles participaient plus ou moins activement au commerce entre la Russie et le Khiva 164 . À la fin du 17e siècle, une partie des Turkmènes de Manguychlak devint volontairement sujets russes et se déplaça dans la province d'Astrakhan. Plus tard ils s'installèrent dans les steppes nogaïs 165 . De nos jours, quelques 13 000 descendants de cette migration habitent encore dans la région de Stavropol.

      L'Asie centrale n'a pas échappé non plus à la vision géopolitique comme géostratégique de l'Empire russe. Un des buts de la création d'une flotte puissante sur la Caspienne était de commercer, dans un premier temps, avec l'Asie centrale et l'Afghanistan, ensuite avec les Indes.

      C'est Pierre le Grand qui s'intéressa le premier à la côte orientale de la Caspienne peuplée par les Turkmènes. Un certain commerçant turkmène, Hodja Népess, fit savoir au tsar, par l'intermédiaire des marchands d'Astrakhan, qu'il disposait d'importantes informations susceptibles d'éveiller l'intérêt du souverain russe. Il s'agissait de l'existence de gisements d'or situés sur les rives d'Amou-Daria. Selon le marchand turkmène, depuis très longtemps, ce fleuve se jetait dans la Caspienne 166 . Cependant, la construction du barrage par les habitants du Khiva avait détourné son lit vers la mer d'Aral. Entre autres, il proposa au tsar de restaurer l'ancien lit et, par conséquent, de créer un accès direct vers cette région soi-disant aurifère 167 .

      Pour étudier de près cette question, le tsar envoya au Khiva une expédition avec le prince circassien Alexandre Békovitch-Tcherkasski à sa tête. Ce dernier séjourna deux fois dans la région (1715, 1717) en empruntant deux routes différentes : maritime (d'Astrakhan à Krasnovodsk) et terrestre (de Gourev à Khiva). Le but était d'étudier et d'explorer la côte turkmène de la Caspienne, de collecter des renseignements sur le terrain, d'établir des relations de bon voisinage avec les populations locales et d'envisager la construction de forteresses. Le tsar prévoyait également l'envoi d'une « ambassade commerciale » en Inde afin de « découvrir une voie fluviale dans cette direction » 168 . Dans ses études sur la mer, Békovitch-Tcherkasski établit que l'Amou-Daria se jetait dans la mer d'Aral et non pas dans la Caspienne.

      La construction de deux forts sur la rive orientale, notamment le futur Krasnovodsk, provoqua la colère du khan de Khiva qui considérait ces territoires comme partie intégrante de ses possessions traditionnelles. Dès le début, les méthodes employées représentaient une sorte de mélange entre intimidation et offres de services aux khans locaux 169 . Békovitch-Tcherkasski fut soupçonné de fins expansionnistes et tué par ordre du khan (1717). La même année, une autre expédition fut envoyée à Khiva et à Boukhara. Elle fut dirigée par Florio Beneveni chargé également de missions diplomatiques. Pour résumer, les premières tentatives d'exploration de la région se sont achevées sans grands succès perceptibles. Néanmoins, Pierre le Grand entra dans l'histoire russe comme le premier tsar qui envisagea l'idée de la conquête militaro-politique de l'Asie centrale.

      À partir de la fin du 18e siècle, l'importance de la côte orientale caspienne dans les échanges russo-persans augmente. Les richesses des sous-sols turkmènes, notamment en pétrole, en sel et en soufre, attiraient de plus en plus l'intérêt de la Russie. Les terres turkmènes représentaient davantage un passage obligé entre l'Asie Centrale et l'Europe. Il existait deux voies commerciales : maritime (entre Astrakhan et la presqu'île de Manguychlak) et terrestre (de la côte septentrionale caspienne au Khiva et à Boukhara via Merv). Jusqu'au début du 19e siècle, une partie considérable des échanges commerciaux entre la Russie, d'un côté, et l'Asie centrale et l'Iran du nord-est, de l'autre, passait par le Manguychlak. Ainsi, les Turkmènes et leur territoire étaient impliqués dans le commerce russo-persan et russo-centrasiatique. Leur rôle n'était pas négligeable compte tenu de la longue interdiction d'accès aux marchés centrasiatiques pour les non musulmans 170 .

      En 1745, 1767, 1798, 1802 et 1811, les Turkmènes de Manguychlak recherchèrent, à maintes reprises, le protectorat de la Russie en l'invitant à commercer dans leur pays et à construire des fortifications afin de faire face à la Perse et au Khiva 171 . Après avoir échoué dans son implantation à Astrabad (1781), à son retour, l'expédition de M. Voïnovitch séjourna à Krasnovodsk et étudia la côte turkmène.

      Quant aux terres kazakhes, sous Pierre le Grand leur rattachement devint une préoccupation officielle de l'Empire russe 172 . Des relations plus ou moins intenses se nouèrent déjà avec les Kazakhs après la conquête du khanat d'Astrakhan et de Sibérie qui avoisinaient les steppes occupées par ces tribus nomades. Ainsi, la première ambassade kazakhe apparut à Moscou en 1594 173 . Les premiers traités « sous forme de promesse d'allégeance » entre la Russie les chefs kazakhs et karakalpaks furent signés à l'aube du 18e siècle, entre 1700 et 1705 174 . Ces faits historiques représentaient une preuve suffisante pour l'historiographie russe et soviétique de rattachement volontaire des tribus nomades à l'État russe.

      Les luttes intestines entre les hordes entravaient toute tentative de créer un État centralisé, ce qui représentait un terrain propice pour l'agressivité et les ambitions expansionnistes de leurs voisins immédiats. En 1731, le premier khanat kazakh, la Petite Horde, fut intégré à l'Empire russe. C'est à partir de cette date que la Russie commença à s'introduire progressivement dans l'espace kazakh, réservant un rôle important à la ville d'Orenbourg fondée aussitôt (1735).

      Après la dissolution de l'URSS, la question du rattachement du Kazakhstan à l'Empire russe suscitera des débats sous l'angle de la révision de l'histoire nationale passée. Le rattachement des territoires kazakhs se déroulait sous plusieurs formes et représentait un mélange allant du libre consentement à la conquête et l'asservissement. Certes, le « rattachement volontaire » non seulement des Kazakhs, mais également d'autres peuples de l'espace russe fut dicté par les difficultés, en premier lieu politiques, que les pays en question subissaient. Les leaders nationaux, en prêtant leurs serments de fidélité, furent souvent contraints de placer leurs souverainetés sous le protectorat d'un pays tiers. Et l'Empire russe profita largement de ces circonstances et des possibilités offertes pour s'élargir. La fragmentation des tribus kazakhes et l'absence d'unité politique, en fin de compte, facilitèrent la conquête définitive des steppes centrasiatiques.

      La politique de Catherine II vis-à-vis de l'aire des Kazakhs devint ouvertement expansionniste et discrédita beaucoup la politique de ses prédécesseurs. En dépit de la longue période de conquête de ce vaste espace, elle ne rencontra pas l'opposition et l'ingérence d'une troisième force d'occupation comme cela a été le cas au Caucase.

      

      

      CONCLUSION

      

      Après la mort de Pierre le Grand, l'Angleterre prit une série de mesures pour favoriser son expansion économique et politique directe dans la région. Pour des raisons politiques, le gouvernement tsariste accorda aux Anglais un droit de passage par le territoire russe. Douze ans après avoir vu ses intérêts politiques et économiques menacés, il supprima ce droit. En fin de compte, la Couronne britannique ne réussit pas à s'imposer dans la région caspienne et se retira vers le sud de la Perse.

      La politique russe au Caucase s'activa de nouveau sous Catherine II. Le renforcement des positions impériales militaires et économiques en Transcaucasie a été mis à l'ordre du jour de la politique étrangère de l'État russe qui aspirait à créer une zone tampon entre lui, d'une part, et la Turquie et la Perse, de l'autre. À l'issue de la première guerre russo-turque, Saint-Pétersbourg se dota du droit de défendre la cause des chrétiens se trouvant sous le pouvoir de l'Empire ottoman. L'hostilité vis-à-vis de ce dernier, qui menaçait en permanence l'Empire russe et la Perse, créait une alliance stratégique naturelle entre ces deux parties.

      Un certain nombre de traités de protectorat furent signés avec les Montagnards du Caucase, ce qui « justifia » le rattachement ou l'annexion de leurs terres par l'Empire russe. Influencée par les Lumières, Catherine II exploita largement la thèse de la mission civilisatrice de la Russie pour les peuples asiatiques ce qui n'était d'ailleurs qu'en partie justifié.

      Finalement, la politique caspienne russe fut couronnée par le rattachement de certains territoires à l'Empire selon le schéma traditionnel sous la forme du protectorat, interprété aussitôt par l'Empire russe comme un rattachement volontaire. La puissance russe était souvent perçue par ces populations comme un contrepoids aux forces présentes dans la région et hostiles à leur égard. La Géorgie et les khanats musulmans caspiens furent particulièrement visés. Après la dissolution de l'Union soviétique, ces événements vieux de deux siècles apparaîtront de nouveau, mais seront traités sous un angle différent et conformément aux réalités géopolitiques de la fin du 20e siècle.

      Depuis Pierre le Grand, l'Empire russe a tourné son regard sur l'Asie centrale et les Indes. Pour cela, il songea à incorporer, en premier lieu, les steppes des nomades kazakhs et la rive orientale de la Caspienne. Tout au long du 18e siècle, le processus de rattachement des terres kazakhes à l'Empire russe, dont les initiateurs furent tantôt les Russes tantôt des Kazakhs, s'est réalisé plutôt par des méthodes pacifiques. Les multiples expéditions avaient pour but d'étudier le terrain pour une expansion ultérieure. Le même schéma existait également pour les tribus centrasiatiques, notamment kazakhes et turkmènes : le protectorat, plutôt volontaire, suivi d'un rattachement inconditionnel de la part de l'Empire. L'absence de formations étatiques fortes et de la présence de puissances tierces facilita largement la réalisation des projets expansionnistes. Sous Catherine II, la progression russe dans les profondeurs des steppes devint une politique d'État qui discrédita tout le travail diplomatique de ses prédécesseurs dans ce domaine.

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      


§ 2. La victoire géopolitique de l'Empire russe au Caucase (19e–20e siècles)

      

      

      Comme déjà évoqué, la particularité de la colonisation russe réside dans une extension territoriale immédiate sur le compte des territoires limitrophes. En conséquence, la Russie s'est soudée avec ses colonies constituant une sorte d'osmose entre elles 175 . Dans la mesure où l'État russe s'élargissait, la plupart des régions antérieurement colonisées se transformèrent en métropole pour les nouvelles régions conquises. Ce phénomène est appelé par A. Woeikof la « transfusion graduelle de la métropole dans les colonies » 176 . Dans ce contexte, P. Béhar distingue quatre cercles de colonisation russe : le premier avec la conquête de Kazan, d'Astrakhan, de la Sibérie et de l'Extrême-Orient ; le deuxième avec celle de l'Ukraine et de la Biélorussie ; le troisième touche le Caucase et l'Asie centrale (monde turco-mongol) ; le quatrième atteint des pays satellites (Europe de l'Est, Mongolie, Afghanistan). La décomposition de l'Empire se fit par le détachement progressif de ces cercles du dernier jusqu'au premier 177 .

      La Transcaucasie fit partie du troisième cercle de la colonisation. Le début du 19e siècle fut marqué par le franchissement russe de la chaîne du Grand Caucase qui déplaça la frontière géopolitique de la Russie qui « se sentait l'absolue nécessité de briser les barrières qui l'enfermaient et l'étouffaient » 178 . Ce déplacement géopolitique lui ouvrit de nouveaux horizons géostratégiques et marqua une nouvelle étape dans l'histoire de toute la région. Désormais, le triangle des puissances –Russie, Turquie, Perse – réglera le sort de la région. Les peuples autochtones seront contraints de manœuvrer, avec des succès variables, entre ces trois acteurs.

      


A. – La réalisation du rêve de Pierre le Grand

      

      Avec l'arrivée au trône d'Alexandre I (1801-1825), la diplomatie russe relança le processus de « protection » des khanats musulmans laissé à l'abandon par son prédécesseur. L'Empire ne voulait plus se contenter de la vassalité des formations étatiques transcaucasiennes, notamment, après les guerres victorieuses contre les Turcs et les Persans. C'est la raison pour laquelle il élabora des projets d'annexions des territoires entres les mers Noire et Caspienne, « première étape vers un contrôle des Détroits » 179 . La nouvelle politique en construction visant ces terres eut des dimensions politique, économique et militaire.

      En 1801, le tsar annexa d'abord la Géorgie en utilisant habilement l'occasion qui s'était présentée 180 . Par cette annexion tacite et pacifique, une nouvelle étape commença dans la politique caucasienne de la Russie. Jusqu'à la fin du 18e siècle, la conquête de la Géorgie n'entrait pas dans le champ des intérêts de la politique étrangère russe. Les terres peuplées par les Géorgiens étaient traitées sous l'angle des relations avec la Perse et la Turquie. Même après le Traité de Guéorguievsk, l'intérêt de l'Empire russe pour la Géorgie demeurait mitigé contrairement aux projets concernant les provinces caspiennes dont la conquête occupait les esprits de plusieurs tsars russes et qui n'aboutirent pas aux résultats escomptés. Dans ce contexte géopolitique, la requête de protection d'Irakli II à la Grande Catherine signifiera, deux décennies plus tard, l'annexion pure et simple dans la lecture impériale. Elle représenta une aubaine inattendue par son importance exclusive, « quelque chose de légendaire qui arrive une fois en un millénaire », selon l'expression de Z. Avalov 181 . À cet égard, l'auteur écrit : « Ainsi, en fin de compte, cette acquisition gratuite [de la Géorgie – G.G.] couvrait largement les dépenses infructueuses des temps passés : le coût des entreprises persanes de Pierre et de Catherine. Les politiciens russes ne frappaient pas à la bonne porte. Mais quand devant eux tout près s'ouvrit inopinément une autre porte et après avoir mesuré les perspectives attrayantes qui étaient à leur portée, ils saisirent prestement cette opportunité en empruntant cette ouverture et renversèrent le maître trop confiant au passage. Gênés, à un moment, ils pensèrent même reculer, mais finalement, ils préférèrent rester, cette fois pour toujours » 182 .

      À mi-chemin entre les deux mers, la domination géostratégique russe devint incontestable. Elle détermina le sort des territoires situés entre la Caspienne et la mer Noire et ouvrit du côté du Caucase la voie en direction de l'Asie centrale. La diplomatie russe réussit à trouver des intérêts communs entre les khanats caspiens de Bakou, de Kouba, de Derbent et de Taliche dans les questions de politique étrangère et de commerce bilatéral. Pour cela, le gouvernement tsariste favorisa la création d'une sorte de fédération entre les khanats en question afin de faire face à la Perse et de faciliter l'annexion ultérieure de ces territoires. Les démarches entreprises par lui aboutirent à la conclusion d'un accord collectif signé en 1802, à Guéorguievsk. Les khans déclarèrent que désormais une « paix durable, éternelle et inébranlable et une union d'amitié » s'établissaient entre leurs territoires sous la tutelle de la Russie 183 . Cet accord renforça les positions russes dans la région à la veille des séries de guerres avec les Turcs et les Persans pour l'hégémonie en Transcaucasie.

      Or, la Russie, la Perse et la Turquie n'étaient pas les seuls pays intéressés par la région caspienne. La France, l'Allemagne et surtout la Grande-Bretagne tentaient également d'y assurer leur domination. La formation en 1805 de la troisième coalition anti-napoléonienne avec la participation des Empires russe et britannique contraignit la Couronne à s'abstenir d'actions directes en Perse contre la Russie. Cette dernière profita largement de cette opportunité, activa ses opérations militaires dans la région et incorpora les khanats de Karabakh et de Cheki (1805) ainsi que de Kouba et de Bakou (1806).

      La Perse, quant à elle, essayait de manœuvrer entre les puissances européennes. Le nombre des accords conclus avec la seule Grande-Bretagne, désireuse depuis très longtemps de s'ancrer dans cette région stratégique, en témoignent : 1801, 1809, 1812, 1814. L'article 4 du Traité de 1801, en particulier, prévoyait l'octroi de l'aide britannique à la Perse en cas de conflit armé. En effet, cela incita le chah à détériorer ses relations avec le tsar. Le Traité signé avec la France (1807) poussa également les dirigeants persans à renoncer à la conclusion de la paix avec la Russie 184 . En 1810, les Britanniques soutenaient les Persans contre les Russes allant jusqu'à la participation directe d'officiers anglais dans les combats armés et à la nouvelle tentation de créer une flotte sur la Caspienne 185 .

      Après la victoire écrasante contre l'armée d'Abbas-Mirza à Lenkoran pendant l'été 1813, la Russie obligea la Perse à signer le Traité de Gulistan après une décennie de guerre (1804-1813). Selon celui-ci, l'Empire russe conservait tous les territoires acquis de facto au moment de la signature, à savoir, le Daghestan, la Géorgie, l'Imérétie, la Gourie, l'Abkhazie, la Mingrélie et les khanats du Karabakh, de Gandja, de Cheki, de Kouba, de Bakou, de Derbent, de Chirvan et de Taliche. C'est pourquoi, pour Saint-Pétersbourg, ce fut plutôt un succès diplomatique que militaire et ce qui lui vaudra une guerre avec la Turquie.

      Le Traité de Gulistan jeta également la base juridique de la coopération économique entre la Russie et la Perse. Les marchands russes et persans recevaient le droit de libre circulation et de libre échange dans les deux États. Les premiers étaient exonérés de différentes taxes intérieures sur le marché persan. La ville d'Astrakhan redevint la plaque tournante du commerce caspien. En avril 1819, un Département Asiatique du Ministère des affaires étrangères fut créé.

      Conformément au Traité, seule la Russie avait le droit de posséder une flotte navale dans la Caspienne. Un des résultats du Traité fut la détermination ferme du tsar de faire du Caucase une partie intégrante de l'Empire russe et de le transformer en plusieurs provinces russes parmi d'autres sans forcément demander l'avis de nouveaux sujets dont une partie, en particulier les musulmans, n'était pas très enthousiaste pour un tel développement des événements. M. Atkin estime que cette étape de l'expansion russe au Caucase Oriental était le produit d'un concours de circonstances, d'un accident plutôt qu'un plan soigneusement élaboré 186 .

      Parallèlement, un « Acte séparé » fut signé selon lequel la Perse obtenait le droit de révision des conditions du Traité de paix. Soutenue par l'Angleterre, elle tenta, à maintes reprises, de profiter ultérieurement de ce droit, mais les résultats furent nuls. Les problèmes irrésolus et les offenses persanes aboutirent à une nouvelle guerre russo-persane en 1826-1828 que mena Nicolas Ier (1825-1855).

      En 1828, l'Arménie Orientale (les khanats de Nakhitchevan et d'Erevan) fut définitivement rattachée à l'Empire russe. Ce changement géopolitique de grande importance fut fixé juridiquement dans le Traité de Turkmentchaï (près de Tabriz) du 12 février de 1828 qui annula le traité précédent de 1813. Cette nouvelle ligne frontière russo-persane restera en vigueur 163 ans et disparaîtra avec la dissolution de l'URSS (1991). Les Traités bilatéraux ultérieurs ne toucheront pas la question de la frontière commune hormis la frontière maritime sur la Caspienne. La guerre de 1826-1828 était également la dernière guerre russo-persane.

      Le Traité était composé de 16 articles dont le huitième concernait le statut de la mer Caspienne. Dans le domaine militaire, la Russie gardait le droit exclusif de posséder la flotte navale. Quant à la navigation commerciale, le droit de libre circulation fut maintenu pour les pavillons russes comme persans. Ainsi, la mer se trouvait sous la domination des deux États, une situation qui durera également 163 ans.

      

      Les populations, notamment arméniennes, ayant soutenu l'Empire russe pendant la guerre, obtinrent le droit de se déplacer et de s'installer sur les territoires attachés à la Russie qui, dans leur majorité, étaient d'anciennes terres arméniennes. Cela s'inscrivait parfaitement dans la pratique russe de « constitution d'un glacis humain sur ses marches » 187 . En conséquence, il se produisit une modification sensible du paysage ethnique de la région. Afin de renforcer sa présence dans la région, le gouvernement tsariste élabora des projets de peuplement russe, principalement, pour le compte des « outsiders » de l'Empire : la cosaquerie difficilement gérée par le Centre, les vieux croyants et sectateurs, les couches sociales pauvres et marginales (les gueux), les révolutionnaires exilés 188 .

      Les sujets russes, vivant en territoire persan, obtinrent également des droits et des privilèges spéciaux, les lois persanes ne leur étaient pas applicables. Selon les chercheurs russes L. Koulaguina et E. Dounaeva, « c'était un des premiers traités inégaux conclus entre la Perse et les États européens qui posa la première pierre d'un régime défaitiste dans le pays » 189 .

      En dépit de ces deux guerres russo-persanes, la Russie cherchait à normaliser ses relations politiques et surtout économiques avec la Perse. La nécessité de coopération économique était également dictée par le développement de l'économie persane plongée dans une sorte d'isolement à cause des guerres et des conflits avec la Turquie (1821-1823), l'Afghanistan (1813-1818, 1823), entre la Russie et la Turquie (1821-1823) et de l'altération des relations avec l'Angleterre (1819-1823) qui réduisit drastiquement les importations des marchandises turques et anglaises en Perse. Ce fut la raison pour laquelle les relations commerciales entre les deux pays se rétablirent entre les deux guerres et voire durant encore la seconde guerre 190 . Elle gardait toujours ses ambitions d'être un maillon indispensable dans le commerce entre Europe et Asie. Le développement économique était indissociable des aspirations du tsarisme à la nouvelle colonisation et à une domination politique ultérieure.

      Le Traité de Turkmentchaï, entre autres, comprenait un Acte spécial sur le commerce qui ouvrait de nouveaux horizons pour le développement du commerce bilatéral. La Russie obtint le droit de nommer des consuls et des agents commerciaux partout où elle pouvait avoir

      des intérêts. L'Empire exportait essentiellement en Perse les tissus, les métaux, le cuir, les fourrures, les pigments, la verrerie, le sucre, etc. Il importait en grande quantité la soie grège, le coton, les colorants des tissus, le riz, les épices, le poisson, le caviar ainsi que le pétrole et le sel en provenance de Bakou, etc. Cet Acte spécial sur le commerce ne perdit pas de son importance jusqu'à la Première Guerre mondiale.

      Les succès successifs de la Russie en Transcaucasie étaient également conditionnés par le fait que les puissances régionales musulmanes (la Turquie, la Perse, l'Afghanistan) ne réussirent jamais à former une coalition contre l'Empire des tsars à cause de profondes contradictions et de rivalités acharnées qui conduisaient souvent à des guerres entre elles. La Russie utilisa habilement toutes ces circonstances dans sa politique régionale expansionniste ; lors des conflits militaires elle s'était toujours opposée tantôt à la Turquie ottomane tantôt à la Perse des Qadjar.

      À partir de 1828, la Turquie et la Perse furent de facto et de jure évincées de la Transcaucasie. Quant à cette dernière, elle devint partie intégrante de l'Empire russe « encore noble, non bourgeois », selon l'expression de l'historien marxiste M. Pokrovski 191 . Les différents territoires faisant partie de cette vaste région virent leurs statuts de sujets du droit international passer au niveau de la politique intérieure de l'Empire russe. Cette situation durera plus de 160 ans excepté une courte période transitoire due à la troisième révolution russe d'octobre 1917. La mainmise sur la Transcaucasie facilita ultérieurement la soumission définitive des Montagnards du Caucase.

      Les succès politico-militaires de la Russie altérèrent davantage les relations bilatérales anglo-russes. L'Angleterre s'inquiétait de l'éventualité de la poussée russe vers l'Asie occidentale et de la conquête de l'Inde par une nouvelle puissance européenne, cette fois par la Russie 192 . En 1833, cette dernière avait notamment reçu le droit exclusif de contrôler les détroits du Bosphore et des Dardanelles (Traité russo-turc d'Ounkiar-Iskelessi). Dans les années suivantes, cette rivalité anglo-russe se concrétisa en Afghanistan, autour de la ville afghane de Herat (1838), et en Transcaucasie, en général. Plus tard, afin de défendre le nord de la Perse et les intérêts russes de l'agression des forces ennemies, la Russie stationna une brigade de Cosaques dans cette région selon un accord spécial avec le gouvernement persan 193 .

      En 1845, fut créée la vice-royauté du Caucase. Bakou et Elisavetpol (actuel Gandja) devinrent chefs-lieux de deux des cinq gouvernements transcaucasiens. Quant au Daghestan, il ne devint une région (oblast) qu'en mai 1860.

      L'avancée de l'Empire russe en Transcaucasie avait des dessous idéologiques « bien formulés » qui, plus tard, seront repris par l'historiographie soviétique : soutien et salut des chrétiens de Transcaucasie, lutte contre le pillage et l'esclavage, réalisation de la « mission civilisatrice » et introduction des méthodes de gouvernement dites « européennes » parmi les peuples aborigènes, etc. Cependant, ce qui était, sous certaines réserves, bénéfique pour les chrétiens, représentait une tragédie pour une partie des peuples montagnards.

      À partir des années 1830, cette image de la Russie « libératrice et protectrice » commença à se ternir non seulement chez les chrétiens de Transcaucasie, mais également chez les intellectuels progressistes russes. Dans la conscience de ces derniers, on observait une certaine repentance pour la politique caucasienne de l'autocratie russe.

      La politique de russification des populations allogènes de l'Empire fut poursuivie par Nicolas I. Elle se réalisa dans tous les domaines : éducation, administration, religion, vie politique et culturelle. De plus, dès la fin du 18e siècle, la noblesse locale avait commencé à s'intégrer dans la noblesse russe. C'est un phénomène qui s'intensifia plus particulièrement au début du 19e siècle. Le niveau d'intégration des élites autochtones différencia la Transcaucasie des colonies classiques stricto sensu.

      Le célèbre triple principe formulé par le Ministre de l'Éducation d'alors Serge Ouvarov « Orthodoxie, autocratie, esprit national » (Pravoslavie, samoderjavie, narodnost) servit de fondement pour l'État russe 194 . Ce fut également une justification idéologique pour la réalisation de la politique intérieure impériale 195 . Dans ses ambitions et pratiques, le gouvernement tsariste plaça désormais l'ethnie russe et l'orthodoxie au-dessus des autres peuples de l'Empire multinational.

      Sous Alexandre III (1881-1894), la politique de russification devint officielle et plus intense. Le tsar réalisa une importante réforme administrative dont les dessous politiques furent l'abolition de la distinction qui « séparait la Russie propre des marches frontières » 196 . En conséquence, la vice-royauté du Caucase fut supprimée, ce qui provoqua des agitations en Transcaucasie. Dans la région de Bakou, les jeunes arméniens et musulmans, soutenus par l'Église et la Mosquée, revendiquèrent l'autonomie cultuelle voire l'indépendance.

      Il est à noter que la politique impériale de russification vis-à-vis des musulmans fut plus marquée de « subtilité et de tolérance » que celle à l'égard des populations chrétiennes. De plus, le gouvernement, pour ses propres intérêts, tenta à maintes reprises d'instrumentaliser les contradictions interethniques en opposant constamment les Arméniens aux Tatars (comme, par exemple, en 1905 à Bakou) et cela tout au long de la cohabitation dans le cadre de l'État russe, puis soviétique.

      


B. – La renaissance de l'importance commerciale et militaire de la Caspienne

      

      Après la découverte de la voie maritime de l'Inde, la mer Caspienne n'avait pas perdu de son importance d'antan dans la sphère du commerce entre l'Europe et l'Inde. L'ouverture en 1823 sous encouragement de l'Angleterre par un marchand arménien, sujet persan, d'une nouvelle voie intercontinentale via Trabzon – Erzeroum – Tabriz marginalisa davantage la voie caspienne et inquiéta le gouvernement tsariste 197 . Ce dernier s'efforçait de revaloriser son ancienne voie commerciale en faisant des investissements directs et indirects. Néanmoins, il fallut attendre les années 1880 pour voir une vraie renaissance de l'importance commerciale de la Caspienne.

      À partir des années 1850, le gouvernement tsariste étudia scrupuleusement la mer Caspienne et ses côtes à l'aide de ses forces navales. En 1857, le bateau Kouba, équipé spécialement pour réaliser ce type d'études, fit naufrage près du cap Choulan. À la suite de cette catastrophe, 22 membres de l'expédition, les appareils astronomiques et les résultats de deux années de travail disparurent 198 .

      En dépit de cela, les travaux de recherche scientifique, indispensables aussi bien pour l'exploitation des richesses naturelles que pour l'ancrage durable dans la région, ne s'interrompirent pas. Une attention particulière a été accordée à la côte occidentale, notamment, à la presqu'île d'Apchéron. En 1860, un nouvel atlas composé de 22 cartes de la mer Caspienne et des territoires proches fut prêt. Des travaux d'aménagement des territoires pour la sécurité de la navigation furent entrepris incluant l'équipement et la rénovation des anciens phares et la construction de nouveaux. Tout cela avait également une importance militaire et stratégique 199 .

      Dès avant la guerre de Crimée, le gouvernement tsariste encouragea la création des sociétés dont les activités étaient liées au commerce avec les pays voisins de l'Orient. En 1849-1850 fut créée la compagnie de navigation Mercure qui a été fusionnée, sept ans plus tard, avec une autre compagnie similaire, la Rousalotchka (1856). Par la suite, on créa la célèbre société de transport Caucase et Mercure (1868), l'œuvre d'entrepreneurs tels que Nobel, Kokorev, Novoselski, Brylkine, Troubnikov, Alennikov et autres 200 . Les bateaux de ces compagnies sillonnaient les eaux de la Volga et de la Caspienne et assuraient la liaison entre les ports russes et ceux situés au nord de la Perse, ainsi qu'au sud-est de la mer Caspienne où se trouvaient quelques points de peuplement turkmènes. En 1856 fut entériné le Statut de la Compagnie russe de navigation à vapeur et de commerce qui joua un rôle important dans le développement des relations commerciales de la Russie. Enfin, la Flotte Volontaire, créée par souscription, de 1876 à 1878, et régie par le Ministère de la Marine, partagea également le trafic caspien 201 .

      La même année furent déposés les statuts de la Compagnie commerciale transcaspienne qui avait le droit de créer des usines et des manufactures aussi bien pour le traitement des matières premières extraites de la région que pour les exportations et les importations des marchandises en Russie, en Perse et en Asie centrale. Il s'agissait d'achats de coton, de laine, de la garance et de ventes de fer, d'acier, de cuivre et de produits manufacturés.

      Depuis 1817, la foire de Nijni Novgorod, située sur la Volga, jouait un grand rôle dans le commerce russe international. C'était un centre important du commerce russo-asiatique, le plus grand complexe commercial de l'Europe, qui absorbait les 4/5 des marchandises orientales importées par la Russie 202 . Son « précurseur » était la foire de Makarev, fondée en 1524. Durant les 17e-18e siècles s'y forgèrent les relations commerciales avec la Chine, la Perse et l'Asie Centrale. Le choix de l'endroit – à l'emplacement d'un ancien monastère détruit par le khan de Kazan – fut fait lors de la rencontre des marchands russes avec la mission commerciale du chah Abbas I, composée de marchands persans et arméniens 203 .

      Les commerçants asiatiques avaient toujours plus de privilèges que leurs confrères européens, ce qui démontre l'importance pour la Russie du commerce avec les pays caspiens ainsi qu'avec leurs voisins. Les marchands arméniens originaires de Transcaucasie et de Perse jouèrent un rôle particulier dans le commerce russo-persan en le monopolisant petit à petit. Avec le temps, une partie d'entre eux devinrent des sujets russes. Au 19e siècle, la fonction principale de la foire de Nijni Novgorod consistait en l'approvisionnement des marchés persans par la production industrielle russe, et en retour des manufactures russes des régions centrales – par des matières premières provenant de l'Orient 204 .

      Le développement de l'industrie locale, du réseau des chemins de fer, de l'exploration des ressources minières attira également les masses ouvrières russes. Par la construction des voies ferrées, la région sortit de l'isolement et entra peu à peu dans le marché impérial. Les plus importantes furent celles de Rostov-sur-le-Don – Bakou et de Bakou – Batoum financé par les Rothschild. Ce dernier chemin de fer inaugura, depuis 1883, l'entrée de la Russie dans le marché mondial des hydrocarbures par la voie maritime 205 . Les effectifs des cheminots étaient composés essentiellement de Slaves. En 1908, le nombre de ces derniers fut estimé à environ 20 000 206 .

      Le gouvernement tsariste continua à développer les infrastructures maritimes. Pour cela, Vassili Kokorev (1817-1889), entrepreneur et mécène russe, se mit à la construction de la route Volga-Don 207  pour réaliser enfin le projet inachevé de Pierre le Grand.

      Les objectifs militaro-stratégiques supposaient également la possession de bases navales à proximité de la nouvelle frontière russo-persane. C'est pour cette raison qu'une station maritime apparut sur l'île de Sara, à proximité de Lenkoran, transférée en 1842-1843 sur l'île d'Achouradeh dans le golfe d'Astrabad, afin de protéger la côte persane des invasions des tribus turkmènes.

      Au 19e siècle, la plupart des bateaux de la Caspienne ont été construits à Astrakhan. Le manque de bois aux alentours de Bakou entravait le développement de la construction navale dans cette ville. Depuis 1860, Bakou était devenu une ville gouvernementale. Le climat favorable, l'emplacement, les atouts du site et la présence des « feux pétroliers naturels » amenèrent Bakou à devenir peu à peu le port principal de la Caspienne. S'y ajoutèrent son importance militaire et commerciale considérable.

      La question de transférer la principale base maritime de la flotte caspienne d'Astrakhan à Bakou fut mise à l'ordre du jour et eut lieu en 1867. La proximité des gisements pétroliers et des raffineries n'a pas joué le dernier rôle dans cette prise de décision. Si en 1862, la flotte caspienne disposait de 175 bateaux tous types confondus 208 , 22 ans plus tard, elle en comptait déjà 1945 209 . Des classes et une école de navigation maritimes s'ouvrirent aussitôt. Les infrastructures portuaires apparurent successivement : usine mécanique, ateliers de réparation des bateaux, appontements, quais maritimes et pétroliers, docks, etc. Ainsi, en deux décennies, l'importance de la flotte caspienne était de nouveau en hausse. On ne voyait toujours pas de pavillon étranger sur la mer.

      Depuis les années 1880, vingt ans après le transfert de la capitale du Gouvernement de Chemakha (1860), Bakou se trouvait au centre du boom pétrolier mondial. En 1889, 37 % des exportations de pétrole au monde provenaient de Bakou. Dans le domaine des huiles de graissage, on consommait 7,3 millions de pouds d'huiles de graissage contre 15 milles pouds exportés par les États-Unis (1898) 210 . En 1900, à Bakou, on extrayait 601,2 millions de pouds de « perle noire du Caucase » 211  soit 50,6 % de la production mondiale 212  ou encore 95 % de la production russe 213 . C'est également dans les années 1880 que les bateaux (dans un premier temps militaires) commencèrent à utiliser le combustible à base de pétrole. Pour ce qui est de la construction de la première raffinerie et de première usine pétrolières aux alentours de Bakou, elles apparurent bien avant : respectivement en 1859 et 1863 214 .

      C'est à cette période que la région de Bakou devint progressivement une des plus importantes zones pétrolifères exploitables et cela grâce à l'impulsion des grands investisseurs de capitaux internationaux, russes et arméniens 215 . En effet, à la fin du 19e siècle, la population de l'Azerbaïdjan comprenait une majorité de Tatars (Turcs azéris) et d'Arméniens. En général, la classe moyenne dans la population urbaine de la Transcaucasie était composée d'Arméniens 216 . Les Russes étaient principalement présents dans l'administration, ainsi que dans le commerce, mais faiblement à la campagne.L'explosion de l'industrie pétrolière attira des dizaines de milliers d'immigrants en Apchéron. En conséquence, Bakou devint la deuxième ville de la Transcaucasie après Tiflis.

      L'exploitation du naphte resta le monopole de l'État jusqu'en 1872. En dépit de toutes ses richesses naturelles, l'Empire russe demeurait toujours un État très dépendant des investissements provenant de l'Europe Occidentale. C'est pourquoi il favorisa et encouragea l'arrivée de capitaux occidentaux dans son secteur pétrolier, en premier lieu, en région caspienne et en mer Noire (Bakou, Batoum, Groznyï). Parmi les gros investisseurs on trouve les frères Alfred, Émile et Ludwig Nobel (Société anonyme d'exploitation du naphte des frères Nobel, fondée en 1879), Rothschild (Société industrielle et commerciale de la Caspienne et de la mer Noire fondée en 1886) et autres. Dans la dernière décennie du siècle, le pays comptait 6 compagnies anglaises, 3 françaises, 2 belges, 2 allemandes et une grecque 217 . Les entrepreneurs occidentaux, notamment anglais, s'occupèrent également de l'acheminement du pétrole de Bakou vers les marchés européens.

      Petit à petit, les sociétés arméniennes (Mirzoev, Mantachev, Ter Goukassov, Lianozov, Avetissov, Aramiants, Tatevossian, Maïlov) et russes (Chibaev, Toumaïev) trouvèrent une place stable sur le marché pétrolier caspien. En effet, les Arméniens et les Russes constituèrent l'élite financière de l'industrie pétrolière de Bakou et symbolisaient, aux yeux de la population musulmane locale le capitalisme étranger exploiteur. L'apparition de quelques entrepreneurs tatars (Soultanov, Taguiev, Naguiev, Assadoulaev, Moukhtarov) ne changea pas cette répartition, leur part demeura modeste. Par exemple, parmi les 51 concessions de terrains accordées lors des premières enchères seules 5 furent acquises par les Tatars 218 . En 1900, les Arméniens possédaient un tiers des entreprises industrielles du gouvernement de Bakou contre 18 % aux Tatars 219 .

      Le développement des industries, la mise en valeur des richesses naturelles et l'arrivée des capitaux aussi bien russes impériaux qu'étrangers changèrent radicalement la structure économique et sociale de l'Azerbaïdjan. Une bourgeoisie et un prolétariat locaux naquirent. Le capital financier azéri demeurait modeste dans le secteur de l'industrie pétrolière, tandis que celui des Arméniens et d'autres nationalités se développait dans ce domaine 220 .

      Cependant, en 1893, l'Empire reprit le contrôle du marché pétrolier en interdisant aux étrangers d'extraire le pétrole. Cela entrait dans le cadre de la nouvelle politique économique impériale qui imposait que les « ressources naturelles russes doivent être exploitées par de « vrais » Russes et avec l'aide de l'argent russe » 221 . Selon le décret du Ministre impérial des Finances S. Witte 222 , « toute affaire exercée pour le compte d'un étranger doit s'effectuer avec un prête-nom russe » 223 . En 1898, la Russie devint le premier pays producteur de pétrole au monde 224 .

      


C. – La région caspienne occidentale et méridionale à travers les trois révolutions russes

      

      Les deux dernières décennies du 20e siècle furent marquées par l'agonie de l'Empire russe et par une dégradation des relations interethniques, conséquence de la politique nationale impériale qui, semblait-il, avait « harmonisé » ces rapports. Pendant la première révolution russe (1905-1907), la vice-royauté du Caucase fut restaurée.

      Au début du 20e siècle, il se produisit également un certain dynamisme dans la conscience nationale du peuple azéri qui, dans son histoire, n'avait jamais été réuni au sein d'un seul État. En 1905, la jeune bourgeoisie azérie fonda un parti constitutionnel musulman qui se prononça pour une autonomie locale et pour l'arrêt de l'immigration russe 225 . Les protestations sociales aboutirent, en fin de compte, à des accrochages sanglants entre Azéris (Tatars) et Arméniens. Les raisons de l'explosion de la violence entre les deux communautés furent multiples : différences culturelles et religieuses, inégalité sociale entre les ouvriers et paysans musulmans, d'une part, et les marchands, les entrepreneurs citadins arméniens, de l'autre, etc. 226  Selon les observations des voyageurs contemporains, les « Tatars avaient beaucoup de haine envers les Arméniens, plus qu'envers les Russes » 227 .

      La capitale impériale russe utilisa les antagonismes arméno-tatars à ses propres fins politiques. Ce fut en effet le premier conflit interethnique dans la mouvance du mouvement révolutionnaire dirigé contre la monarchie russe. À cette période, les relations russo-arméniennes étaient très tendues, ce qui incita le gouvernement tsariste à laisser dégénérer la situation pour punir les Arméniens 228 . Le conflit arméno-tatar représenta une sorte de catalyseur pour la consolidation de la communauté musulmane de l'Azerbaïdjan. Il fit naître, pour la première fois, la solidarité musulmane qui dépassait des intérêts locaux restreints 229 . Il fut également le prélude à d'autres affrontements interethniques armés, notamment après le démembrement de l'Empire russe et, plus tard, à l'époque soviétique et post-soviétique.

      Le mouvement révolutionnaire en Transcaucasie fut la première révolution en Orient qui eut un impact sur le déclenchement de mouvements similaires dans les pays voisins : en Perse (1905-1912) et dans l'Empire ottoman (1908) 230 . À cause des troubles liées à cet événement, plusieurs usines furent fermées et les ouvriers chassés. Plusieurs milliers d'entre eux d'origine persane travaillaient dans l'Empire russe, notamment à Bakou. De retour chez eux, ils jouèrent un rôle important dans la diffusion des idées révolutionnaires, notamment dans le mouvement constitutionnel de la Révolution persane (1905-1911), avec la collaboration active des Arméniens et des Tatars transcaucasiens 231 .

      Pendant ces années, les navires militaires russes naviguaient librement le long des côtes persanes et débarquaient des troupes afin de protéger les intérêts russes en Perse : les sujets, les représentations commerciales, les établissements douaniers, etc. Lors des émeutes de 1911-1912 à Taliche, à Enzeli et à Recht, la marine russe utilisa également l'artillerie pour porter des coups sur ces territoires persans 232 . Tout cela témoigne de l'hégémonie russe incontestable sur la Caspienne. Les Russes se sentaient maîtres de la mer et se réservaient le droit d'intervenir afin de défendre leurs intérêts géostratégiques. Cependant, la situation était différente dans l'arrière pays persan où la Russie n'avait pratiquement pas de leviers de pression et d'influence.

      La situation géographique et géopolitique de la Caspienne ne laissait aucune chance aux tiers d'y pénétrer et de faire concurrence à l'Empire russe. Avant la Première Guerre mondiale, toutes les tentatives de l'Allemagne de s'implanter dans la région se heurtèrent à la résistance des Russes, de même qu'à celle des Anglais, et échouèrent 233 . Encore en 1903 Lord Ellenbore déclara à la Chambre des Lords qu'il préférait plutôt voir la Russie à Constantinople que la flotte militaire allemande au bord du golfe Persique 234 .

      Le prestige international de la Russie était en baisse à cause d'un nombre d'événements datant du début du 20e siècle : la défaite dans la guerre russo-japonaise, la Première révolution russe et le recul dans les Balkans. Ceux-ci conjugués avec l'état arriéré de l'économie russe, avec la dépendance financière de l'Empire vis-à-vis des pays occidentaux et avec les activités agressives de Berlin contraignirent la Russie à signer un accord avec l'Angleterre (le 31 août 1907) imposant la division des sphères d'influence en Perse séparées d'une zone neutre 235 . La Perse était sur le point de perdre sa souveraineté et de devenir un pays colonisé.

      L'accord stipula que les provinces septentrionales et les villes persanes les plus riches (Téhéran, Ispahan, Tabriz, Meched) passeraient sous l'influence russe tandis que l'Angleterre prit le contrôle du sud de la Perse avec le golf Persique. La Russie renonça à l'Afghanistan, reconnaissant l'existence des intérêts spéciaux britanniques dans ce pays comme au Tibet 236 . La conclusion de l'accord apporta un préjudice à l'image des Anglais perçus par les révolutionnaires libéraux persans comme des « défenseurs de la liberté et de la démocratie » 237 . Ainsi, les régions méridionales de la Perse étaient reconnues comme la sphère absolue d'influence britannique. Bien que ces territoires soient majoritairement désertiques, leur attribution officielle à la Couronne britannique fut considérée comme une victoire de la diplomatie anglaise qui songeait essentiellement à la sécurité des Indes.

      Officiellement, la Perse ne prit pas part à la Première Guerre mondiale. Cependant, cette neutralité fut théorique : au début de 1915, une partie considérable du territoire persan était occupée par les troupes turques et allemandes. Au début, la population persane « accueillit les Ottomans en libérateurs, considérants Russes et Anglais comme des ennemis héréditaires » 238 . Les agents du service de renseignement allemand exerçaient une propagande antirusse sur le territoire persan, dans la steppe turkmène et en Afghanistan. Alarmés par les actions expansionnistes de l'Allemagne, en 1915, la Russie et l'Angleterre révisèrent l'accord de 1907 en faveur de cette dernière. La nouvelle entente stipula, en particulier, la liquidation de la zone neutre en Perse.

      Dans sa lutte contre la Russie, l'Allemagne tachait d'utiliser la Turquie. Cette dernière, à son tour, cherchait un appui parmi les populations musulmanes du Caucase russe : les Adjars géorgiens islamisés, les peuples daghestanais et les Turcs azéris.

      Pendant la Première Guerre mondiale, la mer Caspienne fut épargnée des actions militaires armées. La flotte caspienne, à la différence de celles des mers Noire et Baltique, ne participa pas à ce type d'actions. Or, la présence de la flotte russe sur place était un facteur de dissuasion face au risque de pénétration d'autres forces dans la région. La principale tâche de la flotte était le transport de marchandises commerciales et militaires nécessaires aux besoins économiques et militaires de l'Empire. À la veille de la Première Guerre mondiale, plus de 60% des échanges internationaux de la Perse se faisaient avec la Russie 239 . Ayant sous sa domination la plus importante région pétrolifère de l'époque, située sur la presqu'île d'Apchéron, l'Empire russe réussit à convertir la flotte navale impériale à l'utilisation de combustibles moins coûteux à base de pétrole. Ceci augmenta davantage l'importance de Bakou.

      L'année 1917 en Russie commença par la révolution de Février dite « bourgeoise démocratique » qui aboutit à l'abdication du dernier des tsars Romanov. Les Musulmans transcaucasiens furent plutôt favorables à la Révolution de Février et à la formation du gouvernement provisoire. Le 9 mars 1917, ce dernier créa le Comité spécial de Transcaucasie ou Ozakom. Tout en constituant le groupe le plus nombreux de la Transcaucasie, les Musulmans étaient très faiblement représentés dans les Soviets, nouveaux organes du pouvoir. La plupart des places furent occupées par des Russes et des Arméniens, notamment à Bakou. La révolution leur donna l'espoir d'une émancipation nationale. Lors de la première Conférence des Musulmans du Caucase, qui eut lieu en avril 1917, le parti Moussavat se prononça en faveur d'une autonomie dans le cadre d'une future Fédération russe. Ainsi, les Musulmans essayaient de concilier leurs aspirations nationales avec les intérêts de la Russie 240 .

      Après la Révolution russe de Février, on observa un regain d'activités militaires de l'armée ottomane en Transcaucasie sous le même prétexte traditionnel : défendre les populations musulmanes des territoires, après l'évacuation des troupes russes, et aider les Azéris, leurs frères de race, à se libérer des Russes 241 .

      En avril, l'indépendance d'une République éphémère de Transcaucasie fut déclarée, dont les dirigeants Géorgiens pensaient naïvement qu'en se coupant des Russes ils pouvaient obtenir la faveur des Turcs et de meilleures conditions de paix. La Turquie, quant à elle, encourageait la prise de distance de la Transcaucasie vis-à-vis de la Russie afin de renforcer ses positions géopolitiques dans la région. Elle songeait également obtenir de nouveaux territoires par rapport au Traité de Brest-Litovsk. De surcroît, en s'emparant de Bakou, les Turcs se trouveraient en mesure de réanimer et de réaliser le vaste projet consistant en l'unification des turcophones sous tutelle de la Turquie.

      À la veille de la Révolution d'Octobre, une grande partie du territoire persan était occupée par les détachements militaires russes et anglais qui, cette fois, se faisaient passer pour des « libérateurs » 242 . Les régions occidentales restaient encore, mais pour peu de temps, sous la domination des troupes turco-allemandes. Ainsi, les Allemands étaient définitivement évincés de l'essentiel du territoire persan. Contrairement à ce qui se passa pendant la Première Guerre mondiale, la flotte caspienne se retrouva impliquée dans le tourbillon des événements lors de la troisième Révolution russe de l'automne 1917.

      En mars de 1918, la première organisation du pouvoir des Soviets dite la Commune de Bakou où Arméniens et Russes étaient majoritaires, s'établit dans la ville. La Commune bolchevique de Bakou ne durera pas longtemps : bientôt elle chuta et ses dirigeants furent fusillés dans le désert de Kara Koum au Turkménistan. Le 28 mai 1918, la République Démocratique d'Azerbaïdjan fut proclamée. Sa capitale provisoire fut Elisavetpol, car Bakou se trouvait sous la gouvernance du Soviet contrôlé par les Russes et les Arméniens 243 .

      C'est la première fois dans l'histoire du Caucase qu'une formation politique apparaît sous le nom d'Azerbaïdjan qui englobe les régions historiques d'Arran (Albanie) et de Chirvan 244 . Par conséquent, le terme Azéri devint usuel et désigna désormais les représentants du peuple caucasien appelé différemment Tatars du Caucase, Musulmans transcaucasiens, Turcs caucasiens. L'Occident salua ce changement géopolitique, car il était préférable d'avoir comme partie à des négociations un État jeune plutôt que la Russie, de surcroît devenue soviétique. Surtout que les Bolcheviks menèrent d'emblée une politique consistant à évincer les compagnies étrangères de leurs territoires. Paradoxalement, malgré cet encouragement, les puissances ne se montrèrent pas pressées pour reconnaître officiellement l'indépendance des trois républiques transcaucasiennes issues de l'Empire russe démantelé.

      Profitant de la désintégration de la Russie tsariste et encouragé par les résultats du Traité de Brest-Litovsk (1917), l'Empire ottoman pensa désormais à prendre sous sa tutelle les populations musulmanes de Transcaucasie voire au-delà de la Caspienne. Pour la réalisation de ce rêve touranien, Istanbul avait le soutien des Allemands qui, visant depuis un certain temps les champs pétrolifères de Bakou, firent clairement savoir à Enver Pacha « qu'ils ne verraient pas d'un mauvais œil une percée ottomane dans la région » 245 .

      En brisant la résistance des Arméniens et des Géorgiens, l'Armée de l'Islam constituée de soldats turcs et d'irréguliers azéris s'empara de Bakou en massacrant une partie de la population arménienne. Pour ne pas perdre le naphte de Bakou, Moscou proposa même aux Allemands de leur céder le quart du pétrole extrait sur l'Apchéron si ces derniers empêchaient l'occupation de Bakou par les Turcs 246 . Cependant, la marge de manœuvre des Allemands était assez limitée, de plus ils craignaient de voir les Anglais sur l'Apchéron. Aussitôt, les Turcs et les Allemands se substituèrent aux Britanniques sous le commandement du général major W. M. Thomson conformément à l'armistice de Moudros (octobre 1918). Ainsi, en une courte période, le jeune pays connut deux occupations étrangère : ottomane et anglaise.

      Les Anglais, à leur tour, ne restèrent pas longtemps et, à partir de 1919, commencèrent l'évacuation de leurs troupes en dépit des demandes des Azéris et des Géorgiens. La politique de non interventionnisme direct militaire des Britanniques consista à limiter son aide en armes, en ravitaillement et en concours logistique. Londres réalisait bien l'importance du contrôle du pétrole d'Apchéron. Mais le seul contrôle ne suffisait pas, car il fallait également dominer la ligne de chemin de fer Bakou – Batoum pour transporter le naphte. Ce fut une des raisons pour lesquelles l'Angleterre ne renonça pas au développement du commerce avec la Russie soviétique et considéra le Caucase dans la sphère d'influence de cette dernière en dépit de sa présence à Bakou 247 . À ce propos, le chef du cabinet britannique de coalition Lloyd George déclara même : « Nous commerçons bien avec les cannibales » 248 .

      Pour l'administration britannique, c'était à la Conférence de paix de débattre et de prendre la décision sur le principe d'autodétermination des peuples. En fin de compte, elle échouera dans cette tâche. Cependant, Thomson plaça le Nakhitchevan, une région majoritairement peuplée de Musulmans et litigieuse avec l'Arménie, sous la gouvernance arménienne afin d'empêcher les Turcs de l'utiliser comme corridor pour rejoindre les Turcs Azéris 249 .

      La Russie bolchevique ne reconnut pas la République d'Azerbaïdjan à la différence de la Géorgie et de l'Arménie. L'intérêt économique et géopolitique du territoire azerbaïdjanais pour Moscou fut plus important que celui de ses voisines. Inquiets et alarmés de l'échec de l'extension de la révolution en Europe, les Bolcheviks canalisèrent leurs efforts pour prendre le contrôle sur d'importants centres économiques dont Bakou 250 . La République d'Azerbaïdjan n'était pas marquée par une politique ouvertement anti-russe. Les dirigeants azéris avaient une attitude ambivalente vis-à-vis de leur voisine septentrionale. Akhoundzada exprimait ainsi le dilemme azéri : d'une part, un attachement profond à l'héritage culturel national, d'une autre, l'intérêt pour la Russie en tant que moyen de réaliser des changements nécessaires 251 .

      

      

      

      La République d'Azerbaïdjan n'aura qu'une brève période d'indépendance (23 mois) à cause de sa soviétisation en 1921. D'ailleurs, elle était condamnée comme l'indépendance de ses deux autres voisines compte tenu des circonstances et de l'entourage géopolitiques qui s'étaient établis dans la région.

      

      

      CONCLUSION

      

      Le 19e siècle en Transcaucasie commença par une nouvelle poussée de l'Empire russe, cette fois plus déterminé pour aller jusqu'à l'incorporation de toute la région en moins de trois décennies. L'expansion russe s'est déroulée sous différentes formes, du rattachement volontaire à la soumission militaire. Elle était bénéfique pour les uns et tragique pour les autres, et se solda par une politique de russification officielle au dernier quart du 19e siècle sous Alexandre III.

      Le Traité de Turkmentchaï mit fin aux guerres russo-persanes pour les khanats transcaucasiens en évinçant la Perse pour toujours de sa zone d'influence séculaire. Pour la première fois on voit le statut de la Caspienne vaguement figurer dans un traité qui donna à l'Empire russe l'exclusivité d'y posséder une flotte. Pendant le 19e et le début du 20e siècle, la présence de la flotte militaire russe sur la Caspienne conditionna, entre autres, l'hégémonie de la Russie dans cette région stratégique.

      L'avancée russe et l'annexion des territoires transcaucasiens étaient dictées par les intérêts politiques, économiques, militaires et stratégiques de l'Empire. En Transcaucasie, ce dernier poursuivit tout d'abord des intérêts stratégiques qui s'imbriqueront aussitôt avec des enjeux économiques (ressources minières, pétrole, routes commerciales, etc.). C'est à la fin du 19e siècle que Bakou connut le premier boom pétrolier du monde qui aura encore un écho un siècle plus tard en générant un nouveau « Grand Jeu ».

      Le fait que la Transcaucasie fut conquise sur la Perse et l'Empire ottoman, avec l'étroite collaboration d'une partie de la population autochtone, fit la particularité de sa colonisation par rapport à celle du Caucase du Nord ou de l'Asie centrale. Sans la présence russe, le sort des chrétiens de Transcaucasie serait incertain. Le rattachement définitif du Caucase était un des maillons de la politique coloniale de l'Empire russe. Ce processus n'était pas partout accepté de bon gré. C'est pour cette raison qu'un mouvement puissant de résistance, notamment chez les Montagnards, naquit contre les méthodes brutales des autorités tsaristes et des féodaux locaux.

      Le 20e siècle commença par une altération des rapports interethniques en Azerbaïdjan à l'instigation du pouvoir tsariste. Les révolutions russes contribuèrent à la constitution d'une conscience nationale azérie et à consolidation de la communauté musulmane locale. La constitution identitaire azérie ne fut, en effet, possible que dans le cadre de l'Empire russe. Le mouvement national se solda par la proclamation d'une première courte indépendance éphémère du peuple azéri sur les décombres de l'Empire russe. Intégré au sein de la Turquie ou de la Perse, le rêve des Azéris n'aurait pas pu sans doute être réalisé.

      Le mouvement révolutionnaire en Transcaucasie du début du 20e siècle fut le premier dans son genre en Orient. Les idées révolutionnaires furent ensuite propagées en Perse où se croisèrent les intentions expansionnistes de l'Allemagne, de la Russie et de l'Angleterre. Pour contenir cette première, les empires russe et britannique se rapprochèrent et, en effet, partagèrent le pays en deux secteurs d'influence séparés par une zone neutre. Ainsi, la Russie conserva ses positions dominantes dans les provinces septentrionales de la Perse.

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      


§ 3. L'exploration et la conquête durable de la côte caspienne orientale

      

      

      Depuis Pierre le Grand, le tsarisme caressait l'idée de s'étendre dans la direction de l'Asie centrale qui pouvait assurer de nouvelles conquêtes territoriales et des bénéfices supplémentaires provenant du commerce. Le rêve séculaire des tsars russes ne put se réaliser que durant le 19e siècle.

      


A. – De la domination maritime à la domination terrestre

      

      Au 19e siècle, les relations commerciales et politiques russo-turkmènes s'intensifièrent. Les premiers envoyés des Turkmènes de Manguychlak (notamment les Iomouds) apparurent à Saint-Pétersbourg en 1802 et furent reçus par le tsar Alexandre Ier. Leurs demandes furent formulées autour de quatre axes :

      la protection politique du tsar ;

      l'aide économique ;

      la construction de forteresses afin de protéger les caravanes marchandes des attaques des tribus kazakhs et de Khiva ;

      la création des comptoirs russes le long de la côte sud-ouest 252 .

      Alexandre I saisit vite l'opportunité de satisfaire la demande de protection des Turkmènes et envoya quelques expéditions afin d'étudier le terrain. Le littoral turkmène devint aussitôt un centre d'échanges commerciaux russo-turkmènes qui attirait également d'autres tribus de l'arrière pays. On vit apparaître quelques marchands locaux dans les villes russes, notamment à Astrakhan.

      Après la conclusion du Traité de paix et d'amitié perpétuelle de Gulistan (1813), la Russie tenta de relancer le processus de rapprochement avec les Turkmènes en envoyant chez eux le marchand arménien de Derbent Ivan Petrov (Mouratov) qui était spécialisé dans le commerce avec Astrabad. Il rentra de sa mission au Caucase avec la délégation des Turkmènes-iomuds avec Kiat khan à leur tête 253 . Hostile aux autorités persanes, ce dernier, en se plaçant sous la protection russe, rêvait de dominer les différentes tribus turkmènes. Le séjour des Turkmènes coïncida avec un autre événement politique important – les négociations russo-persanes. C'est pourquoi aucun accord ne fut conclu.

      Six ans plus tard (1819), les ambitions hégémoniques de Kiat khan l'amenèrent de nouveau au Caucase, à Tiflis, pour rencontrer le général Ermolov. Cette fois, les souhaits du khan coïncidèrent avec les projets géopolitiques de l'Empire à long terme dans cette région. Dans les années suivantes, de nouvelles expéditions russes partirent vers la côte est de la Caspienne pour étudier la possibilité de construire des forts et des comptoirs avec la perspective d'avancer en profondeur en Asie centrale.

      Comme on l'a déjà évoqué, après la conclusion du Traité de paix et d'amitié de Turkmentchaï (1828), les positions de la Russie sur la Caspienne furent encore davantage renforcées. L'Empire se tourna de nouveau vers la côte turkmène en envoyant des expéditions successives par la mer. Aussitôt, les Russes commencèrent à évincer les Persans des marchés situés au sud-est de la Caspienne avec le concours des tribus côtières turkmènes. Les succès de la Russie furent accompagnés par l'importante diminution du prestige anglais dans la région. C'est pourquoi le gouvernement britannique canalisa ses efforts sur les khanats centrasiatiques et sur l'Afghanistan qui constituaient une zone intermédiaire entre la Russie et les colonies asiatiques de l'Angleterre. Rappelons qu'à cette période, la Russie rêvait encore d'atteindre les Indes. Plusieurs projets de l'état-major tsariste furent conçus et établis à ce propos 254 .

      En 1836, l'expédition « commerciale et scientifique » de G. Kareline apparut dans les eaux turkmènes dans le but de « décrire l'état du pays du point de vue physique, politique, socio-économique et autres… » et de définir la possibilité et les perspectives d'une expansion commerciale et économique dans la région Transcaspienne, y compris au nord-est de la Perse. G. Kareline rentra à Pétersbourg avec la lettre préparée par les Turkmène-iomouds et adressée au tsar dans laquelle ils demandaient la protection de ce dernier contre la Perse et le Khiva 255 . Il était accompagné du fils de Kiat khan, converti à l'orthodoxie à Tiflis 256 , qui fut reçu par Nicolas I (1825-1855) en 1837. Ainsi, comme auparavant les tribus kazakhes des steppes, certaines tribus turkmènes, qui nomadisaient à Oustiourt et au Manguychlak devinrent volontairement les sujets de l'Empire russe 257 . On observa également un accroissement des dispositions prorusses chez une partie des Turkmènes qui nomadisaient au sud-ouest de la Caspienne. Ceci préparera le terrain pour une colonisation ultérieure du Turkménistan et de toute l'Asie centrale.

      En 1840, l'Empire ouvrit un trafic permanent dans les eaux turkmènes. Deux ans plus tard (1842), la première base navale apparut sur l'île d'Achouradeh suivie par l'ouverture du consulat russe à Astrabad (1846). L'objectif officiel était d'assurer la sécurité du commerce maritime le long de la côte aussi bien turkmène que persane (Astrabad), et la protection des marchands et des pêcheurs. L'Empire se préparait à passer de la domination maritime à la domination terrestre, surtout que le pillage des caravanes sur le continent se poursuivait toujours. C'était un bon prétexte pour avancer et s'ancrer durablement sur la côte orientale de la Caspienne 258 . La présence militaire russe dans le golfe d'Astrabad fut mal appréciée par l'Angleterre qui demanda le départ des bateaux russes.

      Après la défaite dans la guerre de Crimée (1853-1856), le gouvernement tsariste, une fois de plus, fut contraint de renoncer momentanément à sa politique active dans les Balkans et au Proche-Orient et de se concentrer sur l'Extrême-Orient et la région centrasiatique. L'Empire fut particulièrement intéressé par les khanats de Boukhara, de Kokand et de Khiva qui, à cette époque, selon G. Sokoloff, ne représentaient « qu'un pâle reflet d'une splendeur passée » 259 . De longue date, il avait déjà établi des relations commerciales avec ces formations étatiques.

      Pour l'industrie capitaliste russe naissante, l'Asie centrale constituait un débouché potentiel pour les produits russes ainsi qu'un marché de matières premières, notamment pour le coton. Autrement dit, l'Empire tsariste, en mal chronique de développement intensif et face à la récession et aux difficultés économiques, poursuivait sa politique séculaire de développement extensif sur le compte de nouveaux territoires. L'aspect économique fut un des volets de l'avancée, mais pas le principal. D'une certaine manière, en s'activant en Asie centrale, l'Empire tentait également de reconstituer son prestige politique et militaire en mal d'affirmation envers l'Europe.

      Cependant, les intérêts hégémoniques et coloniaux de la Russie se heurtèrent à ceux d'un rival puissant, l'Angleterre. Après avoir terminé la soumission de l'Inde au milieu du 19e siècle, cette dernière aspirait à étendre son influence sur l'Asie centrale. La présence militaire anglaise en Perse et en Afghanistan était un fait accompli. Les agents de la Couronne étaient particulièrement actifs en Asie centrale et tentaient d'empêcher l'expansion russe. La rivalité russo-anglaise avait non seulement une dimension économique, mais également politique. Elle devint particulièrement antagoniste après la guerre de Crimée. Les marchands et les fabricants russes, de leur côté, s'inquiétèrent de l'expansion politique et économique anglaise. Ils incitèrent le gouvernement tsariste à activer sa politique dans la direction centrasiatique. En conséquence, cette politique devint plus agressive.

      Compte tenu des intérêts et des attentes des fabricants et des entrepreneurs russes, le gouvernement tsariste envoya en 1858 des missions politico-commerciales en Perse et dans les pays d'Asie centrale. Elles furent dirigées par N. Khanykov, N. Ignatev et Tch. Valikhanov. Les buts officiels de ces missions furent différents : l'orientaliste N. Khanykov fut à la tête d'une expédition scientifique, le colonel N. Ignatev conduisit une ambassade diplomatique, le lieutenant Tch. Valikhanov se présenta comme marchand musulman. Les trois missions avaient pour but l'étude aussi bien de la situation économique et politique des pays voisins centrasiatiques, que de leurs capacités à fournir les matières premières pour l'économie russe en plein essor et à consommer les marchandises produites par l'Empire.

      Dans les années 1860, une fois la conquête du Caucase terminée, le gouvernement tsariste envoya une partie de ses forces militaires, déployées au Daghestan, s'emparer des terres transcaspiennes. Ainsi, en 1869, le détachement militaire russe de Stoletov débarqua dans le golfe de Krasnovodsk et fonda la ville la plus importante de la côte turkmène portant le même nom. La fondation de Krasnovodsk permit à l'Empire russe d'avancer dans les steppes turkmènes et de faire pression sur le khanat de Khiva.

      Il se produisit également un changement dans la vision géopolitique de l'Empire qui commença à renoncer petit à petit à l'idée d'une intervention économique en Inde où l'Angleterre ne lui laissait pas de chance d'organiser un quelconque voisinage. La Russie se consacra désormais à la domination de l'arrière pays persan et à la conquête définitive de l'Asie centrale. Cela était une tâche beaucoup plus réalisable à cause de la proximité géographique et de la faiblesse de l'influence anglaise. Ainsi, l'Empire s'investissait progressivement dans la vie politique de la région Transcaspienne.

      La conquête du Turkestan devait commencer du côté de la Caspienne – Aral et de la Sibérie. Initialement, les Russes envisagèrent d'occuper d'abord le Turkménistan compte tenu la proximité du Caucase déjà conquis quoique les deux régions soient séparées par la Caspienne. Finalement, la Transcaspienne fut soumise, presque en dernier, avant le Pamir.

      À la différence des cent précédentes années, à cette période, la colonisation et le rattachement des terres kazakhes septentrionales et méridionales à l'Empire russe, par des méthodes plutôt belliqueuses, arrivèrent à leur terme. Relativement vite, dans les années 1860, la Russie étendit également son influence sur le nord du Kirghizistan, les oasis de Tachkent (1865) et de Samarkand (1868). De l'abolition du servage (1861) à la première Guerre mondiale, des centaines de milliers de colons russes, ukrainiens et allemands s'installèrent dans les vastes étendues steppiques où auparavant les pasteurs kazakhs nomadisaient. Ces derniers furent évincés petit à petit de leurs pâturages traditionnels. En conséquence, il se produisit une dégradation de leur situation économique.

      En 1865, le gouvernement tsariste publia le Règlement provisoire de gestion de la région de Turkestan. Deux ans plus tard (1867), le Comité des ministres entérina la décision de création du Gouvernement général du Turkestan (siège à Tachkent) dont la région Transcaspienne fera partie en 1897. En 1868, ce fut le tour de l'émirat de Boukhara de tomber. En 1871, les Russes débouchèrent sur la rivière Atrek, frontalière avec la Perse.

      Sous l'autorité de Kaufman, premier gouverneur général de la région, le tsarisme entreprit de considérables changements administratifs et économiques. La politique culturelle, notamment en ce qui concernait l'instruction, élaborée par Kaufman, était remarquable et entra dans l'histoire sous le nom de « politique de la non-ingérence ou de l'ignorance » 260 . En 1870, le ministre impérial de l'Instruction publique D. Tolstoï mit en place un nouveau système d'instruction destiné aux peuples allogènes de la Crimée, de la Volga, de l'Oural et de la Sibérie dont le but final était « leur russification et leur fusion avec le peuple russe ». L'Empire tenta de l'appliquer automatiquement sur le Turkestan également, mais Kaufman insista sur la nécessité de s'abstenir de supprimer par la force l'école islamique traditionnelle qui était opposée aux Russes. Son dépérissement serait plus utile et profitable pour l'Empire 261 . Ainsi, il se prononça pour la création d'écoles parallèles modernes susceptibles d'attirer les autochtones musulmans. Ajoutons aussi que les Turkmènes comme les Kirghizes et Kazakhs n'avaient pas été trop exposés à l'influence de l'islam à la différence des Ouzbèks ou des Tadjiks majoritairement sédentaires.

      

      

      

      

      


B. – L'interposition de l'Empire orthodoxe entre les mondes turc et persan

      

      Après le rattachement du khanat de Khiva (1873), l'Empire russe créa la région Transcaspienne (mars 1874) composée de deux unités administratives, Manguychlak et Krasnovodsk, qui se trouvaient sous la gérance du gouverneur militaire du Daghestan et du chef de l'état-major du commandant de l'Armée caucasienne. Du point de vue géopolitique, l'Empire concevait le territoire turkmène comme un espace continuant la Transcaucasie, une sorte d'appendice de cette dernière. Le nom choisi pour la nouvelle entité administrative – Transcaspienne – en fut une preuve. C'est également pour cette raison que l'état-major de l'armée russe intégra plusieurs représentants des peuples caucasiens dans les troupes russes stationnées au Turkménistan.

      Le 12 janvier 1881, l'aoul Achkhabad fut pris par les Russes ce qui correspondit à une première étape sur la route des Indes pour ceux qui étaient obsédés par cette idée séculaire lancinante 262 . Ce fut le premier pas à la suite d'une opération militaire contre Guéok-Tepe (1881), la plus grande bataille de la conquête russe de l'Asie centrale. Une Convention spéciale russo-persane (Traité d'Ahal, le 9 décembre 1881) de délimitation du territoire situé à l'Est de la Caspienne fut conclue sans toutefois fixer des limites dans la Caspienne. Avant cette conclusion, c'étaient les attaques (alamans) chaotiques des tribus turkmènes qui définissaient la bande frontalière conventionnelle. La Convention négligea une fois de plus les intérêts des peuples autochtones, en l'occurrence des Turkmènes, qui se retrouvèrent désormais divisés, à l'instar des Azéris, entre deux empires : russe et persan. L'Empire russe était enclin à considérer sous sa domination les territoires jusqu'à la rivière Atrek, frontalière avec la Perse. Cependant, cette circonstance n'empêchait pas les Russes de « violer », en 1873, la ligne de frontière établie de facto et de s'approcher du Gorguen.

      Ainsi, en conséquence des accords russo-persans, les Turkmènes, en grande partie nomades, se retrouvèrent divisés par la nouvelle ligne frontalière. La division aura son impact négatif sur le développement culturel, politique et économique de l'ethnie turkmène. Les deux parties d'un seul peuple s'éloignaient davantage sur les plans aussi bien socio-économique que culturel. À la différence de leurs compatriotes du nord, les Turkmènes iraniens gardaient une certaine autonomie sous la tutelle de la Perse. Cependant, la situation changera sous l'influence de la Révolution d'Octobre, rendant leur destin dramatique.

      Les tribus turkmènes n'étaient pas dans la mesure de résister à l'administration militaire et à l'expansion du capitalisme russe. Ce dernier s'empara, notamment, de l'île Tcheleken où étaient concentrées les réserves pétrolières du pays. Cependant, dans les steppes turkmènes, des opérations de guerre furent déployées entre l'armée tsariste et les populations autochtones.

      Ainsi, comme toutes les frontières ayant rapport aux colonies, celles entre l'Empire russe et la Perse ne tenaient compte, ni l'une, ni l'autre, des facteurs ethniques, économiques et culturels. Depuis des siècles, ce territoire représentait une frontière culturelle entre les mondes turc et persan. L'influence culturelle de la Perse sédentaire dépassait largement cette frontière politiquement instable qui « justifiait » les prétentions séculaires persanes sur ces terres. Dans la seconde moitié du 19e siècle, une troisième puissance, l'Empire orthodoxe, s'interposa et « viola les sphères d'intérêts géopolitiques purement locales, régionales » 263 .

      En 1883, un accord secret fut signé donnant le droit à la Russie d'occuper le territoire du Khorassan si la sécurité du fonctionnement du chemin de fer Transcaspien était menacée. Malgré cet accord, la nouvelle frontière demeurait toujours mal définie. La Perse n'était pas en mesure de s'opposer militairement à l'avancée russe bien qu'elle considérât les territoires au nord du Khorassan comme les siens. Tout au long du 19e siècle, elle s'était bien affaiblie et faisait difficilement face aux attaques des tribus turkmènes nomades. Dans ce contexte, l'avancée russe était susceptible d'arranger la Perse mais jusqu'à une certaine limite. Dans des circonstances politiques données, elle se contenta de négociations secrètes avec l'Angleterre, de protestations diplomatiques et de proposition d'actions communes pour réprimer les tribus turkmènes rebelles 264 . La Russie, pour sa part, était intéressée par une telle « neutralité » de Téhéran.

      En 1884, Merv fut rattaché à l'Empire russe, ce qui rompit définitivement l'équilibre géopolitique en Asie centrale et compliqua davantage les relations diplomatiques avec la Couronne britannique. Irrité et voyant ses intérêts en Afghanistan menacés, le gouvernement anglais déclara clairement qu'une expédition russe contre Pendjeh et la prise de Herat auraient été considérées « comme l'équivalent d'une déclaration de guerre » 265 . Le 18 mars 1885, la prise de la vallée de Kouchka, sur la route d'Herat, acheva l'annexion de tout le territoire turkmène par l'Empire russe. Le général Skobelev a écrit dans la Rousskaïa starina : « Le cours des événements indique que le moment approche où l'Indoukouche, frontière naturelle des Indes, formera la frontière de la Russie en Asie et où Herat sera probablement incorporé à la Russie. Dans ce cas l'Angleterre se trouvera obligée d'occuper Kaboul et Kandahar » 266 .

      En signant l'armistice russo-afghan (le 10 septembre 1885), les empires russe et britannique évitèrent l'opposition militaire ultérieure. À partir de cette date, l'administration de la région Transcaspienne devint pratiquement autonome dans presque tous les domaines. Le pouvoir militaire ainsi que civil était concentré dans les mains du gouverneur bien que, formellement, il fût encore subordonné au commandant en chef des troupes stationnées dans le Caucase. Le Traité anglo-russe de Pamir (1895) fixa définitivement la ligne de séparation entre les empires russe et anglais en Asie centrale.

      Le développement des relations capitalistes en Russie nécessitait la présence de nouveaux débouchés pour la production excédentaire russe, notamment, en matières textiles et alimentaires (sucre, etc.). À cause de la concurrence, les marchés du Vieux continent étaient inaccessibles pour la Russie. En raison de la proximité géographique de l'Asie centrale et de la possibilité de créer de nouvelles voies commerciales bon marché, cette région semblait bien attrayante.

      Comme on l'a rappelé précédemment, sous Pierre le Grand on élaborait des projets de construction des voies de communication entre la Russie et l'Asie centrale qui n'étaient pas voués à se réaliser en leur temps. La nécessité de posséder un réseau de transport sûr et porteur sur le plan économique se posait de nouveau depuis les années 1850. Les analystes tsaristes de l'époque voyaient dans le développement des échanges via la Caspienne un des piliers de l'expansion économique russe, surtout à cause de l'absence des voies ferrées. Pour cela ils proposaient même de privatiser les flottes des mers Caspienne (depuis les années 1840) et d'Aral (depuis les années 1850). À ce propos, en 1869, la Société d'assistance à l'industrie et au commerce russe édita un recueil spécial en faisant un appel en ce sens auprès du gouvernement 267 .

      Ce fut en 1856 que le commandant en chef de l'armée et le gouverneur du Caucase A. Bariatinski présenta au tsar Alexandre II le projet de construction du chemin de fer reliant la Caspienne (à partir du port de Krasnovodsk) à la mer d'Aral via Oustiourt. L'argumentation politique et économique de Bariatinski était claire : la construction d'une liaison ferroviaire entre la Caspienne et l'Aral était en mesure de remplacer les voies des caravanes existantes plaçant ainsi le commerce des pays riverains et une partie du transit entre l'Asie et l'Europe sous contrôle russe. Sans cela, il fallait étudier les questions liées à l'organisation de la navigation fluviale dans les profondeurs de l'Asie centrale par le Syr-Daria. Ces mesures étaient susceptibles de renforcer l'influence politique russe dans la région.

      Le projet semblait plus attirant notamment après la prise du port persan Bouchir par les Anglais, qui caressaient toujours la même idée : prendre le contrôle de la Perse et soumettre les territoires situés autour de la Caspienne et frontaliers avec la Russie. Selon le gouverneur, « en hissant le pavillon britannique sur la mer Caspienne, il [le gouvernement anglais – G.G.] nous [l'Empire russe – G.G.] mettra dans une situation critique au Daghestan et en Transcaucasie, ainsi que dans les steppes transcaspiennes » 268 . La menace britannique venait du côté de la Caspienne méridionale et de l'Afghanistan. Les militaires russes de haut rang proposaient même de transférer les troupes à Astrabad en cas d'avancée des forces anglaises dans la direction de Herat 269 .

      À cette date, la Russie n'était pas encore politiquement ni économiquement prête à entreprendre un projet aussi vaste. Le gouvernement impérial donna la préférence à une politique expectative et s'abstint de démarches à propos de l'Inde susceptibles de provoquer le mécontentement de l'Angleterre. En même temps, il ne pouvait être indifférent à l'expansion commerciale anglaise et ne pas entreprendre de mesures afin de la contenir. C'est pourquoi, la proposition du gouverneur du Caucase ne fut pas rejetée entièrement, mais simplement ajournée. La décision de l'Empire de conquérir l'Asie centrale et de s'y implanter durablement était ferme et définitive.

      Pour le développement de la navigation et des échanges commerciaux, certains spécialistes proposaient de détourner le lit de l'Amou-Daria vers la mer Caspienne en pensant faussement que le lit asséché d'une rivière sortant du lac Sarykamyche était l'ancien lit de l'Amou-Daria 270 . Après la prise de la ville de Krasnovodsk (1869), on proposa également la construction d'une voie ferrée liant la baie de Krasnovodsk à l'Amou-Daria qui valoriserait l'importance de la voie commerciale Volga-Caspienne. En 1881, pour des raisons militaro-stratégiques (la campagne d'Akhal-Teke), bien que la nécessité économique ait été mûre depuis quelque temps, le gouvernement impérial construisit la première ligne du chemin de fer liant la côte caspienne aux régions intérieures du Turkménistan.

      La construction du chemin de fer Transcaspien (1881-1889), le « plus long transcontinental du monde à son achèvement » 271 , eut un impact bénéfique sur le développement de tout le Turkestan, y compris le nord-est de la Perse. La région entra sur le marché international et les importations et les exportations s'intensifièrent. En 1882, le Comité de bourse de la foire de Nijni Novgorod élabora une série de mesures afin de canaliser le commerce entre le nord-est de la Perse et la Russie par le nouveau chemin de fer. Ce type de mesures portait un coup important aux marchands et au commerce anglais dans la région 272 .

      Deux ans après la prise de Merv (1886), le chemin de fer Transcaspien atteignait déjà la ville et sera prolongé jusqu'à Samarkand (1888) et Kouchka. Ainsi, la longueur totale des voies ferrées de Turkestan, du port turkmène Ozoun-Ada (golfe de Mikhaïlov) sur la rive orientale caspienne à la ville ouzbèk d'Andijan, atteignit 2 368 verstes 273 . En 1896, un tronçon arriva à Krasnovodsk qui transforma la ville en un « important point sur la route reliait l'Europe à l'Asie » 274 . Même les Anglais pouvaient envier la rapidité et l'échelle de la colonisation russe des nouveaux territoires.

      Ainsi, le Transcaspien eut une importance stratégique. Il accéléra le processus aussi bien d'intégration économique du Turkestan à la Russie, que de colonisation ultérieure, notamment, par le biais de la mise en valeur des terres non irriguées qui attira des milliers de nouveaux colons russes. L'intérêt militaire de la construction ferroviaire fut également non négligeable, notamment pour le déplacement des troupes. L'importance pour la Russie du Transcaspien et de l'Asie centrale en général fut soulignée une fois de plus par Alexandre III peu avant sa mort : « Il faut être utopiste pour supposer que je ferai la guerre dans un but qui ne répondrait pas aux sacrifices consentis. L'avenir de la Russie en Asie centrale est marqué par la Providence, et son accomplissement est assuré, même sans moyens violents » 275 .

      Dans ces circonstances, la gouvernance de la région de la rive occidentale montra vite ses inconvénients et ses limites. En 1890, la région Transcaspienne fut séparée du Caucase et placée directement sous l'autorité du Ministre de la Guerre. À la fin du siècle, elle, comme le Semiretchie, fut rattachée au gouvernement général du Turkestan.

      Les Turkmènes ne s'investirent pas dans la première révolution russe, hormis quelques manifestations de cheminots de Kizyl-Arvat. Ils furent néanmoins influencés par le djadidisme 276  ouzbèk. La réforme de Stolypine déclencha une nouvelle vague de colons russes vers les périphéries de l'Empire, y compris l'Asie centrale, la colonie la plus « coloniale », selon l'expression de H. Carrère d'Encausse. La colonisation dépassa le « seuil tolérable » pour les populations autochtones en provoquant des révoltes nationales contre la présence russe 277 .

      En 1916, les tribus turkmènes entreprirent des attaques contre Khiva, chef -lieu d'un protectorat russe, qui s'achèveront dans de violentes représailles. Dans ces conditions défavorables, le décret rendu par Nicolas II prévoyant la mobilisation de la population mâle de dix-huit à quarante-cinq ans dans des bataillons de travailleurs versa de l'huile sur le feu. Des émeutes antirusses et anti-gouvernementales se répandirent dans toute l'Asie centrale en provoquant le massacre de plus de trois mille colons, fonctionnaires et soldats russes 278 .

      Le nombre de victimes autochtones fut beaucoup plus élevé. Dans la région Transcaspienne, une partie des tribus trouva un compromis avec les autorités tsaristes. Les autres prirent le chemin du combat ou trouvèrent refuge en Perse et en Afghanistan. C'était le début du mouvement antirusse, puis anti-bolchevique. Sur la vague de la Révolution de Février, le gouvernement provisoire, pour la première fois, se prononça pour l'autonomie du Turkestan. Ce projet suscita de vifs débats lors du 1er Congrès des Soviets des députés ouvriers et soldats du Turkestan (7-15 avril 1917). L'idée fut farouchement critiquée par les Bolcheviks qui estimaient que les musulmans locaux n'étaient pas encore assez développés culturellement pour obtenir une autonomie 279 .

      


C. – Le caractère de la colonisation russe

      

      A. Woeikof distingua trois types de possessions outre-mer des puissances européennes du début du 20e siècle :

      les exploitations (le nombre d'Européens sédentaires est très réduit) ;

      les colonies (peuplées majoritairement d'Européens) ;

      les possessions intermédiaires entre les deux premières.

      

      Selon lui, le Turkestan russe fait partie du dernier type : les indigènes sont majoritaires, mais les colons européens, encore peu nombreux mais sédentarisés, font partie du paysage local, sont implantés dans les villes comme à la campagne et leurs communautés ont tendance à s'accroître 280 .

      Dès le début de la colonisation des territoires transcaspiens, le gouvernement tsariste se heurta aux difficultés liées à l'annexion des nouveaux territoires par une force militaire brutale. Très vite, la politique de conquête devint plus prudente et plus « diplomatique ». Les prétentions de la Perse sur les terres turkmènes et la pression des khanats de Khiva et de Boukhara poussèrent une partie des anciens des tribus turkmènes à devenir volontairement les sujets du tsar Blanc 281 . Ce fut le général Komarov qui convainquit quatre khans et vingt-quatre chefs de grandes familles turkmènes de demander la citoyenneté russe 282 . Seulement, les Turkmènes ne considéraient pas leur rattachement et assujettissement à la Russie comme une soumission totale, mais comme une sorte de vassalité avec conservation de certains droits et traditions. En 1850, on estima qu'environ 115 000 Turkmènes furent assujettis à leur demande 283 .

      Par opposition aux autres régions d'Asie centrale, la conquête russe de l'aire turkmène se heurta à certaines particularités locales. Contrairement à leurs voisins turcophones, la plupart des Turkmènes étaient nomades et ne possédaient pas de « noyaux sédentaires et agricoles solides » 284 . L'espace géopolitique de peuplement turkmène était très étendu avec des limites floues. Il se présentait sous forme d'oasis dispersés typiques. Seule une partie des Turkmènes était sédentarisé dans ces oasis peu nombreux composés de kibitkas qui se déplaçaient en fonction des saisons. Enfin, le peuple turkmène fut divisé en plusieurs tribus (Iomoudes, Tekke, Tokhtamyches, Otamyches, Saryks, Salores) dont les territoires furent contrôlés par la Perse, par les khanats de Khiva et de Boukhara, par des chefs et clans locaux en constante guerre les uns avec les autres.

      La particularité de la conquête du Turkménistan repose sur une farouche opposition armée de quelques tribus turkmènes aux Russes, avec un certain succès, à la différence de leurs voisins turcophones. La résistance turkmène coûta la vie de quelque 26 500 personnes 285  dont plus de la moitié périrent à Guéok-Tepe. Selon le géographe russe A. Woeikof, la fierté et le sentiment de liberté des Turcomans (Turkmènes) suscitèrent malgré tout une sympathie de la part des officiers russes et ils réussirent même à tirer beaucoup d'avantages de la conquête russe 286 . C'est sans doute parce qu'ils étaient bons guerriers que seuls les Turkmènes furent autorisés à être recrutés dans l'armée russe parmi les peuples centrasiatiques 287 . En effet, parmi les turcophones centrasiatiques, les Turkmènes représentaient l'« élément le plus conservateur et ont affirmé leur identité dans la persistance d'un comportement agressif et conflictuel avec leurs voisins sédentaires » 288 .

      Le gouvernement tsariste au Turkménistan avait un caractère militaro-colonial et capitaliste. Autrement dit, l'occupation russe était « conçue comme une exploitation aussi systématique que possible des richesses et se fondait sur l'assujettissement des indigènes, tenus par quelques fonctionnaires et une poignée de soldats » 289 . L'Empire russe s'investit pleinement dans la colonisation postérieure des terres transcaspiennes après celles de la Transcaucasie et du Kazakhstan. Après la défaite militaire en Crimée, le gouvernement impérial, poussé par le clan des « va-t'en-guerre » des dirigeants militaires et de l'aristocratie, chercha des compensations pour restaurer le prestige de l'Empire, notamment face aux puissances coloniales occidentales 290 .

      Cependant, les Russes s'efforçaient d'être prudents en ce qui concernait les habitudes et coutumes ancestrales locales. La nécessité de conserver l'ordre traditionnel turkmènes établi fut soulignée par plusieurs auteurs militaires : « Tout changement et transformation de l'ordre et des coutumes par l'introduction des lois russes dans ce nouveau territoire est complètement superflu du point de vue de l'obtention de bons résultats, car ce que ce peuple primitif apprécie le plus dans les vainqueurs est la justice et la permission de conserver ses coutumes séculaires » 291 . De surcroît, devant le choix entre la domination anglaise ou russe, les turcophones donnaient la préférence plutôt aux Russes avec lesquels ils se sentaient plus d'affinités. Par rapport à l'Angleterre, les relations commerciales avec la Russie étaient plus intenses et durables. Enfin, la composante touranienne représentait une des parties constituantes de l'ethnie russe qui facilitait la communication. Ces facteurs favorisèrent la relative assimilation avec les Russes, « tandis que la civilisation anglo-saxonne restait pour eux à une hauteur absolument inaccessible » 292 .

      La création du département Transcaspien facilita la pénétration du capital russe et étranger dans la région qui, en premier lieu, devait servir de base à la création de l'outil de production des matières premières pour l'industrie russe. Les terres turkmènes entrèrent peu à peu dans le système économique de l'Empire, qui contribua au développement économique et culturel des tribus turkmènes, notamment après la construction du chemin de fer reliant la région au reste de l'Empire. Les industriels russes (Maroutine, Dourasov et autres), ainsi qu'étrangers (Les frères Nobel) furent particulièrement intéressés par les richesses poissonneuses, pétrolières (île Tcheleken) et minières de ces territoires, et par la production du coton. À la fin du 19e siècle, l'Asie centrale satisfaisait déjà près des 2/5ème des besoins russes en coton 293 . La domination au Turkménistan contribua au renforcement des liens russo-centrasiatiques, notamment, dans le domaine du commerce.

      En ce qui concernait les Kazakhs, ils furent largement poussés en avant par les intellectuels formés en Russie qui inaugurèrent une « politique de collaboration constructive qui devait établir l'égalité entre occupants et occupés » 294 . Cette politique a donné des fruits jusqu'à l'afflux massif des paysans russes et ukrainiens, qui débuta de la dernière décennie du 19e siècle jusqu'à la Première Guerre mondiale.

      Comme pour la plupart des anciennes républiques soviétiques, la science historique kazakhstanaise s'interroge beaucoup sur la question du rattachement à la Russie et de son « imminence» 295 . Si aux époques impériale et soviétique on parlait principalement des côtés positifs et progressifs de cet événement politique ancien, à la période post-soviétique, au contraire, on révèle souvent ses effets négatifs. Les Kazakhs se sont constitués en nation pendant la période d'histoire commune avec la Russie. La question qui se pose est la suivante : Les Kazakhs pourraient-ils exister de nos jours en tant que peuple autonome avec un si vaste territoire et avec notamment un voisinage aussi redoutable que la Chine ? Tomber sous la domination chinoise, signifierait le partage du destin des Ouïgours ou encore des Tibétains. À notre sens, il faut traiter sous cet angle les côtés positifs du rattachement/colonisation des steppes kazakhes. Certes, l'Empire russe ne se souciait pas spécialement des problèmes de préservation de l'ethnie kazakhe, on peut même dire le contraire, mais les faiblesses et les spécificités de sa politique orientale aboutirent inconsciemment à de tels résultats.

      

      

      CONCLUSION

      

      La domination sur le Caucase et la Caspienne facilita la conquête et la colonisation du Turkestan. D'une suprématie maritime, l'Empire russe passa à la domination terrestre. L'aire des Turkmènes, considérée comme une région marginale parmi l'ensemble des intérêts géopolitiques russes de cette époque, fut la dernière province centrasiatique à être soumise à l'autorité du tsar. Par sa conquête, l'Empire russe acheva son avancée en Asie centrale. Une partie importante des tribus turkmènes se placèrent volontairement sous la tutelle du tsar à l'exemple des tribus kazakhes qui avaient effectué cette démarche dès 1667.

      L'élargissement des possessions de l'Empire russe sur le compte de la Transcaucasie et de l'Asie centrale devint une question internationale. En effet, la présence anglaise en Inde arrêta l'avance russe à la frontière méridionale de l'Asie centrale avec la Perse et l'Afghanistan. À la différence de la Transcaucasie, qui fut arrachée à la Perse, l'Asie centrale fut conquise par des guerres plutôt coloniales contre les autochtones. Ainsi l'Empire orthodoxe s'interposa entre les mondes turc et persan qui ont partagé cette vaste région durant des siècles. À la fin du 19e siècle, suite à la conquête de la Transcaspienne, il se produit également une division définitive de l'ethnie turkmène entre l'Empire russe et la Perse qui condamna à l'assimilation forcée les Turkmènes sujets persans/iraniens.

      En dépit de toutes les contradictions existantes du processus de rattachement/ colonisation des terres kazakhes, il ne s'avère pas objectif de présenter le développement des relations bilatérales comme une chaîne de tragédies pour l'ethnie kazakhe et pour sa culture nomade. Dans tout développement social, il existe rarement des résultats exclusivement négatifs. Le bilan représente toujours une combinaison de conséquences et de faits aussi bien positifs que négatifs.

      Avec l'achèvement de la conquête des rives occidentale et orientale de la Caspienne à la fin du 19e siècle, l'importance commerciale de la voie maritime Volga-Caspienne connut un nouvel essor. La construction des chemins de fer et d'autres infrastructures favorisèrent l'intégration économique au marché impérial des provinces acquises.

      Pour l'Empire russe, l'annexion de l'Asie centrale ne provoqua pas de sérieuses complications militaires indésirables, sans doute à cause de l'expérience mouvementée acquise pendant la conquête du Caucase. Une fois de plus dans son histoire, la Russie se déplaça et se concentra sur l'Asie pour compenser sa défaite en Europe ou pour satisfaire ses besoins d'expansion qui devenaient impossible en direction européenne. La Russie fit de nouveau la preuve de sa vocation d'Empire eurasiatique après avoir incorporé d'immenses territoires en Asie centrale et au-delà de la Sibérie.

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      


CHAPITRE III
APRÈS OCTOBRE 1917 : UNE NOUVELLE PAGE DE L'HISTOIRE DE LA RÉGION

      

      

      

      En conséquence de la Première Guerre mondiale, des révolutions russes et des mouvements de libération nationale, l'Empire russe se désintégra. Le renversement du gouvernement provisoire et le triomphe de la révolution prolétarienne d'octobre 1917 se répercutèrent presque immédiatement sur les périphéries de l'Empire et sur les territoires voisins.

      

      


§ 1. Les républiques caspiennes – partie intégrante de l'Union soviétique

      

      

      Dans l'histoire de la région, les trois républiques soviétiques apparues représentaient des formations étatiques nouvelles. Azéris, Kazakhs et Turkmènes eurent la possibilité de former des États nationaux sans toutefois constituer préalablement des nations au sens strict du terme. Certes, ils avaient leurs spécificités nationales, leurs traditions et leurs mœurs bien ancrées, mais ils n'avaient jamais été réunis dans des États nationaux. Le degré de leur unification différait également. Comme le nota M. Égretaud, dans le cas de plusieurs républiques d'Union soviétique, la « revendication de l'indépendance par un peuple, parfaitement légitime, précède son unification nationale, tout en la provoquant » 296 . C'est la Révolution d'Octobre qui offrit la possibilité de réaliser leurs rêves nationaux dans les plus brefs délais historiques. En d'autres termes, les nations en question « sont nées avec le régime socialiste » et, dans une certaine mesure, « grâce à lui » 297 . La « prise de conscience d'une individualité culturelle dans un empire multiconfessionnel » est également née avec l'imposition des Russes lors de la seconde moitié du 19e siècle 298 .

      Le choc causé par la Révolution bolchevique fit naître un mouvement de pensée dite eurasienne avec pour objet la Russie et son entourage proche dans lequel les territoires situés autour de la Caspienne avaient une place centrale. Les intellectuels fondateurs de ce courant de pensée se demandaient comment ménager l'avenir de leur patrie perdue après le bouleversement d'Octobre et la Guerre civile qui s'en suivit.

      


A. – La naissance de la pensée eurasienne

      

      Le mouvement eurasiste naquit à Sofia par la parution de l'ouvrage programmatique La sortie vers l'Orient (1921). Dès sa naissance, l'eurasisme fut une conception patriotique basée sur l'Idée nationale russe, sur l'orthodoxie et sur un pouvoir d'État fort. On peut dire que l'eurasisme est le fruit des discussions et des débats entre occidentalistes et slavophiles. Né au sein de la première vague de l'émigration russe dans les années 1920-30, les eurasistes élaborèrent un discours politique basé sur la conception selon laquelle la culture russe n'est pas un phénomène européen. Selon leur doctrine, entre Occident et Orient, il existe un troisième continent appelé « Eurasie » qui s'identifie avec le territoire de l'Empire russe puis de l'Union soviétique.

      Cependant, les eurasistes russes de l'émigration redonnent un sens géopolitique au terme géographique « Eurasie » en introduisant la notion de « Russie-Eurasie ». Celle-ci se distingue par sa culture originale, fruit de la symbiose unique des cultures slave, turque et finno-ougrienne. Ainsi, ils cherchent à isoler la Russie de l'Europe comme de l'Asie. Les eurasistes s'attachent à expliquer « scientifiquement » l'unicité de l'espace russe dans les limites de l'ancien Empire. De nombreuses études furent réalisées pour tirer les arguments nécessaires afin de justifier le premier postulat de la nouvelle doctrine. À cette fin, ils engagèrent une révision de l'histoire des peuples de Russie. Dans ce contexte, un recours à leurs domaines scientifiques initiaux – l'histoire, la géographie, l'ethnographie, la linguistique, l'ethnopsychologie – se révéla indispensable 299 .

      Dans ce contexte, une nouvelle approche fut élaborée concernant les périphéries asiatiques de l'Empire russe, notamment l'Asie centrale, et sur leur place dans le système des relations entre la Russie et l'Orient. C'était la première tentative d'interprétation et de valorisation du rôle et de l'importance du joug mongol dans l'histoire russe. Les eurasistes furent également les premiers qui considéraient le monde nomadique turc comme un des composants non seulement de l'histoire de la Russie, mais également de l'ethnie russe proprement dite. Ils iront jusqu'à l'exaltation du joug mongol en revisitant la thèse enracinée dans la science historique russe selon laquelle le joug mongol était une catastrophe pour la Russie. Ainsi, les eurasistes démontrèrent assidûment que les invasions mongoles ne représentaient pas un désastre subversif. Le résonnement était simple : si la Russie avait été envahie par les occidentaux ou les barbares turcs, le peuple russe n'aurait plus existé. À l'opposé, les Tatars se montrèrent tolérants par rapport aux autres cultures et religions. Grâce à cette tolérance, les Russes ont pu conserver leur identité, leur croyance, donc leur esprit national.

      Enfin, ce sont les terres passées sous la dominance de la Horde d'Or qui par la suite sont devenues le noyau de l'empire continental russe. Loin de constituer l'idéologie officielle de la Russie, l'eurasisme permit d'élaborer une « nouvelle grille de lecture de l'histoire russe : les khans mongols ne sont désormais plus anonymes » 300 . Malgré les slogans et les appels criants des eurasistes concernant le facteur touranien dans la culture de la Russie-Eurasie, on ne trouve bizarrement dans leurs œuvres aucune adresse aux grands penseurs centrasiatiques d'origine turque et persane. La seule référence touranienne est sans doute Gengis Khan.

      G. Vernadski estima que le peuple russe a reçu deux héritages historiques riches : l'un avait byzantin, venant de l'Europe et couronné par la création d'un État orthodoxe, et l'autre mongol, venant de l'Asie, qui donna naissance à l'État eurasien 301 . La culture eurasienne est la synthèse du byzantinisme et des cultures orientales (en premier lieu touranienne) pénétrées des steppes. Il interprète toute l'histoire de la Russie-Eurasie comme la lutte de la Forêt (des Slaves sédentaires habitant dans la zone forestière) contre la Steppe (des nomades venant de l'Altaï). Comme le remarqua N. Berdiaev, l'eurocentrisme a été remplacé par un autre centrisme, l'asiocentrisme, opposé au premier 302 .

      

      

      L'élément orthodoxe russe joua également un rôle fondamental dans la philosophie eurasiste. C'est pourquoi les idées des premiers eurasistes sont orientées vers un État orthodoxe puissant. Pour trouver une idéologie basée sur la « vérité absolue », les eurasistes se tournent vers la religion. En tant que confession, l'orthodoxie, la « seule confession pure et suprême », est placée au-dessus des autres religions existantes dans l'Eurasie. Le reste (catholicisme et protestantisme) est de l'hérésie ou bien du paganisme (islam, bouddhisme, brahmanisme, etc.). Mais, avec le temps, le paganisme peut se développer et se transformer en orthodoxie : « Le paganisme est l'orthodoxie potentielle » 303 . Pour P. Savitski, le fondateur de l'école géopolitique russe, les « Eurasiens sont orthodoxes » 304 . Tout cela n'est rien d'autres qu'un « fondamentalisme orthodoxe » 305 .

      Les intellectuels de l'émigration, qui partageaient les idées eurasistes, s'unirent sur la thèse majeure de l'eurasisme : la Russe ne fait pas partie de l'Europe et représente une civilisation originale, à part entière, ni occidentale ni sous-développée ou arriérée, longtemps ignorée par le régime monarchique (tsariste) qui prenait toujours le cap de l'occidentalisation. Dans cette optique, la critique de la civilisation romano-germanique avec ses ambitions de s'imposer aux autres cultures en tant que système universel occupe une place centrale dans les réflexions des eurasistes. L'européanisation est considérée comme le « mal absolu pour tout autre peuple non romano-germanique » 306 . Autrement dit, la Russie a sa propre voie de développement qui diffère sensiblement de celle de l'Occident. Ces voies sont séparées depuis longtemps et remontent au grand schisme de 1054, où l'église orthodoxe rompit ses liens avec la latinité. Ainsi, pour la civilisation eurasienne, aucune fusion ne peut exister avec le monde occidental. En revanche, les eurasistes firent valoir les facteurs historiques, géographiques et les liens ethnoculturels de la Russie avec ses voisins orientaux. Selon eux, la nouvelle idée eurasienne est appelée à « souder » les peuples habitant l'espace eurasien depuis l'antiquité.

      

      

      Selon la vision eurasiste, l'unité culturelle est la conséquence de l'entité géographique. L'histoire et l'espace sont deux catégories dissociées qui créent ensemble le lieu du développement, la topogenèse (mestorazvitie), une des idées clés de l'eurasisme. Chaque peuple a son modèle de développement, son temps et se réalise dans son espace géographique. Aucun « lieu de développement » ne peut prétendre devenir universel, encore moins obligatoire, pour les autres.

      Les observations des eurasistes amènent à la conclusion selon laquelle toute l'histoire de l'Eurasie est marquée par des tendances d'unification politique et culturelle et par des tentatives successives pour créer un État commun eurasien sous les drapeaux turcs, mongols et russes. Unifier l'Eurasie signifiait dominer à la fois la Steppe et la Forêt. Les Mongols avec Gengis Khan à leur tête réussirent à le réaliser et transmettre ce « monopole » à la Moscovie. Ainsi, durant des siècles, la Russie se chargea de la conquête et de la pacification successive des territoires eurasiens. Cette unification de l'espace eurasien supposait un pouvoir central fort, une idée chère à tous les eurasistes. L'Empire mongol servit d'exemple parfait d'un État puissant centralisé pour l'Empire russe. C'est pourquoi Troubetskoï méprisait la démocratie 307 , invention des occidentaux. Il admira la domination tataro-mongole et salua, dans une certaine mesure, les régimes à parti unique : la Russie soviétique et l'Italie fasciste. Il en découle que l'idéal des eurasistes n'est pas l'État classique dans le sens occidental, mais l'Empire. Selon l'expression de P. Savitski, l'eurasisme est une théorie de l'« impérialisme sain » 308 . Ainsi, comme le souligne M. Laruelle, le « perspective finale du mouvement reste la justification de l'Empire » 309 .

      En exil, les eurasistes soulignèrent l'importance particulière de la Révolution russe, car avec la création de l'Union soviétique les Bolcheviks restaurèrent l'Eurasie dans ses frontières et adoptèrent la politique de confrontation avec l'Occident. La position pro-bolchevique des eurasistes se manifesta clairement après la parution à Paris du journal L'Eurasie (1926). Sur les pages de ce journal, les eurasistes reconnurent malgré tout l'URSS comme une forme historique de développement de la Russie. Cependant, les sympathies n'étaient pas réciproques. L'idéologie communiste ne tolérait aucun pluralisme, aucune

      

      coexistance avec des idées autres que marxistes. Ainsi, les idées de l'eurasisme restèrent non exploitées.

      L'eurasisme classique était plein de contradictions. Les premiers eurasistes russes ne réussirent pas à « synthétiser » l'Europe et l'Asie, l'Ouest et l'Est. Le temps montra que la thèse de l'existence de la nation eurasienne unie (superethnie chez L. Goumiliov, le peuple soviétique en ex-URSS), qui était à la base de l'eurasisme, n'était qu'une théorie idéaliste et romantique. Au début des années 1930, le schisme, les divergences d'opinions politiques et les répressions à l'égard du mouvement furent à l'origine de la marginalisation, voire de la quasi-disparition de la scène historique de cette idée socio-philosophique. N. Troubetskoï constata même que le « destin de l'eurasisme est l'histoire d'un échec spirituel ». L'eurasisme a disparu pour renaître avec le processus de démembrement de l'Union soviétique sous la forme de différents courants néo-eurasistes où la voix des « composants asiatiques » de l'Eurasie sera enfin entendue.

      


B. – L'Azerbaïdjan : une république particulièrement visée par le Centre soviétique

      

      Dès leur soviétisation, l'Azerbaïdjan, l'Arménie et la Géorgie devinrent des républiques fédérées, d'apparence souveraines. Selon les indications et sous la pression de Moscou, ils créèrent ensemble la République Soviétique Fédérative Socialiste de Transcaucasie (le 12 mars 1922), qui disparut en 1936. En décembre 1922, cette Fédération participa à la création de l'URSS au même titre que l'Ukraine, la Biélorussie et la Fédération de Russie.

      Le territoire azerbaïdjanais était particulièrement visé par le centre soviétique par rapport à ses deux voisines l'Arménie et la Géorgie. Une série d'atouts conditionna l'intérêt élevé de Moscou envers l'Azerbaïdjan.

      Premièrement, son appartenance au monde musulman ouvrait des horizons pour la diffusion des idées communistes parmi les coreligionnaires de l'Orient. Autrement dit, les Azéris devaient servir d'« agents de l'aggiornamento de l'islam soviétique » 310 . Cette idée était très chère aux Bolcheviks obsédés par la Révolution mondiale. Ce ne fut pas par hasard que Bakou fut choisi comme lieu du 1er Congrès des peuples d'Orient (1er-8 septembre, 1920). La majorité des délégués des 38 pays participants vinrent de Turquie et de Perse, ce qui démontrait bien les futures cibles à viser.

      Deuxièmement, être « frères de race » des Turcs, sur qui les Soviets plaçaient beaucoup d'espoirs dans l'exportation de la révolution, représentait un autre atout. En 1919, à Bakou, fut créé le Parti communiste de Turquie n'ayant de « communiste que le nom » 311 . En réalité, il servait aux Kémalistes d'important instrument de rapprochement avec Moscou et de camouflage des idées pan-turkistes.

      Enfin, les immenses richesses des sous-sols en pétrole valorisaient également l'importance primordiale du territoire azerbaïdjanais pour la Russie soviétique. Grâce à ces avantages incontestables, l'Azerbaïdjan soviétisé arriva à obtenir le soutien de Moscou pour élargir les limites de son territoire fraîchement définies au détriment de l'Arménie. Il s'agit du Nakhitchevan et du Haut-Karabakh. Ces territoires, acquis sur la vague de la naissance de l'Union soviétique, seront remis en cause avec l'agonie de cette dernière à la fin du 20e siècle. Ainsi, l'Azerbaïdjan, « fenêtre ouverte sur la révolution dans l'Orient musulman » 312 , devint, « par la force des choses, un carrefour majeur d'idées et de manières de voir » 313 . Il profita largement du rôle qui lui était attribué par Moscou.

      Une fois l'Azerbaïdjan soviétisé, le centre soviétique commença à mettre en place un mécanisme de contrôle, notamment, par la politique des cadres. Ainsi, en 1925, le nombre de communistes d'origine russe en Transcaucasie s'élevait à 10 245 dont 7 795 en Azerbaïdjan, 2 255 en Géorgie et 195 en Arménie. Seuls 43 % (47 % en 1923) des membres du parti communiste (« force dirigeante et guidante ») d'Azerbaïdjan étaient des cadres « nationaux » contre 93 % en Arménie et 71 % en Géorgie 314 . Ce phénomène était dû à l'afflux de cadres communistes non originaires d'Azerbaïdjan, notamment d'origine russe et arménienne 315 . Le but poursuivi était d'assurer l'enracinement de l'ordre et des lois soviétiques dans cette région multiethnique et stratégique au détriment des intérêts purement nationaux d'un seul groupe ethnique. On peut se demander si, dans un certain sens, cela ne représentait pas pour les

      

      Azéris le prix à payer pour l'incorporation des territoires historiques arméniens à l'Azerbaïdjan, sous les bons auspices de Moscou.

      Pendant les années de répression stalinienne, l'Azerbaïdjan subit le même sort que ses républiques sœurs. Moscou utilisa habilement la lutte contre le trotskisme pour liquider les nationalistes locaux. Plusieurs personnes furent accusées de liens avec le parti Moussavat qui avait été à l'origine de la République Démocratique d'Azerbaïdjan (1918-1920). À la veille de la Seconde Guerre mondiale, on ne trouvait au pouvoir aucun communiste indigène qui ait participé à la soviétisation du pays 316 . Pour éviter les purges, environ 50 à 60 000 Azéris partirent pour l'Iran entre 1936 et 1938. Parmi eux un certain nombre d'agents soviétiques s'infiltra en Azerbaïdjan iranien pour jouer ultérieurement un rôle important dans le mouvement indépendantiste azéri dans la première moitié des années 1940.

      Pendant la Seconde Guerre mondiale, l'Allemagne nazie projetait également, parmi ses objectifs majeurs, l'occupation du Caucase (régions de Groznyï et de Bakou) notamment pour ses richesses en pétrole, primordiales à la poursuite de la guerre. L'armée allemande fut arrêtée devant le piémont du Caucase. De même, sa tentative de couper l'acheminement du pétrole par la Volga échoua après la défaite écrasante de Stalingrad. Lors des cinq années de la Grande Guerre patriotique, l'Azerbaïdjan produisit 70 à 75 % du pétrole soviétique et de 85 à 90 % des huiles de graissage et du kérosène pour les avions 317 . La production du pétrole culmina en 1943 avec 23 millions de tonnes 318 .

      En 1944, en pleine guerre, Staline fit des amendements constitutionnels donnant notamment le droit aux Républiques soviétiques d'entrer en relations directes avec les pays étrangers. Par ces mesures, Staline désirait vainement obtenir des sièges supplémentaires à l'ONU. En fin de compte, cela ne concerna que l'Ukraine et la Biélorussie, et n'aura presque aucun impact sur les républiques caspiennes.

      Après la Seconde Guerre mondiale, les principales activités de prospection et d'exploration de pétrole furent déplacées dans la moyenne Volga, l'Oural et la Sibérie à la suite de la découverte de nouveaux champs pétrolifères 319 . Le coût d'extraction était de surcroît moins élevé dans ces régions. En conséquence, l'importance du pétrole azerbaïdjanais

      dans l'économie soviétique devint plus que négligeable à la fin du règne de Brejnev. La production de naphte azerbaïdjanais diminua jusqu'à une proportion de 8,8 % au milieu des années 1960 320  et de 2 % en 1992 (2,5 % en 1990) 321 . La Caspienne attirait désormais l'attention des bureaucrates du Kremlin plutôt pour l'esturgeon qui nécessitait des mesures de préservation de l'environnement au détriment du développement du secteur pétrolier.

      


C. – Les républiques caspiennes centrasiatiques sous le régime soviétique

      

      Le pouvoir bolchevique préparait une invasion vers le sud sur deux fronts : en Transcaucasie et au Turkestan. Le rôle-clé fut réservé à la flotte navale Volga-Caspienne sous le commandement de Raskolnikov.

      Une partie des Turkmènes s'inquiétèrent des retentissements de la Révolution d'Octobre sur leur territoire. Certains d'entre eux coopérèrent avec les socialistes révolutionnaires russes dans la lutte contre l'instauration du pouvoir communiste au Turkménistan, en particulier à Achkhabad où le pouvoir était passé dans les mains des commissaires du peuple et de la Garde Rouge fraîchement constituée (décembre 1917).

      Les Britanniques débarquèrent dans le port de Krasnovodsk comme à Bakou et dans les ports persans. L'importance de la rive turkmène qui ouvrait la route vers l'Asie centrale était également non négligeable. Le général anglais Malleson formula ainsi les buts stratégiques à atteindre : « S'assurer le chemin de fer d'Asie centrale et, s'il est possible, toute la navigation sur la mer Caspienne » 322 . La Couronne poursuivait deux buts majeurs : empêcher les Turcs et les Allemands d'avancer et de menacer l'Empire des Indes et éloigner les Russes de la région, notamment des puits pétroliers indispensables pour la flotte britannique qui était passée du charbon au pétrole depuis 1912 323 .

      En février 1920, les basmatchs 324  et les forces interventionnistes furent chassés du Turkménistan par l'Armée Rouge sous le commandement de Frounze 325 . Le Turkménistan devint une République autonome au sein de la RSFSR. Les accrochages turkméno-ouzbèks,

      

      notamment à Khiva, empêchèrent les opposants du régime bolchevique d'organiser une résistance commune. L'accord commun de 1924 fut retardé. Le dernier combat entre les Bolcheviks et les Turkmènes dirigés par Junaid Khan eut lieu en 1927. Après la défaite, ce dernier avec ses partisans s'exila en Afghanistan en se résignant ainsi à la soviétisation définitive du Turkménistan.

      L'émancipation des « Turkmènes russes » et la création d'une formation étatique portant le nom des Turkmènes amena le gouvernement persan à écraser toute manifestation du nationalisme turkmène et à affirmer une fois pour toute sa domination. Pendant la période de la domination anglaise, un mouvement autonomiste surgit au Turkménistan du Sud dont le leader Osman Akhund aspirait à créer un État turkmène indépendant. Une Assemblée constituante devait définir et négocier avec les autorités persanes les frontières du futur État turkmène. En 1924, sur 200 000 m², fut proclamée la République du Turkménistan du Sud.

      En l'absence d'aide extérieure, la république autoproclamée ne put résister à l'avancée de l'armée régulière iranienne et tomba deux ans plus tard. Les leaders des indépendantistes, Osman Akhund y compris, se réfugièrent en URSS et furent arrêtés par les Bolcheviks. Téhéran déploya des répressions sévères à l'encontre des activistes turkmènes. Ils furent arrêtés et traités comme des criminels de guerre. Les écoles d'enseignement en langue turkmène furent fermées. Le farsi devint obligatoire pour la population turcophone. Le gouvernement imposa même l'interdiction de porter les vêtements nationaux 326 .

      En 1924, les Turkmènes du Nord se réunirent en un État souverain sous le nom de République socialiste soviétique de Turkménie, après avoir fait partie du Turkestan depuis 1921 sous la forme d'une région autonome. Ce fut la première formation étatique de l'histoire qui réunit les Turkmènes. En août 1920, fut également créée la première structure nationale du peuple kazakh : la République autonome kirghize qui, en 1925, reçut la dénomination « kazakhe ». En 1936, elle se transforma en une république fédérée.

      Dès la création de l'URSS, les trois républiques caspiennes, comme d'ailleurs les autres sujets de l'Union, étaient dépendantes de la Russie. Pour sortir de leur état arriéré et de leur extrême pauvreté, elles avaient besoin d'énormes investissements que seul Moscou était capable d'accorder. Dans les années 1920-1930, une partie considérable des budgets des républiques soviétiques centrasiatiques fut couverte par des subventions venant du budget de la Fédération de Russie (RSFSR). Par exemple, entre 1924 et 1929, 46,5 à 79,9 % de leurs dépenses étaient payées par la Russie 327 . Sous le régime soviétique, l'Asie centrale connut sans aucun doute une progression économique et culturelle spectaculaire. Or, le prix payé était cher.

      L'incorporation des terres turkmènes à l'Empire russe, leur soviétisation ultérieure accélérée par l'arrivée de populations dites russophones, fit naître sur le sol turkmène les premières institutions étatiques de type « européen ». Elles détruisirent l'élite nationale traditionnelle sans toutefois réussir à éradiquer complètement les particularités tribales. Elles firent désormais partie de cette nouvelle forme d'État, à caractéristique unitaire immédiate, qui sera marqué par une constance « enviable » même à l'époque post-soviétique.

      Sous l'influence russe, des changements profonds se produisirent dans la « société ethnique des Turkmènes ». Selon le chercheur turkmène Ch. Kadyrov, elle n'est qu'une fédération de tribus apparentées dans lesquelles, lors du développement historique, se sont formées d'importantes différences sur le plan social et psychologique. Parmi les composants de cette société, l'auteur distingue les Turkmènes européanisés ou les Euroturkmènes 328 .

      En effet, il ne s'agit pas d'une influence européenne directe. C'est l'influence russe qui a été perçue comme européenne. Les jeunes Turkmènes issus des élites tribales s'initièrent à la culture européenne proprement dite via la culture et les centres universitaires russes (Saint-Pétersbourg, Kazan, Orenbourg, Tachkent). Ces écoles russes et russo-turkmènes du pays où « se forgèrent » non seulement les enfants des notables locaux, mais également ceux d'une échelle hiérarchique plus basse, jouèrent le plus grand rôle dans la formation des Euroturkmènes.

      Le pouvoir de Moscou s'appuya, en premier lieu, sur ces éléments de la société turkmène pour réaliser la soviétisation du Turkménistan. Les représentants de cette génération de Turkmènes, éduqués dans les établissements scolaires et universitaires de la Russie tsariste, deviendront les cibles « privilégiés » des purges staliniennes. La nouvelle génération des Euroturkmènes se forma après la révolution d'Octobre sur la base idéologique bolchevique et communiste. Comme dans la plupart des républiques, la russification des cadres dirigeants fut très progressive. Les faibles tentatives d'émancipation nationale furent condamnées à l'échec, comme, par exemple, en 1958 quand le Premier secrétaire du Parti communiste fut accusé d'indigénisation du gouvernement turkmène 329 .

      Malgré une certaine réussite dans la réunion des différentes tribus turkmènes en une seule « nation socialiste », le tribalisme est toujours présent dans la société turkmène. Au début même du 21e siècle, les spécialistes turkmènes sont enclins à considérer chaque tribu turkmène « comme une sous-population par rapport à la nation en général » 330 .

      À l'ère soviétique, la République, à l'instar de l'Ouzbékistan voisin, devint un des fournisseurs principaux de coton. Le choix forcé de la monoculture démontra la pérennité du système économique impérial tsariste qui considérait les colonies d'abord comme une source de matières premières. Le contenu de cette structure économique restait le même tandis que sa forme subit des changements considérables voire spectaculaires et souvent positifs. Les contreparties (développement industriel, campagne d'alphabétisation, augmentation rapide du niveau de vie, irrigation des terres vierges (certes, au détriment de l'environnement), etc.) servaient d'arguments devant justifier le choix.

      La sédentarisation forcée, la collectivisation, la famine et les répressions des années d'avant la Seconde Guerre mondiale laissèrent leurs empreintes dans la mémoire collective kazakhe. Les années de collectivisation de Staline furent à l'origine de la mort de 1,5 millions de Kazakhs. Selon J.-P. Roux, le recul démographique de l'ethnie kazakhe entre 1924 et 1939 s'élève à 869 000 hommes ce qui donne une décroissance absolue de 1 500 000 personnes 331 . Entre 1930 et 1932, quelque 1,3 millions de personnes quittèrent le pays pour l'étranger afin d'éviter les répressions. En conséquence, si en 1930 la république recensait 5 873 000 habitants, après trois ans ce chiffre baissa jusqu'à 2 493 000 332 . V. Fourniau avance le chiffre de trois millions pour la même période 333 . Il faut ajouter également dans ce décompte les morts pendant la famine des années 1930. Il convient néanmoins de prendre ces chiffres avec beaucoup de précautions.

      Il faut également souligner que les mesures répressives n'étaient pas exclusivement dirigées contre l'ethnie kazakhe. Tous les peuples habitant la république subirent le même sort, y compris les Russes et les Ukrainiens, comme, d'ailleurs, dans tous les autres sujets de l'Union.

      La russification à large échelle des territoires kazakhstanais changea sensiblement la géographie humaine de la deuxième plus grande république soviétique. En conséquence, l'usage de la langue kazakhe devint de moins en moins important de la part des Kazakhs eux-mêmes. Par exemple, à la veille de l'indépendance (1989), environ 30 % des Kazakhs ne maîtrisaient plus leur langue nationale 334 .

      Les 17-18 décembre 1986 à Alma-Ata et dans quelques autres grandes villes eurent lieu des manifestations de jeunes sous le slogan « le Kazakhstan aux Kazakhs » 335 . Elles se produisirent à la suite de la décision du Plénum du Comité central du Parti communiste du Kazakhstan qui nomma un certain Kolbine, d'origine russe, Premier secrétaire de la République. Cette nomination par Gorbatchev rompit la tradition en plaçant deux Russes à la tête d'une république nationale 336 . En effet, pendant plus de 40 ans au cours de la période soviétique, le Kazakhstan fit exception, car parmi les 21 dirigeants du Kazakhstan seul trois ont été d'origine kazakhe. Ces manifestations qui devenaient possibles sur la vague de la perestroïka furent sévèrement réprimées 337 . Cette réaction violente élaborée spécialement par le KGB et le Ministère des affaires intérieures ouvrit une liste des manifestations brutalement sanctionnées sous le régime de Gorbatchev. En fin de compte, les accusations de « nationalisme kazakh » du Politburo du PCUS qui justifiaient les actions de Moscou, furent ultérieurement reconnues comme erronées. C'est une « repentance » sans précédent dans l'histoire du Parti communiste.

      En ce qui concerne les Turkmènes de Sud, les autorités iraniennes menèrent une politique d'assimilation vis-à-vis des minorités nationales de confession musulmane. Les Turkmènes, à l'instar des Azéris, ont été privés du droit d'avoir leurs écoles nationales, d'étudier leur langue maternelle, etc. Le cas des Turkmènes sunnites était aggravé de surcroît par la différence confessionnelle avec les Iraniens chiites. Toute manifestation de l'identité nationale turcique fut sévèrement réprimée. La région subit un afflux de migrants persans qui visait l'iranisation de la région. Dans le cadre de cette politique d'État d'assimilation progressive, les terres fertiles appartenant auparavant aux Turkmènes furent redistribuées aux colons persans.

      La politique d'assimilation et de répression contre toute velléité nationaliste turkmène continua sous le régime islamique. Les premiers accrochages entre les Turkmènes et la Garde révolutionnaire eurent lieu le 11 février 1978. En janvier 1979, des intellectuels turkmènes créèrent le Village Council Center et le Centre Culturel Turkmène avec pour objectif de restaurer la propriété foncière appartenant aux Turkmènes et expropriée pendant la Révolution blanche en Iran 338 . Ce nouvel éveil national turkmène se solda de nouveau par un échec. Après une semaine d'affrontement armé entre le Comité révolutionnaire et les Turkmènes, le 8 février la résistance de ces derniers fut écrasée, plusieurs leaders assassinés et les autres arrêtés ou forcés à s'exiler. La Garde révolutionnaire prit les bâtiments du Village Council Center et du Centre Culturel Turkmène et toute activité nationaliste fut interdite. La vie culturelle turkmène (traditions, noces, folklore) fut réduite à néant. La révolution islamique conserva voire institutionnalisa la dominance exclusive de la culture persane pour toutes les minorités nationales, notamment pour les musulmans.

      

      

      CONCLUSION

      

      En 1917, l'Empire russe se désintégra. La région caspienne vit apparaître de nouvelles formations étatiques qui feront vite partie de l'Union soviétique pour s'émanciper avec son implosion. Pour la première fois dans leur histoire, Azéris, Kazakhs et Turkmènes se réunirent dans leurs propres États nationaux. À l'instar de leurs compatriotes soviétiques, les Turkmènes du Sud tentèrent de déployer un mouvement autonomiste qui se solda par de violentes répressions de la part des autorités iraniennes.

      Pris par la diffusion des idées et des mouvements révolutionnaires, les Bolcheviks fondèrent leurs espoirs en l'Azerbaïdjan qui devait servir d'exemple aux autres peuples d'Orient, notamment la Turquie. En contrepartie, l'Azerbaïdjan obtint un élargissement sensible de son territoire aux dépens de l'Arménie, ce qui déclenchera des hostilités violentes entre les deux pays après l'effondrement de l'URSS. La présence du pétrole constitua un autre atout de la république soviétique. Si pendant la Seconde Guerre mondiale, la part du pétrole azerbaïdjanais représentait les ¾ de la production soviétique, à la veille de la chute de l'URSS, cette part était devenue minime.

      La période soviétique marqua l'histoire des républiques caspiennes, d'une part, par la brutalité et les imperfections du système communiste, de l'autre, par ses opportunités uniques d'épanouissement culturel et de progression économique. Il est impossible de calculer la juste proportion des avantages et des inconvénients. Les peuples soviétiques, unifiés pour quelques décennies par une idéologie commune, ont partagé avec les Russes le même destin historique dans le cadre de l'Union soviétique.

      L'influence russe perçue comme européenne changea d'une manière spectaculaire le mode de vie des Kazakhs et des Turkmènes sans toutefois réussir à briser le tribalisme ancestral existant. La géographie humaine subit également des changements considérables, notamment au Kazakhstan.

      Enfin, sur la vague de la révolution, on voit apparaître l'eurasisme, un mouvement intellectuel de l'émigration russe. Les eurasistes essayèrent de comprendre le passé lointain et récent de leur patrie ainsi que d'ébaucher son futur. Ils tentèrent d'expliquer et de justifier les prétentions de la Russie sur ses périphéries, notamment asiatiques. Pour la première fois dans l'historiographie russe on valorisa le joug mongol et tenta de démontrer scientifiquement que le monde nomadique turc représente une partie intégrante aussi bien de l'histoire que de l'ethnie russe. Les ambitions et les tentatives des eurasistes de faire de leur idéologie la philosophie officielle de la Russie soviétique ne furent pas couronnées de succès.

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      


§ 2. La restructuration des relations russo-/soviéto-iraniennes

      

      Après la victoire de la révolution d'Octobre, les Bolcheviks annulèrent toutes les alliances qui avaient entraîné la Russie dans la guerre et évacuèrent les troupes russes du territoire persan restant néanmoins dans l'attente de la « révolution mondiale » qui devait s'y produire.

      


A. – Les tentatives d'exportation de la révolution socialiste

      

      Pour son plein « épanouissement », la révolution russe ressentait le besoin de sortir de ses frontières, de s'étendre et de devenir universelle. Les Bolcheviks canalisèrent alors leurs efforts révolutionnaires en direction de l'Orient, en visant plus particulièrement la Turquie et la Perse. Cette dernière était prise dans un mouvement de libération contre les Anglais et pouvait donc être exposée facilement à l'importation de la révolution socialiste avec le soutien de l'Armée Rouge réputée être le « défenseur » des peuples et des classes opprimées. Compte tenu du fait que la Perse ne disposait plus d'une armée apte aux combats, le concours militaire de l'Armée Rouge pouvait être très à propos. La seule division prête à combattre était celle des Cosaques forte de quelque 10 mille fusils et sabres 339 . Ainsi, selon les dirigeants « rouges », un front oriental de la révolution mondiale pourrait être ouvert sur le territoire persan.

      Le 4 juin 1920, une éphémère République soviétique socialiste de Gilân apparut au nord de la Perse 340 . En mai de la même année, le port d'Enzeli fut pris par le corps expéditionnaire russe dont les objectifs principaux étaient de prêter secours à la République de Gilân, d'obliger les Anglais à se retirer et de chasser les Blancs qui y avaient trouvé refuge. Le journal Pravda titra même solennellement : « Mer Caspienne – mer soviétique » 341 .

      Moscou voulait suivre de près le développement de la situation politique en Perse et soutenir les communistes persans dans l'exportation de la révolution malgré les déclarations officielles qui prônaient que son objectif était le désarmement des bateaux Blancs emmenés par Denikine à Enzeli. « Le nettoyage de la Caspienne de la flotte de la garde-blanche doit être effectué à tout prix », écrit Lénine sur le projet de directive préparée par Trotski 342 . Le leader communiste se tenait au courant très régulièrement du déroulement des négociations russo-persanes. Les Bolcheviks suivirent deux objectifs principaux : la déstabilisation du régime du chah et la soviétisation de la Perse. Lénine donna même des ordres spéciaux à S. Kirov, le Premier secrétaire du parti communiste d'Azerbaïdjan d'alors, pour contrôler la « non-ingérence russe » dans le conflit armé interpersan. Les Bolcheviks essayaient également de prêter secours aux forces persanes anti-anglaises. Pour dissimuler ses vraies intentions et expliquer la présence prolongée du corps expéditionnaire sur le littoral persan, Moscou donna l'ordre de changer les pavillons russes en pavillon de la RSS d'Azerbaïdjan 343 .

      En fin de compte, la Russie soviétique fut très déçue, car le nouveau gouvernement de la République de Gilân n'avait aucun ministre (commissaire du peuple) communiste. Cela signifiait qu'en réalité, selon M. Persits, la nature de la République de Gilân était bourgeoise démocratique et non pas socialiste. Cela priva, pour une courte période, le régime du chah du monopole de gouvernance en Perse. Apparemment les désignations « soviétique socialiste » et « commissaire du peuple » devaient servir à obtenir l'aide et le soutien des Bolcheviks à leur profit sans trop s'investir dans la cause de ces derniers 344 .

      L'intervention soviétique affecta tout le mouvement révolutionnaire en Perse et compromit l'Armée Rouge et le nouveau régime politique en Russie, ce qui était, par ailleurs, prévisible. À la veille de la conclusion du Traité d'amitié et de coopération, la Russie fut obligée d'annoncer l'évacuation de ses troupes et de sa flotte militaire. Ce recul signifia l'abandon de l'ambition de parvenir à la révolution mondiale et confirma l'hypothèse d'Ordjonikidze et de Raskolnikov selon laquelle la révolution sociale ne pouvait pas avoir de succès en Perse 345 . Ainsi, le premier État soviétique du monde fut contraint de garder le flambeau de la révolution au sein de la « forteresse menacée » de tous côtés jusqu'à la Seconde Guerre mondiale. En fin de compte, cette momification dans la révolution 346  lui sera fatale à la fin des années 1980.

      

      En février 1921, un nouveau gouvernement dirigé par Seid Zia s'établit en Perse. Le Premier ministre était connu pour ses dispositions pro-anglaises. Cependant, compte tenu du fait que le nord de son pays était touché par le mouvement révolutionnaire, il était contraint de négocier avec la Russie soviétique et d'accepter les conditions des Bolcheviks. Le 26 février 1921, au lendemain de l'abrogation du traité anglo-persan de 1919, un Traité d'amitié et de coopération entre la RSFSR et la Perse fut signé à Moscou. Il ressemblait plutôt à un manifeste politique définissant les orientations générales du développement des relations politico-économiques bilatérales.

      Le Traité annula tous les accords précédents conclus entre les deux pays, notamment, le Traité de Turkmentchaï et son Acte spécial. Par cette nouvelle entente, la Russie soviétique annula également (art. 2) tous les traités et les accords paraphés entre le gouvernement de la Russie tsariste et les pays tiers qui « faisaient bon marché des droits du peuple persan » : l'accord russo-anglais de 1907 qui définissait les sphères d'influence des deux puissances en Perse ainsi que son annexe secrète de 1915 et l'accord russo-allemand de 1911 qui transformait la Perse en une colonie des puissances impérialistes. Le traité souligna formellement le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures (art. 4).

      Le Traité (art. 8) renonça au remboursement de tous les prêts accordés à la Perse par le gouvernement tsariste en dépit de la situation économique difficile de la Russie soviétique, sans doute, pour « précipiter » la révolution mondiale. La dette persane à la Russie en 1917 était évaluée à 67,5 millions de roubles-or sans compter les intérêts 347 .

      Conformément au traité, la Russie bolchevique perdit tous ses droits exclusifs concernant aussi bien la mer Caspienne que le nord de la Perse. La libre navigation fut accordée aux deux parties. Ainsi, le Traité fixa pour la première fois l'égalité des pavillons sur la Caspienne (art. 11). Néanmoins, Moscou réussit à mettre l'accent sur les questions sécuritaires (art. 7). Ainsi, les parties contractantes signèrent le Traité de neutralité et de non usage de la force qui devrait empêcher l'entrée d'une des parties dans des alliances et des coalitions hostiles susceptibles de créer une menace réelle sur les eaux territoriales caspiennes.

      La Russie se réserva de droit de faire avancer ses troupes dans l'intérieur de la Perse en cas de menaces réelles pour sa sécurité nationale par une tierce puissance qui interviendrait dans le territoire persan (articles 5 ; 6). L'article 6 énonce particulièrement : « dans le cas où une tierce puissance tenterait de poursuivre une politique d'usurpation par une intervention armée en Perse ou voudrait se servir du territoire persan comme base d'opérations militaires contre la Russie …, celle-ci aurait le droit de faire avancer ses troupes dans l'intérieur du pays pour mener les opérations militaires nécessitées par sa défense » 348 . En se basant sur ces deux articles, lors de la Seconde Guerre mondiale, le 25 août 1941, l'URSS introduisit ses troupes armées dans le nord de l'Iran. Elle joua de cette clause pour endiguer les projets impérialistes des puissances tierces comme, par exemple, ceux de la Couronne britannique en 1951-52.

      La Russie soviétique transféra, sans contrepartie, les infrastructures et les biens immobiliers (sauf les bâtiments destinés à héberger les représentations diplomatiques russes) comme les routes stratégiques Enzeli – Téhéran, Qazvin – Hamadan, les chemins de fer Djoulfa – Tabriz, Sofian – lac d'Ourmiah, toutes les lignes téléphoniques et télégraphiques, construits par le gouvernement tsariste sur le territoire persan. Le port d'Enzeli avec toutes ses infrastructures (magasins, centrale électrique, etc.) fut également cédé à la Perse. Au-delà de la cession des biens mobiliers et immobiliers, le gouvernement bolchevique annula toutes les concessions (pétrolières, minières, etc.) par l'article 12. Mais il souligna aussitôt que ces biens ne pouvaient pas être cédés aux tiers (art. 13). Ainsi, la Russie limita la pénétration des compagnies étrangères en Perse, notamment, dans le domaine pétrolier. Les négociations entamées entre la compagnie pétrolière américaine Standard oil et le gouvernement persan étaient à l'origine de la pression russe sur les dirigeants persans.

      L'article 20 accorda le droit à Téhéran d'exporter sa production via le territoire russe, tandis que les importations en provenance de l'Europe et destinées à la Perse furent interdites. À l'inverse, le marché de cette dernière était ouvert aux exportations russes. Les marchands persans furent contraints d'acheter les marchandises soviétiques avec les recettes provenant des exportations réalisées via la Russie. Cela provoqua le mécontentement de ces derniers qui boycottèrent les produits russes dans les provinces septentrionales de la Perse. Une convention spéciale de commerce russo-persan ad hoc devrait traiter les questions pratiques d'exportation et d'importation (article 19).

      Les manufactures russes fonctionnèrent durant des décennies avec le coton persan. Le territoire du pays servait également de débouché aux produits russes. Le premier traité commercial soviéto-persan fut conclu le 3 juillet 1924 à Téhéran. En dépit du refus de Médjlis de le ratifier, une représentation commerciale soviétique s'établit dans la capitale iranienne. Parallèlement, de nouvelles sociétés mixtes de commerce soviéto-iraniennes apparurent.

      Enfin, l'article 16 établit l'égalité des rapports entre les citoyens persans et russes sur les territoires des deux pays en supprimant ainsi les clauses capitulaires du Traité de Turkmentchaï.

      Le Traité russo-persan de 1921 contient une approche géopolitique très précise qui n'est avantageuse que pour les deux parties – la Russie et la Perse – et cela en dépit de toutes les concessions de cette dernière, et qui se font sentir encore de nos jours. En effet, il est évident que le Traité ignore totalement les intérêts aussi bien politiques qu'économiques des pays tiers, car le bassin est divisé en zones d'influence exclusive des deux pays riverains de l'époque. Autrement dit, l'accès des autres États à la mer est interdit à cause de l'établissement de ce régime fermé particulier où l'Iran se trouve volontairement dans une situation discriminée.

      Il existe une opinion selon laquelle l'Iran ne bénéficiait même pas de la moitié des droits que ce traité russo-persan ainsi que les autres qui suivront lui accordaient 349 . La flotte iranienne entretenue sur les eaux caspiennes n'était pas importante. De surcroît, le service de réparation de ses bateaux se trouvait sous monopole russe. En effet, la Perse accepta ses pertes territoriales tout en renonçant à ses zones d'influence séculaires, en contrepartie de droits, de « garanties de la paix illusoires » 350  et de l'existence dans les limites de ses frontières redéfinies, ainsi que de l'aide militaire en cas d'agression de pays tiers. Selon l'historien azerbaïdjanais R. Mamedov, « de deux maux l'Iran choisit le moindre » 351 . Dans les années 1920-1930, à maintes reprises, la Russie soviétique prêta son concours diplomatique à Téhéran, en défendant les intérêts iraniens dans les organisations internationales comme la Ligue des Nations.

      

      

      

      

      

      


B. – Les efforts continus pour la sécurisation du flanc méridional

      

      Les souvenirs de la Guerre civile (1918-1921), accompagnée d'une intervention étrangère étaient encore frais dans les mémoires des dirigeants soviétiques. C'est pourquoi l'URSS impliquait toutes ses forces pour pacifier les territoires voisins, notamment son flanc méridional. En l'absence de révolution mondiale, le soutien des nationalistes « bourgeois » des pays riverains devint très vite la politique officielle de l'Union soviétique. Néanmoins, l'objectif de la révolution mondiale n'était pas abandonné, mais « ajourné ». Elle n'était plus imminente, mais restait nécessaire 352 . Le nombre de traités avec la Turquie (d'amitié et de neutralité, 1925) et l'Afghanistan de neutralité et de non-agression mutuelle, 1926) en témoignent.

      Après la destitution de la dynastie des Qadjar (1926), l'URSS garda le territoire iranien au centre de ses intérêts géopolitiques et peina à endiguer les projets impérialistes de l'Angleterre. C'était également l'objectif du nouveau monarque iranien Riza Pehlevi (1926-1941). À ces fins, Moscou apporta sa contribution au renforcement de la capacité défensive de l'Iran : formation de cadres militaires pour l'armée, notamment d'aviateurs, livraison de divers équipements militaires pour les troupes armées iraniennes, etc.

      Dès le début de la Révolution d'Octobre, les pays occidentaux se sont souciés de créer des coalitions et des blocs anti-bolchéviques. Pour cela ils ont élaboré plusieurs programmes contre l'empire des Soviets qui faisaient partie de la stratégie d'endiguement (containment) élaborée plus nettement après la Seconde Guerre mondiale. L'Iran, ayant une frontière commune avec l'URSS de 2500 kilomètres de long et côtoyant les républiques soviétiques méridionales considérées comme les maillons les plus vulnérables de l'URSS, occupait une place particulière dans ces projets. Il était considéré comme une tête de pont pour la réalisation de la politique anti-soviétique, un « garde-fou devant l'avancée des Russes communistes vers le golfe Persique » 353 . C'est pourquoi l'Occident aspira à empêcher tout rapprochement soviéto-iranien.

      En dépit de toutes ces circonstances, le 1er octobre 1927, fut conclu le Traité de sécurité et de neutralité entre l'URSS et l'Iran dirigé par Reza chah. En ce dernier, la « Perse s'imagina avoir trouvé un second Kemal » 354 . Avant sa conclusion, le gouvernement iranien ferma le Comité d'aide aux réfugiés russes en Iran et d'autres organisation de l'« émigration blanche » sur le territoire iranien, ce qui était une des conditions des « relations amicales ». Pour empêcher dans le futur la formation et les activités des organisations hostiles à l'égard aussi bien de la Russie que de l'Iran, les Bolcheviks fixèrent cette disposition dans le traité (art. 4). Ainsi, ils essayaient d'éloigner de leurs frontières les foyers de résistance anti-soviétique et de neutraliser l'implication directe et indirecte de son voisinage proche dans une agression éventuelle. Les questions liées à la sécurité de la mer furent définies dans l'article 3.

      Le Traité de sécurité et de neutralité confirma que celui de 1921 restait la base des relations bilatérales, notamment avec ses articles 5 et 6 donnant aux Soviétiques le droit d'introduire leurs troupes sur le territoire iranien sous certaines conditions. L'histoire cependant montrera que les clauses des traités ne constituaient pas un obstacle incontournable pour l'Iran pour devenir membre du pacte de Bagdad (1955) et donner son accord à un pays étranger, en l'occurrence aux États-Unis, de posséder sur son territoire des bases de missiles.

      La question des concessions pétrolières se trouva au centre des préoccupations de l'Angleterre, de l'Iran, de l'URSS et des États-Unis. Une fois l'accord anglo-persan de 1919 remis en cause, les Britanniques se penchèrent sur un nouveau partage de l'Iran avec la Russie, comme en 1907, espérant reprendre le contrôle de la partie méridionale du pays. Cette fois Moscou renonça à collaborer en canalisant ses efforts sur l'évincement de la Couronne de la région. Cependant, parler de la marginalisation ou du recul de Londres en l'Iran était encore prématuré. Quant aux États-Unis, leur marge de manœuvre en Iran, à cette période, était assez restreinte.

      Malgré les différends existants et les bouleversements politiques en Russie et en Iran, les volumes du commerce bilatéral restaient encore considérables. En 1925, la part de l'Iran dans les importations soviétiques provenant de l'Asie était de plus de 63 %, tandis que celle de l'URSS dans le commerce extérieur iranien était environ d'un tiers. C'est seulement en 1939 que l'Allemagne dépassa les Soviets 355 .

      Il existe également d'autres accords bilatéraux intermédiaires qui réglementèrent certains régimes sur la Caspienne (cf infra partie II, chapitre II, § voir le § 1).

      

      

      

      

      


C. – Du rapprochement redoutable irano-germanique à la Révolution islamique

      

      Dans les années 1930, la doctrine de la « troisième force » pour contrebalancer la Russie et l'Angleterre a guidé la conception principale de la politique étrangère iranienne 356 . C'est également la crainte de l'idéologie communiste qui poussa Téhéran à chercher des alliés fiables. En fin de compte, le choix s'est arrêté sur l'Allemagne. Reza chah, un anticommuniste convaincu, souhaitait utiliser les Allemands pour minimiser la domination anglaise dans la vie politique et pour affaiblir l'importance économique de Moscou pour son pays.

      Un an après la signature du Traité de commerce irano-allemand (1937), Reza chah refusa de prolonger le traité analogue avec l'Union soviétique. Le 18 octobre 1939, Téhéran signa avec Berlin un Protocole secret qui fit de l'Iran un des principaux fournisseurs de matières premières pour l'industrie de guerre allemande. La part de l'Allemagne atteignit 45% du commerce extérieur de l'Iran, tandis que celle de la Russie diminuait drastiquement 357 . Berlin reçut certains monopoles dans le domaine de l'industrie, du chemin de fer, etc. L'Italie, son alliée, s'engagea dans la construction de la flotte navale conformément à la demande du gouvernement persan. Par cet acte, Téhéran souhaitait assurer sa sécurité nationale sur la Caspienne et le golfe Persique 358 . Il semble que la collaboration étroite avec Berlin ait représenté le stimulant décisif pour que le chah impose aux missions diplomatiques étrangères du pays l'utilisation du nom « Iran » pour la dénomination officielle du pays ce qui faisait une référence évidente à la race aryenne.

      C'est à cette époque que l'Iran commença à cultiver ses ambitions de devenir une puissance régionale. En 1937, les négociations de plusieurs années avec les dirigeants de la Turquie, de l'Irak et de l'Afghanistan aboutirent à la conclusion à Téhéran du Pacte de Saadabad. La signature de ce pacte fut perçue par Moscou comme une partie d'une politique impérialiste globale qui se proposait d'encercler l'Union soviétique.

      Pendant la Seconde Guerre mondiale, la politique contradictoire du chah et le refus de coopérer avec les Alliés se terminèrent par l'intervention des troupes soviétiques et anglaises en Iran, deux mois après le début de la guerre germano-soviétique (le 25 août 1941). Le 16 septembre 1941, Reza chah abdiqua le trône pour son fils. Par un traité tripartite du 29 janvier 1942, Moscou et Londres s'engagèrent à respecter formellement l'intégrité territoriale et les droits souverains de l'Iran. Cette intervention soviéto-anglaise rappela un événement vieux de 35 ans : le partage de la Perse en zones d'influence entre les Empires russe et britannique.

      Moscou désirait également tirer profit de sa présence « physique » en Iran et négocier des concessions de pétrole. Elle tenta notamment de le faire en 1944, mais ses efforts n'aboutirent pas 359 .

      En décembre 1954, Moscou et Téhéran signèrent un accord frontalier et financier qui résolut définitivement les différends territoriaux et aboutit à la restitution des 11 tonnes d'or iranien déposées en URSS pendant la Seconde Guerre mondiale 360 . Après cette courte période de détente, les relations se refroidirent à cause des événements politiques qui se déroulèrent dans la région.

      Notons que plusieurs hommes politiques iraniens ont essayé de réviser voire d'annuler les articles 5 et 6 du Traité de 1921 qui menaçaient directement la sécurité nationale et la souveraineté de l'Iran. En 1958, le gouvernement iranien lança un appel au gouvernement soviétique pour conclure un nouveau Traité d'amitié et de non-agression, pour une durée de 30 ans, qui devait prévoir la suppression de ces deux clauses. En contrepartie, Téhéran devait s'engager à ne pas entrer dans les blocs dirigés contre l'URSS. Cependant, les négociations irano-américaines, suivies par la conclusion d'un accord militaire, ont fait avorter les pourparlers à peine entamés avec Moscou. En effet, cette entente donna aux Américains le droit d'introduire leurs troupes sur le territoire iranien pour porter secours à l'Iran face à une agression extérieure et aux désordres intérieures. Cela signifiait l'annulation unilatérale des articles en question.

      En dépit de sa nouvelle vocation dans la politique américaine d'endiguement, Téhéran tenta néanmoins d'entretenir des relations amicales avec Moscou et le bloc socialiste, notamment dans le domaine économique. Ainsi, le 21 octobre 1971, fut inauguré le gazoduc, destiné à fournir du gaz iranien à l'URSS, en présence du chah et du Président Kossyguine.

      Après la victoire de la Révolution islamique (février 1979), Téhéran prit pour slogan « Ni Orient, ni Occident ». Les relations bilatérales soviéto-iraniennes ne furent pas interrompues, mais elles ne se développèrent pas non plus 361 . D'après les religieux iraniens, l'URSS était le petit Satan sur la liste des adversaires de l'Iran, après les États-Unis et Israël 362 . Le 11 novembre 1979, la capitale iranienne dénonça unilatéralement les articles 5 et 6 du traité de 1921. Par ironie du sort, après le démantèlement de l'Union soviétique, l'Iran essayera de justifier la légitimité de ses droits et de ses revendications en se basant, entre autre, sur ce traité partiellement dénoncé.

      La nouvelle doctrine de la République islamique supposait que l'Iran devait augmenter sa propagande dans les républiques musulmanes d'Union soviétique et soulever la question de la révision des frontières communes soviéto-iraniennes. Cependant, les autorités officielles ne soulevèrent jamais cette question lors des contacts bilatéraux ni après l'effondrement de l'Union soviétique.

      

      

      CONCLUSION

      

      Après les événements d'Octobre de 1917, les Soviets chérirent l'espoir d'un déclenchement de la révolution mondiale. Dans ce contexte, une place particulière fut réservée à la Turquie et à la Perse. Dans un premier temps, les relations bilatérales se construisirent en tenant compte de cette circonstance. Finalement, les tentatives d'exportation de la révolution socialiste dans cette direction échouèrent.

      La mer Caspienne resta toujours la chasse gardée de l'URSS et de l'Iran en ignorant totalement les intérêts des pays tiers. Par rapport à la pratique contractuelle des deux siècles précédents, l'Iran obtint certains droits et privilèges qui ne furent jamais pleinement appliqués.

      Traditionnellement méfiant à l'égard des puissances, l'Iran fut contraint de faire des concessions à sa voisine septentrionale. Par le biais de l'Iran, cette dernière réussit à sécuriser son flanc méridional en éloignant les foyers de résistance anti-soviétique. À cette période, toutes les tentatives des Allemands, des Britanniques et des Américains de libérer l'Iran de l'influence et de la pression soviétique échouèrent.

      À la veille de la Seconde Guerre mondiale, en cultivant ses ambitions de puissance régionale, l'Iran se tourna vers l'Allemagne qui devait rééquilibrer les influences russe et anglaise. Cette politique se solda par une occupation du territoire iranien par les forces armées russes et anglaises. Les relations bilatérales ne devinrent jamais critiques, même après que l'Iran entra dans la politique américaine d'endiguement.


§ 3. La région Caspienne à travers le prisme des projets de la guerre froide

      

      

      Après la Seconde guerre mondiale, débuta une période de tensions et de confrontations consécutive à l'opposition de deux visions impérialistes du monde : celle des États-Unis et celle de l'URSS.

      


A. – La construction des fondements théoriques de la guerre froide

      

      À la veille de la Seconde Guerre mondiale, aux États-Unis, on commence à élaborer les fondements du nouvel ordre mondial où le rôle central est accordé à l'Amérique compte tenu de son importance politique et économique croissante à l'échelle internationale. L'école géopolitique américaine avance sa version de la « géopolitique humanitaire » des positions de force. Les rapports avec l'Eurasie (Europe + Asie), séparée des États-Unis par deux océans, occupent la place centrale de cette nouvelle vision.

      Géographe et professeur de relations internationales Nicholas Spykman (1893-1943) critiqua la théorie du Heartland de H. Mackinder en considérant que son rôle géopolitique était surestimé. L'auteur renomma le « croissant intérieur » (ceinture périphérique) en Rimland et affirma que sa formation n'était pas due à l'avancée des nomades venant des steppes. Au contraire, les espaces continentaux reçoivent les impulsions énergétiques venant des coastlands (des côtes maritimes). Le modèle de N. Spykman reçut le nom du Heartland-Rimland. L'auteur mit également en doute l'opposition « fatale » entre les tellurocraties (puissances terrestres) et les thalassocraties (puissances maritimes) dominantes dans la théorie géopolitique. Il tira des preuves de l'histoire qui portait de multiples témoignages d'alliances entre certains membres du Rimland et la Grande Bretagne contre la Russie, ou encore, l'alliance Grande Bretagne – Russie contre une puissance du Rimland.

      N. Spykman défendit la thèse selon laquelle l'Amérique devait sortir de son isolationnisme et s'ingérer activement dans les affaires de l'Eurasie. À la différence de Mackinder, il ne considérait pas l'opposition entre la Terre et la Mer comme éternelle. Selon lui, on ne pouvait neutraliser le Heartland (URSS) qu'en dominant les territoires limitrophes (« anneau des terres ») : « Celui qui domine le Rimland domine l'Eurasie ; celui qui domine l'Eurasie tient le destin du monde entre ses mains » 363 . N. Spykman estima que la menace pour les États-Unis venait de l'alliance hypothétique sino-russe et de l'unification de l'Europe qui affaibliraient les positions britanno-américaines dans le monde. C'est pourquoi, pour le bien-être de l'Amérique, l'espace eurasiatique devait demeurer faible face aux États-Unis. Il avança l'hypothèse que l'Allemagne et le Japon devaient exister en tant que puissances militaires pour garder l'Eurasie divisée. Ainsi, pour une hégémonie mondiale absolue, il fallait que l'Amérique mène la lutte jusqu'à la victoire non seulement contre ses ennemis, mais également ses alliés 364 . Le développement des événements de la Seconde Guerre mondiale montra l'inconsistance de certaines thèses de N. Spykman.

      Malgré toutes les « bonnes intentions » que le savant pouvait avoir, sa vision géopolitique est purement interventionniste 365 . À l'instar de Mahan, ses formules poursuivirent un seul but : concourir à la politique et aux processus qui menaient les États-Unis à l'hégémonie mondiale. Les théories de N. Spykman de l'«Océan méditerranéen » (Midland Ocean) 366  et de l'« anneau maritime » devant contenir la puissance continentale, inspirèrent considérablement la politique d'endiguement (containment) menée par Washington au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Plusieurs idées de l'auteur contribuèrent également au développement de l'atlantisme. Après Mahan, on peut considérer N. Spykman comme le « père intellectuel de l'atlantisme » et l'« inspirateur idéologique de l'OTAN » 367 .

      Après la Seconde Guerre mondiale, on commença à identifier le Heartland à l'Union soviétique. Ainsi, l'opposition globale apparut entre les deux puissances : continentale (URSS – Heartland) et maritime (États-Unis – « croissant extérieur »). Se trouvant entre ces deux superpuissances, les Rimlands (zones de contacts) jouaient un rôle stratégique primordial pour contrôler et neutraliser l'Union soviétique (Heartland). Cette thèse fut prise comme base pour l'élaboration de la politique américaine de rétention du communisme pendant la période de la guerre froide : des blocs militaires (OTAN, le Pacte de Bagdad, OTASE) furent créés tout le long des Rimlands. Mais l'apparition de nouveaux armements sophistiqués (arme nucléaire, missiles intercontinentaux, etc.) ainsi que la « guerre des étoiles » et le succès dans la création de nouvelles technologies ébranlèrent cette idée clé de la géopolitique américaine de l'après-guerre : la suprématie de la Mer par rapport à la Terre. Le déterminisme géographique passa au second plan et cessa d'être un argument tangible pour justifier telle ou telle politique. Du point de vue géopolitique, la marginalisation du déterminisme géographique fut la conséquence du fait accompli que la prospérité et la puissance économique ne sont plus liées à l'importance et aux caractéristiques stratégiques du territoire occupé.

      Dans son livre Heartland et Rimland dans l'histoire de l'Eurasie (1956), le géopoliticien américain Donald Meining distingua deux types de Rimlands : continental et maritime. Il développa l'aspect culturologique de la géopolitique américaine : « La lutte pour les esprits et pour les âmes des hommes est un composant bien plus important de la géopolitique que la force militaire » 368 . Les États-Unis devaient ainsi valoriser la composante culturelle dans leur géopolitique pratique face au processus de décolonisation dans le Tiers monde et à l'accroissement de l'influence idéologique de l'URSS. Dans l'espace du Rimland eurasien, D. Meining distingua trois types de pays d'après les dispositions fonctionnelles et culturelles : ceux qui tiennent organiquement au Heartland (presque tous ces pays possèdent une frontière commune avec l'ex-URSS) qui ont des prédispositions tellurocratiques, ceux qui sont neutres géopolitiquement (Inde, Irak, Syrie, Yougoslavie) et ceux qui sont favorables au bloc thalassocratique (Europe occidentale, Turquie, Iran, Pakistan qui ont des prédispositions thalassocratiques.

      Historiquement, la ligne méridionale de l'opposition entre la Russie et l'Occident passa par le Caucase du Sud, confiné aux mers Noire et Caspienne, et prolongé par l'Asie centrale. La formation des blocs militaires après la Seconde Guerre mondiale ne fit que conforter cette « tradition » géopolitique. Dès le début de la période de l'opposition mondiale bipolaire, les États-Unis privilégièrent dans leur politique étrangère le soutien à l'arc islamique en pleine formation. Le but stratégique était de déstabiliser les confins sud de l'Union soviétique 369 . Avec les encouragements des États-Unis, les pays de l'axe horizontal méridional d'endiguement soviétique signèrent le Pacte de Bagdad (le 23 octobre 1955) avec la participation de la Turquie, de l'Iran, de l'Irak, du Pakistan et du Royaume-Uni. Les efforts soviétiques d'opposition furent couronnés par le retrait de l'Irak de ce pacte suite au renversement de la monarchie hachémite. Les pays restants formèrent en mars 1959 le CENTO (Central Treaty Organization) avec pour siège Ankara.

      Ce nouveau bloc militaro-politique se proposait de faire face aux éventuelles attaques provenant de l'URSS, d'empêcher le développement des relations soviéto-iraniennes et de contrarier le réchauffement entre Moscou et les pays arabes du Proche-Orient. Ce rapprochement se dessinait nettement à l'époque post-coloniale et faisait partie de la propagande soviétique prônant la soviétisation comme l'unique issue des guerres d'indépendance. Dans cette optique, le territoire iranien avec son emplacement géographique et ses richesses en matières premières stratégiques devint indispensable à de multiples projets d'endiguement de la guerre froide orchestrés par Washington. En effet, l'Iran fut le seul pays du Proche-Orient qui soutenait la politique américaine en Israël et au Viêt-Nam. Le chah fut largement récompensé pour son dévouement aux États-Unis : après le retrait des Britanniques du golfe Persique (1971), l'Iran devint le « gendarme du golfe » sous la tutelle de Washington qui ne voulait pas s'impliquer directement en se substituant aux Britanniques.

      


B. – La question de l'Azerbaïdjan iranien : le premier conflit de la guerre froide

      

      En 1945, en Iran, fut fondé le Parti démocrate d'Azerbaïdjan (PDA) dont le noyau dur était constitué de communistes d'origine azérie. Le nouveau parti s'infiltra vite dans l'administration locale en créant sa propre milice équipée par l'Armée Rouge 370 . En décembre 1945 fut proclamé l'autonomie de l'Azerbaïdjan dirigée par le communiste Pechavari suivie par celle du Kurdistan (le 22 janvier 1946), mais sans coloration communiste. Officiellement, l'Union soviétique se déclara neutre dans le développement des événements qui se déroulaient au nord de l'Iran. Cependant, en réalité, elle ne pouvait pas s'abstenir d'ingérence et de manipulations, vu l'importance stratégique de la région et sa composition ethnique. C'est également pour cette raison qu'elle tardait à évacuer ses troupes.

      Une éventuelle soviétisation de l'Azerbaïdjan iranien pouvait contenter les ambitions hégémoniques de Staline. Les services secrets soviétiques menèrent une campagne active de propagande tandis que le gouvernement élaborait une série de mesures d'intégration économique et culturelle : création sur place de filiales d'entreprises azerbaïdjanaises, ouverture d'institutions en langue maternelle, etc. Parallèlement, l'Armée Rouge s'occupait de la formation de groupes spéciaux militaires et paramilitaires. Or, les efforts du Kremlin ne furent pas couronnés de succès à cause de différences identitaires, si paradoxale soient-elles, des Azéris soviétiques et iraniens. Les premiers se considéraient tout d'abord comme Azéris tandis que les deuxièmes se percevaient avant tout comme Iraniens 371 .

      La perte de son nord-ouest pouvait être catastrophique pour l'Iran, car l'Azerbaïdjan du Sud possédait les terres les plus fertiles du pays et ouvrait la voie vers Téhéran et des provinces caspiennes riches en hydrocarbures.

      Sous la pression de l'ONU et des États-Unis, le 10 mai 1946, Staline évacua l'Armée Rouge du nord de l'Iran en renonçant ainsi aux perspectives typiquement néo-tsaristes que la présence des troupes soviétiques lui offrait 372 . L'Union soviétique n'était pas en mesure de faire avancer ses projets hégémoniques à la fois sur deux fronts, européen et asiatique. Selon T. Swietochowski, « dans les traditions de la pensée géopolitique russe, l'Europe centrale eut la priorité sur le Moyen-Orient » 373 . Satisfait, l'Iran retira sa plainte à l'ONU et annonça la constitution d'une compagnie irano-soviétique pour l'exploitation des champs pétroliers situés dans la partie iranienne de la Caspienne. Ainsi, Moscou était contrainte d'abandonner la cause des Azéris en échange de certaines concessions pétrolières vaguement formulées. Ce fut la répétition du scénario de la République de Gilân en 1920 dont la cause avait été d'abord fomentée, puis abandonnée par la Russie soviétique naissante. Après l'écrasement sanglant du mouvement autonomiste, plusieurs de ses leaders et environ 15 000 d'autres activistes et leurs familles trouvèrent refuge en URSS 374 .

      La crise iranienne entra dans l'histoire comme le premier conflit de la guerre froide 375 . Ses premiers germes dataient du premier sommet de la Troïka à Téhéran où le dialogue soviéto-occidental portait l'empreinte d'une lourde incompréhension qui aurait marqué l'avenir 376 . En effet, avec la neutralisation du danger provenant de l'Allemagne et du Japon, les relations entre les Alliés devinrent de plus en plus tendues : les puissances étaient rivales et dépendantes en même temps 377 . La crise en question révéla également les problèmes concernant le contrôle des zones pétrolifères qui rythmeront le cours ultérieur de l'histoire régionale ainsi que mondiale. La question du pétrole deviendra désormais de plus en plus lancinante.

      La crise inaugura également l'entrée des États-Unis dans la région caspienne et mit fin à la quasi-exclusivité de la rivalité séculaire anglo-russe en Iran. L'interventionnisme américain a été partiellement préparé par la Seconde Guerre mondiale au cours de laquelle les Américains se chargèrent de l'acheminement de matériels militaires destinés à l'URSS via le territoire iranien. Dans ce contexte, le rôle du chemin de fer Transiranien reliant Bander Chapour (golfe Persique) à Bander Chah (Caspienne) a été inestimable. Les champs pétroliers iranien fournirent plusieurs millions de tonnes de pétrole aux Alliés durant la guerre 378 . Parallèlement, Washington contribua à, et contrôla la formation de l'armée iranienne. L'accord militaire irano-américain du 6 octobre 1947 ne fit que « régulariser » ces relations en provoquant des notes de protestation de Moscou.

      Ainsi, les États-Unis en Iran avaient un double rôle : contenir la propagation de l'influence soviétique et contrôler le secteur pétrolier dans le golfe Persique ainsi que dans la Caspienne. Ils continuèrent désormais à maintenir la pression sur le Conseil de sécurité de l'ONU sur les questions concernant les Soviets.

      


C. – De l'URSS aux États nationaux

      

      L'histoire du monde est marquée par les alternances, les montées et les déclins des empires. Le 20e siècle fut le témoin, notamment après la Seconde Guerre mondiale, des processus historiques de décolonisation, suivis de la création de dizaines de nouveaux États. La désintégration de l'Union soviétique et de la Yougoslavie en est un des avatars les plus récents. Cependant, les tentatives de comparaison et d'assimilation des différentes étapes de la décolonisation et de l'apparition des États indépendants issus du démantèlement de l'URSS ne s'avèrent pas toujours fondées.

      La plupart des chercheurs occidentaux et de nombreux auteurs contemporains issus des États post-soviétiques sont enclins à qualifier les relations entre la Russie et les républiques soviétiques comme celles d'une métropole avec ses colonies. De cette vision des choses découle l'idée que l'ensemble des nouveaux pays indépendants est le fruit d'un processus de décolonisation, thèse dont l'application au cas de l'ex-URSS ne paraît pas très pertinente.

      Premièrement, dans les ex-républiques soviétiques, les forces politiques actuellement au pouvoir n'y sont pas arrivées du fait d'une lutte prolongée pour l'indépendance contre les « colonisateurs », accompagnée de la formation d'organisations politiques et du soutien des masses populaires.

      

      

      Deuxièmement, le « colonialisme soviétique », à son tour, se distingue beaucoup du colonialisme classique. L'Empire des Soviets comme son prédécesseur l'Empire russe a toujours représenté un « empire atypique » 379 , sans « noyau privilégié » ni « périphéries soumises » 380 . Il suffit de comparer les relations entre le Centre soviétique et ses périphéries pour s'en convaincre. Au lieu de se contenter de « drainer » vers lui les ressources périphériques, le Centre a, en effet, investi aussi largement dans ces régions, notamment, en Asie centrale et en Transcaucasie, afin d'égaliser le niveau de développement entre les ex-républiques soviétiques. Ainsi, la « suppression progressive et rapide de l'inégalité de fait entre l'ancienne nation dominante et les nations sous-développées, débarrassées de leur ancienne sujétion » constitue la particularité de l'empire soviétique 381 . Le bond spectaculaire du développement enregistré dans les républiques nationales depuis la formation de l'Union soviétique en est une brillante illustration. C'est également une des raisons pour lesquelles les autorités des pays centrasiatiques n'ont pas excessivement exploité aussi bien la thèse de l'« impérialisme soviétique » que celle de l'« exploitation coloniale » durant cette période.

      En effet, le système soviétique était plein de contradictions dans lesquelles on voyait une « cohabitation » étrange du mal et du bien, de l'utopie et de la réalité, du compatible et de l'incompatible. En d'autres termes, la coexistence des processus antagonistes fait partie des particularités de la période soviétique. D'une part, au sein de l'URSS, se produisait une uniformisation culturelle, sociale et politique, d'une autre, une construction inédite de singularités des peuples qui a donné la naissance de leurs cultures contemporaines 382 .

      La plupart des peuples titulaires des républiques soviétiques conservaient, à différents degrés, une mémoire historique de la colonisation russe de leurs territoires d'habitation. Dans le cadre de l'URSS, ils commencèrent à tirer de « leur situation et de leur statut des avantages et des satisfactions indéniables » 383 . Selon des calculs établis sur la base des prix mondiaux, on voit clairement que la Russie est le principal bailleur de fonds des républiques. Les premières estimations en roubles et en dollars apparurent en 1990 dans l'annuaire statistique de l'URSS. L'idée, très instrumentalisée par les nationalistes, selon laquelle les républiques étaient déficitaires dans leurs échanges avec la Russie, a également été démentie par les spécialistes français de la question, en particulier Gérard Duchêne. Si les calculs sont faits en devises, on découvre que la Russie, en fait, a subventionné les républiques 384 .

      En effet, la différence considérable est due au fait que la Russie fournissait ses matières premières, notamment les hydrocarbures, à des prix très inférieurs à ceux du marché mondial. Par contre, elle achetait les produits finis à des prix toujours inférieurs mais relativement chers. Cela dément également une autre thèse mythifiée selon laquelle les républiques représentaient un appendice en matières premières pour la métropole identifiée à la Russie. Si on suit cette logique, il faut conclure que la Russie elle-même était un tel « appendice » pour les autres républiques.

      Les confusions viennent de l'approche évoquée ci-dessus dans laquelle les républiques soviétiques continuaient de rester des colonies de la Russie/Union soviétique. En paraphrasant H. Carrère d'Encausse, on pourrait dire que l'Empire soviétique, personnifié par la Russie, est la réincarnation de l'Empire russe 385 . Ce qui est par ailleurs inexact, car ce n'est pas la Russie qui dirigeait l'URSS, mais le Centre soviétique, une « République supplémentaire – la plus importante – sans territoire officiel » 386 . Le traité « neuf plus un » (avril 1991), préparé par Gorbatchev, révélait une fois de plus cette spécificité soviétique.

      Souvent les nationalistes des républiques récusent tout acquis positif du fait de la russification forcée, comme si l'État soviétique avait construit sa politique dans le seul but d'atteindre cet objectif. Il est néanmoins difficile de comprendre où était la nécessité de contribuer largement à l'épanouissement et à la prospérité des cultures et langues nationales des peuples, dont les territoires d'habitation faisaient partie de l'URSS, si leur devenir était l'assimilation ? Certes, les tentations de russification ont toujours existé. Mais elles avaient également des motivations objectives qui découlaient de la nécessité économique, et politique, car chaque État aspire à une homogénéisation de sa population. La russification n'était pas toujours forcée, elle était souvent le libre choix des gens. Par contre, le bilinguisme était imposé ce qui se justifiait par la nécessité de faciliter le fonctionnement de l'État. On rencontre plus de cas où les langues des peuples titulaires sont imposées de manière brutale à l'époque post-soviétique que de cas où le russe l'était pendant la période soviétique. Comme le définit Soljenitsyne, les ambitions impériales de certaines républiques indépendantes ont succédé à celles de la Russie, et presque partout on choisit le « scénario brutal » de l'autoidentification nationale 387 .

      En fin de compte, l'Union soviétique ne réussit que partiellement à concilier les deux principes majeurs qui caractérisent les empires : celui d'unité et celui de diversité. Sur le plan de la politique nationale du pouvoir communiste, elle a constitué, selon H. Carrère d'Encausse, « une éclatante réussite et un échec non moins éclatant » 388 . À un moment historique donné, la Russie ne put assumer son rôle de ciment des multiples peuples qui faisaient partie de l'Empire soviétique censé être dirigé par le peuple russe. En conséquence, l'imperium a éclaté. Les indépendances des ex-républiques soviétiques ne représentaient pas une « décolonisation » au sens occidental. Il s'agissait du démembrement d'un organisme entier dont les parties étaient soudées à la Russie proprement dite depuis des siècles. Jean-Paul Roux a tout à fait raison en écrivant qu'« un monde a disparu, un monde qui avait ses faiblesses et ses monstruosités, mais aussi ses grandeurs et ses certitudes » 389 . C'est le fait de se trouver dans le cadre impérial qui a permis de déclarer une « autonomie absolue du politique » à l'opposé du cadre national qui limite au maximum et ne tolère pas une telle revendication 390 . Dans le cadre impérial soviétique, minorité signifiait toujours nationalité susceptible d'être émancipée, il est vrai, sur le papier, en l'absence d'un quelconque mécanisme élaboré.

      L'éclatement des empires d'Europe de l'Est, l'Union soviétique, et aussi la Yougoslavie, selon Ph. Moreau Defarges, démontra une fois de plus la victoire de la logique nationale sur la logique impériale. Il coïncida paradoxalement avec le renforcement et l'élargissement d'une solide structure, de dimension impériale, à l'Ouest de l'Europe portant le nom d'Union européenne. S'agit-il de la construction d'un empire de type nouveau, dit « démocratique » 391  ? Ainsi, l'idée de l'imperium n'est pas morte, elle est même attrayante. La question repose sur son contenu et sur sa structure, mais aussi sur la redéfinition du sens du terme ou encore sur l'introduction d'un nouveau terme pour le distinguer de la signification classique qui a une connotation plutôt négative.

      C'est pourquoi, une fois l'euphorie des indépendances passée, les pays souverains songent de nouveau à s'unir dans des structures communes, mais sur une autre base idéologique. La Russie peut-elle devenir un tel pôle autour duquel les pays désormais indépendants se réuniront une nouvelle fois ? Ou ces pays seront-ils absorbés par d'autres formations européennes (de type communautaire) ou asiatiques (de type plutôt civilisationnel ou confessionnel) ?

      De nos jours, la Russie, qui « régissait mal » et « limitait » la liberté des peuples, n'est plus présente dans les anciennes périphéries nationales des Empires russe et soviétique. Les peuples, désormais titulaires, sont-ils réellement devenus libres ? Certes non. Encore convient-il de préciser libres vis-à-vis de qui ? Faut-il trouver les causes de cette absence de liberté uniquement dans l'histoire commune avec la Russie ? Les peuples en question, notamment d'Asie centrale, ont-ils vraiment voulu cette liberté, si on paraphrase la question posée par J.-P. Roux 392 . Enfin pour terminer cette série de questions, le constat que la prospérité et l'épanouissement n'étaient possibles que dans le cadre d'un État indépendant est-il justifié treize ans après ? L'indépendance n'est pas seulement l'Acte de déclaration, l'adoption de l'hymne, du blason et du drapeau. Tout cela existait aussi à l'époque soviétique. La vraie indépendance suppose l'intangibilité des frontières extérieures et la capacité de les défendre, une économie forte et équilibrée entre les importations et les exportations renforcée par une monnaie nationale stable, le libre choix des partenaires et des structures d'intégration, etc. Ces pays, sont-ils capables d'assumer les indépendances acquises dans leur ensemble et en avaient-ils besoin ?

      

      

      CONCLUSION

      

      Jusqu'à la fin de la Seconde Guerre mondiale, l'Iran du Nord se trouvait sous le contrôle de l'Armée Rouge. Les projets de soviétisation hypothétique de l'Azerbaïdjan iranien échouèrent. En rencontrant le mécontentement et l'opposition des Américains et des Britanniques, l'URSS ne réussit pas à retenir cette région dans son giron. Ainsi, après avoir perdu la première « bataille » de la guerre froide, la Russie vit son avancée vers les mers « chaudes » définitivement arrêtée.

      Après la Seconde guerre mondiale, débuta une période de tensions et de confrontations entre deux visions impérialistes du monde : celle des États-Unis et celle de l'URSS. Les pays occidentaux élaborèrent plusieurs programmes contre l'Union soviétique dans le cadre de la politique d'endiguement (containment). Les travaux et les « schémas » géopolitiques de Nicholas Spykman, ont soutenu cette stratégie américaine pendant toute la période de la guerre froide. Il devint l'auteur de référence pour les architectes de cette dernière qui construisirent leur politique sur sa thèse principale reprise de Mackinder et développée dans le sens de l'importance stratégique du Rimland, le pourtour maritime de l'Eurasie, pour la puissance océanique.

      Dans la stratégie d'endiguement, un rôle important a été accordé au territoire iranien, maillon indissociable du « croissant islamique » aux confins méridionaux de l'URSS.

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      


DEUXIÈME PARTIE
LES ENJEUX PÉTROLIERS DE LA MER CASPIENNE POUR LA RUSSIE

      

      

      

      

      L'intérêt de la Russie pour la région caspienne fut permanent durant des siècles bien qu'il existât des périodes où la politique russe était moins active ou dans l'expectative. À la période post-soviétique, les atouts et les positions de départ de la Russie vis-à-vis de ses voisins caspiens sont incontestables car elle est non seulement un des grands producteurs et consommateurs d'hydrocarbures, mais également détient le quasi-seul réseau de leur exportation. Or, affaiblie politiquement et économiquement, elle n'est pas en mesure de dominer seule, comme avant, dans le bassin de la Caspienne et de présenter son propre programme de développement de la région. De plus, du statut de puissance mondiale, la Russie est passée au niveau de puissance régionale. Par conséquent, elle est contrainte d'élaborer un code de cohabitation avec d'autres puissances dans son étranger proche.

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      


CHAPITRE I
LA RECOMPOSITION DES RELATIONS ENTRE LA RUSSIE ET LES ANCIENNES REPUBLIQUES SOVIETIQUES CASPIENNES DANS LE DOMAINE ENERGETIQUE

      

      

      

      Depuis plus de cent ans, le pétrole fait la richesse de la région caspienne. Dès le 10e siècle, les chroniqueurs arabes mentionnaient la présence de pétrole « blanc et d'autres couleurs » sur la côte du pays Chirvan, dans la localité qui s'appelait Bakoukh [Bakou] et où s'arrêtaient les bateaux des marchands sur la route de la capitale khazar d'Itil 393 . Le célèbre voyageur vénitien Marco Polo au 12e siècle décrit aussi le pétrole de Bakou. En effectuant son voyage en Chine, il fit une escale à Bakou et fut impressionné par la quantité de « graisses inutilisables pour la nourriture » 394 .

      

      


§ 1. L'évolution de l'enjeu pétrolier de la Caspienne

      

      

      Au 19e siècle, l'Empire russe commença l'exploitation industrielle du pétrole de l'Apchéron, avant même que les États-Unis ne se lancent dans ce domaine. C'est en 1821 que les puits pétroliers peu profonds furent loués par un certain Mirzoev qui deviendra un des plus importants entrepreneurs pétroliers de l'Empire 395 . L'or noir propulsa l'Azerbaïdjan dans le tumulte de l'économie mondiale et Bakou, présenté comme le « royaume du pétrole et des millionnaires » 396 , devint le premier théâtre du boom pétrolier du monde. La même histoire et le même scénario se reproduit également aujourd'hui. L'indépendance acquise par l'Azerbaïdjan a nourri des sentiments nostalgiques sur l'âge d'or du 19e siècle.


A. – Le retour du « Grand Jeu »

      

      L'exploitation pétrolière de grande envergure prit réellement son essor à la fin du 19e siècle grâce au décret du gouvernement russe par lequel il renonça à son monopole d'État en donnant accès aux investisseurs privés à la pleine propriété des terrains. C'est ainsi que de gros industriels occidentaux apparurent dont les plus connus étaient les Rothschild et les frères Nobel.

      Au début des années 1920, la manne pétrolière toucha à sa fin pour les entrepreneurs étrangers. Le changement d'ordre social et politique en Russie et l'épuisement des puits on shore existants furent à l'origine du terme de la fin cette « première ère pétrolière ». En 1926, la propriété privée est définitivement interdite. Au début de l'ère socialiste, 70 % du pétrole soviétique provenait de la région de Bakou. Mais il déclina progressivement et en 1955 l'Azerbaïdjan ne représentait plus que 30 % des quantités produites en URSS pour arriver à 1,15 % en 1988. Cette situation était due à la découverte et à la mise en valeur des gisements sibériens.

      Après l'effondrement de l'Union soviétique, les ex-républiques soviétiques caspiennes firent leur entrée comme pays très convoités dans les relations internationales grâce aux ressources énergétiques de leur sous-sol. Les richesses naturelles devinrent le point de départ de leur développement et leur arme principale sur la voie d'une réelle indépendance.

      En principe, la Russie et l'Iran pouvaient se passer des hydrocarbures caspiens, tandis que pour les trois nouveaux États riverains l'exploitation des ressources énergétiques de la région constituait la source principale de développement des économies nationales. Or, aucun pays riverain n'était capable d'exploiter seul ses richesses. À cause de la structure géologique très complexe et de la profondeur des gisements, on ne pouvait pas compter sur les équipements obsolètes hérités de l'ère soviétique. Il fallait donc avoir recours aux producteurs occidentaux. Dans la quête d'investisseurs, chacun de ces pays tenta de valoriser ses propres atouts économiques et stratégiques, souvent au détriment de ses voisins.

      Cependant, l'enjeu de la Caspienne n'était pas seulement économique, mais également politique, ce qui rappela des souvenirs historiques datant d'il y a un siècle. À l'aube du 20e siècle, la région en question était déjà la pomme de discordes entre les deux empires puissants russe et britannique. C'est le célèbre écrivain anglais Rudyard Kipling qui évoqua le premier le « Grand Jeu » afin d'illustrer les affrontements russo-anglais en Inde, en Perse et en Afghanistan.

      Le 31 août 1907, à Saint-Pétersbourg, la Convention sur la Perse, l'Afghanistan et le Tibet partagea les sphères d'influence en Asie centrale. La Couronne britannique resta néanmoins mécontente de cette division géopolitique. Après la Révolution d'Octobre (1917), le « Grand Jeu prit une nouvelle dimension idéologique et universelle » 397 . Les troupes anglaises utilisèrent le chaos politique causé par la désintégration de l'Empire russe, et le 16 août 1918 occupèrent Bakou avec le consentement tacite du gouvernement azerbaïdjanais menacé par l'expansion bolchevique. Les compagnies britanniques se mirent d'emblée à exploiter le pétrole de la Caspienne.

      Après la Seconde Guerre mondiale, la rivalité russo-/soviéto-américaine se substitua à la rivalité russo-britannique au plan international. Le démantèlement de l'Union soviétique ramena le « Grand Jeu » là où il avait commencé : en Asie centrale et plus précisément, en région caspienne. La mise au premier plan du bassin caspien comme l'un des importants producteurs mondiaux d'énergie coïncida avec la restructuration géopolitique de l'ancien espace soviétique, avec la crise au Moyen-Orient et avec le besoin croissant, à l'échelle mondiale, de gaz naturel et de pétrole.

      Vieux de presque 150 ans, le « Grand Jeu » renaît aujourd'hui de ses cendres, mais avec un nombre accru d'acteurs, avec des enjeux évalués et des règles redéfinies. On vit apparaître la Chine comme une puissance de plus en plus présente dans cet espace stratégique. Quant à la Russie, même affaiblie, elle continue à redistribuer les cartes où les atouts et les as sont moins présents.

      Ainsi, de nos jours, le problème reste complexe et contradictoire. Plusieurs hommes politiques, diplomates et instituts spécialisés essayent de dénouer ce nœud gordien. Dès 1991, sans trop vouloir prendre en compte l'apparition des nouveaux États au bord de la mer, Moscou et Téhéran défendaient les clauses de l'« entente géopolitique » 398  de 1921 qui n'arrangeaient que les deux anciennes parties contractantes, l'URSS et la Perse, représentées actuellement par leurs successeurs la Russie et l'Iran.

      La rivalité entre les puissances dans la zone caspienne se manifeste au moins dans trois domaines : économique, géopolitique et sécuritaire. À la base de toute politique vis-à-vis de cette région stratégique se situe la stabilité intérieure des pays riverains. Les régimes autoritaires en Azerbaïdjan, au Turkménistan et au Kazakhstan ne peuvent pas durer indéfiniment. Le changement de pouvoir s'annonce douloureux et lourd de conséquences imprévisibles, notamment au Turkménistan. Confrontés aux multiples problèmes politiques, économiques et sociaux, les jeunes États riverains sont impatients de voir exploiter leurs gisements d'hydrocarbures. Tous placent beaucoup d'espoirs dans les exportations de leurs richesses énergétiques qui, entre autres, devraient également faire durer leurs régimes.

      Pour cela, ils invitèrent les compagnies étrangères à partager le gâteau caspien : anglaises, américaines, norvégiennes, italiennes, russes, françaises, turques, japonaises. Les contrats pétroliers avec elles se multiplièrent. Cependant, il ne suffisait pas de trouver les hydrocarbures, encore fallait-il les exporter. Le déverrouillage de la Caspienne posa ainsi un véritable casse-tête géopolitique.

      Vu la situation précaire des économies nationales des pays issus de la dissolution de l'ex-URSS, les consortiums transnationaux acquirent de plus en plus de droits sur les gisements d'hydrocarbures caspiens. Parmi les États riverains, c'est l'Azerbaïdjan qui prit la tête de la liste des investissements étrangers dans le secteur pétrolier. Le Kazakhstan est le deuxième pays clé régional qui concentre sur lui l'attention particulière des acteurs du « Grand Jeu ». Pour faire avancer leur « œuvre de prédilection » – le pipeline Bakou-Tbilissi-Ceyan – ces derniers, notamment les Américains, utilisèrent habilement les contradictions existantes dans les relations russo-azerbaïdjanaises et russo-géorgiennes. Il s'agit, par excellence, du soutien russe sans compromis aux Arméniens et aux Abkhazes dans les dossiers du Haut-Karabakh et de l'Abkhazie. Le rôle du Turkménistan et de l'Iran est marginal, dans une certaine mesure, pour des raisons que nous évoquerons ultérieurement.

      


B. – La mer Caspienne dans le développement énergétique mondial

      

      Au début des années 1990, on pronostiquait que la consommation mondiale d'hydrocarbures devrait croître de quelques 39 % en seize ans (1993-2010). Les pays industrialisés sont les premiers consommateurs d'énergie. Cette augmentation de leur besoin en hydrocarbures induit parallèlement la dépendance vis-à-vis des régions productrices, notamment du Moyen-Orient traditionnellement très instable, qui à lui seul regroupait les deux tiers des réserves connues de pétrole. La quête de nouvelles sources d'approvisionnement en hydrocarbures était plutôt stratégique qu'économique, car le Moyen-Orient occupe la première place dans le peloton d'extraction du pétrole le moins cher.

      Dans cette perspective, le bassin caspien représente une variante prometteuse de diversification en matière d'approvisionnement en hydrocarbures tant demandés. L'attractivité de cette région est également conditionnée par le fait qu'il se situe dans le prolongement des gisements pétro-/gazifières du Proche-Orient et de l'Iran. À l'époque soviétique, les prospections des ressources pétrolières de la Caspienne étaient négligées à cause du coût d'extraction élevé lié à la profondeur importante des gisements. Par comparaison, la fourniture d'une tonne de combustible du golfe Persique aux marchés revient de 3 à 5 dollars tandis que celle de l'Azerbaïdjan s'élève à 17 dollars 399 . C'est la raison pour laquelle la préférence fut donnée aux réserves de Sibérie dont le coût de revient était plus intéressant du point de vue de la rentabilité économique.

      

      Tableau n° 1

      La répartition des réserves pétrolières caspiennes entre les pays riverains,

      estimations occidentales (juillet 2005)

      

      

Pays Réserves pétrolières prouvées, milliards de barils (tonnes) Réserves possibles Total milliards de barils (tonnes)

estimation basse estimation haute
estimation basse estimation haute






Russie* 0,3 (0,04) 7 (0,96) 7,3 (1,0)
Kazakhstan 9 (1,23) 29 (3,97) 92 (12,6) 41 (5,62) 61 (8,36)
Azerbaïdjan 7 (0,96) 12,5 (1,71) 32 (4,38) 39 (5,34) 44,5 (6,10)
Turkménistan 0,546 (0,07) 1,7 (0,23) 38 (5,21) 32,546 (4,46) 33,7 (4,62)
Iran* 0,1 (0,01) 15 (2,05) 15,1 (2,07)
Ouzbékistan 0,3 (0,04) 0,594 (0,08) 2 (0,27) 32,3 (4,42) 32,594 (4,46)






Total 17,25 (2,363) 43,79 (6) 186 (25,5) 167,25 (22,9) 171,79 (23,5)

      * uniquement la région caspienne.

      Source: Country Analysis Brief: Caspian Sea Region. Washington, U.S. Department of Energy, Energy Information Administration, July 2005.

      

      C'est après la disparition de l'ex-URSS qu'on commença à parler des réserves colossales du bassin caspien qui pourraient concurrencer le golfe Persique. Le plateau continental de la mer s'avéra une des plus riches régions pétrolifères du monde. Selon certaines estimations des spécialistes occidentaux, les réserves prouvées de pétrole sont de 2,36 à 6 milliards de tonnes (17,25 à 43,79 milliards de barils), celles de gaz naturel de 6,57 trillions de m³. Une double rivalité commença entre d'une part les compagnies étrangères pour obtenir les meilleurs contrats et de l'autre, entre les pays riverains.

      

      

      

      

      Tableau n° 2

      La répartition des réserves gazières caspiennes entre les pays riverains,

      estimations occidentales (juillet 2005)

      

      

Pays Réserves gazières prouvées, trillions de m³ Réserves possibles Total trillions de m³

estimation basse estimation haute
estimation basse estimation haute






Russie* n/a n/a n/a
Kazakhstan 1,84 - 2,49 - 4,33
Azerbaïdjan 0,85 - 0,99 - 1,84
Turkménistan 2,01 - 4,50 - 6,51
Iran* 0 - 0,31 - 0,31
Ouzbékistan 1,87 - 0,99 - 2,86
Total 6,57 - 9,28 - 15,85

      * uniquement la région caspienne.

      D'après Country Analysis Brief : Caspian Sea Region. Washington, U.S. Department of Energy, Energy Information Administration, July 2005.

      

      Ces chiffres subissent en permanence des corrections et des précisions. Les estimations des réserves énergétiques de la Caspienne sont très différentes et les spéculations nombreuses. Les Américains révèlent des chiffres montant jusqu'à 195 milliards de barils (26,7 milliards de tonnes), tandis que dans l'industrie pétrolière on parle de quelques 25 à 35 milliards de barils (3,4 à 4,8 milliards de tonnes). Les experts les plus rigoureux de l'U.S. Department of Energy estiment que le potentiel réel de la Caspienne en pétrole se situe entre 17,2 et 44,2 milliards de barils (2,4 à 6 milliards de tonnes) et pour le gaz naturel entre 6,6 et 9,3 trillions de m³. Selon le département d'État américain, le bassin caspien représente 16 % des réserves mondiales d'hydrocarbures. L'Institut international des recherches stratégiques basé à Londres avançait encore le chiffre de 3 % en 1998.

      

      Tableau n° 3

      Les réserves prouvées des pays caspiens en matière du pétrole (2004)

      

      

Pays Volumes, milliards de tonnes Parts dans les réserves mondiales, %
Russie 9,9* 6,1
Iran 18,2* 11,1
Kazakhstan 5,4 3,3
Azerbaïdjan 1,0 0,6
Turkménistan 0,1 -
Ouzbékistan 0,1 -

      * Les réserves du bassin caspien ne sont pas distinguées.

      Source : BP AMOCO, Statistical Review of World Energy 2004.

      

      

      Selon la Statistical Review of World Energy, les réserves totales de pétrole des pays caspiens sont estimées à 34,7 milliards de tonnes soit 21 % du total mondial dont la plus grande part revient à l'Iran (18,2 milliards de tonnes) suivie par la Russie (9,9) et par le Kazakhstan (5,4). En dépit du fait que l'Azerbaïdjan dispose proportionnellement de moins de réserves, ce sont ses ressources qui ont suscité le plus de problèmes et de convoitises.

      Pour l'UE, la quantité de pétrole caspien est estimée à 7 à 14 milliards de tonnes 400 . D'ailleurs, certains centres analytiques au sein même des États-Unis, comme, par exemple, l'Institut des études politiques James Becker (Texas), avancent des chiffres similaires, voire inférieurs (2,7 %), à ceux de leurs homologues européens. La chercheuse russe E. Mitiaeva estime qu'il n'est pas correct de comparer les réserves énergétiques du Golfe et de la Caspienne compte tenu du fait que les pronostics les plus « optimistes » pour la Caspienne ne sont que de 60 à 140 milliards de barils (8,2 à 19,2 milliards de tonnes), tandis que la seule Arabie saoudite en possède 269 milliards de barils (36,9 milliards de tonnes) 401 . Pour la comparaison, les réserves pétrolières prouvées du golfe Persique sont de 98 milliards de tonnes soit 57 % des réserves mondiales (2004) 402 .

      Il faut également y ajouter les ressources considérables de gaz naturel qui peuvent se monter à 15,85 trillions de m³. Les réserves mondiales de « combustible bleu » sont estimées à 138,3 trillions de m³ dont pour la Russie – 48, pour le golfe Persique – 69,7 trillions de m³ (dont pour l'Iran – 27,5 trillions de m³) soit 45 % des réserves mondiales 403 .

      Ainsi, les réserves prouvées de la Caspienne ne peuvent être comparées qu'à celles de la mer du Nord (2,3 milliards de tonnes) ou des États-Unis (environ 3 milliards de tonnes). Le chercheur de Caspian Studies Program de l'Université de Harvard avance également la même hypothèse 404 . Néanmoins, l'enjeu n'est pas moins considérable. Quant aux ressources gazières, elles sont comparables à celles de l'Arabie saoudite – 6,65 trillions de m³ (2004) 405 . Autrement dit, les rumeurs selon lesquelles la Caspienne est un nouveau golfe Persique sont exagérées. En revanche, le bassin caspien peut être considéré comme une importante source

      

      alternative d'approvisionnement supplémentaire des marchés mondiaux, notamment américain, au cas où la situation au Moyen-Orient se dégraderait.

      L'écart important entre les nombreuses estimations sur les réserves énergétiques caspiennes n'est pas fondé sur différentes modalités de calculs. Les raisons principales, par excellence, reposent sur les politiques poursuivies par les puissances, notamment les États-Unis et la Russie. Il existe également des dessous spéculatifs boursiers consistant à augmenter consciemment les estimations afin de valoriser davantage les cotations. Avant de commencer l'extraction du pétrole, il est nécessaire d'obtenir les droits de prospection et d'exploitation des gisements. À ce stade, ceux-ci peuvent déjà apporter des dividendes. Par exemple, après la signature des contrats concernant l'exploitation des champs pétroliers de la Caspienne, British Petroleum enregistra une hausse de ses actions en bourse. Cela signifie qu'en matière de spéculations boursières, l'espérance du pétrole était souvent plus importante que son extraction même 406 . Pour en conclure, ce n'est pas le pétrole réel qui pesait sur le jeu boursier, mais les estimations attendues. Le fait de posséder des droits d'exploration des gisements est déjà susceptible d'apporter des dividendes aux compagnies pétrolières.

      Il existe également une autre hypothèse. Les compagnies occidentales traînent dans l'exploitation réelle des ressources énergétiques de la Caspienne pour attendre une hausse importante des prix du pétrole prévue en 2006-2012. À cette étape, elles pensent pouvoir obtenir un contrôle maximal sur les gisements. Quand les prix seront en hausse, l'Occident aura réellement besoin du pétrole caspien et la production croîtra 407 . Or, de nos jours on peut constater que la hausse des prix du pétrole est arrivée un peu plus tôt que prévue par les estimations, en accompagnant la deuxième guerre d'Irak. Ainsi, la Caspienne dispose certainement d'une quantité significative de pétrole. La question qui se pose est la suivante : « L'Occident a-t-il besoin aujourd'hui de l'or noir extrait dans cette région convoitée ? ». Est-ce pour cette raison qu'aucun pays caspien n'a enregistré à court terme les milliards de dollars d'investissements directs promis par les compagnies internationales.

      Le « Grand Jeu » démontre la façon dont les luttes politiques s'entremêlent avec le jeu énergétique en reléguant celui-ci à l'arrière plan. Dès la deuxième moitié des années 1990, les estimations subirent des corrections significatives et la situation changea. D'après plusieurs spécialistes, les réserves du sous-sol azerbaïdjanais, s'avérèrent, en réalité, surestimées par les Américains 408 . On a déjà enregistré plusieurs cas de déception des compagnies étrangères causés par les résultats de forages : certains gisements étaient gazifères, les autres stériles. C'est la raison pour laquelle on ajourna à maintes reprises l'extraction réelle du pétrole prévue par le « contrat du siècle ». En 1998, la compagnie américaine Pennzoil qui dirigeait la Caspien International Petroleum Company, abandonna les travaux d'exploration du champ Karabakh après trois forages infructueux. La North Apsheron Operating Company dirigé par British Petroleum procéda de la même manière 409 . Cela permet de dire que dans les gisements de naphte azérbaïdjanais il y a plus de politique que de pétrole. Comme le dit T. Adams, le premier président de l'AIOC (Azerbaijan International Operating Companyhttp://www.bp.com/extendedgenericarticle.do?categoryId=2010344&contentId=2008027), les « chiffres publiés et surestimés du volume éventuel des réserves pétrolières de la région caspienne ont plutôt un rapport à la politique qu'à la géologie » 410 .

      En revanche, de nouveaux gisements furent prospectés au nord de la Caspienne, dans les secteurs russe et kazakhstanais. Par exemple, dans la partie russe, les estimations des réserves pétrolières, selon les experts russes, montent désormais jusqu'à 600 millions de tonnes, soit l'équivalent de celles des gisements azerbaïdjanais Azéri, Tchirag et Gunechli ensemble (640 millions de tonnes), et qui, en 1995, firent l'objet du « contrat du siècle » entre Bakou et des compagnies pétrolières occidentales 411 .

      Dans les meilleures conditions, en 2010, la production pétrolière du bassin caspien ne représenterait que 3 à 4 % de la production mondiale, tandis que celle du Venezuela atteindrait 7 à 8 % et celle du Proche-Orient 25 à 35 %. On se heurterait également au problème de la rentabilité économique des gisements caspiens. Le coût de revient du pétrole extrait est quelquefois plus élevé que celui du Moyen-Orient à cause des conditions géologiques, du manque d'infrastructures nécessaires pour l'acheminement du pétrole et de l'instabilité politique de la région 412 .

      

      

      

      Tableau n° 4

      La production de pétrole dans les pays caspiens (1994-2004)

      

      

Pays Années Parts dans la produc. mond.

1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 %













Russie 317,6 310,8 302,9 307,4 307,3 304,8 323,3 348,1 379,6 421,4 458,7 11,9
Iran 185,0 185,5 186,6 187,0 190,8 178,1 189,4 184,4 168,6 197,9 202,6 5,2
Ouzbékistan 5,5 7,6 7,6 7,9 8,2 8,1 7,5 7,2 7,2 7,1 6,6 0,2
Turkménistan 4,2 4,1 4,4 5,4 6,4 7,1 7,2 8,0 9,0 10,0 10,1 0,3
Kazakhstan 20,3 20,6 23,0 25,8 25,9 30,1 35,3 40,1 157,3 153,0 149,9 3,9
Azerbaïdjan 9,6 9,2 9,1 9,2 11,4 13,8 14,0 14,9 15,4 15,5 15,7 0,4

      Source : BP AMOCO, Statistical Review of World Energy 2004.

      

      La donne peut également changer après la normalisation de la situation en Irak. Les réserves prouvées de la Caspienne ne font aucune concurrence à celles de l'Irak. Ce pays dispose de ressources de pétrole prouvées colossales qui atteignent au moins 115 milliards de barils (15,75 millions de tonnes), soit 11 % des réserves mondiales. Les avantages des gisements irakiens sont évidents : conditions géologiques favorables, proximité des marchés et des réseaux de transport, coût de revient bas. C'est pourquoi, l'éventuel retour de l'Irak sur le marché mondial est susceptible de faire baisser sensiblement les prix du pétrole.

      Ainsi, dès la fin de l'URSS, les hydrocarbures du bassin caspien suscitèrent un débat géopolitique et géoéconomique entre les différents acteurs intéressés. Tout cela se déroula sur fond d'émergence et de constitution de nouveaux pays, qui firent d'emblée du contenu de leur sous-sol l'outil principal de leur fragile indépendance.

      


C. – La politique contradictoire russe dans le bassin de la mer Caspienne

      

      Une fois émancipés et le « Grand Jeu » lancé, le Kazakhstan, l'Azerbaïdjan et le Turkménistan profitèrent de la faiblesse stratégique de leur voisine septentrionale pour trouver d'autres pôles d'attraction. En manque d'expérience dans le domaine de la politique étrangère, ils s'appuyèrent d'emblée sur l'Occident qui leur semblait être un gage de développement économique et de préservation des indépendances acquises. Cette réorientation des politiques étrangères devait résoudre deux problèmes majeurs : économique et politique. C'est la raison pour laquelle Moscou s'inquiéta de l'arrivée d'autres acteurs dans cette région historiquement proche et chère aux Russes.

      Pour le Kremlin, les défis lancés sont lourds de conséquences économiques et politiques indésirables. La présence des puissances mondiales dans son étranger proche, dont la région caspienne fait partie, est considérée comme une menace à la sécurité nationale. Dès la parade des souverainetés, Moscou tenta de trouver une certaine convergence entre les intérêts politico-économiques et, en particulier sécuritaires, mais les résultats obtenus ne furent pas spectaculaires. La capitale russe avança son argument de « programme », celui de jouer le rôle de garant de la sécurité dans l'ancien espace soviétique. Par ailleurs, la mission de médiation reste toujours un des principaux instruments de la politique russe dans son étranger proche.

      La Russie était également désireuse de se charger de la garantie de la sécurité des voies de transport, y compris des pipelines. Jusqu'à la dernière décennie du 20e siècle, la Russie garda le monopole de l'acheminement des hydrocarbures via son territoire. Elle avait également le privilège d'être le fournisseur et le distributeur principal des technologies pour les industries républicaines.

      Dans les années 1990, la politique incohérente du département russe des affaires étrangères vis-à-vis de la région caspienne eut peu de points de convergence avec les actions des hommes d'affaires et des compagnies pétrolières russes. Ces dernières se rendirent vite compte que le développement rapide du secteur des hydrocarbures en collaboration avec les géants pétroliers étrangers, fournisseurs principaux de technologies avancées et de crédits, ouvrait devant elles des perspectives prometteuses.

      Après 1995, Moscou encouragea la pénétration des compagnies pétrolières nationales (Loukoïl, Gazprom, Rosneft, Transneft) dans de multiples « projets du siècle » qui commençaient à se réaliser dans les anciennes républiques soviétiques caspiennes. Cette « avant-garde » était censée véhiculer la politique officielle du Kremlin dans la région. Or, les intérêts économiques des géants russes prévalurent souvent sur les intérêts politiques du pays qu'ils représentaient. Cela eut comme conséquence la divergence entre leurs actions pratiques et la position du gouvernement russe. Ils menaient des politiques souvent autonomes, sans tenir compte des intérêts stratégiques de l'État russe. Parallèlement, ils exerçaient une influence sur la ligne gouvernementale officielle. Ainsi ils apportaient des correctifs à cette ligne en la rapprochant de la réalité géopolitique de la région. De cette façon, il se créa une certaine interactivité entre le Kremlin et les compagnies pétrolières russes.

      Les frontières méridionales de la partie européenne de la Russie coïncident avec la région caspienne dans son sens le plus large. On les appelle souvent le « ventre mou », à l'instar des Balkans pour l'Europe occidentale. La Caspienne englobe un large éventail d'intérêts nationaux russes. La dernière décennie fit apparaître de nouveaux types de menaces tels que le terrorisme international et l'extrémisme religieux conjugués à de multiples conflits ethniques locaux et régionaux. C'est pourquoi Moscou est intéressée par la normalisation rapide de la situation politique en Transcaucasie et en Asie centrale. C'est également la raison pour laquelle la capitale russe s'oppose à la démilitarisation de la Caspienne. La paix et la stabilité aux confins méridionaux de la Russie dépendront du développement des événements dans cette région stratégique.

      Les manœuvres de la Caspienne, organisées régulièrement par l'état-major russe, servent non seulement au renforcement de la flotte nationale, mais également à l'élaboration d'une ligne politique à l'égard d'autres pays riverains. Par exemple, à la suite des négociations infructueuses du sommet des chefs d'État à Achkhabad en 2002, V. Poutine lança la préparation d'exercices militaires déjà programmées, en laissant échapper : « Ce sont de mauvais négociateurs » 413 . Cette démonstration de force fut prise par ses voisins, entre autres, comme une menace directe à leur encontre. Dans les prochaines décennies, en dépit de son malaise économique et conjoncturel actuel, la Russie possède un potentiel intérieur susceptible de la propulser dans un rôle important dans cette région stratégique. Elle détient encore dans son arsenal des leviers qui lui permettraient de conserver un contrôle plus ou moins important sur un territoire considéré comme partie intégrante de son « arrière-cour ».

      L'intérêt de la Russie pour le pétrole et le gaz caspiens se manifeste en cinq axes :

      l'exploitation des ressources énergétiques de son propre secteur caspien ;

      la participation active des compagnies russes dans l'exploitation des gisements pétroliers et gaziers des États caspiens ;

      l'acheminement des hydrocarbures des pays riverains vers les marchés mondiaux par les oléoducs qui traversent son territoire ;

      l'achat de pétrole et de gaz naturel chez ses voisins caspiens pour satisfaire ses besoins intérieurs ;

      la garantie de la sécurité écologique.

      Les compagnies russes apparurent relativement tard dans les pays caspiens. Cela s'explique par de nombreuses raisons : la restructuration des domaines pétrolier et gazier, le processus de privatisation de ces secteurs, le manque de technologies avancées et de gros moyens d'investissement, l'appréhension de participer à des projets d'exploitation de gisements dont les réserves prouvées étaient douteuses, l'habitude de s'investir dans les zones d'exploration traditionnelle (Oural, Sibérie) au sein de la Fédération de Russie, l'instabilité politique dans la région (Tchétchénie, Haut-Karabakh, l'affrontement arméno-azéri, etc.), le statut de la Caspienne non résolu, etc.

      Dans le futur, on peut pronostiquer que la participation des compagnies russes dans différents projets de la Caspienne sera en hausse. Pendant la dernière décennie, plusieurs d'entre elles sont devenues financièrement stables et fortes et ne cèdent guère aux compagnies occidentales par leur potentiel d'investissement. Pour réussir, elles ont l'atout incontestable de la proximité géographique. De surcroît, peu à peu le volume des réserves énergétiques se précise et suscite l'intérêt des géants pétroliers russes qui, semble-t-il, n'aiment pas trop prendre de risques. Ainsi, dans les années futures, la rivalité entre les compagnies russes et occidentales en Azerbaïdjan, au Kazakhstan et sans doute au Turkménistan deviendra plus âpre.

      

      CONCLUSION

      

      Après le démembrement de l'Union soviétique, la région caspienne connut un second « Grand Jeu » qui se distingua du premier par le nombre accru d'acteurs et par des règles réévaluées. Au lieu de l'Angleterre du début du siècle passé, la Russie se trouva confrontée à plusieurs États de différents poids géopolitiques. Le facteur des hydrocarbures devint d'emblée l'arme principale des nouveaux pays indépendants pour s'affirmer sur la scène internationale.

      Vu leur importance stratégique, le pétrole et le gaz caspiens représentent dans le « Grand Jeu » un enjeu politique plutôt qu'économique. Au cours des années 1990, la politique russe à l'égard de la région Caspienne ne fut pas constructive et logique. La brèche se creusa entre la ligne officielle du pays et les compagnies pétrolières nationales qui agissaient souvent en acteurs indépendants. Cette tendance eut finalement un impact bénéfique sur la politique de l'État russe en la rendant plus pragmatique et en la rapprochant des réalités géostratégiques de la région.

      Dans la région caspienne, Moscou essaye désormais de construire sa politique « pétrolière » en misant sur la participation à de nombreux projets concernant l'exploitation, l'acheminement, la commercialisation et l'achat des ressources énergétiques. La Russie ne renonce pas non plus à ses droits sur son étranger proche et continue à s'imposer en qualité de garant de sa sécurité. Ainsi, la rivalité entre les compagnies occidentales et russes pour obtenir la meilleure part augmentera vraisemblablement dans les prochaines années.


§ 2. L'exploitation des gisements de l'Azerbaïdjan : source de problèmes géopolitiques

      

      

      C'est en Azerbaïdjan qu'on découvrit, à l'époque aussi bien impériale que soviétique, la plupart des gisements pétroliers de la Caspienne. Ce n'est pas par hasard qu'il commença le premier la mise en valeur du plateau continental caspien. Depuis 1994, sur la vague du deuxième boom pétrolier, la capitale azerbaïdjanaise a signé plus de 20 contrats pétroliers avec des compagnies étrangères, principalement américaines. Ces contrats concernaient un secteur de la mer dont les limites étaient unilatéralement définies par Bakou. Cette circonstance représenta la source de nombreux problèmes et polémiques avec l'Iran et le Turkménistan, qui ne sont toujours pas résolus jusqu'à présent.

      


A. – Le pétrole comme priorité nationale : le « contrat du siècle »

      

      L'adjudication des droits d'exploitation des champs pétroliers du secteur azerbaïdjanais commença en 1990, juste avant le démantèlement de l'URSS. Ce fut la compagnie américaine Amoco (40 %) qui remporta ce premier appel d'offres. L'URSS reçut une part similaire et les 20 % restant revinrent à l'Azerbaïdjan. Cependant, en automne 1991, le président azerbaïdjanais A. Moutalibov prit la décision de déposséder Moscou de sa participation. Cette ligne fut poursuivie par son successeur, le nationaliste proturc A. Eltchibeï qui peina à faire entrer la Turquie (Turkish Petroleum) dans le partage de ses gisements pétroliers 414 . Par cette politique, les leaders azéris cherchèrent à s'appuyer sur les pays occidentaux pour contrebalancer les influences russe et iranienne ainsi que pour trouver une solution à la crise du Haut-Karabakh en leur faveur.

      L'année 1993 fut très mouvementée pour l'Azerbaïdjan. Le pays se retrouva pris dans des luttes intestines violentes. D'un côté, les troupes arméniennes du Haut-Karabakh menaient avec succès la contre-offensive, débutée au printemps. De l'autre, le général rebelle S. Housseïnov commença à marcher sur Bakou en mettant le pays au bord d'une guerre civile purement azérie. En conséquence, A. Eltchibeï fut contraint de quitter le pouvoir. Cela se produisit deux semaines avant la signature, prévue à Londres, de la Déclaration sur l'exploration commune des gisements pétroliers entre la Compagnie pétrolière d'État Azérineft et les géants pétroliers occidentaux (le 12 juin 1993). H. Aliev, l'ancien dirigeant de l'époque soviétique, reprit les rênes du pouvoir en Azerbaïdjan et ajourna la signature du contrat afin d'en revoir certaines clauses.

      Le retour dans la grande politique de H. Aliev changea la donne du gouvernement azerbaïdjanais au profit de la Russie. Le 23 octobre 1993, Bakou céda 10 % de sa part initiale de 30 % dans le consortium à la compagnie russe Loukoïl. Ainsi, la Russie eut accès à l'exploration commune des ressources pétrolières de l'Azerbaïdjan. Éprouvant des difficultés financières, le gouvernement azerbaïdjanais voulut procéder de la même manière avec l'Iran en cédant encore 5 % à Téhéran. Diplomate habile, Aliev-père essayait de cette façon de regagner la bienveillance de ses deux puissants voisins et d'améliorer des relations bilatérales très affectées par ses prédécesseurs. Il les courtisait également pour obtenir des concessions politiques susceptibles de modifier, en échange de pétrole, leur donne régionale dans le conflit du Haut-Karabakh. Aux yeux des Azéris, la Russie comme l'Iran étaient considérés comme les alliés les plus proches de l'Arménie dans la région.

      Cependant, le geste de Bakou envers Téhéran rencontra l'opposition farouche des États-Unis. En fin de compte, H. Aliev finit par renoncer à sa promesse 415 , ce qui altéra les relations bilatérales irano-azéries. L'Iran réduit ses importations de produits pétroliers provenant de l'Azerbaïdjan, ainsi que ses livraisons de matières premières à l'enclave de Nakhitchevan 416 . Pourtant il serait logique de voir l'Iran utiliser sa double fonction de producteur et de transitaire d'hydrocarbures renforcée par son savoir-faire acquis grâce à une longue tradition pétrolière, au profit du renforcement de son influence régionale.

      Le 20 septembre 1994 fut signé le premier contrat, baptisé « contrat du siècle », entre l'Azerbaïdjan et les compagnies occidentales pour un montant de 7,5 milliards de dollars. SOCAR (State Oil Company of Azerbaijan Republic) et les 19 compagnies, représentant douze pays, participèrent à la signature du contrat relatif à l'exploitation des gisements offshore du secteur azerbaïdjanais de la Caspienne. Ce « contrat du siècle » concernait les trois champs pétroliers en eau profonde d'Azéri, de Tchirag et de Gunechli. Pour leur exploitation fut créée l'Azerbaijan International Operating Company (AIOC) dont les parties prenantes à l'heure actuelle sont :

      

      

      

      Tableau n° 5

      Les parts des compagnies dans le consortium Azéri-Tchirag-Gunechli (1999)

      

      

Compagnies Pays Parts dans la compagnie
Amoco États-Unis 17,01 %
Unocal* États-Unis 10,05 %
Pennzoil États-Unis 4,82 %
Exxon États-Unis 8,0 %

Total États-Unis 40,11 %
British Petroleum (BP) Grande Bretagne 17,13 %
Ramco Grande Bretagne 2,08 %
Statoil Norvège 8,56 %
Socar Azerbaïdjan 10 %
Loukoïl** Russie 10 %
Turkish Petroleum (TPAO) Turquie 6,75 %
Itochu Japon 3,92 %
Delta Hess Arabie saoudite 1,68 %

      * En avril 2005, ChevronTexaco a acquis la compagnie Unocal. Un changement parmi les participants au projet se produira à la fin de l'année en cours.

      ** En 2004, Loukoïl a cédé ses parts dans le consortium à INPEX Corporation (Japon).

      Source: http://www.caspinfo.ru/data/2000.htm/000586.htm.

      

      Devant les nombreuses interrogations que les ressources énergétiques et leur exploration suscitaient (statut de la Caspienne, appartenance des gisements, voies de transport, etc.), l'Azerbaïdjan se rendit compte petit à petit que la participation de la Russie aux projets pétroliers servirait de gage à leur légitimité. Cette participation eut une double résonance dans la classe politique russe.

      Les uns (nationalistes, conservateurs, libéraux démocrates) prônaient que la Russie (les compagnies russes) devait éviter toute participation dans de pareils projets avant l'adoption de la Convention sur le statut juridique de la Caspienne. En procédant ainsi, le Kremlin pourrait faire pression sur Bakou afin d'obtenir de meilleures positions économiques et politiques. Avant la conclusion du « contrat du siècle », Moscou tenta d'empêcher la participation des compagnies étrangères dans l'exploration des sous-sols de l'Azerbaïdjan. Des efforts diplomatiques furent gaspillés pour saboter la création des consortiums internationaux au lieu de chercher des solutions de participation des sociétés russes dans ces projets prometteurs.

      Les autres (atlantistes, forces droites, lobby pétrolier) affirmaient qu'en s'abstenant de participer, Moscou se trouverait complètement privée d'une quelconque part du « gâteau pétrolier » azerbaïdjanais. Nous estimons que cette seconde opinion reflétait davantage la réalité de la période. Cette approche économique pragmatique adoptée par Moscou défendit mieux les intérêts de la Russie dans les circonstances présentes.

      Après le « contrat du siècle », l'Azerbaïdjan signa plus d'une vingtaine d'autres contrats pétroliers. Le montant des investissements doit atteindre le seuil des 50 milliards de dollars jusqu'à 2015.

      Le 10 novembre 1995, fut conclut le contrat concernant le gisement Karabakh, à 120 km de l'Apchéron, d'un coût total de 1,7 milliard de dollars. Les intérêts de la Russie furent assurés par la participation de Louköil propriétaire de 32,5 % des actions. En effet, cette dernière dispose en propre de 7,5 % des parts du consortium et de 25 % par l'intermédiaire d'une société mixte russo-italienne, constituée avec Agip.

      

      Tableau n° 6

      Les parts des compagnies dans le consortium Karabakh

      

      

Compagnies Pays Parts dans la compagnie, %



SM Loukoïl-Agip Russie - Italie 50 % (25 :25)
Pennzoil États-Unis 30
Loukoïl Russie 7,5 % (32,5)*
Socar Azerbaïdjan 7,5
Agip Italie 5 % (30)*

      * Les parts totales de Loukoïl et d'Agip séparées.

      Source : http://www.azer.com.

      

      Quelques mois plus tard, le 4 juin 1996, s'organisa un troisième consortium pour l'exploitation du gisement gazifère sous-marin de Chah Deniz, à 40-50 km de Bakou, pour un coût total de 4 milliards de dollars.

      

      Tableau n° 7

      Les parts des compagnies dans le consortium Chah Deniz

      

      

Compagnies Pays Parts dans la compagnie, %
British Petroleum (BP) Grande Bretagne 25,5
Statoil Norvège 25,5
Loukoïl Russie 10
SOCAR Azerbaïdjan 10
INOC Iran 10
Elf Aquitaine France 10
Turkish Petroleum (TPAO) Turquie 9

      Source: Alexander's Gas and Oil Connections. Company news : Central Asia. (http://www.gasandoil.com).

      

      Depuis 1997, l'Azerbaïdjan a entamé la prospection des gisements situés dans les basses eaux et sur la presqu'île d'Apchéron. Bakou était désireux de faire exploiter ces secteurs par des sociétés mixtes où la part azerbaïdjanaise aurait pu être plus importante (51 %). En pleine crise économique, en dépit de projets et de programmes grandioses, la jeune république ne réussit pas encore à enregistrer de résultats économiques suffisants pour assurer sa participation majoritaire dans les nouveaux consortiums. Le pays manquait chroniquement de ressources propres intérieures excédentaires pour les gros investissements. De plus, Bakou réalisa qu'il était encore trop tôt pour percevoir le flux de la manne des pétrodollars si attendu. En fin de compte, la capitale azerbaïdjanaise céda, cette fois encore, devant les compagnies occidentales.

      En effet, les compagnies étrangères investirent très peu dans la branche de l'industrie pétrolière locale qui produisait les équipements pour le forage et pour l'extraction du pétrole 417 . À l'époque soviétique, l'Azerbaïdjan fournissait 70 % des équipements pour l'industrie pétrolière soviétique 418 . En règle générale, les multinationales effectuent des milliards de dollars d'investissements dans leurs propres projets liés au pétrole. Ainsi, les autres domaines de l'économie éprouvent une pénurie d'investissements.

      


B. – La participation des compagnies russes dans les projets pétroliers de l'Azerbaïdjan

      

      Au milieu des années 1990, les compagnies russes s'activèrent non seulement dans le secteur russe de la Caspienne, mais aussi en reconsidérant leur politique, elles se lancèrent dans des projets d'exploration et d'exploitation qui se réalisèrent dans les autres pays caspiens. La participation à l'élaboration et à la construction de nouvelles voies d'acheminement des hydrocarbures caspiens devint également prioritaire 419 . Ce regain d'activité se produisit avec l'encouragement de l'État russe. Les deux pays visés étaient l'Azerbaïdjan et le Kazakhstan. Le marché turkmène restait encore fermé à cause du régime politique local et des divergences politico-économiques entre la Russie et le Turkménistan.

      La présence russe en Azerbaïdjan est assurée par la compagnie Loukoïl qui a des actions dans les deux consortiums internationaux : 32,5 % dans celui du Karabakh et 10 % (avec Agip) pour le Chah Deniz. Avant 2003, le géant russe avait également 10 % de parts dans l'exploration des gisements pétroliers Azéri, Tchirag et Gunechli qui firent l'objet du fameux « contrat du siècle » et suscitèrent de nombreuses interrogations dans la classe politique de la Russie. L'apparition de la seule compagnie pétrolière russe Loukoïl dans les projets concernant le secteur azerbaïdjanais fut très tardive. Cela refléta toute la perplexité et l'absence de coordination de la politique russe vis-à-vis de cette ancienne périphérie. Cette intervention de Loukoïl dans le « projet du siècle », comme on l'a déjà évoqué, se fit « grâce » à Socar qui céda 10 % de sa part dans l'AIOC au géant russe. Ce pas suscita l'irritation des partenaires occidentaux de l'Azerbaïdjan désireux de voir la Russie totalement mise à l'écart du projet. Cet acte fit la preuve de la volonté de Bakou de normaliser ses relations avec sa voisine septentrionale. La capitale azerbaïdjanaise argumenta l'association russe au consortium par la nécessité de voir ce dernier fonctionner normalement. En effet, la participation de la Russie dans le projet était une sorte de garant « symbolique » pour la légitimité de l'exploitation des gisements.

      Loukoïl finit par vendre ses parts à la compagnie nippone Inpex Corporation (2003) dans le cadre de la restructuration de sa société 420 . Les dessous de cette vente reposaient, d'une part, sur la stratégie de la compagnie géante qui souhaitait se débarrasser des projets dans lesquels elle ne se figurait pas en qualité d'opérateur principal 421 . 10 % représente une part trop juste face à d'autres participants, notamment américains, possédant un poids plus important dans la prise des décisions. D'autre part, il existe sans doute des raisons politiques à ces décisions, car le pétrole extrait des gisements en question est destiné à rentabiliser l'oléoduc « turco-américain » Bakou-Ceyan qui contourne le territoire russe. Enfin, Loukoïl investit beaucoup dans des projets alternatifs de désenclavement de la Caspienne en Bulgarie et en Ukraine qui font concurrence à cet oléoduc.

      Parallèlement à ce retrait, Loukoïl obtint également 80 % des actions dans les travaux de prospection du gisement Ialama avec la Socar. En effet, Loukoïl avait la licence sur le gisement Ialama-Samourski adjacent au bloc Ialama qui se trouve dans le secteur azerbaïdjanais. En 2002, la compagnie russe réunit ces deux blocs en obtenant 60 % des parts. Plus tard, la Socar céda 20 % de ses actions au profit de Loukoïl 422 . Cet exemple démontre une fois de plus comment se réalisent dans la pratique les nouvelles approches russes par rapport à ses voisins caspiens. Et cela ne fut possible qu'après avoir pris de la distance par rapport aux débats « théoriques » inopportuns sur le partage de la Caspienne.

      En plus de Loukoïl, la compagnie russe Transneft est l'opérateur principal de l'acheminement du pétrole azerbaïdjanais via le territoire russe.

      CONCLUSION

      

      L'Azerbaïdjan déclencha le « tumulte » pétrolier de la fin du 20e siècle et il fut le premier à s'y lancer. Dès le début, cette ancienne république soviétique tenta d'utiliser au maximum le facteur pétrolier pour se démarquer de la Russie. Elle fit beaucoup d'efforts pour évincer, et au moins à défaut marginaliser Moscou de la branche pétrolière du pays. Cela lui coûta très cher. H. Aliev, le nouveau président, essaya de réparer la situation en invitant les compagnies russes, notamment Loukoïl, à participer à différents projets.

      L'entrée de Loukoïl dans le « Grand Jeu » suscita de vifs débats en Russie. Certaines forces souhaitaient que la Russie continue à garder sa politique rigide à l'égard de l'Azerbaïdjan afin que ce dernier cède davantage. Les autres estimaient que, pour des raisons politiques, Moscou devait renoncer à toute participation dans les projets pétroliers azerbaïdjanais avant qu'une décision soit prise sur le statut de la Caspienne. En revanche, les forces les plus pragmatiques et libérales soulignaient avec insistance qu'en cas d'abstention, la Russie risquait d'être complètement écartée de ces programmes pétroliers.

      Néanmoins, le rôle modeste ou secondaire réservé à Loukoïl ne s'avéra pas suffisant pour contenter les ambitions de la société russe qui finit par se retirer du « contrat du siècle ».

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      


§ 3. La mise en valeur du plateau continental caspien depuis l'effondrement de l'URSS

      

      

      Pendant toutes les périodes impériale et soviétique, l'exploitation du pétrole se fit au sud de la Caspienne, sur le territoire et l'espace maritime situé entre l'Azerbaïdjan et le Turkménistan. Cette zone fut considérée comme présentant le plus de perspectives. Les parties centrale et septentrionale étaient les moins étudiées et explorées, car dès 1975, ces secteurs devinrent une réserve naturelle pour la reproduction de l'esturgeon et toute activité économique y fut interdite.

      Les années 1990 furent marquées par la multiplication des études dans les territoires russe et kazakhstanais. Selon les estimations approximatives des spécialistes soviétiques, les réserves potentielles sous-marines de pétrole étaient d'environ 10 à 12 milliards de tonnes 423 . Mais les conditions géologiques et le manque de technologies de forage avancées ont ajourné tous les travaux de prospection et d'exploration.

      


A. – Le secteur russe de la Caspienne : une émergence timide des sujets caspiens de la Fédération de Russie

      

      Au début du nouveau boom pétrolier de la Caspienne, un point de vue était dominant selon lequel le secteur russe était privé de réserves énergétiques significatives par rapport aux secteurs kazakhstanais ou azerbaïdjanais. L'opinion changea et les prévisions s'affinèrent à la hausse dès 1996. Après avoir obtenu la licence effectuer des travaux de prospection à l'issue du premier appel d'offre russe concernant l'exploration des fonds marins de la partie septentrionale de la Caspienne d'une superficie de 8 000 km², Loukoïl découvre quatre gisements dans la partie nord-est de la mer dont les réserves sont estimées à plus de 300 millions de tonnes de pétrole et à 140 milliards de mètres cubes de gaz naturel 424 . Petit à petit, les nouveaux gisements russes commencèrent à attirer l'intérêt des compagnies pétrolières transnationales, notamment Amoco (États-Unis). Bien qu'au début le gouvernement russe ait voulu explorer et exploiter ces hydrocarbures exclusivement à l'aide des compagnies nationales, il céda en fin de compte à cause du manque de moyens financiers et de technologies modernes. On voit également apparaître d'autres sociétés étrangères, comme Agip (Italie) qui coopère avec Loukoïl. Mais le rôle des compagnies occidentales reste encore marginal.

      Du point de vue économique et stratégique, la participation des compagnies occidentales est avantageuse pour la Russie. Elles peuvent assurer, dans une certaine mesure, les intérêts économiques russes dans les projets pétroliers en plein essor au Kazakhstan et en Azerbaïdjan où l'influence et la présence de l'Occident est manifestement supérieure à celle de Moscou. En effet, la capitale russe peut valoriser la voie septentrionale (russe) d'acheminement du pétrole caspien. Enfin, l'économie russe n'est pas capable de débloquer de grosses sommes d'argent pour les investissements dans cette zone, en tout cas, dans l'immédiat. Dans ce contexte, Moscou peut même saluer l'arrivée des compagnies occidentales.

      En dépit de la marginalisation initiale du secteur russe, ce dernier a une série d'avantages incontestables réactualisés surtout après la découverte de nouveaux gisements :

      des conditions géologiques favorables, notamment la profondeur de la mer et le bon positionnement des secteurs pétrolifères ;

      un accès direct au réseau d'oléoducs déjà existant ;

      une proximité des raffineries situées sur la Volga ;

      une proximité des marchés européens.

      À l'aube du 21e siècle, on a ouvert deux gisements sur les structures Khvalynskoe et Pavel Kortchaguine dans le secteur russe de la Caspienne. C'est Loukoïl qui s'occupe à la fois de la prospection des gisements et du forage. Le puits de forage sur la structure Khvalynskoe (mars 2000) s'arrête à une profondeur de 4000 mètres et possède huit couches pétrolifères et gazifères. Quant aux réserves du puits foré sur la structure Pavel Kortchaguine (août 2001), les experts avancent le chiffre de 200 millions de tonnes d'hydrocarbures 425 . En se préparant à l'avenir, Loukoïl créa à Astrakhan les quasi-seules infrastructures nécessaires à l'exploration des gisements pétrolifères maritimes, ce qui permit à la compagnie de s'imposer comme un partenaire indispensable du point de vue économique 426 .

      La Compagnie pétrolière Caspienne, créée le 25 juillet 2000 par les trois géants oligarchiques russes Loukoïl, Ïoukos et Gazprom, se chargea de la prospection du secteur Severnyi (Septentrionale). Celui-ci avoisine le bloc kazakhstanais de Kachagan. Cette circonstance ouvrit des débats sur la propriété du nouveau gisement. En fin de compte, un compromis mutuellement avantageux sera trouvé entre Moscou et Astana. Au total, dans le secteur russe on prévoit d'exploiter 200 puits pétrolifères et gaziers et d'en forer encore 8 qui demanderont 5 milliards de dollars d'investissements. Les bénéfices attendus se montent jusqu'à 10 milliards de dollars.

      De nos jours, le leader parmi les compagnies pétrolières russes qui investissent dans le secteur national est Loukoïl à qui appartient 2 % de l'extraction mondiale de pétrole et 19 % de celui de la Russie (été 2005) 427 .

      

      Tableau n° 8

      Les réserves pétrolières du secteur russe de la Caspienne appartenant à Loukoïl

      (en millions de tonnes)

      

      

2001 2002 2003
prouvées estimées prouvées estimées prouvées estimées






13,42 24,79 23,56 24,93 25,34 40,82

      Source : Site Internet de la corporation http://www.lukoil.ru. Les calculs sont faites selon les modalités de l'US Society of Petroleum Engineers.

      

      Dans le domaine de l'acheminement des hydrocarbures caspiens, c'est la compagnie de transport pétrolier Transneft qui, parmi ses homologues russes, a le monopole malgré la concurrence créée par la C.P.C. dans lequel l'État et les compagnies russes détiennent 44 % des parts. C'est Transneft qui réalisa le contournement daghestanais de l'oléoduc Bakou-Novorossisk et réhabilita le pipeline Atyraou-Samara. Il participe également à l'élaboration des projets de désengorgement des Détroits turcs, comme par exemple celui de l'oléoduc Bourgas-Alexandroupolis.

      Malgré l'existence de nombreuses études sur différents aspects de la Caspienne, il y a très peu de travaux sur les régions caspiennes russes. Trois sujets de la Fédération de Russie, la Kalmoukie, le Daghestan et la région d'Astrakhan, dont deux sont autonomes, sont riverains de la mer. Quels est leur rôle et quelle place leur est réservée dans le partage de la mer ? Ce sont des questions qui ne sont pas suffisamment étudiées. Dans les années à venir elles risquent de se poser directement et de causer de nouveaux soucis à Moscou.

      Ces trois régions n'avaient jamais eu une spécialisation pétrolière. Pendent des siècles, les steppes kalmoukes servaient à l'élevage des moutons. Astrakhan était la « capitale mondiale du caviar ». Le Daghestan était plutôt une république agricole avec un gisement de pétrole marginal comme ses voisins. Avec la construction de l'oléoduc Tenguiz-Novorossisk, deux autres territoires russes (kraï), Stavropol et Krasnodar, passage obligé du C.P.C., subirent aussi un changement de leur « identité régionale ». La nouvelle vocation de toutes ces régions est la résultante des changements géopolitiques qui se produisirent après la dissolution de l'URSS.

      En effet, les provinces en question sont devenues les seules « portes maritimes » méridionales de la Russie 428 . Compte tenu de cette nouvelle donne, Moscou commença à construire le port de Lagan sur la côte kalmouke et à moderniser celui d'Olia (région d'Astrakhan). Les trois autres ports situés au bord de la mer Noire, Novorossisk, Touapse et Ïeïsk, qui assurent 40 % des échanges extérieurs du pays, ont également connu d'importantes réhabilitations 429 .

      Il y a environ 40 ans, pratiquement après la restauration de l'autonomie des Kalmouks (1958) supprimée en 1943, on extrayait une quantité insignifiante de pétrole en Kalmoukie. Ces dernières années, l'extraction du naphte est devenue un des domaines prioritaires de l'économie kalmouke. À l'heure actuelle, seuls 2 % des ressources naturelles de la république autonome sont prospectés 430 . Cela permet de supposer que le développement du secteur pétrolier pourrait être très prometteur. Ce pays steppique, traditionnellement agricole, aurait toutes les chances de se transformer en une république pétrolière dans les prochaines années. Le gouvernement kalmouk place beaucoup d'espoir en cette perspective susceptible de redresser l'économie nationale compte tenu du fait que de nos jours, le budget républicain est alimenté à 70 % par des dotations provenant de Moscou 431 .

      En attendant la manne pétrolière, la Kalmoukie tire déjà des dividendes issus du pétrole qui transite par son territoire (par l'oléoduc Tenguiz-Novorossisk). Dès 2000, apparurent les premières sociétés pétrolières mixtes avec Chypre (Eastern Petroleum) et le Tatarstan (KalmTatneft). La création de cette dernière est assez intéressante dans le sens où ce sont les deux sujets de la Fédération qui coopèrent ensemble dans l'exploration des richesses énergétiques sans participation des géants « purement » russes. Selon les experts, Tatneft a l'ambition de s'infiltrer dans la région par l'intermédiaire de la Kalmoukie et de participer au partage du « gâteau caspien » 432 .

      D'autres investisseurs étrangers, China National Petroleum Corporation (Chine) et Japan National Oil Corporation (Japon), s'activent aussi. Pékin et Tokyo caressent toujours l'idée de construire un oléoduc en leur direction qui transporterait le pétrole de la Caspienne vers leurs marchés intérieurs. L'oléoduc est très coûteux, mais vu la hausse spectaculaire du prix de pétrole, sa construction pourrait s'avérer rentable. Dans ce contexte, la Kalmoukie est une des zones mal étudiée et fermée, et les premiers arrivants ont plus de chances de s'ancrer durablement.

      Mais la Russie possède également la côte daghestanaise de la Caspienne (environ 500 km sur les 700). Après la dissolution de l'URSS, le Daghestan devint l'avant-poste méridional de la Russie dans le Caucase. Selon les experts, seulement environ 1 % du territoire daghestanais est exploré. En effet, le gisement Intchkhe-more, ouvert en 1974, est l'unique champ exploité sur le plateau continental du Daghestan. Le potentiel en hydrocarbures de la partie occidentale de la mer s'avère très prometteur. Par exemple, les réserves totales des quatre gisements mis en concurrence en 1997 étaient estimées à 625 millions de tonnes. Les sociétés locales, cependant, font difficilement concurrence aux géants fédéraux. Elles sont souvent absorbées par ces derniers 433 .

      En ce qui concerne le « statut juridique » des secteurs des sujets russes, le Daghestan et la Kalmoukie possèdent une zone d'une largeur de 12 milles marins pour les activités économiques, y compris l'exploration des richesses sous-marines. Le reste de la surface maritime est considéré comme neutre et faisant partie de la propriété fédérale. Curieusement, la région d'Astrakhan est privée d'une telle zone. Cette circonstance laisse supposer que l'expression « le reste de la mer du secteur russe » désigne autrement la région d'Astrakhan 434 . Pour l'instant, les investissements fédéraux et ceux des compagnies pétrolières se réalisent principalement à Astrakhan et les contrats se concluent avec les autorités de la région.

      

      

      Parfois la situation dégénère jusqu'à des affrontements dangereux entre les sujets de la Fédération. Les îles de l'archipel Jemtchoujnyï (de la Perle), qui font partie de la réserve naturelle, appartenaient à la Kalmoukie. Lors des dernières décennies, elles s'éloignèrent de la côte kalmouke au-delà de la zone des 12 milles marins, ce qui « automatiquement » les plaça sous autorité de la région d'Astrakhan. Dès l'an 2000, les Kalmouks décidèrent de « restaurer la justice historique » et s'installèrent sur les îles, dressèrent le drapeau kalmouk et entamèrent des travaux de prospection. Ces actes provoquèrent l'indignation d'Astrakhan qui tenta de remettre de l'ordre sur « ses îles » avec l'aide de l'OMON 435 . C'est la cour d'arbitrage qui mit fin au contentieux et les îles furent restituées à la Kalmoukie 436 . Ce conflit révéla d'autres prétentions territoriales couvées entre la Kalmoukie et la région d'Astrakhan où, à l'époque soviétique, les frontières ne furent jamais démarquées d'une façon nette.

      Il existe également une confusion juridique dans ce domaine. Selon la Loi fédérale sur les sous-sols, les ressources minières constituent une possession commune de la Fédération et des sujets de la Fédération. La politique officielle de Moscou exclut presque la participation des autonomies en question dans l'élaboration du futur statut de la Caspienne. La capitale russe est-elle prête à partager son secteur selon le principe de division existant avec le Kazakhstan et l'Azerbaïdjan ? La réponse à cette question viendra dans les années à venir. Pour l'instant, la volonté du Kremlin est de ne pas partager le « gâteau caspien » avec les deux républiques côtières.

      


B. – Le secteur kazakhstanais : un terrain propice aux investisseurs russes et occidentaux

      

      La partie nord de la mer Caspienne est partagée entre la Russie et le Kazakhstan. La longueur de la côte caspienne kazakhstanaise est d'environ 1 900 km soit la deuxième après celle de la Russie. En fait, le Kazakhstan est devenu un pays caspien « par hasard », en conséquence du tracé aléatoire des frontières formées à l'époque soviétique et constitutionnalisé en 1936. En réalité, le littoral actuel du Kazakhstan avait été russifiée bien avant 437 .

      Le Kazakhstan était le second producteur de pétrole de l'ex-URSS à la veille de son effondrement. Le centre de gravité de l'industrie pétrolière kazakhstanaise se trouve dans le bassin caspien où le gisement d'Ouzen a été exploité dès le 15 décembre 1961. Mais la présence de pétrole était connue sur la péninsule de Manguychlak depuis très longtemps, comme au Turkménistan (île Tcheleken) et en Azerbaïdjan (presqu'île d'Apchéron). Dans un passé lointain, les habitants l'utilisaient comme combustible dans les localités de Karasaz et de Taspas 438 .

      À l'instar des autres domaines de l'économie nationale, le secteur pétrolier et gazier du Kazakhstan ressentit toutes les difficultés de la période de transition et des réformes économiques. L'industrie kazakhstanaise de transformation du pétrole fut aussi sensiblement affectée par la rupture des liens économiques consécutive à l'éclatement de l'ex-URSS.

      Dès le début de son indépendance, le Kazakhstan mit toutes ses espérances de prospérité économique dans l'extraction et la vente de ses ressources minérales. À cette fin, il poursuivit l'ambition de devenir un des principaux exportateurs de pétrole dans le monde. À l'instar de ses deux autres voisins caspiens, l'Azerbaïdjan et le Turkménistan, le Kazakhstan n'était pas capable d'assurer par ses propres moyens les travaux de prospection et d'exploitation de ses gisements. C'est pourquoi, il élabora toute une politique pour attirer des investissements occidentaux, notamment américains, dans son industrie pétrolière.

      À partir de la moitié des années 1990, le Kazakhstan révisa le statut de la réserve naturelle de son secteur et commença les travaux de prospection et d'exploration en se référant aux technologies contemporaines modernes qui permettent d'assurer la protection de l'environnement. Les résultats ont été sensationnels, car on découvrit des gisements pétroliers très riches.

      Le premier gros contrat entre le Kazakhstan et les compagnies pétrolières étrangères fut conclu le 6 avril 1993 avec le groupe américain Chevron pour l'exploitation des gisements Tenghiz et Korolev dans la partie nord-est du bassin caspien pour un délai de 40 ans. Cette extrémité géographique du Kazakhstan avait plusieurs avantages par rapport à d'autres régions pétrolifères du pays, à savoir la proximité de la Caspienne et des centres industriels pétroliers qui, en fin de compte, vont conditionner le développement ultérieur des champs de Manguychlak. Le gisement de Tenguiz était considéré comme un des 10 plus riches gisements du monde. Sur la base de cet accord, fut créée la société mixte Tenguiz-Chevroil dont les parts devaient être initialement partagées à parité. Plus tard, la participation américaine atteindra 70% (Chevroil – 45 % et Mobil – 25 %). Les 30 % restants revinrent à l'État kazakhstanais. Par ailleurs, la part du lion des investissements étrangers dans l'économie du Kazakhstan revient actuellement aux Américains (54 %) dont le leader est le groupe Chevron. De nos jours, le pays attire plus de 70 % des investissements étrangers directs en Asie centrale 439 .

      En décembre 1993, six géants pétroliers internationaux (British Petroleum/Statoil, British Gas, Royal Dutch/Shell, Mobil Oil, Total et Agip) signèrent un accord avec le gouvernement kazakhstanais pour explorer une zone de 100 000 km² dans la partie septentrionale de la Caspienne 440 . Depuis 1996, Astana a réalisé un programme de privatisation de la branche pétrolière et gazière (raffineries, réseaux d'oléoducs et de gazoducs, etc.) qui pourra par la suite être vendue aux compagnies occidentales.

      En novembre 1997, fut créé le consortium OKIOC (Offshore Kazakhstan International Operating Company) dont les parts furent partagées entre les neuf compagnies occidentales. Initialement, l'État kazakhstanais possédait 1/7e des actions, mais en 1998 il les a vendues à Philips Petroleum et à Inpex. OKIOC avait pour tâche la prospection des gisements sous-marins du secteur kazakhstanais. Quelques géants mondiaux font partie de ce consortium : Statoil et British Petroleum (alliance britano-norvégienne), Agip (Italie), INPEX (Japon), Mobiloil (États-Unis), Shell (Hollande), Total (France) et Kazakhstancaspichelf (compagnie d'État – opérateur). Depuis 2001, les fonctions d'opérateur passèrent à Agip et le consortium fut renommé Agip KCO 441 .

      

      Tableau n° 9

      Les parts des compagnies étrangères dans Agip KCO (ancien OKIOC) en 2004

      

      

Compagnies Pays Parts dans la compagnie, %



Agip Italie 18,52
Exxon Mobil États-Unis 18,52
Shell Royaume-Uni/Pays-Bas 18,52
TotalFinaElf France 18,52
INPEX Japon 8,33
ConocoPhilips États-Unis 9,26
Kazmounaïgaz Kazakhstan 8,33

      Source : Site du consortium http://www.agipkco.com.

      

      Les résultats des travaux de prospection furent très prometteurs : la découverte de plus de 80 structures pétrolifères dont 10 possédant des réserves qui dépassaient les 5 milliards de barils. La découverte des gisements dans la péninsule Manguychlak majorée par celle de Kachagan inaugura une nouvelle époque dans l'industrie pétrolière kazakhstanaise. Elle relança le « Grand Jeu », cette fois sur le territoire du Kazakhstan 442 . Comme le nota le président Nazarbaev, la Caspienne était devenue un jeune maillon de l'économie eurasienne en formation 443 .

      Les spécialistes estiment que Kachagan est le cinquième plus grand gisement du monde 444  contenant 5,21 milliards de tonnes de pétrole 445 . La production doit commencer à partir de 2008. Le 31 mars 2005, la compagnie d'État Kazmounaïgaz a signé un accord spécial pour le rachat de 8,33 %, soit la moitié, des parts de British Gas (16,67 %) dans le Consortium international qui exploite le champ de Kachagan.

      Le Kazakhstan, soucieux de valoriser davantage ses sous-sols, déploie également les travaux de prospection dans d'autres directions. Sont visés les steppes kazakhstanaises et de la région de la mer Aral où Astana coopère avec Tachkent. Les réserves de l'Aral sont estimées à près de 2 milliards de barils, mais pour qu'un nouveau chantier pétrolier voie le jour, les deux capitales ne sont pas en mesure de se passer de l'aide internationale. Afin d'attirer les investisseurs étrangers, la région limitrophe de la mer Aral (Kyzyl-Orda) est déclarée « zone économique spéciale » avec des avantages attrayants.

      Actuellement, le Kazakhstan est le 26e exportateur de pétrole dans le monde (2004). La production nationale du bassin caspien est concentrée sur quatre gros champs pétroliers on shore : Atyraou/Tenguiz, Manguychlak, Karachaganak (nord-est), Aktioubinsk. En 2011, le Kazakhstan projette d'extraire 100 millions de tonnes de pétrole et 150 millions de tonnes en 2015, et ainsi de tripler l'indice de 1993 (52 millions de tonnes) 446 .

      Comme on l'a déjà évoqué, depuis l'arrivée au pouvoir de Poutine, la Russie s'est dotée d'une nouvelle politique pragmatique, consistant en une intervention économique et une large participation des compagnies nationales dans les projets caspiens qui se réalisent sur le territoire des pays voisins. C'est ainsi qu'on a vu les compagnies russes investir dans l'économie du Kazakhstan, notamment dans le secteur de l'exploitation des matières premières.

      

      Au Kazakhstan, Loukoïl fait partie des quatre projets pétroliers, ceux de Tenguiz, de Karachaganak, Khvalynskoe et de Koumkol. La Compagnie pétrolière caspienne participe dans le projet de Kourmangazy comme Rosneft et Gazprom. En janvier 2002, Ïoukos procura 77,5 % des parts à la First International Oil Corporation of Houston (Texas, États-Unis) dans l'exploration du gisement gazier Fedorovski dans la région du Kazakhstan occidental, non loin du site de Karachaganak. Le gisement de Fedorovski fut la première intervention de Ïoukos hors du territoire russe 447 . Bachneft (République de Bachkortostan) se lança dans des travaux de prospection dans la région d'Aktioubinsk 448 . Enfin, les compagnies russes visèrent et achetèrent les usines de produits plastiques à Atyraou et à Aktaou.

      Sur certains gisements litigieux, Moscou tomba d'accord avec Astana pour créer des sociétés mixtes et effectuer l'exploitation conjointement. Ainsi, le 13 mars 2005 Loukoïl et KazMounaïGaz signèrent un accord concernant la création de la Compagnie pétrolière et gazière caspienne pour l'exploitation du gisement Khvalynskoe et l'acheminement des hydrocarbures extraits.

      La répartition russo-kazakhstanaise à l'amiable rendit la Caspienne septentrionale et son plateau continental très attrayants pour les investissements étrangers. La Russie fut particulièrement active dans le secteur kazakhstanais aux côtés des investisseurs américains, indiens, italiens et japonais. Loukoïl est le leader des compagnies pétrolières russes au Kazakhstan. Il extrait environ 1 million de tonnes de pétrole sur le compte des parts qu'il possède dans le projet Karachaganak (15 %), dans celui de Tenguizchevroil (5 %) et dans la Société mixte Tourgaï Petroleum (50 %). Les investissements totaux de Loukoïl au Kazakhstan s'élèvent à 500 millions de dollars (2002) 449 .

      La deuxième grande compagnie russe qui essaye de s'ancrer dans le secteur pétrolier kazakhstanais est Rosneft. Associé à Shell, ils possèdent 7,5 % des parts du C.P.C.

      Plusieurs analystes incitèrent la Russie à réviser les accords pétroliers avec le Kazakhstan, car le pétrole de ce dernier, très proche par sa composition chimique de celui de la Russie, représente une concurrence pour le l'or noir russe. Selon eux, il fallait choisir entre le voisin géographique et le profit économique des entreprises nationales 450 .

      En comparaison de celle des compagnies occidentales, la participation des compagnies russes dans les projets pétroliers du Kazakhstan reste relativement marginale. Une situation qui est par ailleurs regrettée par plusieurs investisseurs étrangers qui « estiment préférable d'impliquer Moscou dans l'exploitation plutôt que de l'en tenir écartée, au risque de susciter certaines frustrations, facteur d'instabilité » 451 . Le partenariat économique russo-kazakhstanais a une importance politique incontestable pour la Caspienne septentrionale. De surcroît, cette alliance est susceptible de devenir la force motrice de toute la région caspienne et eurasienne. À notre sens, c'est au couple russo-kazakhstanais de relancer un jour le processus d'une vraie intégration dans l'Eurasie.

      


C. – Le secteur turkmène : une Russie quasiment absente

      

      À l'époque soviétique, le Turkménistan était la seule république soviétique à ne pas être obligé d'importer du pétrole pour sa consommation domestique. De plus, il traitait entièrement son brut sur place 452 . La raffinerie de Tchardjoou servait également à la transformation du pétrole sibérien.

      Selon les experts, les ressources pétrolières turkmènes sont estimées à 2 à 4 milliards de barils soit 270 à 550 millions de tonnes. Quant aux réserves de gaz, elles sont évaluées à 4 à 11 trillions de m³, voire 42 à 44 trillions de m³ si on prend en compte les estimations personnelles de Turkmenbachi 453 . Selon les experts, 85 % du territoire turkmène, plateau continental de la Caspienne compris, est considéré comme prometteur 454 . L'exportation des hydrocarbures représente la plus grande partie des recettes du pays avec plus de 60 % pour le gaz et 15 % pour le pétrole 455 . Autrement dit, l'économie nationale repose presque entièrement sur le secteur énergétique qui assure 75 % des rentrées budgétaires du pays (2001).

      Le Programme de développement de la république jusqu'en 2010 prévoit une augmentation considérable de l'extraction de gaz naturel vers la fin de la première décennie du 21e siècle : 120 milliards de m³ dont 5/6èmes seraient destinés à l'exportation 456 . Selon les chercheurs occidentaux, ce chiffre est relativement modeste : 90 milliards de m³ en 2010 et 130 milliards de m³ en 2020 457 . Cependant, la seule hausse de la production ne garantit guère la prospérité du secteur gazier, car il faudra encore transporter le gaz extrait. Pour commercialiser ses richesses énergétiques, le Turkménistan se trouve à la merci du monopoliste russe Gazprom et de la solvabilité de l'Ukraine et de la Géorgie, les deux principaux consommateurs de gaz turkmène. Ces deux facteurs furent à l'origine de la chute drastique de la production nationale de gaz en 1997. Cela a été un coup dur pour l'économie du Turkménistan et pour les indices du PIB largement tributaires du complexe énergétique.

      Les ambitions de Turkmenbachi de transformer le Turkménistan en « Koweït d'Asie centrale » restent encore irréalisables 458 . Le bon emplacement géographique (pays de transit) est minoré par des handicaps géologique (désert), démographique (peuplement faible et répartition non homogène), géopolitique (enclavement) et politique (régime autoritaire, culte de la personnalité).

      Le Turkménistan fut la seule ex-république soviétique de la région qui prit ses distances vis-à-vis des investisseurs étrangers. Le souhait initial du leader turkmène de s'en sortir par ses propres moyens s'est vite heurté à la réalité géoéconomique de son pays. L'industrie nationale manqua chroniquement d'investissements, ce qui non seulement freina tout développement, mais également la fit reculer. Par exemple, si au début des années 1990 le Turkménistan possédait environ 3 000 puits gazifères en exploitation, à l'aube du 21e siècle ce nombre est passé à 622, soit une réduction du quintuple 459 . La querelle avec Gazprom fut également à l'origine de ce recul économique.

      Les indices macroéconomiques alarmants poussèrent le gouvernement turkmène, dès 1997, à changer sa politique économique. Il élabora un programme spécial afin d'attirer les fonds des compagnies occidentales dans son secteur énergétique, notamment de gaz naturel. En décembre 1999, le Turkménistan lança un appel d'offre international pour l'exploration du plateau continental de son secteur.

      De nos jours, le leader parmi les compagnies étrangères est Petronas (Malaisie). Les autres compagnies sont moins connues : Maersk Oil, Burren Energy, Mitro International, Dragon Oil, etc. Ce dernier, par ailleurs, est le seul à avoir le droit d'explorer les gisements offshores. Pour la prospection de sa côte caspienne, la capitale turkmène invita les compagnies pétrolières des Émirats arabes unis et de l'Allemagne. Achkhabad envisage également d'associer à ses projets pétroliers des entreprises chinoises et japonaises. Enfin, Israël figure parmi les partenaires étrangers du Turkménistan. Le gazoduc Korpedjeh-Kourdkouï fut construit avec le concours financier de Tel-Aviv représenté par la compagnie Merkhav. Paradoxalement, l'Iran ne protesta pas contre la participation des Israéliens à cette entreprise.

      Quelques compagnies russes ont également l'intention de participer aux projets gaziers et pétroliers : Rosneft, Itera, Loukoïl, Zaroubejneft, Gazkhiminvest 460 . Les deux premières ont été invitées par Turkmenbachi à participer à la construction du gazoduc Turkménistan-Pakistan lors du « réchauffement » russo-turkmène en 2002 461 .

      Achkhabad procéda aussi à la création d'une flotte de forage afin de mettre en valeur les gisements de son secteur. Mais le développement du secteur énergétique turkmène n'est pas envisageable sans d'importants investissements étrangers. Et pour que les compagnies viennent et investissent, il convient d'élaborer toute une politique nationale et une base législative pour rendre attractifs les projets d'investissement. Le régime dictatorial de Niazov réduit sensiblement les perspectives de développement du Turkménistan.

      

      * * * * *

      

      Actuellement, sur le plan territorial, le littoral iranien de la Caspienne est réduit aux provinces de Ghilan et de Mazanderan. De nos jours, l'importance économique de ces territoires n'est pas significative. Cela découle du fait que les réserves énergétiques caspiennes du secteur iranien sont faiblement étudiées. C'est après la Seconde guerre mondiale que le gouvernement commença, sans consulter l'URSS, à exercer des activités d'extraction du pétrole dans la région d'Enzeli, sur 18 plateformes, ce qui représentait un nombre largement inférieur comparé à l'échelle d'extraction dans la partie soviétique 462 . Le potentiel de production pétrolière nationale est essentiellement situé dans la zone sud du pays. Il existe des hypothèses selon lesquelles elles peuvent être comparables à celles de ses voisins du Golfe 463 . C'est pourquoi, dans la géopolitique de la Caspienne, l'Iran se manifeste comme un pays transitaire et non producteur 464 .

      Hormis Loukoïl qui participe avec TotalFinaElf dans des projets pétroliers et gaziers au sud de l'Iran, quelques autres compagnies russes sont présentes dans le secteur énergétique du pays : Ïoukos (construction de gazoducs), Tatneft (prospection d'eaux douces), Minenergo (industrie houillère), etc.

      

      

      CONCLUSION

      

      Les problèmes d'extraction et d'exportation des hydrocarbures de la Caspienne sont primordiaux pour tous les pays caspiens. Sur la vague du nouveau boom pétrolier de la Caspienne, le secteur russe attira également l'attention. Les études sur les ressources sous-marines se multiplièrent, mais leur nombre resta néanmoins largement inférieur à celui de celles qui ont été entreprises sur les secteurs azerbaïdjanais et kazakhstanais.

      Initialement, la ligne principale de la politique russe consistait à impliquer en priorité les sociétés nationales dans l'exploration de sa côte maritime. L'État russe tenta de se passer des investisseurs étrangers et de garder son monopole, mais il fut contraint d'abandonner progressivement cette politique faute de moyens financiers propres. Le 21e siècle commença par de nouvelles découvertes de gisements pétroliers prometteurs dans la partie russe de la Caspienne.

      On voit apparaître de nouveaux acteurs « russes » provenant, cette fois, des républiques autonomes du Daghestan et de la Kalmoukie qui cependant ne se sont jamais distinguées par une « identité pétrolière ». Quel rôle leur sera réservé dans le partage des ressources énergétiques caspiennes ? Tout dépendra des résultats des prospections des prochaines années, car actuellement une toute petite part de leur territoire est étudiée. Ces deux républiques pauvres sont avides d'intégrer le groupe des acteurs principaux du partage de la Caspienne afin de redresser leurs économies fragiles. Mais le centre russe ne se montre pas trop enthousiaste face aux ambitions de ses sujets.

      Comme en Azerbaïdjan, les compagnies russes se sont activées dans le cadre des projets pétroliers qui se réalisent au Kazakhstan. Ce dernier n'a pas ménagé ses efforts afin d'attirer les investissements étrangers, y compris russes, dans les branches de son économie liées à l'extraction et à la commercialisation des hydrocarbures. Contrairement à Bakou, Astana n'a pas adopté de politique de confrontation des intérêts russes et occidentaux au Kazakhstan, bien que la part russe reste modeste par rapport à celle des Occidentaux. Grâce aux nouvelles découvertes de gisements aussi bien onshore qu'offshore, le Kazakhstan a été propulsé dans le tumulte du « Grand Jeu ». Les capitales, russe et kazakhstanaise, ont réussi à trouver un compromis mutuellement acceptable concernant les gisements litigieux. La détente politique a créé un terrain propice pour tous les investisseurs.

      Le régime politique au Turkménistan se répercute sensiblement sur le niveau de développement de l'économie nationale, notamment de la branche gazière sur laquelle reposent les deux tiers des recettes budgétaires. La situation enclavée du pays le rend dépendant, comme auparavant, du monopoliste russe Gazprom avec lequel les relations sont très tendues. Cette circonstance est en partie à l'origine de la crise économique du pays. Les compagnies russes sont quasiment absentes dans le secteur énergétique du Turkménistan.

      Quant au secteur iranien, il est mal étudié et ne fait pas partie des convoitises engendrées par le « Grand Jeu ».

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      


CHAPITRE II
LE STATUT JURIDIQUE DE LA MER CASPIENNE

      

      

      

      La question du statut juridique de la Caspienne surgit au début de 1992. Avant cette date, les deux documents clés qui définissaient formellement, d'une manière ou une autre, le régime juridique de la plus grande mer intérieure du monde restaient le Traité entre la RSFSR et la Perse du 26 février 1921 et le Traité de commerce et de navigation entre l'URSS et l'Iran du 25 mars 1940.

      Le 17 février 1992, à l'initiative de l'Iran, la Russie, le Kazakhstan, l'Azerbaïdjan et le Turkménistan se réunirent à Téhéran pour faire une déclaration commune au sujet de la création d'un organisme régional de coopération. Avant de passer à l'analyse de la situation actuelle, revenons brièvement à l'origine historique de la formation du problème.

      

      


§ 1. Le cadre juridique existant et sa réactualisation après l'implosion de l'URSS (1991)

      

      

      Le statut de la Caspienne commença à se construire consécutivement à la détérioration des relations entre la Perse et l'Empire russe, et à l'affrontement armé russo-persan en Transcaucasie. L'opposition hégémonique russo-britannique à propos du partage aussi bien des territoires situés autour de la Caspienne que de la mer même, fut également un élément déterminant de la formation graduelle d'une base juridique du statut de la mer.

      


A. – La situation juridique jusqu'à l'éclatement de l'URSS

      

      À l'origine du statut juridique de la Caspienne se trouvèrent les Traités de Saint-Pétersbourg (1723) et de Recht (1732). Ce dernier fixa le droit de la Russie sur certains territoires limitrophes de la Caspienne cédés par la Perse. De même, il définit le nouvel ordre du commerce et de la navigation aussi bien sur la mer que sur les fleuves Koura et Araxe. Le droit de posséder des bateaux militaires sur la mer ne fut accordé qu'à l'Empire russe.

      À la différence du Traité de Saint-Pétersbourg, celui de Recht concéda et précisa également certains droits pour la Perse, notamment dans le domaine de la navigation. De ce fait, la Russie « endormit tout simplement la vigilance » des Persans 465  qui, un siècle plus tard, perdront à nouveau leurs droits et contrôle sur tout le Caucase du Sud.

      Le premier accord qui définit plus précisément le régime juridique de la mer Caspienne fut le Traité de Gulistan (le 12 octobre 1813). Celui-ci mit un terme à la première guerre russo-persane et au contrôle persan de la Caspienne en faveur de l'Empire russe. Selon la cinquième clause du Traité, il fut interdit à la Perse de posséder une flotte de guerre sur la mer. Cependant, elle garda le droit de naviguer librement à des fins commerciales. Par contre, le traité réserva à la Russie des droits exclusifs pour l'exercice de toute activité dans la région. Ainsi, pour la première fois, la Caspienne connut un « statut conventionnel militarisé au profit exclusif de la Russie » 466 .

      La deuxième guerre russo-persane se termina par la signature du Traité de paix de Turkmentchaï (le 22 février 1828) qui annula le Traité de Gulistan. Conformément à la clause huit du Traité, les bateaux de commerce persans eurent des droits égaux à ceux des bâtiments qui arboraient le pavillon des tsars russes. La Russie conserva ses droits exclusifs de posséder une flotte navale militaire. Ainsi, sur le plan militaire, le nouveau Traité confirma la dominance russe. Le Traité de Turkmentchaï fixa également la frontière entre la Russie et la Perse sur la rivière Araxe.

      On commença à formuler les premières définitions de la Caspienne du point de vue du droit international. Le célèbre juriste et diplomate tsariste F. Martens définit ainsi la nature de la mer : « Les mers qui sont entourées par des territoires du même État et n'ont aucun lien avec l'océan, se trouvent dans une situation tout à fait différentes à celle des mers ouvertes. Ce sont des mers fermées : elles sont sous le pouvoir des États dans les limites desquels elles se trouvent. À ce titre […] la mer Caspienne est également une mer fermée bien qu'elle baigne des côtes appartenant à la Russie et à la Perse, elle doit être considérée comme russe » 467 . Jusqu'à l'implosion de l'Union soviétique, cette définition sera de facto adoptée et appliquée par la Russie/URSS.

      Malgré les traités signés et une certaine avancée dans la recherche de définition scientifique de la mer, la Russie tsariste ne se proposa jamais de fixer, une fois pour toutes, les frontières côtières et maritimes, et « sous prétexte d'obscurité des frontières, elle voulait toujours posséder la mer » 468 .

      La Révolution d'Octobre (le 7 novembre 1917) changea radicalement le cadre juridique de la Caspienne. Le 26 février 1921, fut signé un nouveau Traité d'amitié et de coopération entre la RSFSR et la Perse qui annula tous les accords précédents « inégaux » conclus entre les gouvernements tsaristes et persans. Selon lui, la Russie soviétique perdit tous ses droits exclusifs concernant aussi bien la mer Caspienne que la partie septentrionale de la Perse. Le Traité fixa, pour la première fois, l'égalité des pavillons sur la mer : la Perse pouvait désormais posséder sa propre flotte navale (art. 11).

      La volonté de la Russie soviétique de mettre un point final aux différends frontaliers s'exprima dans l'article 3 du Traité concernant la création d'une Commission mixte russo-persane. Celle-ci avait pour tâche la résolution définitive des questions territoriales et frontalières entre les deux pays en se basant sur la Convention spéciale de 1881. L'île Achouradeh et quelques îlots situés face au littoral d'Astrabad furent restitués à la Perse. Cependant, la frontière commune ne sera définie pour de bon que le 2 décembre 1954 en raison des divergences d'opinions et des malentendus.

      L'article 7 du Traité réserva à la Russie le droit d'exiger du gouvernement persan la démission et l'expulsion des personnes d'États tiers se trouvant en service dans les forces navales persanes et menant, selon l'avis de la Russie soviétique, des activités hostiles à son égard. En outre, la Perse accepta de ne pas embaucher au port de Pehlevi, et cela pour une période de 35 ans, des personnes ayant des origines autres que persane ou naturalisées récemment. Cet article traduisait l'aspiration de la Russie à conserver le statut de mer fermée russo-persane formé il y a un siècle 469 .

      Le Traité soviéto-iranien suivant fut relatif à l'Exploitation des pêcheries sur la côte méridionale de la mer Caspienne (le 1er octobre 1927) et avait une durée de 25 ans. Il n'apporta aucune contribution aux rapports bilatéraux, ni au développement du statut international de la Caspienne. C'est pourquoi, à l'expiration de son délai d'application (1953), il ne fut pas prorogé par les parties contractantes et perdit automatiquement sa force juridique.

      Des règles plus précises de navigation et de commerce maritime furent définies dans les trois traités bilatéraux soviéto-iraniens suivants. Le Traité d'Établissement, de commerce et de navigation du 27 octobre 1931, composé de 16 articles, interdit la navigation des navires sous pavillons de pays autres que caspiens. Le traité du 27 août 1935, portant le même nom, définit pour la première fois une zone d'une largeur de 10 milles marins, contiguë au rivage, pour la pêche exclusive de la Russie et de l'Iran. Les dispositions sur l'égalité des pavillons ainsi que sur l'interdiction de la présence sur la Caspienne des bateaux sous pavillons de pays non riverains furent maintenues.

      Dans le Traité de Commerce et de navigation du 25 mars 1940, l'URSS et l'Iran déclarèrent que la mer Caspienne était une possession commune soviéto-iranienne. Or, on ne trouve aucune clause concernant la délimitation de frontières maritimes entre l'Union soviétique et l'Iran. En dépit de cela, les Soviétiques tinrent à considérer unilatéralement la ligne entre Astara (Azerbaïdjan) et Hassan-Kouli (Turkménie) (423,2 km) comme ligne de démarcation de facto suite à l'instruction secrète (1934) de G. Iagoda 470  destinée aux troupes frontalières du Ministère de l'Intérieur 471 . Malgré le caractère conventionnel de cette ligne, une autorisation spéciale fut néanmoins exigée des bateaux iraniens qui la traversaient.

      Tous les traités et les documents officiels soviéto-iraniens concernant la Caspienne passèrent sous silence le problème de son statut juridique du point de vue du droit international. Entre les deux pays la question suivante ne se posa même pas : la Caspienne est-elle une mer ou un lac ? De la même manière, les ressources minières sont-elles considérées comme la propriété commune des deux pays riverains ou non ? Le facteur pétrolier n'était pas non plus susceptible d'avoir une répercussion majeure sur la prise de décisions à ce propos, comme de nos jours, car en 1920 la Russie soviétique ne produisait que 3,69 % et l'Iran 1,78% de la production mondiale contre 64,32 % pour la part américaine 472 .

      Au contraire, le caractère fermé de la Caspienne fut clairement défini à maintes reprises. Le statut sui generis de la mer arrangeait les deux parties. On peut dire que l'URSS et l'Iran partagèrent la mer à l'amiable sans se plonger dans des détails et une terminologie

      

      juridique beaucoup plus nuancés. En réalité, l'Union soviétique était de facto la maîtresse de la Caspienne et cela arrangeait apparemment l'Iran. Même si on ne trouve nulle part dans les accords le terme « condominium », le régime de la mer fait plutôt référence à ce type de gestion commune.

      Durant les décennies qui suivront, aucun accord concernant les frontières maritimes ne fut conclu. Le Traité soviéto-iranien sur la frontière de 1954 passa également ce problème sous silence. L'Accord sur le trafic aérien ne définit que les limites de la zone informatique des vols qui coïncidait avec la frontière terrestre et passait par les villes portuaires d'Astara (Azerbaïdjan) et de Hassan-Kouli (Turkménie). Ce furent les derniers traités soviéto-iraniens qui touchaient, d'une manière ou une autre, la Caspienne, sans néanmoins apporter de nouvelles précisions sur la question de son statut. La mer était toujours d'utilisation commune (hormis les eaux territoriales d'une largeur de 10 milles marins) pour les deux pays riverains, selon les dispositions des traités de 1921 et de 1940. Le fait que néanmoins il existait de facto une ligne frontalière surveillée soigneusement par les gardes-frontières soviétiques n'éveilla l'étonnement de personne.

      Moscou comme Téhéran ne respectèrent pas strictement les engagements pris. Ainsi, en 1949, l'Union soviétique commença l'extraction de pétrole dans la Caspienne sans consulter l'Iran 473 . De même, l'Iran se mit à l'exploitation des gisements qui se trouvaient dans sa zone côtière sans le consentement de Moscou. Ces faits seront cités comme exemple par les trois nouveaux pays caspiens issus de l'URSS afin de justifier leurs actions pratiques et leurs prétentions concernant les gisements d'hydrocarbures et leur exploitation dans la dernière décennie du 20e siècle.

      En 1970, le Ministère soviétique de l'Industrie pétrolière instaura la démarcation conventionnelle de la mer Caspienne dans les limites de la partie soviétique. En conformité avec la pratique internationale, l'arrêté ministériel divisa le bassin du lac-mer entre les RSFS de Russie (19 %) et les RSS d'Azerbaïdjan (19 %), du Kazakhstan (30 %) et de Turkménie (18 %) par une ligne médiane. Tous les gisements prospectés furent distribués en tenant compte de cette division sectorielle dont les parts n'étaient pas égales. Les républiques soviétiques concernées avaient la plénitude du pouvoir pour la prospection et pour l'exploration dans les secteurs leur appartenant. C'est ainsi que l'extraction des hydrocarbures passa sous la gestion des ministères républicains.

      

      Cependant, il convient de préciser qu'il ne s'agissait que d'une division administrative de la mer qui se limitait à sa partie soviétique. Il ne fut en aucun cas question de l'application du Droit international. C'est pourquoi cette démarcation ne fut pas ratifiée par le Soviet Suprême de l'URSS. Moscou voulait tout simplement partager les pouvoirs et les compétences entre les départements centraux et républicains. En effet, la Caspienne fut toujours considérée par la science soviétique comme une mer intérieure unique. Le fait d'être unique et entourée par les territoires de seulement deux pays « permit » à Moscou et à Téhéran de ne jamais appliquer sur elle les normes du Droit de la mer.

      En 1982, la Loi soviétique sur la Frontière d'État stipula que le tracé de la frontière d'État de l'URSS, si aucun autre n'était prévu par les traités internationaux, se positionnait « sur les lacs et sur les autres bassins d'eau le long d'une ligne directe reliant les extrémités de la frontière d'État de l'URSS aux rives du lac ou de l'autre bassin d'eau » 474 . Cela voulait dire que les Soviétiques divisaient unilatéralement la Caspienne en la considérant comme un lac : 87 % en partie russe et 13 % en partie iranienne.

      Cependant, tous ces traités mentionnés ne furent pas en mesure de prévoir les changements politiques et les multiples problèmes qui en découleraient et qui se produiront après l'implosion de l'URSS. Pour résumer, jusqu'aux années 1990, le problème du statut juridique de la Caspienne ne se posa pas entre l'URSS et l'Iran. Les recherches peu nombreuses sur ce sujet en témoignent également. C'est seulement dans les années 1980 que le chercheur azerbaïdjanais R. Mamedov traita d'une manière suivie ce sujet dans ses travaux 475 .

      


B. – La valorisation de la question du statut après le démantèlement de l'URSS

      

      La situation changea radicalement après l'écroulement de l'Union soviétique qui fut suivie d'un boom pétrolier et par le retour du « Grand Jeu ». On voit augmenter progressivement le nombre de chercheurs aussi bien dans les pays caspiens qu'en Occident

      

      qui commencent à étudier les différents aspects du statut de la mer. Le but final est d'apporter la clarification du statut juridique de la Caspienne compte tenu de l'évolution de la situation régionale et internationale contemporaine. Dans ce contexte, en dépit des changements géopolitiques considérables de la région, les traités soviéto-iraniens sont toujours au centre des préoccupations des spécialistes du droit international des différents pays concernés.

      La question du statut juridique de la Caspienne est une pierre d'achoppement qui pose un nouveau problème aux États riverains et aux investisseurs étrangers. Ils se retrouvèrent dans une situation unique avec une mer qui de facto est divisée depuis longtemps en secteurs nationaux, mais qui de jure continue de dépendre de traités caducs. De plus, nulle part au monde n'existe un cas similaire qui pourrait constituer une jurisprudence.

      La réactualisation de cette question fut alimentée par quelques facteurs :

      par la dissolution de l'URSS qui, entre autres, fit naître trois nouveaux États caspiens avec pour chacun l'ambition de s'approprier la meilleure part de la mer qui cessa d'être un lac russo-/soviéto-iranien ;

      par les nouvelles estimations des réserves énergétiques du bassin caspien, comprenant la mer et le plateau continental, qui sont quatre fois plus importantes que celles faites par les Soviétiques ;

      par l'appel à la coopération lancé par les pays régionaux récemment constitués et adressé aux investisseurs étrangers. En manque chronique de ressources financières propres, les trois nouveaux pays caspiens invitèrent ces derniers à participer aux programmes aussi bien de prospection, d'extraction et d'exploitation de nouveaux gisements que d'acheminement des hydrocarbures vers les marchés mondiaux. La question s'internationalisa par l'arrivée des corporations et des consortiums transnationaux ;

      par un réveil du nationalisme au sein des élites politiques des nouveaux États qui se jetèrent dans la bataille pour une émancipation économique et politique contre leur ancienne métropole.

      La situation autour du problème du statut se compliqua à cause des politiques de départ intransigeantes aussi bien de la Russie et de l'Iran que des trois nouveaux pays souverains. Tous essayèrent de traiter cette question à travers le prisme de leurs intérêts nationaux limités sans tenir compte des normes, de la pratique et du droit internationaux. Les démarches unilatérales des nouveaux membres du club caspien (Azerbaïdjan, Kazakhstan, Turkménistan) avaient leur explication logique : les traités existants ont tous été conclus en faveur de la Russie et de l'Iran et ne tenaient absolument pas compte de leur existence.

      Nombreuses sont les questions qui se posèrent : la disparition d'un sujet international (Union soviétique) entraîne-t-elle l'annulation des traités signés par ce dernier s'il a un successeur légitime reconnu par la communauté internationale ? ; devant les changements géopolitiques considérables de la région, faut-il estimer non valides tous les anciens accords concernant la Caspienne et se mettre d'un commun accord à l'élaboration d'un nouveau régime pour la mer ? ; la Caspienne est-elle une mer fermée ou un lac frontalier ?

      Avant 1991 tout était simple : la Caspienne était alors considérée comme une mer fermée coupée en deux, la « chasse gardée » de l'Iran et de la Russie/Union soviétique. Cet état de chose fut dicté tout d'abord par des considérations sécuritaires. Il est également issu de l'imperfection de la science géographique sur les définitions des bassins d'eaux et du parti pris des spécialistes dont les arguments étaient souvent censés justifier la ligne officielle de leurs pays respectifs.

      À présent, il faut discuter à cinq et les négociations autour de cette mer fermée ne sont pas sur le point d'aboutir. Le changement de la carte politique de la région caspienne avec l'apparition des quatre nouveaux États riverains, ayant chacun des prétentions sur certains secteurs riches d'hydrocarbures, réduit à néant l'importance voire la « légitimité » des traités russo-persan et soviéto-iraniens qui, de facto, cessèrent de jouer un rôle quelconque après l'effondrement de l'URSS. L'absence de statut représenta également une inquiétude supplémentaire pour les investisseurs étrangers. L'urgence de la conclusion d'un nouvel accord sur le statut juridique de la Caspienne se posa nettement.

      La complexité de la situation est d'autant plus importante que la culture juridique des quatre nouveaux États est peu développée et qu'ils manquent de pratique dans les relations internationales (hormis pour la Russie). Cela est dû à l'héritage soviétique. Les républiques « souveraines » étaient seulement consultées par le Centre dans la prise de décisions et pendant la conclusion de traités. C'est pourquoi ils éprouvaient une méfiance générale envers le droit international et le « mode pacifique de règlement des différends » 476 .

      Les anciens traités ont plusieurs lacunes juridiques sérieuses. Ils

      ignorent totalement l'avis et la participation des anciennes Républiques de l'Union soviétique, formellement « souveraines » ;

      ne font aucune référence aux frontières administratives entre ces dernières ;

      n'admettent nullement que le nombre de pays riverains peut passer de deux à au moins cinq ;

      ne réglementent pas les questions liées à l'utilisation des fonds marins et du plateau continental ;

      passent sous silence les questions relatives à la protection de l'environnement.

      Il n'est pas certain que le droit international s'applique sur la Caspienne, car sa nature même n'est pas précisée. Ainsi, les discussions post-soviétiques se construisent autour des deux options : mer fermée, ou lac frontalier. Le problème fondamental repose également sur le partage des fonds marins pour une exploitation ultérieure, les questions concernant la navigation devenant secondaires. Ainsi, la question « Comment découper la Caspienne ? » est devenue un véritable casse-tête pour les diplomaties des États riverains, ainsi que pour les pays ayant des intérêts stratégiques dans cette région.

      


C. – Le statut de la Caspienne dans le contexte du droit international

      

      Nombreuses sont les opinions des spécialistes concernant le problème du statut de la mer à inscrire dans le droit international et dans les traités signés à l'époque soviétique où seuls deux acteurs, l'ex-Union soviétique et l'Iran, étaient parties contractantes. La question est d'autant plus complexe qu'elle est compliquée par différentes interprétations des droits de succession à l'issue de la disparition de l'URSS, sujet international de grande importance. Quel éclaircissement les prescriptions du droit international sur ce problème peuvent-elles apporter ?

      Dans la résolution du problème du statut, il faut partir de la théorie du droit international pour définir laquelle de ses réglementations est susceptible d'être appliquée à la Caspienne. Or, tout n'est pas aussi simple qu'il y paraissait. Anticipons pour poser une question qui aurait dû être formulée à la fin de ce sous-chapitre. Est-ce une bonne approche d'essayer de classer la Caspienne au regard du droit existant alors qu'elle y a heureusement échappé jusqu'à présent ?

      La Convention du Droit de la mer de l'ONU est le principal document qui énonce les principes essentiels du droit maritime international. Elle distingue les mers ouvertes et les mers fermées ou semi-fermées 477  sans préciser ni leur statut ni le mécanisme de partage de la

      surface maritime entre les pays riverains. Apparemment, les mers en question étaient déjà toutes partagées entre les pays riverains selon le droit maritime existant et la question ne se posait pas. C'est également la raison pour laquelle la Cour internationale, pendant toute la période de son existence, ne traita aucun dossier concernant les différends liés à la délimitation des frontières maritimes 478 . Le terme « mer intérieure », utilisé souvent dans le cas de la Caspienne par certains pays riverains, est juridiquement incorrect, car il n'existe pas une telle définition dans la Convention de l'ONU.

      Il ne serait pas correct de soumettre directement la Caspienne à la Convention du Droit de la mer de Montego Bay, car celle-ci ne concerne que les mers et les océans. Comme le constate le grand juriste français de référence du droit de la mer Gilbert Gidel, malgré sa taille, ses paramètres « maritimes » et la tradition historique de dénomination de « mer », la Caspienne, à l'instar de la mer Morte ou des Grands Lacs, ne peut pas être considérée comme un espace régi par le droit maritime 479 . Les auteurs contemporains partagent le même avis. En particulier, L. Lucchini et M. Voelckel soulignent que l'appellation d'« eaux enfermées de toutes parts dans les terres (mer d'Aral, mer Caspienne, mer Morte) » est celle de mer « lorsque leur superficie est importante » 480 . On voit clairement qu'il ne s'agit que d'une appellation de mer purement traditionnelle et la Caspienne n'est pas classée parmi les catégories de mers. Selon le chercheur iranien A. Dowlatchahi, la Caspienne est le plus grand lac au monde, car elle n'a pas de communication par un détroit avec un océan ou une mer libre 481 .

      Ainsi, la Caspienne n'est pas une « mer » ordinaire parmi les autres au moins pour deux raisons :

      Elle n'est pas liée à l'océan mondial par les détroits. Les rivières et les canaux qui assurent la connexion avec les mers ouvertes ne sont pas considérés comme objet de droit maritime international.

      Il n'existe pas de régime de libre navigation dans ses eaux, comme prévu par le droit international. Cela est dû à la politique commune élaborée par l'ancienne Union soviétique et l'Iran.

      Dans la pratique contractuelle russe (tsariste, soviétique) depuis le 19e siècle, la Caspienne était traitée comme une mer fermée. La plupart des spécialistes russes dans le domaine du droit maritime étaient du même avis. Le Dictionnaire naval du droit international définit la Caspienne en tant que mer fermée : « La mer Caspienne, fermée géographiquement et entourée par le territoire des deux États, l'URSS et l'Iran, est considérée comme une mer soviéto-iranienne » 482 . Un des arguments en faveur de cette thèse était que la mer Caspienne non seulement n'était pas liée par des détroits ou par des fleuves aux mers ouvertes, mais aussi était très éloignée d'elles. Il en découlait que le régime juridique devait être élaboré exclusivement par des pays riverains, en l'occurrence par la Russie et par l'Iran. La position de Téhéran ne divergeait pas beaucoup de celle de Moscou. Pour la capitale iranienne, la Caspienne était également une mer fermée soviéto-iranienne. L'article 2 amendé de la Loi iranienne d'Exploration et d'exploitation du plateau continental (1955) précisa que les « règles du droit international relatives aux mers fermées sont appliquées à la Caspienne » 483 .

      Le fait que la Caspienne n'est pas entourée par le territoire d'un seul pays, la rapproche des lacs frontaliers. Or, il est nécessaire de définir la notion même de lac frontalier (des eaux intérieures) du point de vue du droit international en vigueur. Dans le monde entier on compte quelques milliers de grands et petits lacs. Parmi eux, une centaine sont traités en frontaliers 484 .

      Dans le dictionnaire Les fleuves et les lacs frontaliers internationaux édité en ex-URSS, on définit un lac frontalier comme se trouvant à la frontière de deux ou plusieurs États 485 . Selon V. Glazounov, les lacs frontaliers se divisent en deux catégories : ceux qui ont une sortie vers les océans (par exemple, les Grands lacs de l'Amérique du Nord) et ceux qui en sont privés (la Caspienne, l'Aral, etc.). Ainsi, à l'époque soviétique, les spécialistes étaient enclins à considérer la Caspienne comme un grand lac, relevant de la souveraineté de deux pays, en dépit de l'utilisation traditionnelle du mot « mer » 486 .

      Dans certains ouvrages, on rencontre la notion de lac international qui diffère sensiblement de celle du lac frontalier. Ainsi, le savant suisse Ph. Pondaven, hormis les lacs nationaux, distingue deux autres catégories de lacs : internationaux et frontaliers (lacs-frontière) 487 . Les lacs nationaux sont des lacs n'ayant aucune sortie vers les mers et entourés par le territoire d'un seul État. Bien entendu, dans ce cas, il ne se pose aucun problème.

      Analysons de près les deux dernières catégories. Selon l'auteur, le lac international est celui auquel ont accès deux ou plusieurs États et duquel partent des voies navigables qui ont une importance internationale conformément à la Convention de Barcelone du 20 avril 1921 488 . En outre, les eaux des lacs internationaux peuvent être utilisées à des fins industrielles et agricoles par différents pays 489 . En ce qui concerne les « lacs-frontière », Ph. Pondaven donne cette définition : « Est lac-frontière, toute étendue d'eau, traversée par une frontière internationale ou bordée par des États riverains différents, dont le niveau est différent de celui du niveau général de la mer libre et dont le débit journalier du déversoir, lorsqu'il existe, est inférieur à la masse d'eau retenue » 490 . Le savant classe la Caspienne dans la catégorie des lacs frontaliers quoique aucune frontière n'y soit déterminée. Enfin, selon l'affirmation de l'auteur, les lacs frontaliers, d'après leur situation géographique, sont des lacs internationaux. Par contre, ces derniers ne sont pas forcément tous des lacs frontaliers 491 .

      Les lacs internationaux, sans sortie vers les océans, se trouvent sous la juridiction des pays riverains et sont partagés à parts égales entre ces derniers. À notre avis, un lac frontalier passe automatiquement dans la catégorie du lac international. Donc, la division des lacs en frontaliers et internationaux n'est pas tout à fait correcte. D'un autre côté, l'accès des pays tiers aux lacs se trouvant à la limite de deux ou plusieurs États souverains n'enlève pas à ces derniers leur statut frontalier. Dans la pratique, ces deux termes – « international » et « frontalier » – recouvrent des notions très proches qu'on a de la peine à distinguer sauf à accorder à l'international un sens plus large et au frontalier un sens plus concret et précis. C'est aux pays riverains de décider du niveau d'ouverture du lac aux tiers en partant de leurs intérêts nationaux.

      Ph. Pondaven distingue trois catégories parmi les lacs frontaliers 492  :

      les lacs ayant des liaisons naturelles avec les mers ouvertes ;

      les lacs ayant des liaisons artificielles (canaux, etc.) avec les mers ouvertes ;

      les lacs ayant une liaison avec les fleuves internationaux.

      En simplifiant cette classification pour mieux analyser le cas de la Caspienne, on peut distinguer deux types de lacs, à l'instar du chercheur azerbaïdjanais R. Mamedov 493  :

      les lacs frontaliers dont les voies de communication, le biotope et les ressources minérales ne sont utilisés que par les pays riverains, selon les accords internationaux conclus ;

      les lacs frontaliers ouverts aux pays tiers pour la navigation internationale (les lacs internationaux, selon Ph. Pondaven).

      Cependant, en dépit des définitions données par les spécialistes, il n'existe pas de droit international spécialement élaboré pour les lacs frontaliers. Au cas par cas, les pays riverains décident eux-mêmes du statut de ces derniers et les solutions sont presque toujours différentes et incomparables. Dans ce contexte, la démarcation en secteurs nationaux n'est pas la seule issue. Il peut également être instauré sur les lacs frontaliers un régime juridique de condominium : droit de souveraineté exercé en commun par les pays riverains. La Russie et l'Iran prônèrent ce régime pour une application sur la Caspienne, mais pour cela il fallait avoir l'accord de tous les États caspiens.

      Dans tous les cas, le régime choisi sera légitime s'il est adopté d'un commun accord par tous les États riverains. Curieusement, en dehors du cas de la Caspienne, les accords multilatéraux, dans le cadre de la CEI, n'abordent presque pas les problèmes concernant les lacs frontaliers malgré l'existence de quelques exemples dans l'espace post-soviétique.

      La pratique internationale concernant les rivières internationales est plus élaborée, mais les amalgames entre les lacs et les fleuves frontaliers ne sont pas opportuns. Un fleuve qui traverse plusieurs pays et sert de liaison importante entre les bassins d'eau (lacs, mers, océans) doit être ouvert à la navigation internationale. Nous verrons plus tard comment le Kazakhstan tenta d'engager une discussion avec la Russie pour avoir accès à la Volga dont l'un des affluents constitue une frontière naturelle entre les deux pays.

      Après avoir brièvement examiné ci-dessus certaines notions et définitions relatives aux étendues d'eau, on peut conclure que la Caspienne n'appartient nettement à aucune classification existante. Pour devancer les choses, disons que les États caspiens finiront par comprendre cette évidence. Ils entameront ensuite un long processus de négociations bilatérales afin d'arriver à un consensus final acceptable pour toutes les parties. Comme l'écrit C. Romano, « la véritable question n'est pas de savoir si la Caspienne est une mer ou un lac en soi, mais plutôt de déterminer si, au vu de ses caractéristiques physiques, historiques et juridiques son régime devrait ou non être analogue à celui qui est normalement celui des lacs ou des mers fermées dont sont riverains plusieurs États » 494 . Ainsi, on se heurte ici au cas typique de « régionalisme géographique » qui sous-entend que les pays riverains des espaces d'eaux fermés peuvent « adopter entre eux des règles particulières applicables uniquement à l'espace considéré » 495  en partant de l'histoire passée, des traditions, des traités et du droit coutumier. On verra plus loin les particularités de la « coutume caspienne ». Il a toujours existé des traités bilatéraux qui, cependant, n'abordaient pas d'une façon précise le statut juridique. Les règles tacites non écrites se formèrent quand même durant des siècles. Les deux pays riverains – la Russie/URSS et la Perse/Iran – furent guidés par le droit coutumier sans toutefois utiliser ce terme qui « suppose la réunion de deux éléments : un élément de fait – la répétition d'un usage constant aussi bien dans le temps que dans l'espace – et un élément psychologique – la croyance expresse ou tacite, par l'ensemble des sujets de droit, que cet usage répond à une nécessité juridique » 496 . Les trois pays nouvellement créés se rendirent compte qu'ils ne trouveraient pas leur place dans ces normes coutumières russo-iraniennes et le conflit deviendrait ainsi inévitable.

      

      

      CONCLUSION

      

      Les premiers accords internationaux concernant d'une manière ou une autre le statut de la Caspienne remontent au 18e siècle. Les guerres russo-persanes du début du 19e siècle apportèrent des précisions au régime de la mer. Dans les traités qui ont suivi, la tendance générale est que premièrement, ils étaient tous au profit de l'Empire russe, et ensuite de l'Union soviétique, notamment quand il s'agissait du domaine militaire, deuxièmement, ils ne concernaient que les deux pays riverains. Tout accès pour des pays tiers fut interdit.

      Les traités russo-/soviéto-iraniens ont constitué, un temps, la base juridique, certes imparfaite, du statut de la mer Caspienne. Ils définissaient le régime de navigation et de pêche des deux pays riverains d'antan. Or, ils ne faisaient aucune mention sur la manière dont les parties contractantes considéraient la Caspienne ou encore comment délimiter les fonds marins. L'URSS et l'Iran ne s'interrogeaient même pas sur ces points.

      Les changements géopolitiques de la dernière décennie du 20e siècle dans la région propulsèrent la question du statut juridique de la Caspienne en première ligne de la vie politique régionale. Le démantèlement de l'Union soviétique mit fin au règne des doctrines impérialistes sur la Caspienne. La recherche d'un nouveau cadre juridique se posa brusquement. Les réflexions se firent, par excellence, autour de deux options : la Caspienne est-elle une mer fermée ou un lac frontalier ?

      La réactualisation fut conditionnée par : le démantèlement de l'URSS qui fit naître trois nouveaux États riverains ; de nouvelles estimations des réserves de matières premières énergétiques ; l'implication, sur l'appel des États récemment constitués, de pays tiers et de compagnies transnationales dans les contentieux régionaux. Tout devient plus compliqué à cause de l'absence de cas similaires dans la pratique du droit international. C'est un cas unique dans le monde et toute comparaison s'avère inopportune. De la même manière il n'existe pas une loi internationale qui serait susceptible d'être appliquée à la Caspienne. Ainsi, le statut juridique de cette mer ne peut être automatiquement soumis au Droit de la mer existant. La solution plus ou moins acceptable pour toutes les parties apparaît être l'élaboration d'un régime qui représente une sorte de mélange du droit international existant et de la pratique et des traditions séculaires établies. Autrement dit, la création d'un droit spécifique qui ne s'appliquerait qu'au cas de la Caspienne.

      

      

      

      

      

      

      

      


§ 2. Les négociations à Cinq : des réflexes anciens, une situation nouvelle

      

      

      Comme déjà dit, les traités soviéto-iraniens se retrouvèrent en dehors des réalités géopolitiques et économiques contemporaines. Le nombre d'acteurs passa de deux à cinq dont trois non signataires des accords existants. Cela ouvrait largement la voie à différentes interprétations des lacunes juridiques des traités en question. Considérés comme exonérés de « tout engagement historique » 497 , les trois nouveaux États caspiens (ci-après les Trois), dans leurs actions pratiques, ne se sentaient pas liés par les traités signés entre l'URSS et l'Iran. Chaque acteur tenta alors d'instrumentaliser le problème du statut à ses propres fins économiques et géopolitiques.

      


A. – Face à face deux (Iran, Russie) contre trois (Kazakhstan, Azerbaïdjan, Turkménistan)

      

      Dès le début des discussions, la Russie et l'Iran misèrent sur le statut de mer fermée (ou de lac 498 ) permettant le partage éventuel des fonds marins entre les cinq pays riverains sans changer le statu quo existant. Les secteurs russe et iranien étudiés jusqu'à présent sont relativement pauvres en réserves pétrolières et leur littoral maritime est réduit par rapport à celui des trois nouveaux arrivants. C'est pourquoi Moscou et Téhéran étaient désireux de profiter au maximum des « parts » des autres.

      Au départ, la Russie et l'Iran se prononcèrent pour un régime basé sur le principe de condominium ou res communis 499 , c'est-à-dire pour un régime qui prévoyait l'utilisation commune des ressources énergétiques des fonds marins. Le slogan avancé par Moscou à Téhéran en septembre 1995 fut : « La Caspienne – patrimoine commun » 500 . En période soviétique, on ne parlait pas de condominium, quoique le régime existant puisse être rapproché de celui-ci. La Russie proposa de faire exercer toute activité économique liée aux travaux de prospection, d'exploration et d'extraction des hydrocarbures par des sociétés mixtes exclusivement composées des cinq pays riverains. Ainsi, deux buts pouvaient être atteints : la division de la mer en secteurs nationaux ne se réaliserait pas et l'arrivée du capital pétrolier international serait limitée et contrôlée.

      Or, les propositions russes furent très loin d'être attrayantes pour les élites politiques des Trois qui étaient encore entraînés par le mouvement centrifuge commencé avant même la dissolution de l'URSS. Par crainte de se retrouver de nouveau dans le giron du « frère aîné », en plus appauvri, les jeunes États caspiens cherchèrent des alternatives et de nouveaux « maîtres ».

      Chaque pays caspien commença à avancer sa variante du statut en opérant par les conventions et par l'utilisation des lois internationales portant sur les mers et sur les lacs. De nombreuses approches furent marquées d'incohérence et de confusion totale. Elles s'appuyaient sur certaines des dispositions de la Convention du Droit de la mer de l'ONU, mais utilisaient des « arguments extérieurs à la Convention elle-même » en recourant à ce qu'on appelle le « concept de mer par définition » 501 . Autrement dit, les nouveaux États utilisaient les conceptions des lois internationales existantes pour inventer, en effet, une nouvelle loi susceptible d'être appliquée sur la Caspienne. Ils cherchèrent à en tirer le meilleur profit afin de renforcer leurs propres positions géopolitiques dans la région.

      Encouragés par les compagnies pétrolières occidentales, les Trois montrèrent clairement leur intention de contester aussi bien le statut existant de la mer que les propositions faites par les deux anciens maîtres de la Caspienne. Les premiers pronostics « bruts », visiblement surestimés, incitèrent les Trois à revoir, dès la fin de 1992, leurs rapports avec Moscou dans la question du statut de la Caspienne. Ils étaient pressés de voir reconnaître, sur le plan international, leurs droits sur les secteurs leur appartenant. Ils proposèrent, en particulier, d'annuler les traités russo-persan et soviéto-iraniens compte tenu des changements géopolitiques contemporains. Pour défaire ce nœud, ils pensèrent d'abord à appliquer à la Caspienne les règles de la Convention du Droit de la mer de l'ONU 502  qui n'avaient curieusement jamais été ratifiées par l'ex-URSS. Cela pouvait déjà lever, dans un premier temps, les droits monopolistes de Moscou et de Téhéran. Le fait que la mer est liée à l'océan via les réseaux de canaux Volga-Don et Marinski, était pour eux un argument suffisant pour que la Convention soit appliquée. En outre, la Convention ne possède aucune liste jointe précisant les mers auxquelles elle s'applique.

      Ainsi, peu après la reconnaissance commune des droits de la Russie dans l'exercice des engagements internationaux de l'ex-URSS, les Trois mirent en cause le statut existant de la Caspienne qui constituait un obstacle à leur prospérité économique et à leur développement accéléré. Ici nous touchons la question controversée de la succession d'États 503 . La Russie est-elle le seul successeur de l'Union soviétique et de ses engagements en matière de traités internationaux ? Quel est le « niveau de succession » des 14 ex-républiques soviétiques après la dissolution de l'URSS ? Nous ne nous proposons pas d'entrer dans les détails au regard de toute la complexité juridique qui engendra de multiples problèmes, et ce processus est encore loin d'être achevé. Brièvement, soulignons qu'on a eu un nombre important de déclarations à ce propos à tous les niveaux. Si la Russie est l'État continuateur de l'URSS, en règle générale, elle doit hériter de son prédécesseur non seulement les engagements vis-à-vis de la communauté internationale, mais aussi les territoires des 14 pays actuellement indépendants. Si elle est successeur, elle doit partager avec les 14 autres les droits et les obligations de leur prédécesseur commun. Dans la Déclaration d'Alma-Ata du 21 décembre 1991, il est précisé que les « États membres de la Communauté garantissent, en conformité avec leurs procédures législatives, le respect des engagements internationaux découlant des accords signés par l'ex-URSS » 504 . Un peu avant, à Minsk (le 8 décembre 1991), les pays fondateurs de la CEI avaient déjà fait une déclaration similaire 505 . Dans la pratique contractuelle post-soviétique, certains pays signèrent des accords internationaux en qualité d'États héritiers 506 . Ainsi, on peut supposer que la Russie est un des successeurs de l'ex-URSS parmi d'autres. À notre avis la formule la plus conforme serait de dire que les États nouvellement indépendants, d'une manière ou une autre, sont des successeurs issus d'une séparation.

      Cependant, il existe également de nombreux documents où la Russie figure en tant qu'État continuateur. Dans la décision du 21 décembre 1991 (Alma-Ata), les chefs d'État des pays de la CEI se déclarèrent favorables à ce que la Russie prenne la relève de l'URSS à

      l'ONU et dans le Conseil de sécurité en qualité de membre permanent 507 . Au titre de continuateur, la Russie fut reconnue par l'ONU et d'autres organisations internationales 508 . Malgré l'affirmation unanime de la continuation des traités, la pratique s'avéra très différente selon l'État, et les déclarations restèrent lettre morte. Toutes les subtilités et les contradictions de la question de la succession/continuation de l'Union soviétique laissèrent leur empreinte sur le comportement des États caspiens. En effet, c'est dans la région caspienne que les questions « successorales » sont les plus discutées. Or, cette succession relative aux ex-républiques soviétiques est très fluctuante en fonction des États et des situations, elle n'est pas soumise à des règles rigoureuses. Dans le contexte caspien, les États ne recourent jamais à l'ensemble des traités et des accords, ils se servent, d'une façon sélective, de certaines clauses. Au début des années 1990, tout cela amena à une sorte d'anarchie juridique sur les questions relatives à la Caspienne et ce processus n'est pas encore achevé. Avant de reprendre le fil de l'évolution ultérieure de la situation concernant le statut, posons une question rhétorique : si on retient la thèse que toutes les anciennes républiques soviétiques sont des successeurs de l'URSS défunte, doivent-elles se justifier de se mêler des affaires caspiennes dans la mesure où les traités soviéto-iraniens furent conclus entre leur prédécesseur et l'Iran ? Cela est encore un exemple de l'« imbroglio juridique » existant.

      La première tentative de rapprochement des positions se produit le 15 octobre 1993, à Almaty, où s'étaient réunis les Premiers ministres russe, kazakhstanais, azerbaïdjanais et turkmène. Curieusement, l'Iran qui avait réuni le premier les États caspiens pour discuter de la question du statut juridique de la Caspienne (le 17 février 1992), fut absent. En principe, les parties tombèrent d'accord pour résoudre en commun tous les problèmes existants liés à la mer. Pour cela, un Conseil de coopération économique des pays caspiens devait être créé afin de contrôler les activités économiques en matière d'extraction des hydrocarbures. Or, la conclusion des contrats entre les gouvernements de l'Azerbaïdjan et du Kazakhstan, d'une part, et les consortiums occidentaux, de l'autre, sur la prospection et l'exploitation des gisements de pétrole et de gaz naturel dans le bassin de la Caspienne, réduisirent à néant le processus à peine commencé.

      Après la dissolution de l'URSS, les grosses compagnies pétrolières internationales concentrèrent leurs efforts et leurs moyens sur la région caspienne dont les richesses en hydrocarbures représentaient pour eux un nouveau marché très prometteur. Leurs efforts aboutirent à la signature le 20 septembre 1994 du « contrat du siècle » avec le gouvernement azerbaïdjanais. Cela signifia la fin de la courte phase des discussions théoriques à propos du statut juridique de la Caspienne. Ces actions unilatérales de Bakou et plus tard d'Astana provoquèrent l'irritation de Moscou et de Téhéran. Ces derniers étaient en effet inquiets de la participation des compagnies étrangères à l'exploration des richesses de la mer. Ils se sentaient menacés en voyant leur influence et dominance d'antan s'affaiblir dans la région. Les deux capitales étaient indignées, mais hormis l'édiction de notes diplomatiques et de déclarations officielles, elles n'allèrent pas plus loin.

      Compte tenu de l'inégalité des forces et des positions de départ, les Trois aspiraient à internationaliser ce différend avec Moscou et avec Téhéran en faisant tout pour que l'Occident, notamment les États-Unis, soit impliqué. Les encouragements de ces derniers poussèrent les Trois à construire leurs politiques caspiennes à leur gré comme si le statut était déjà défini pour de bon. Chacun poursuivait le but d'avoir de facto des droits exclusifs sur les secteurs considérés unilatéralement comme les leurs au moment où sera prise la décision politique finale.

      S'imposant, de gré ou de force, dans les débats géopolitiques autour de la Caspienne, les compagnies pétrolières occidentales épaulées par leurs pays d'origine respectifs tentèrent de s'immiscer dans le processus des négociations sur le statut juridique de la mer. Dès le début des discussions, le capital pétrolier mondial était désireux de voir la Caspienne divisée en secteurs nationaux. Les intérêts stratégiques des compagnies pétrolières, qui faisaient désormais partie de gros consortiums internationaux, se répercutèrent largement sur les positions prises par Bakou et par Astana. En 1996, les Américains et les Britanniques élaborèrent un plan portant le nom de Tempête sur la Caspienne qui se proposait d'établir un contrôle transnational sur les ressources minérales de la mer au cas où les discordances du Kazakhstan et de l'Azerbaïdjan avec d'autres pays de la région s'aggraveraient 509 .

      Ainsi, la durée des négociations sur le statut promit d'être longue, pour au pire, n'avoir aucune avancée perceptible. Moscou pensait naïvement qu'un tel développement de la situation pourrait l'arranger dans la mesure où elle n'était pas autant intéressée par un partage qui placerait davantage la mer hors de son contrôle. Cette politique de prendre du temps pour résoudre le problème n'obligeait en rien la capitale russe et pouvait permettre à sa diplomatie de manœuvrer dans de multiples projets avantageux de la région. Or, le futur montrera que le temps a été bénéfique aux Trois.

      En cas de partage de la surface maritime en secteurs, la Russie et l'Iran seraient les grands perdants. Ce type de partage affecterait sensiblement la navigation maritime et la pêche qui est une autre source de recettes en devises comparable au pétrole, car les gisements d'hydrocarbures seront épuisés un jour, mais les ressources de l'esturgeon caspien sont inépuisables, certes, à condition de procéder à la conservation de l'espèce et à la défense de l'environnement maritime.

      


B. En quête d'une concertation : les deux (Iran, Turkménistan) face aux trois (Russie, Kazakhstan, Azerbaïdjan)

      

      La glace se rompit à Achkhabad le 12 novembre 1996. Moscou, en faisant marche arrière, changea ses positions de départ concernant le statut de la Caspienne afin d'échapper à la perte définitive du contrôle de la situation. Ce fut E. Primakov, l'ex-ministre russe des Affaires étrangères, qui présenta les nouvelles positions russes. Le Kremlin finit par accorder à chaque partie une zone économique exclusive, ainsi qu'une souveraineté sur des ressources naturelles en dehors de ces zones, mais sous certaines réserves. Pour l'élaboration du futur statut de la Caspienne, un Groupe spécial de travail fut créé au niveau des vice-ministres des Affaires étrangères des Cinq qui se réunira pour la première fois en mai 1997.

      À l'issue de cette rencontre et après le départ des délégation azerbaïdjanaise et kazakhstanaise, Moscou, Téhéran et Achkhabad signèrent un mémorandum. Ils se déclarèrent prêts à coopérer dans l'exploration des richesses minérales de la Caspienne et à délimiter la surface maritime dans les limites de 45 milles marins à partir des côtes dans lesquelles les pays souverains auraient des droits exclusifs en matière d'extraction des hydrocarbures. Le reste des surfaces devait faire l'objet d'une utilisation commune. Le mémorandum de la troïka fut une riposte tardive, plutôt politique qu'économique, aux actions unilatérales de l'Azerbaïdjan. Inutile de souligner le mécontentement de Bakou et d'Astana sur cet accord conclu derrière leurs dos et qui ne sera pas suivi d'effet comme beaucoup d'autres.

      1998 fut l'année du changement principal de la politique russe par rapport au bassin caspien. La Russie estimait que dans les négociations sur le statut de la Caspienne il convenait de procéder étape par étape, dans un esprit de consensus. Dans ce contexte, la délimitation des fonds marins pour l'extraction des hydrocarbures pouvait servir de premier pas. Pour cela, la capitale russe avança le principe de la ligne médiane modifiée. Les experts des deux côtés se penchèrent sur le tracé de cette ligne.

      Au début de la même année, Moscou annonça officiellement que ses positions se rapprochaient de celles de ses anciens satellites en ce qui concerne le partage des fonds marins en secteurs nationaux, en gardant néanmoins une utilisation commune de la surface maritime. Le premier accord avec le Kazakhstan vit le jour le 6 juillet 1998 510 . Les deux parties se mirent d'accord sur la répartition des réserves de pétrole et sur le partage des zones offshore. Ainsi, Moscou finit par se laisser guider par des profits économiques au détriment d'acquis politiques durables et populistes. La Déclaration de coopération sur la mer Caspienne du 9 octobre 2000, signée à Astana par les présidents des deux pays, confirma davantage le rapprochement des positions russe et kazakhstanaise relatives à la Caspienne. Cependant, il ne s'agissait en aucun cas de la délimitation officielle de la frontière étatique sur la Caspienne entre la Russie et le Kazakhstan.

      Le Kazakhstan, à son tour, conclut des accords similaires avec le Turkménistan en délimitant leurs secteurs respectifs. Ainsi, on voit apparaître un nouveau type de frontière – frontière des ressources minérales – dont on ne trouve pas de cas analogue dans le droit international. Ainsi, au grand dam de l'Iran, la Russie et ses trois anciens satellites arrivèrent à la conclusion que le partage de la Caspienne était avant tout le problème des quatre pays issus de l'ex-URSS.

      Lors des négociations russo-iraniennes à Téhéran (2000), le représentant russe proposa de régler les différends liés aux gisements contestés selon le principe 50 : 50, en d'autres termes, la partie qui a commencé la première l'exploitation et l'exploration des gisements doit être payée par l'autre pour la moitié de ses dépenses déjà réalisées. Cette dernière a le droit de participer aux travaux. Moscou se prononça également pour la création d'un centre économique et stratégique pour la Caspienne qui se chargerait de la résolution des questions de navigation, de pêche, d'écologie et de coordination des politiques et des actions des participants.

      À l'issue du communiqué russo-azerbaïdjanais (janvier 2001), on parla nettement d'un principe « eaux communes, fonds partagés ». L'accord kazakhstano-azerbaïdjanais de la même année (novembre 2001) fut conçu dans le même esprit. Le changement de la position russe signifia qu'elle perdait la possibilité d'intervenir et de contrôler la politique des trois nouveaux acteurs caspiens en matière d'exploitation des richesses maritimes. Mais malgré tout, ce n'était pas le pire scénario pour Moscou, notamment après la découverte de nouveaux gisements dans le secteur russe. La volte-face russe provoqua l'irritation ouverte d'Achkhabad et de Téhéran. En effet, Moscou, Astana et Bakou créèrent une sorte d'alliance au nord de la Caspienne susceptible de contrecarrer la politique peu conciliante de l'Iran et du Turkménistan.

      Le développement de la situation géopolitique autour du statut de la Caspienne fut étroitement lié aux politiques menées par des géants pétroliers aussi bien internationaux que nationaux. La pression de ces derniers sur les gouvernements nationaux des Trois est très importante. Certains gouvernements construisent souvent leur politique pétrolière dans l'intérêt de ces compagnies, sans les investissements desquelles tout développement du secteur est condamné vu le manque chronique de ressources propres de financement. La non résolution du statut de la Caspienne freine, dans une certaine mesure, les investissements étrangers. Bien évidemment, derrière ces compagnies se trouvent les gouvernements occidentaux qui défendent leur propre cause et influencent les États récemment constitués encore fragiles et vulnérables.

      Grosso modo, les positions de la Russie, de l'Azerbaïdjan et du Kazakhstan convergent. Le Turkménistan conteste le contrôle des trois sites pétroliers se trouvant dans le secteur azerbaïdjanais, mais, sur le principe, il se rallie aux trois premiers. L'Iran, au sud, revendique aussi les gisements appartenant à l'Azerbaïdjan. Cette circonstance rapproche les positions de Téhéran et d'Achkhabad. Grand perdant, la capitale iranienne insiste sur un partage de la mer à parts égales. Par contre, les Cinq sont d'accord sur le nombre de pavillons sous lesquels doivent naviguer les bateaux sur la Caspienne. Comme avant, il est limité par les pays côtiers, ce qui par ailleurs, rapproche le régime maritime de celui des mers fermées. Cette tradition séculaire caspienne est donc toujours maintenue.

      Les 23-24 avril 2002, eut lieu le premier sommet des pays caspiens qui se réunit pour négocier le statut juridique de la mer commune. Comme variante de compromis, la Russie envisageait la création de consortiums mixtes pour l'exploitation des gisements litigieux. Or, le sommet échoua. Dans ces circonstances, Moscou privilégia de nouveau les négociations bilatérales et trilatérales susceptibles d'aboutir plus facilement aux compromis et de mettre les pays les plus irréconciliables (Iran et Turkménistan) devant le fait accompli. Ainsi, en septembre 2002 fut signé l'accord russo-azerbaïdjanais sur la délimitation du fond marin des secteurs contigus. En mai 2003 vit le jour l'accord tripartite (Russie, Kazakhstan, Azerbaïdjan) sur le point de jonction des lignes de délimitation. Le principe de partage pratiqué fut la ligne médiane modifiée.

      

      


C. – Le principe de « ligne médiane modifiée » : une base du futur compromis

      

      Rappelons brièvement les méthodes de délimitation traditionnelle des étendues aquatiques, notamment des lacs et des mers fermées, utilisées dans la pratique internationale. En effet, il en existe au moins trois types :

      Si les pays sont situés en vis-à-vis,

      le principe de positionner la frontière à équidistance des côtes.

      Si les pays riverains se trouvent côte à côte,

      le principe d'utiliser une ligne perpendiculaire à la direction générale des côtes ;

      la méthode de la bissectrice (bissection de l'angle formée par les deux lignes côtières des pays adjacents).

      Le premier type est la solution la plus pratiquée, notamment s'il existe une forte divergence d'opinions parmi les parties contractantes. Mais le choix du tracé de la ligne médiane et son application ne sont pas mécaniques. Comme souligne P.-M. Dupuy, la méthode de l'équidistance sert souvent de « première étape dans le processus général de recherche d'une solution équitable » 511 . D'une manière ou une autre, tout tracé séparatif se confronte aux « circonstances pertinentes de l'espace » 512 . Il convient donc de tenir compte de deux facteurs principaux : historique et géographique. Le passé historique de la région peut jouer un rôle important dans le processus de délimitation, car, en règle générale, les peuples sont très attachés à leurs histoires nationales et mémoires collectives. On instrumentalise les facteurs géographiques quand on traite la question sous les angles économique et stratégique. L'emplacement des gisements de ressources naturelles a également son impact sur les frontières futures, notamment, l'appartenance traditionnelle de tel ou tel secteur.

      La ligne médiane est pratiquée pour la délimitation des bassins maritimes entre les États ayant des côtes adjacentes ou qui se font face. C'est une ligne dont chaque point se trouve à la même distance vis-à-vis des points les plus proches situés sur les côtes de ces pays. La ligne médiane modifiée représente une variante de compromis dans de tels secteurs entre les côtes qui, pour leur délimitation, nécessitent une prise en considération de certains facteurs et particularités géographiques comme la présence des îles et des structures géologiques, les dépenses réalisées pour l'exploration, ainsi que d'autres circonstances spéciales. Il n'existe pas de normes qui limitent la ligne médiane habituelle de la ligne médiane modifiée. La ligne modifiée suppose un partage des ressources naturelles et en aucun cas ne s'identifie à la frontière étatique.

      Le Kremlin déclara que la limite de ses concessions reposait sur le principe de la délimitation selon la ligne médiane modifiée. En cas de partage de la mer par la ligne médiane ordinaire, les parts devaient être réparties ainsi :

      

      Tableau n° 10

      Les parts des pays selon la ligne médiane ordinaire

      

      

Pays Parts, % Superficie, km²



Russie 18,72 66 644,2
Azerbaïdjan 19,50 78 726,15
Kazakhstan 29,57 113 348,9
Turkménistan 18,44 80 569,8
Iran 13,77 44 167,15



Total 100 383 456,2

      Source : V. GRUNIN, « Pravovoj status Kaspijskogo morja i problemy obespečenija nacional'nyx interesov Rossijskoj Federacii v prikaspijskom regione » [« Le statut juridique de la mer Caspienne et les problmes de garantie des intérêts nationaux de la Fédération de Russie dans la région caspienne »], Žurnal teorii i praktiki evrazijstva, 2002, n° 13. (http://www.e-journal.ru).

      

      Dans la proposition russe de ligne médiane modifiée sont affirmés :

      les droits souverains sur des fonds marins, en d'autres termes, seuls ces derniers sont partagés en secteurs nationaux ;

      la conservation en usage commun de la surface maritime et de la masse aquatique ;

      la création d'un Centre économique de la Caspienne qui s'occupe des questions de la protection commune de l'environnement, de la navigation libre, de la pêche (selon les quotas accordés) et de la coordination des actions collectives ;

      le partage des gisements contestés selon le principe 50 : 50, autrement dit, la partie qui prétend à la possession de ces derniers, compense 50 % des dépenses de prospection et d'exploration déjà effectuées à l'autre partie qui a commencé la première l'exploitation du gisement litigieux. Elle aura également le droit de participer aux activités économiques ultérieures.

      La Russie proposa aussi de définir deux zones côtières : d'une largeur de 12 milles marins pour les contrôles frontalier, douanier, sanitaire et autres et de 25 milles pour la pêche, toujours sous pavillons des pays riverains 513 .

      

      Tableau n° 11

      La répartition éventuelle des réserves énergétiques de la Caspienne

      

      


Division sectorielle Zone de juridiction de 25 milles marins Zone de juridiction de 12 milles marins

pétrole milliard de tonnes gaz trillions m³ pétrole milliard de tonnes gaz trillions m³ pétrole milliard de tonnes gaz trillions m³
Russie 1,0 1,0 1,0 0,5 0,2 0,3
Kazakhstan 3,0 1,5 2,0 1,0 0,6 0,4
Azerbaïdjan 2,5 1,5 1,5 1,5 0,5 0,5
Turkménistan 0,5 1,0 0,5 0,5 0,1 0,2
Zone commune - - 2,0 1,5 5,6 3,6
Total 7,0 5,0 7,0 5,0 7,0 5,0

      Source : CHEGROUCHE L., « Géopolitique caspienne. Rivalité de puissance et contrôle global de l'énergie », Géopolitique, n° 76, octobre-décembre 2001, pp. 117-130.

      

      À la fin des années 90, les études d'une compagnie étrangère montrèrent qu'en cas de division sectorielle de la Caspienne, la Russie ne serait que le troisième (après le Kazakhstan et l'Azerbaïdjan) parmi les cinq pays riverains en matière de richesses naturelles 514 . Le changement de la position russe s'explique certainement par la découverte de nouveaux gisements au nord de la Caspienne, aussi bien dans le secteur russe que dans la partie litigieuse russo-kazakhstanaise.

      

      

      CONCLUSION

      

      Après la dissolution de l'URSS, le statut de la mer Caspienne devait être renégocié entre les cinq États riverains : la Russie, le Kazakhstan, l'Azerbaïdjan, le Turkménistan et l'Iran. Les trois nouveaux États placèrent d'emblée tous leurs espoirs de prospérité sur le développement du secteur pétrolier avec l'aide des investisseurs étrangers. Cependant, le cadre juridique existant de la mer excluait toute présence de pays tiers dans ses eaux privant ainsi les Trois du droit de les inviter à explorer les richesses très prometteuses de leur sous-sol, du moins sans les permissions de Moscou et de Téhéran. Encouragées par le capital pétrolier international, le poids géopolitique des États nouvellement constitués devenait de plus en plus important. Cela se produisit sur fond d'affaiblissement de l'influence politique aussi bien de la Russie que de l'Iran, les deux anciens maîtres de la Caspienne.

      Les différends furent davantage attisés par les confusions liées aux questions successorales de l'ancienne Union soviétique.

      Initialement, Moscou et Téhéran se déclarèrent contre la division sectorielle de la mer fermée en avançant le principe du condominium qui permettait d'avoir un contrôle sur les multiples projets pétroliers en cours de réalisation et futurs. Cette disposition russo-iranienne allait à l'encontre des intérêts économiques des trois nouveaux acteurs riverains. Leur opposition rigide encouragée par l'Occident et par des compagnies pétrolières transnationales fut à l'origine du changement de la stratégie russe. Pour ne pas se voir évincée définitivement, la Russie fit preuve d'une politique pragmatique et se rapprocha du Kazakhstan et de l'Azerbaïdjan dans la quête de nouvelles solutions au problème. En fin de compte, le fond marin fut de facto partagé en secteurs nationaux en laissant néanmoins la surface maritime en utilisation commune. Ainsi, l'Iran et le Turkménistan se retrouvèrent devant le fait accompli.

      Les pays caspiens acceptent peu à peu l'idée de la division des fonds marins en secteurs nationaux selon la ligne médiane modifiée qui, en effet, devient la base de la délimitation. Pour des raisons sécuritaires, la mer reste exclusivement sous les pavillons des pays riverains, ce qui, en effet, continue la tradition des trois derniers siècles.

      

      

      

      


§ 3. L'évolution des positions des États caspiens sur la question du statut juridique de la Caspienne

      

      

      Le statut juridique désuet et imparfait amenait dès le début à une impasse dont Moscou ne percevait pas la fin. À force d'erreurs et de mauvais calculs, la Russie finit par perdre les rênes du pouvoir, léguées par l'ex-URSS. Les actions unilatérales des Trois et leur indifférence ouverte vis-à-vis de l'opinion de Moscou signifièrent pour cette dernière une humiliation et une baisse du prestige politique. Les pays occidentaux, dont les intérêts se croisaient dans la région, profitèrent largement de l'incapacité de Moscou à construire une politique cohérente et à s'adapter à la nouvelle situation géopolitique de la région, et dressèrent les Trois contre leur ancienne métropole.

      Imposée comme le seul successeur de l'URSS et reconnue comme tel par la communauté internationale et par les anciennes républiques soviétiques membres de la CEI, la Fédération de Russie, « trop influencée par d'anciens réflexes » 515 , tenta de conserver le monopole juridique (avec l'Iran) sur les questions liées à la mer Caspienne, défini par des traités soviéto-iraniens précédents. Cependant, cette vision n'était pas partagée par ses anciens satellites et se heurta d'emblée au mécontentement et à l'opposition de ces derniers 516 .

      Enfin émancipés, l'Azerbaïdjan, le Turkménistan et le Kazakhstan adoptèrent des politiques indépendantes en négligeant ouvertement la nouvelle vocation « légitime » de la Fédération de Russie. Dès le début, les Trois placèrent beaucoup d'espoir dans l'exploitation du potentiel énergétique de leurs secteurs maritimes, vital pour l'affermissement des indépendances acquises.

      


A. – La position de la Fédération de Russie : « Fonds marins partagés, eaux communes »

      

      En travaillant les nouvelles approches et en essayant de s'adapter lentement à la situation régionale en pleine mutation, Moscou se laissa guider par des images et stéréotypes anciens. Pour l'élaboration du cadre juridique, il proposa initialement de s'appuyer sur les traités soviéto-iraniens. Ainsi, la diplomatie russe essaya de jouer la carte du « seul successeur légitime » de l'URSS en privant les trois nouveaux États de toute prise autonome de décision relative à la Caspienne avant qu'un nouvel accord soit signé entre le G5 caspien. Dans la logique des choses, ce n'était qu'une tentative de continuer la politique impériale du passé. Moscou tenta vainement de focaliser l'attention et les efforts des Trois sur la pêche, notamment de l'esturgeon, et sur les multiples problèmes écologiques. L'objectif fut clair : la Russie se souciait beaucoup de garder son statut précédent intact. Elle mettra du temps pour réaliser qu'il n'y avait plus d'interlocuteurs pour accepter ce genre de discours.

      Au début des années 1990, la Russie, pour des raisons évidentes, se prononça contre le principe de division en secteurs nationaux (conception du lac frontalier). Comme déclara plus tard V. Poutine, « ce serait une erreur de la [Caspienne – G.G.] diviser en cinq mers » 517 . Pour Moscou, l'augmentation du nombre de pays riverains n'impliquait guère de changement de statut. À l'unisson avec l'Iran, la Russie se prononça pour l'adoption d'une Convention sur le statut juridique de la Caspienne qui déterminerait le régime d'utilisation commune des ressources naturelles des fonds marins.

      Peu après la signature du « contrat du siècle », la Russie fit même entendre sa position officielle à la tribune de l'ONU (le 5 octobre 1994) vu l'importance mondiale et la résonance internationale de cette question 518 . Avec l'Iran, ils obtinrent en 1995 une confirmation de la justesse de leur position par les experts en droit maritime de l'ONU : « La Caspienne est un bassin (lac) intérieur qui fonctionne économiquement sur la base des traités soviéto-iraniens sans date limite fixe, et avant l'élaboration d'un nouveau statut sur la mer Caspienne et sur ses ressources, toute action d'expropriation et de démarcation des frontières à l'intérieur de la Caspienne n'est pas légitime » 519 . Moscou tenta également de recourir à des mesures de pression économique, comme le blocus des voies navigables (Volga-Don, Volga-Baltique) par où passait le transit pour l'Azerbaïdjan, l'instrumentalisation de la question de la propriété des équipements pétroliers sur la Caspienne, etc. 520 

      Cependant, cette même Russie, le 20 novembre 1993, avait signé l'Accord de coopération dans le domaine de la prospection et de l'exploration des gisements de pétrole et de gaz sur le territoire de la République d'Azerbaïdjan dans lequel les parties contractantes mentionnèrent le « secteur azerbaïdjanais de la Caspienne » 521 . De plus, une compagnie pétrolière russe, Loukoïl, obtint 10% des actions du consortium international créé à l'issue de la signature du « contrat du siècle » qui concernait cette même zone.

      Cet exemple montre toute l'ambiguïté de la politique caspienne russe. Par ailleurs, cette situation était assez symptomatique de la Russie post-soviétique où les entrepreneurs et les représentants du gouvernement concluaient des contrats qui allaient parfois à l'encontre de la ligne officielle du pays. L'accord ci-dessus mentionné en est un brillant exemple. Ainsi, la politique caspienne russe avait une double dimension : celle du Ministère des Affaires étrangères (position officielle) et celle des compagnies pétrolières soutenues par les membres pragmatiques du gouvernement. En perdant dans la première, elle gagnait dans la deuxième, ce qui permettrait de sauver la face. D'une certaine manière, ce sont les compagnies pétrolières russes qui incitèrent le Kremlin à apporter des correctifs dans sa politique caspienne. L'expert russe Iakov Pappe décrit ainsi la position des industriels pétroliers qui « ne soutiennent pas les tentatives de la Russie de faire pression sur ses voisins méridionaux, en particulier, la déclaration des territoires des anciennes républiques musulmanes d'URSS comme zone d'intérêts spéciaux de la Russie. Ils ne la soutiennent pas, car ils ne croient pas en l'efficacité de telles mesures. Pour eux, il est plus important d'avoir une possibilité d'expansion immédiate plutôt qu'après un partage de la mer. C'est pourquoi, les industriels pétroliers veulent respecter les aspirations nationales de tous les États indépendants en attendant simultanément que ceux-ci décident de faire des efforts pour utiliser au maximum le potentiel scientifique, technologique et humain que la Russie possède encore » 522 .

      Pour la Russie, la Caspienne était un bassin intracontinental fermé (zamknoutyï) unique (land-locked body of water) qui, à proprement dit, n'était ni mer ni lac. Par conséquent, la Convention de l'ONU du Droit de la mer, ainsi que les principes élaborés par la pratique internationale concernant les lacs ne pouvaient être directement appliqués. Dans la conception russe, le fait d'être unique supposait qu'il fallait élaborer des règles (exclusivement par des pays riverains) qui ne seraient appliquées qu'au cas de la Caspienne. En effet, ces deux types de statut n'arrangeaient pas Moscou. Citons juste deux exemples :

      Si la Caspienne est un lac, il faut la diviser en secteurs nationaux qui se trouveront sous la souveraineté des pays riverains. En conséquence, la Russie perdrait, entre autres, la frontière commune avec l'Iran et le Turkménistan.

      Si elle est une mer, les pays tiers doivent avoir accès à elle et il faut revoir le statut de la Volga, dans le sens de son internationalisation, en tant que seule liaison avec l'océan mondial, car les mers supposent une sortie vers ce dernier. En 1994 encore, les États-Unis firent des allusions pour que la Russie ouvre le canal Volga-Don aux pavillons des pays tiers 523 .

      En cas de partage de la mer en secteurs nationaux, du point de vue stratégique et militaro-politique, la Russie pourrait être confrontée à une série de menaces éventuelles :

      la violation de la libre navigation sur les eaux de la mer ;

      la militarisation de cette dernière ;

      la présence de bâtiments de guerre appartenant à des pays autres que caspiens ;

      les nombreux problèmes et conflits territoriaux.

      À cette période, par inertie, le Kremlin pensait encore pouvoir miser, souvent verbalement, sur la force et sur l'intimidation politique et économique de ses anciens satellites pour la résolution des multiples problèmes de la mer Caspienne. Heureusement que ces temps ont changé.

      Dès la fin de 1995, Moscou renonça à utiliser la force dans l'élaboration de sa politique caspienne. Curieusement, ce sont l'Iran et le Turkménistan qui, dans les années suivantes, auront recours à la « diplomatie de la canonnière » 524  en faisant une démonstration de force militaire dans le règlement des différends non résolus. Parallèlement, la capitale russe recula dans ses positions de départ dogmatiques qui menaient à une impasse. Ainsi, le manque de choix et d'alternatives susceptibles de réussir, incita la Russie à réviser sa politique vis-à-vis de la région. Pour commencer, elle proposa d'élargir la zone côtière de 10 à 20 milles. Les richesses naturelles situées en dehors de cette zone devaient être exploitées en commun.

      Le Kremlin s'appuya peu à peu et davantage sur des méthodes économiques. Dans cette optique, il essaya d'utiliser les atouts géographiques du territoire russe, qui possédait le plus vaste réseau régional de voies de communication pour l'acheminement des hydrocarbures, afin d'infléchir le développement de la situation en sa faveur. Pour cela la diplomatie russe donna la préférence aux négociations bilatérales au lieu de se focaliser sur les rencontres à quatre ou cinq. En effet, celles-ci s'avérèrent plus productives aussi bien pour la Russie que pour ses nouveaux voisins. Cependant, les accords conclus ne pourraient devenir « statutaires ». Pour passer cette étape, il faut que voie le jour un document qui soit signé par les Cinq. Le rôle inestimable des pourparlers bilatéraux consiste en l'avancement apporté au processus d'élaboration du statut juridique en question, car négocier à deux était plus simple que de tomber d'accord à cinq. Le seul pays qui resta un peu hors du jeu était l'Iran.

      Parmi les facteurs qui poussèrent Moscou à être plus conciliante, mentionnons également sa crainte de se voir perdre ses leviers traditionnels d'influence sur les politiques domestiques et étrangères de ses anciens satellites. De même, on peut ajouter celle de ne pas contrôler la coopération entre ces derniers et les compagnies pétrolières occidentales. Compte tenu de la politique pratiquée par l'Occident à leur égard, le Kremlin se rendit parfaitement compte qu'il risquait de voir ces pays s'éloigner davantage et sortir de la sphère de son influence. Tout en infléchissant graduellement sa politique initiale, la diplomatie russe aspirait, malgré tout, à garder les Trois dans son orbite, autant que cela était possible.

      Pour éviter de nouveaux échecs, les approches russes devinrent progressivement plus pragmatiques. En 1996, la Russie avança une proposition qui prévoyait la délimitation des zones côtières à 45 milles pour les pays riverains. Pour les gisements pétroliers qui se trouvaient au-delà de ces zones, les experts russes proposèrent d'établir une « juridiction ponctuelle » 525 . Celle-ci signifiait que les gisements où des travaux étaient en cours de réalisation, pourraient passer sous la juridiction du pays concerné. Or, cette proposition ne trouva pas de partisans parmi ses voisins caspiens. Le premier opposant fut l'Azerbaïdjan, car plusieurs gisements auxquels il était attaché se trouvaient hors de cette zone de 45 milles.

      Le 6 juillet 1998, Moscou et Astana signèrent l'accord concernant la délimitation des fonds marins de la partie septentrionale de la Caspienne. L'opinion des chercheurs se partage sur la prise de cette décision par la diplomatie russe. Le spécialiste de la Caspienne Barsegov, en particulier, écrit : « En sanctionnant la division du fond marin de la Caspienne sur la base de l'utilisation commune de son espace aquatique et de ses ressources, la Russie, avec sa participation directe, asséna un coup puissant au statut établi de la Caspienne » 526 . L'auteur est un des ardents défenseurs du régime de la Caspienne défini par des traités russo-/soviéto-iraniens. Cependant, le « statut établi » qu'il évoque n'existait pas. Au contraire, on avait une situation d'incertitude et un statu quo illusoire avec un fondement juridique controversé voire douteux.

      Avant que les experts ne tombent d'accord sur le tracé de la future ligne médiane, les deux pays démarrèrent l'exploration des gisements qui se trouvaient dans la zone de la future ligne de partage. L'exploration et l'exploitation ultérieure des gisements de cette zone devaient valoriser le réseau des communications et les infrastructures pétrolières russes existantes et en construction. L'enjeu des voies d'acheminement était aussi important que celui des gisements potentiels. Ce facteur servit d'impulsion supplémentaire pour que Moscou accepte d'urgence des compromis raisonnables et acceptables pour les deux parties.

      La fixation de la ligne médiane modifiée signifia pour les deux parties l'établissement d'une « ligne politique » sur les eaux caspiennes 527 . En dépit des nuances juridiques, l'accord russo-kazakhstanais marqua un tournant dans la problématique de la définition du statut de la Caspienne.

      Ainsi, dès la fin des années 1990, la politique caspienne russe devenait davantage pragmatique. L'importance de cette zone géographique fut soulignée une fois de plus par la création d'un poste de représentant spécial du Président de la Fédération de Russie pour la région caspienne avec titre de vice-ministre (le 31 mai 2000).

      Les 8-9 septembre 2001, Poutine effectua une visite à Bakou. Dans son volet « caspien », cette manifestation se termina par une déclaration commune : « Fonds marins partagés, eaux communes ». Ce fut une décision de compromis des deux parties. La Russie n'insista plus sur l'utilisation commune des fonds marins, en contrepartie, l'Azerbaïdjan renonça au partage sectoriel de la surface maritime. Les parties se rendirent également compte de l'inefficacité de se concentrer sur la définition de la nature lacustre ou maritime de la Caspienne. Peu à peu ce positionnement du problème commença à perdre son actualité.

      Avoir la Russie en tant qu'alliée dans les « affaires caspiennes », fut très utile pour Bakou qui avait des relations tendues avec l'Iran et le Turkménistan. C'est cette circonstance qui poussa la diplomatie azerbaïdjanaise à revoir ses positions rigides à l'égard du statut de la Caspienne et à renoncer à certaines de ses thèses initialement avancées. Chaque partie devait avoir des droits exclusifs sur les richesses sous-marines de son secteur. Les pays avaient également la souveraineté sur le déploiement des activités économiques dans les limites de leurs zones. Selon cette formule, la Russie aura des possibilités légitimes de veiller sur d'autres types d'activité de ses voisins. L'éventuelle menace de militarisation de la Caspienne et l'apparition de forces armées de pays tiers dans la mer seront également placées sous le contrôle russe, car Moscou sera en mesure d'opposer son veto sur de telles intentions.

      Ainsi, les ressources biologiques et la surface maritime restent d'utilisation commune, libres pour la navigation et pour la pêche, selon les normes et les quotas accordés préalablement. Les questions liées à l'écologie et à la protection de l'environnement doivent également être prises en compte par les pays riverains dans l'élaboration et l'adoption des futurs accords.

      Avec les ratifications des accords conclus par les parlement nationaux en 2003 528 , on peut considérer comme résolu le problème du partage des fonds marins dans la partie septentrionale de la Caspienne. La Russie, l'Azerbaïdjan et le Kazakhstan ont fini par arriver à un consensus final mutuellement acceptable. Les discordances sérieuses qui restent encore concernent la partie méridionale de la mer entre l'Azerbaïdjan, l'Iran et le Turkménistan.

      La Russie persista néanmoins à maintenir que seuls les bateaux battant pavillon d'un des Cinq avaient le droit de naviguer sur la Caspienne. Elle confirma son opposition à la présence des tierces puissances en tant que parties contractantes dans la résolution des problèmes concernant la Caspienne. Ainsi, seuls les Cinq auront le droit d'élaborer la future Convention sur le statut de la mer. En d'autres termes, toute décision concernant la mer doit se trouver, comme aux siècles précédents, sous le contrôle exclusif des pays riverains dont le nombre est passé de deux à cinq.

      Pour résumer, la Fédération de Russie est pour :

      la Caspienne considérée comme un bassin intracontinental unique qui nécessite un statut juridique particulier ;

      l'élaboration, exclusivement par les pays riverains, d'une Convention spéciale sur le statut juridique de la Caspienne basé sur un consensus ;

      le principe de partage : « Fonds marins partagés, eaux communes » ;

      la méthode de partage selon la ligne médiane/médiane modifiée qui ne s'identifie pas à la frontière d'État ;

      les droits souverains sur les gisements dans les secteurs respectifs ;

      l'exploitation commune des ressources biologiques ;

      la liberté de navigation des bâtiments exclusivement sous pavillon des États riverains ;

      l'extension des zones côtières de 10 à 20 milles de large où les pays respectifs exercent les contrôles douanier, frontalier, sanitaire et autres ;

      le maintien des normes des traités russo-persan (1921) et soviéto-iranien (1940) avant l'adoption de la Convention spéciale sur le statut juridique de la Caspienne.

      Les opinions se partagent quant à l'évolution de la position russe. Les uns disent que c'est une humiliation pour la Russie de reculer par rapport à ses positions de départ résultant d'une politique incohérente. Ils ne veulent pas se résigner à l'image d'une Russie qui perd ses traits impérialistes archaïques. Pour les autres, arriver à la formule « fonds marins partagés (selon la ligne médiane/médiane modifiée), eaux communes » est une victoire de la diplomatie russe.

      À notre sens, la Russie n'était pas humiliée en changeant ses positions de départ. Dans le gouvernement russe on comprenait bien toute l'absurdité de la situation juridique autour de la Caspienne post-soviétique. Les multiples déclarations verbales inspirées par l'esprit impérial provenaient de réflexes anciens qui ne servaient qu'à gagner du temps. La Russie successeur de l'URSS n'était pas prête par ses moyens matériels, financiers et humains à affronter les nouvelles situations surgies subitement. La seule recette, dont elle disposait, découlait de l'approche impériale qui ne pouvait plus fonctionner et était vouée à l'échec. Ainsi, elle avait besoin de temps pour élaborer de nouvelles stratégies et faire preuve de sa volonté de se démarquer de l'image du passé qui la hante toujours et encore pour longtemps.

      Nombreux sont ceux qui se posent toujours la question suivante : la Russie, en tant que successeur officiel de l'Union soviétique, avait-elle le droit de renoncer aux traités russo-/soviéto-iraniens ? La question ainsi posée est assez dogmatique et ne comporte rien de constructif. De plus, elle amène à une impasse, car les lois, surtout celles qui sont imparfaites à l'origine, sont viables si elles se modernisent avec le temps et s'adaptent à l'évolution si intensive des événements politiques. Il ne faut pas non plus considérer que les changements enregistrés ne sont que l'expression de la bonne volonté de Moscou. Tout simplement, la capitale russe n'avait qu'un seul choix face au dilemme : négocier pour arriver à une solution raisonnable et acceptable ou se voir écartée et évincée progressivement de la région.

      Une possible troisième variante que nous n'avons pas mentionnée est l'usage de la force militaire pour atteindre ses objectifs, ce qui n'est plus d'actualité. De l'URSS à la Russie des changements s'opèrent dans les manières de voir et de procéder. Pendant la période post-soviétique, Moscou n'eut pas recours à la force militaire pour solutionner les contentieux frontaliers, terrestres ou maritimes, bien qu'il eût la triste expérience soviétique de résolution de ce type de problèmes avec, par exemple, la Chine. De nos jours, les solutions, au contraire, sont pacifiques, certes, à contre cœur parfois. La Russie réussit à éviter le pire dans les cas de la Crimée ou de l'enclave de Kaliningrad. Une partie de l'île de Daman fut cédée à la Chine et un processus de nouvelle démarcation avec le Kazakhstan se réalise avec succès. Ainsi, la Russie évolue, change et ses choix deviennent plus raisonnables.

      


B. – La position de la République du Kazakhstan : « Ni mer, ni lac »

      

      Selon l'accord entre les gouvernements des RSS du Kazakhstan (1974) et de la Fédération de Russie (1975), la partie septentrionale de la Caspienne fut proclamée réserve naturelle. Le développement de tout type d'industrie y fut interdit, hormis la pisciculture et le transport maritime. Ce fut seulement en 1993 que l'arrêté du Conseil des ministres de la République du Kazakhstan entérina un amendement spécial qui permit d'effectuer les études géophysiques, les travaux de prospection et d'extraction des hydrocarbures dans cette zone auparavant fermée.

      Comme déjà évoqué, au début des années 1990, Astana, Bakou et Achkhabad formèrent une sorte de coalition face à la Russie et à l'Iran qui insistaient pour conserver comme base de négociation le régime soviéto-iranien existant. En récusant les arguments de Moscou et de Téhéran, les Trois tentèrent de faire valoir leurs droits en s'appuyant sur le droit international concernant les mers.

      Le 19 juillet 1994, la capitale kazakhstanaise prépara un projet de Convention sur le statut juridique de la mer Caspienne basée sur certaines normes de la Convention de l'ONU du Droit de la mer de 1982 529 . Pour le Kazakhstan, dès le début, la Caspienne était une mer intérieure fermée. Or, une telle classification juridique n'existait pas dans le droit international. Autrement dit, le bassin d'eau en question, selon la version kazakhstanaise, n'était ni mer, ni lac et exigeait l'élaboration d'une Convention spéciale. En partant de l'histoire et de la pratique internationale, Astana proposa de partager la Caspienne en eaux territoriales d'une largeur de 12 milles marins (mer) et en zones économiques exclusives selon la ligne médiane (lac). La capitale kazakhstanaise se prononça également pour l'exercice des droits souverains sur les zones maritimes délimitées, y compris sur les fonds marins avec leurs ressources minérales, en provoquant, bien entendu, le mécontentement du Kremlin.

      

      

      En 1995 (26-27 septembre), lors de la rencontre des Ministres des affaires étrangères des États riverains de la Caspienne, sans la Russie, une deuxième variante de la proposition kazakhstanaise vit le jour, basée sur la conception de mer-lac (« ni mer ni lac »). Astana proposa de définir les eaux territoriales et les zones de pêche, et de délimiter les fonds marins. Le reste devait être utilisé par les pays riverains en commun à des fins de navigation, de travaux de prospection, etc. La présence de pavillons autres que ceux appartenant aux pays côtiers devait être interdite. Dans l'immédiat, cette variante resta également lettre morte, mais servira de base pour les accords bilatéraux des années suivantes.

      À l'instar de l'Azerbaïdjan, le Kazakhstan, dès son indépendance, procéda à la prospection des fonds marins et du plateau continental de son secteur. Mais contrairement à la politique de Bakou, celle d'Astana était moins provocante pour plusieurs raisons.

      Le Kazakhstan n'a pas connu de changement de leader. Depuis 1990, ce pays est dirigé par N. Nazarbaev réputé être un diplomate expérimenté et pondéré.

      La présence d'une forte minorité russe dans le pays conditionna l'élaboration d'une politique prudente et équilibrée à l'égard de Moscou.

      Une grande partie des gisements kazakhstanais se trouve aussi bien sur le plateau continental que dans la partie septentrionale du pays. Par conséquent, l'essor économique n'est pas lié uniquement aux ressources qui se cachent dans les fonds marins caspiens.

      Le Kazakhstan commença plutôt par l'exploration de ses gisements de pétrole onshore dans les limites de ses territoires pré-caspiens, ce qui mit automatiquement ses actions hors de portée des critiques et ne provoqua pas l'agacement de ses voisins.

      Pour l'acheminement des hydrocarbures, le Kazakhstan était encore obligé d'emprunter le réseau russe de transport. Cette circonstance d'une part retint Astana d'actions arrogantes à l'encontre de Moscou, de l'autre, prédisposa la Russie à lui garder sa faveur en tant que partenaire économique.

      C'est avec l'Azerbaïdjan que le Kazakhstan se mit d'accord le premier sur la question de la délimitation et de la coopération dans la Caspienne. En septembre 1996, les deux républiques turcophones divisèrent de facto la mer en secteurs nationaux. Astana s'opposa seulement à la division de l'espace aérien selon le tracé des secteurs et proposa de définir des couloirs aériens. De même, il considéra la surface maritime libre pour la navigation et pour la pêche sur la base des quotas et des licences 530 .

      De nos jours, sur les questions caspiennes, les positions de la Russie sont les plus convergentes avec celles du Kazakhstan. Les relations bilatérales sont basées sur deux documents : l'Accord sur la délimitation des fonds marins de la partie septentrionale de la mer Caspienne (le 6 juillet 1998) et la Déclaration de coopération dans la mer Caspienne (le 9 octobre 2000). La signature de ces accords fut tout de même précédée par des accusations réciproques concernant les droits souverains sur quelques gisements litigieux. Ainsi, en 1997, la Russie commença la prospection du gisement Kourmangazy en dépit des protestations diplomatiques d'Astana. La capitale russe argumenta ses actions par le fait que sur la Caspienne il n'avait jamais existé de frontières étatiques, donc chaque pays était en mesure d'extraire le pétrole où il lui plairait 531 . Finalement, le bon sens prévalut et, le 13 mai 2002, la Russie et le Kazakhstan signèrent un accord sur l'exploitation des trois gisements pétroliers litigieux de la partie septentrionale de la Caspienne (Khvalynskoe, Tsentralnoe et Kourmangazy), en appliquant le principe des 50 : 50. Selon l'accord, les deux premiers gisements 532  restèrent sous la juridiction de la Russie, le dernier sous celle du Kazakhstan 533 .

      Avec cette approche, la Russie réduit à néant les faibles espérances de Téhéran de partager la mer à part égale, attribuant 20 % à chaque pays du littoral. Comme le déclara V. Kolujnyï, le vice-ministre russe des affaires étrangères chargé des questions du règlement du statut de la Caspienne, la « Russie ne considère pas ses 19 % [18,7 % - G.G.] comme une concession. Elle les considère comme un juste pas » 534 . En dépit de cette déclaration, Moscou, en effet, avait fait des concessions tout en obtenant des contreparties. De toute évidence, ce fut un compromis en échange de l'engagement d'Astana de ne pas éviter le territoire russe pour l'exportation de ses hydrocarbures.

      Le Kazakhstan fut le seul pays caspien qui tenta d'entamer des négociations avec la Russie à propos de la Volga et enregistra un certain succès. L'affluent de la Volga, Akthuba, sert de frontière naturelle entre les deux pays. Bien que l'étendue de cette partie de la frontière ne dépasse pas 60 km, elle permit à la capitale kazakhstanaise d'engager des pourparlers avec Moscou sur la possibilité d'emprunter la voie fluviale de la Volga afin d'atteindre les mers Baltique et Noire via le réseau russe de canaux existants. Le fait que la Volga ne traverse que le territoire russe donnait à croire que son éventuelle internationalisation ne pouvait pas être acceptable pour Moscou. Or, la Russie ne renonça pas à la pratique séculaire selon laquelle les pays aussi bien caspiens qu'autres, sur la base d'accords bilatéraux, utilisaient la Volga pour le transport de marchandises et d'hydrocarbures. Rappelons que la Volga (avec ses affluents et ses canaux) est la seule voie navigable qui relie la Caspienne à l'océan mondial.

      Ainsi, la position du Kazakhstan à l'égard du statut de la Caspienne se traduit par les considérations suivantes :

      la considération de la Caspienne comme bassin d'eau qui n'est ni mer ni lac ;

      l'application de la Convention du Droit de la mer de l'ONU, sous certaines réserves ;

      la délimitation d'une zone territoriale de 12 milles marins au large ;

      l'application de la ligne médiane pour la définition des zones économiques exclusives ;

      l'exercice de droits souverains sur les zones maritimes délimitées, y compris les fonds marins avec leurs richesses minérales.

      


C. – La position de la République d'Azerbaïdjan : « Caspienne – un lac frontalier »

      

      La position de l'Azerbaïdjan était déterminée par son histoire depuis le boom pétrolier de la fin du 19e siècle. Le redressement de son économie est directement lié au développement du secteur pétrolier et à l'exploration et l'exploitation des gisements offshore souvent très éloignés de la côte. Lors des dernières décennies, plus de la moitié du pétrole fut extrait en pleine mer où apparurent de vastes zones industrielles avec toutes leurs infrastructures. C'est pour cette raison que Bakou fut impliqué dans presque tous les différends sérieux de la Caspienne.

      Encouragé par des compagnies pétrolières transnationales, l'Azerbaïdjan fut le premier à contester ouvertement l'ordre existant sur la Caspienne. La contestation se manifesta dans la prise de décisions unilatérales concernant les travaux d'exploration dans la mer, avec de plus la participation des compagnies étrangères. Dès le début de son indépendance, l'Azerbaïdjan se positionna comme « créateur de droits sur ce qu'il estimait être « ses » espaces maritimes » 535 . Il insista pour que la Caspienne, malgré sa taille, soit considérée comme un lac avec toutes les conséquences qui en découlaient. Depuis 1989, cette thèse était défendue notamment par le spécialiste du droit international R. Mamedov, auteur de différents ouvrages et articles à ce sujet 536 .

      Le statut de lac permet de diviser la Caspienne en secteurs, tandis que celui de mer ne prévoit qu'une bande large de 12 milles marins pour les pays riverains. Il était évident que l'Azerbaïdjan était gagnant, car à cette époque, les principaux gisements existants se trouvaient dans son secteur. Les raisons de Bakou de miser sur le statut de lac et de rejeter le principe de condominium avancé initialement par Moscou et Téhéran étaient donc claires. Quoique E. Mitiaeva estime qu'à long terme, le principe de condominium pourrait être avantageux pour l'Azerbaïdjan, compte tenu du fait que son secteur est le plus exploré et que toutes les réserves y étaient pratiquement connues, tandis que les autres secteurs étaient mal ou pas du tout étudiés et pourraient être aussi riches en hydrocarbures 537 . Pour justifier sa position, l'Azerbaïdjan se référa à la démarcation conventionnelle de la Caspienne faite par le Ministère soviétique de l'Industrie pétrolière en 1970. Il considérait en principe que si le cadre réglementaire était absent, il fallait se laisser guider par la pratique historique établie. D'une certaine manière, Bakou avait le droit de penser ainsi.

      Si Moscou essaya de se concentrer sur les problèmes environnementaux et sur la protection des ressources biologiques de la mer, l'Azerbaïdjan privilégia les questions qui concernaient les ressources naturelles. La position russe reste compréhensible, car, hormis la Caspienne, elle possédait de vastes étendues sibériennes riches en hydrocarbures où la protection de l'environnement était par ailleurs loin d'être la priorité de la politique officielle russe. Pour l'Azerbaïdjan et le Turkménistan, et d'ailleurs partiellement pour le Kazakhstan, la prospérité économique fut étroitement liée à l'exploitation des réserves énergétiques qui se cachaient dans les fonds marins de la Caspienne. En d'autres termes, les trois nouveaux acteurs caspiens étaient occupés à la « résolution des problèmes à court terme », tandis que la Russie et l'Iran songeaient plutôt à l'avenir 538 .

      La question en suspens du statut de la Caspienne correspondait pleinement aux intérêts de Bakou qui continua sans relâche à développer toutes ses activités économiques dans son « secteur » avec l'appui des compagnies étrangères. Il négligeait manifestement les mécontentements et les protestations de ses voisins caspiens, notamment, du Turkménistan et de l'Iran. Le président H. Aliev qualifia même la question du statut de la Caspienne « de sortie de l'imagination » 539 .

      En application de la thèse considérant que la Caspienne est un lac frontalier, Bakou construisit sa politique caspienne sur la base du partage de la mer en secteurs nationaux. Cela sous-entendait que ces secteurs devaient être considérés comme parties intégrantes des territoires nationaux. Cette idée fut même écrite dans l'article 11 de la Constitution nationale du 12 novembre 1995 qui plaça les fonds marins, la masse et la surface aquatique, ainsi que l'espace aérien, sous la souveraineté de la République : « Les eaux intérieures de la République d'Azerbaïdjan, le secteur de la mer (lac) Caspienne appartenant à la République d'Azerbaïdjan, l'espace aérien au-dessus de la République d'Azerbaïdjan sont des parties intégrantes du territoire de la République d'Azerbaïdjan » 540 .

      Les encouragements permanents des États-Unis contribuèrent également au durcissement de la position de Bakou sur les questions caspiennes. Pratiquement dès la chute de l'URSS, Washington déclara l'existence d'intérêts stratégiques américains de longue date en Azerbaïdjan. À ce propos l'ambassadeur américain affirma ouvertement que son pays était prêt à soutenir politiquement l'Azerbaïdjan dans le litige relatif au statut juridique de la Caspienne 541 . À maintes reprises, il fit des allusions au montant et au volume des investissements étrangers qui étaient directement liés à la division sectorielle de la mer et qui empêcheraient toute ingérence des pays voisins dans les projets en cours de réalisation dans le secteur azerbaïdjanais.

      Les réalités géopolitiques de la région changèrent si vite que la Russie fut contrainte d'accepter pratiquement tous les changements réalisés de facto par les Trois, notamment, par l'Azerbaïdjan. Dans les années qui suivirent, pour ne pas se voir écartée complètement de l'exploitation des gisements, la diplomatie russe continua de faire des concessions mentionnées précédemment. Parallèlement à la Russie, la position de départ de Bakou évolua et subit également des changements significatifs. Dans la Déclaration commune sur la Caspienne (Bakou, le 9 janvier 2001), les présidents russe et azerbaïdjanais se mirent d'accord pour partager, dans un premier temps, les fonds marins en secteurs/zones selon le principe de la ligne médiane modifiée tout en tenant compte des normes du droit international et de la pratique qui s'était formée dans la région caspienne durant des décennies.

      À mesure que l'Azerbaïdjan accélérait la mise en valeur de ses richesses naturelles, Téhéran, écarté de la plupart des projets caspiens, exprima de plus en plus de prétentions et présenta des réclamations à Bakou concernant principalement deux questions cruciales : sa coopération étroite avec les États-Unis et Israël, ennemis acharnés de la République islamique, et les activités subversives des services spéciaux azerbaïdjanais au nord de l'Iran, peuplé majoritairement par des Azéris iraniens. Bakou, à son tour, accusa l'Iran d'activer des groupements islamiques sur le sol azerbaïdjanais et de protéger des personnes impliquées dans le coup d'État en Azerbaïdjan.

      À la différence de l'Iran, les relations initiales avec le Turkménistan étaient plutôt bonnes. Elles se dégradèrent quand Bakou commença à exploiter, avec le concours des compagnies pétrolières occidentales, trois gisements litigieux. Achkhabad contesta dès le début leur propriété, ce qui envenima les relations bilatérales.

      C'est encore à la veille de la dissolution de l'Union soviétique (le 18 janvier 1991) qu'un décret conjoint entre le ministère du pétrole et du gaz de l'URSS et le Conseil des ministres de la RSS d'Azerbaïdjan vit le jour et précisa l'appartenance des quatre gisements pétroliers (Azéri (Khazar pour les Turkmènes), Tchirag (Osman), Kiapaz (Serdar) et Gunechli) à l'Azerbaïdjan. Ces gisements susciteront la convoitise du Turkménistan et de l'Iran après la disparition de l'URSS. Pendant que ses deux voisins préparaient des discours pour justifier leur appartenance à l'une ou l'autre des parties, l'Azerbaïdjan se mit assidûment à l'exploitation de ces gisements en obtenant la « reconnaissance » de droits souverains sur eux de la part de l'Occident représenté par des compagnies pétrolières multinationales. Ainsi, Bakou était le plus prévoyant par rapport à ses deux voisins.

      Une autre cause de la dégradation des relations turkméno-azérbaïdjanaises fut la découverte, au lieu de pétrole, d'énormes réserves de gaz naturel à Chah-Deniz susceptibles de transformer l'Azerbaïdjan en un concurrent du Turkménistan dans le transit du gaz vers la Turquie. Bakou prétendit désormais obtenir des quotas considérables dans l'acheminement du gaz par le gazoduc transcaspien en projet destiné initialement au transport du « combustible bleu » turkmène.

      Ainsi, la République d'Azerbaïdjan se prononce pour

      la Caspienne en tant que lac frontalier ;

      la division de la mer en secteurs nationaux selon les règles et la pratique du droit international ;

      la délimitation aussi bien des fonds marins que de la surface maritime selon le principe d'équidistance ;

      le principe de partage basé sur les frontières administratives établies par le Ministère soviétique de l'Industrie pétrolière en 1970.

      


D. – La position de la République du Turkménistan : revirements constants

      

      La politique caspienne du Turkménistan fut très contradictoire dès le début du lancement des débats. Initialement, il voyait l'élaboration du futur statut de la Caspienne en partant des traités russo-/soviéto-iraniens de 1921 et de 1940 et se prononçait contre toute division en secteurs nationaux. Pour lui, la Caspienne était un espace aquatique (lac) intérieur, sur lequel la Convention de l'ONU du Droit de la mer ne pouvait être appliquée. Il proposa également de délimiter les eaux en trois zones : côtière (d'une largeur de 15 milles), nationale économique (d'une largeur de 35 milles) et commune (dans la partie centrale de la mer). Plus tard la Russie se déclara prête à soutenir cet élargissement de la zone côtière de 10 à 15 milles marins 542 . En effet, cela signifiait la fixation des frontières maritimes. Les fonds marins de cette dernière zone devaient être exploités en commun. Or, dans les années qui suivirent, cette position changera à maintes reprises.

      Le Turkménistan fut le premier État caspien qui adopta des lois et entreprit des mesures unilatérales concernant la Caspienne. Ainsi, en 1993, il adopta la Loi sur la Frontière d'État et l'étendit également sur les eaux de la Caspienne sans consulter ses voisins 543 . En se basant sur le Droit de la mer, il déclara la bande côtière d'une largeur de 12 milles marins sous sa juridiction exclusive. Cela signifiait que le pays pouvait déployer des activités économiques dans la mer sans tenir compte de l'avis des pays riverains. Le Turkménistan fut le premier pays caspien qui plaça l'espace maritime sous sa juridiction. Cependant, rien ne l'empêcha de déclarer que l'exploration des richesses naturelles ne devait commencer qu'après l'adoption de la Convention sur le statut de la Caspienne. D'autres déclarations qui suivirent, entreront en contradiction avec les précédentes. En effet, lors de chaque rencontre internationale avec ses voisins caspiens, le leader turkmène se montra très flexible et s'adapta au contexte géopolitique du moment. En 1995, par exemple, il tomba d'accord avec B. Eltsine en déclarant que la Caspienne était indivisible ni par la terre ni par la mer et en se ralliant, en effet, au principe de condominium 544 .

      Vu le manque de perspectives dans la variante du condominium et vu les actions unilatérales, notamment de l'Azerbaïdjan, dans la partie centrale de la Caspienne, le Turkménistan se rallia un peu plus tard à la position de Bakou sur le partage de la mer en secteurs nationaux (1996). La question était de savoir sur quel principe ? Achkhabad proposa de diviser la Caspienne par les lignes médiane et côtière. Autrement dit, la frontière terrestre devait avoir une continuation sur les eaux également et marquer la frontière d'État. Ainsi, Achkhabad renonçait au partage des fonds marins sans la surface maritime. Il se déclarera prêt à discuter les questions liées à la navigation, à l'environnement, à la biosphère, etc. après l'adoption et la signature de la Convention sur le statut de la Caspienne.

      À l'instar de Téhéran, Achkhabad accueillit fraîchement la proposition russe concernant la création par les pays riverains d'un Centre stratégique et économique de la Caspienne. Les positions des deux capitales firent avorter, à maintes reprises, les rencontres du Groupe spécial du travail. La convergence des politiques de l'Iran et du Turkménistan dans cette question s'explique par deux facteurs majeurs. Premièrement, les deux pays avaient de graves contentieux avec l'Azerbaïdjan susceptibles même de dégénérer en affrontements avec utilisation de la force militaire. Deuxièmement, le Turkménistan considérait le territoire iranien comme une alternative au territoire russe pour l'acheminement de ses hydrocarbures vers les marchés internationaux. Comme l'Iran, le Turkménistan se prononça pour le partage de la mer à parts égales, car cela permettait d'étendre sa souveraineté sur 20 % des fonds marins au lieu de 18,4 %.

      Le 14 août 1997, le gouvernement turkmène lança un appel d'offres international qui concernait les travaux de prospection et d'extraction des réserves énergétiques sur le plateau continental de son secteur. Deux ans plus tard (le 11 août 1999), le président Niazov, apparemment encouragé par les résultats des prospections, édicta l'oukase Sur la création du service national pour la mise en valeur du secteur turkmène de la mer Caspienne. Dans ce dernier, il déclara le « secteur national turkmène » de la Caspienne comme faisant partie intégrante du Turkménistan. Une série de mesures devait être réalisée pour le mettre en valeur afin de l'intégrer complètement dans l'économie nationale. À cette fin, Achkhabad se chargea de réglementer la navigation et la pêche dans son secteur.

      La réaction de la Russie à ce décret fut immédiate. La capitale russe se réserva le droit de prendre les mesures adéquates pour assurer l'application des principes de libre navigation et de pêche.

      Après le sommet du G5 à Téhéran (2000), la position du Turkménistan subit de nouveau des changements. Afin d'encourager les investisseurs étrangers, Achkhabad finit par donner son consentement à la division de la mer par la ligne médiane (2001). Achkhabad proposa également de délimiter les eaux territoriales, à une largeur de 12 milles marins, et la zone des intérêts économiques à 35 milles de large. Le reste de la mer devait être libre pour la navigation.

      L'absence d'un consensus sur le statut juridique de la Caspienne affectait sérieusement le volume des investissements dans le secteur pétrolier national. Ce constat concernait également l'Azerbaïdjan et le Kazakhstan. Un point d'achoppement subsista sur les méthodes de calcul. À cause de l'existence de la presqu'île d'Apchéron, la ligne médiane s'est déplacée considérablement vers la côte turkmène et « enlève » à Achkhabad les gisements litigieux avec l'Azerbaïdjan. C'est pour cette raison, que la capitale turkmène insista pour que la presqu'île d'Apchéron ne soit pas prise en compte lors de la démarcation selon la ligne médiane.

      Le Turkménistan est particulièrement intéressé par le site pétrolifère Serdar (Kiapaz) qui se trouve au centre de la Caspienne, sous contrôle de l'Azerbaïdjan. Selon les calculs d'Achkhabad, ce gisement serait éloigné de 84 km de la côte turkmène, tandis que la rive azerbaïdjanaise se trouve à 184 km 545 . À cause de cette discordance, les travaux de prospection dans ce secteur convoité, prévus par l'accord commun entre Loukoïl, Rosneft et Socar (State Oil Company of Azerbaidjan Republic), furent arrêtés 546 . Des reproches similaires sont faits par rapport à d'autres sites litigieux : celui d'Osman (Tchirag) se trouve à 132 km du littoral turkmène et à 148 km de l'Azerbaïdjan, celui de Khazar (Azéri) à 118 km et à 160 km respectivement.

      Les démarches diplomatiques des deux antagonistes prouvèrent le sérieux des litiges qui les opposaient. En 2001, Achkhabad rappela son ambassadeur de Bakou et demanda au gouvernement azerbaïdjanais d'honorer immédiatement ses dettes s'élevant à 60 millions de dollars. À défaut, il menaça de les vendre à une tierce partie 547 . Ces différends poussèrent Achkhabad à moderniser son aviation de combat et sa flotte navale 548  en dépit de son statut de pays neutre, déclaré solennellement à la tribune de l'ONU. L'accompagnement militaire, de toute évidence, est considéré comme nécessaire par le président autoritaire turkmène.

      Les deux pays seront-ils capables de trouver un arrangement mutuellement acceptable ? La méthode de la ligne médiane modifiée, qui a d'ailleurs bien marché entre la Russie et le Kazakhstan, pourrait-elle être appliquée lors du partage sectoriel turkméno-azerbaïdjanais ? À notre sens, c'est peu probable, au moins pour deux gisements, car les travaux d'exploration, financés par des compagnies occidentales épaulées par leurs pays respectifs, sont en cours. Lors de la signature des multiples contrats, aucune compagnie pétrolière ne considéra ces gisements comme turkmènes. Ainsi, ce n'est pas un litige purement turkméno-azerbaïdjanais. En cas d'aggravation de la situation, le Turkménistan sera opposé aux puissances mondiales, donc la bataille est perdue d'avance. De toute évidence, Achkhabad se résignera à l'ordre des choses établies de facto avec apparemment quelques contreparties largement inférieures aux attentes turkmènes.

      Pour résumer, concernant la Caspienne, le Turkménistan prône :

      la délimitation des zones : territoriales à 12 ou 15 milles marins au large, nationale économique à 35 milles au large et commune pour le reste ;

      la division sectorielle à 20 % pour chaque partie ;

      le partage des fonds marins sur le principe de ligne médiane qui ne tient pas compte de la presqu'île d'Apchéron.

      


E. – La position de la République islamique d'Iran : condominium ou res communis

      

      L'Iran déclara à maintes reprises qu'avant l'adoption d'une Convention spéciale sur la Caspienne, les pays riverains devaient s'appuyer sur les traités russo-/soviéto-iraniens. Cette convergence des positions de départ de la Russie et de l'Iran était tout à fait compréhensible, car l'ancien cadre juridique de la mer n'avait été défini que par les traités bilatéraux et, en principe, les deux pays s'entendaient entre eux. Tout comme la Russie, l'Iran souligna toujours que les ex-républiques soviétiques avaient pris l'engagement de respecter tous les traités internationaux de l'URSS, y compris ceux concernant la Caspienne. Donc il fallait les honorer avant la signature de la Convention.

      Au tout début des débats, Téhéran proposa de créer une Compagnie pétrolière unifiée des pays caspiens à qui les parties confieraient la tâche de défendre les intérêts de chacun. Le Kazakhstan et l'Azerbaïdjan, qui concevaient déjà des projets, ne soutinrent pas cette initiative iranienne. L'Iran était désireux de voir la Caspienne sous le statut de condominium, car en cas de division en secteurs nationaux, il serait le grand perdant. Avec l'utilisation du critère de la ligne côtière des États riverains, l'Iran ne recevrait que 13,8 % de la mer convoitée.

      En se trouvant presque dans la même situation que la Russie, l'Iran soutint la variante russe d'extension de la zone côtière jusqu'aux 20 milles. De surcroît, il avança une proposition de tracer, au-delà de cette zone, une autre zone de la même largeur pour les activités économiques exclusives. Le centre de la Caspienne devait se trouver sous la gérance des Cinq (condominium). Toutes les propositions iraniennes qui se référaient à une entreprise commune à part égale, furent rejetées par les Trois, notamment par Astana et Bakou. De toute évidence, elles étaient vouées à l'échec. Pour ne pas répéter les raisons déjà citées, ajoutons seulement un nouvel élément important. En application du principe de condominium, l'Iran devait posséder des parts dans l'exploration des gisements de la « zone commune ». L'exploitation de ces derniers n'était pas envisageable sans le capital des compagnies pétrolières occidentales qui ne sont pas autorisées par Washington à coopérer avec la République islamique. Ainsi, l'Iran fut contraint de chercher d'autres solutions pour s'imposer.

      C'est pourquoi Téhéran se déclara prêt à donner son consentement à un partage sectoriel de la mer à condition qu'il s'effectue à parts égales, c'est-à-dire, 20% pour chaque pays riverain. Hormis le Turkménistan, les autres pays caspiens, notamment le Kazakhstan qui perdait 10% de son secteur, récusèrent cette proposition iranienne. Téhéran insista également pour que seuls les pays riverains aient le droit de participer au processus de définition du statut de la Caspienne et du cadre juridique des activités économiques maritimes.

      Cependant, le manque de moyens de pression et la crainte de se retrouver isolé incitèrent le gouvernement iranien à adopter une politique plus flexible et pragmatique. De temps en temps, les avantages économiques prévalaient tout de même sur les arguments politiques. Par ailleurs, en 1995, Téhéran laissa entendre que désormais il serait guidé par la rationalité économique plutôt que par la conjoncture politique dans la résolution des multiples problèmes de la Caspienne 549 . Par exemple, en 1997, en échange de 10 % des parts dans l'exploitation du gisement litigieux de Chah-Deniz, la République islamique reconnut de facto la juridiction de Bakou sur ce secteur. Ainsi, l'Iran fut très limité dans ses choix, ce qui incita le gouvernement à adoucir ses positions. En cas de sérieuse pression sur l'Azerbaïdjan de sa part, Bakou pourrait s'adresser aux États-Unis pour qu'ils interviennent et prennent sa défense. Dans le contexte géopolitique régional existant, inciter une fois de plus Washington à intervenir contre lui s'avérerait suicidaire.

      Néanmoins, la question des gisements litigieux reste toujours en suspens et susceptible d'avoir un développement dangereux. L'Iran a présenté un plan selon lequel de grandes parties des secteurs azerbaïdjanais et turkmène devaient passer sous la juridiction iranienne, y compris les riches gisements pétrolifères d'Araz, d'Alov (Alborz) et de Charg qui se trouvaient de facto tous dans le secteur azerbaïdjanais. Le 23 juillet 2001, les forces navales iraniennes expulsèrent des eaux, considérées par l'Iran comme les siennes, deux bateaux de prospection géologique qui effectuaient des travaux pour le compte d'une compagnie pétrolière azerbaïdjano-britannique. Téhéran fit savoir qu'il n'excluait pas le recours à la force militaire, si besoin était, pour faire valoir ses droits sur la mer. En réponse, Bakou menaça d'abattre les avions iraniens 550 . Dès lors, les travaux dans cette zone furent arrêtés en attendant qu'une décision politique soit prise entre les deux capitales. En cas d'aggravation de la situation dans la partie méridionale de la Caspienne, l'Iran peut voir en Achkhabad un allié dans l'élaboration des mesures communes contre l'Azerbaïdjan.

      Téhéran accepta mal les accords bilatéraux russo-kazakhstanais (juillet 1998), russo-azerbaïdjanais (janvier 2001) et azerbaïdjano-kazakhstanais (novembre 2001), concernant le partage des fonds marins caspiens. Ils marginalisaient, voire mettaient hors jeu, l'Iran dans la prise de décisions relatives à la mer commune. Téhéran accusa même V. Poutine d'« immaturité politique » 551 . Pour la capitale iranienne ce sont des « accords avec soi-même », car du point de vue juridique, seuls les traités russo-/soviéto-iraniens sont en vigueur avec uniquement deux parties contractantes : Russie/URSS et Iran 552 . Il présenta même une protestation à l'Organisation des Nations Unies. L'incapacité du Ministère des affaires étrangères à défendre les intérêts du pays lors des négociations avec les pays caspiens provoqua une critique farouche du parlement iranien 553 . Les parlementaires demandèrent même à s'adresser à la Cour internationale de la Haye afin de faire valoir les traités de 1921 et 1940 qui, à leurs sens, permettraient à l'Iran de prétendre à 50 % de la mer intérieure en question 554 . Téhéran prit également des mesures pratiques. En février 2000, le Majlis iranien adopta une loi spéciale qui donnait le feu vert à la compagnie NIOC pour prospecter et exploiter les gisements du secteur considéré comme iranien 555 .

      Le 12 mars 2001, dans la Déclaration commune russo-iranienne, Moscou et Téhéran ne reconnurent aucune délimitation (frontière étatique) sur la mer Caspienne avant l'élaboration du nouveau régime juridique. La déclaration commune souligna également le principe du consensus selon lequel toute décision concernant le statut de la mer et l'exploitation de ses richesses n'entrerait en vigueur qu'après son approbation de la part des cinq États caspiens. L'Iran déclara également qu'il pouvait soutenir la proposition russe de la ligne médiane à condition de délimiter une zone intermédiaire, d'une largeur de 20 milles tout le long de la ligne verticale, pour les activités économiques communes et pour la navigation. Bien entendu, les gisements litigieux se trouveront dans cette zone intermédiaire. En réalité, la position iranienne n'évoluait presque pas. De plus, selon sa proposition, l'Iran recevrait un accès hypothétique aux profondeurs de la Caspienne en utilisant cette zone intermédiaire.

      En 2002, les Quatre avaient l'intention de proposer à l'Iran le « principe du partage des ressources naturelles » sans changer les frontières des secteurs, ce qui pourrait augmenter la part iranienne de 13,8 % à 16 % 556 . L'Iran manifesta son intérêt envers le projet russe.

      La seule chance de Téhéran de ne pas se sentir écarté, isolé et « humilié » reste l'élaboration d'une politique d'investissements dans les jeunes économies des pays riverains qui en ont besoin en permanence. Notamment, l'Iran a tous les atouts pour participer aux projets des zones et gisements litigieux. L'exploitation commune de ces derniers pourrait être la variante de résolution la plus civilisée et optimale des différends existants, surtout que le secteur iranien est le secteur caspien le plus dépourvu d'hydrocarbures.

      Pour l'Iran, son influence dans la région caspienne est, en premier lieu, une question de prestige national, surtout que durant ces deux derniers siècles, le pays fut presque toujours perdant. Les intérêts économiques restent au second plan, car le pays possède d'énormes réserves en hydrocarbures dans le golfe Persique dont les gisements, de surcroît, sont plus facilement exploitables et transportables que les réserves de la Caspienne à cause de facteurs géologiques et du manque d'infrastructures de transport.

      La capitale iranienne serait-elle prête à se contenter, à l'instar de la Russie, de ses 13% et à ne pas les considérer comme une concession ou, encore pire, une humiliation ? À cet égard, R. Yakemtchouk s'interroge : « Peut-on être certain qu'en cas de découverte d'importants gisements d'hydrocarbures dans la partie iranienne de cette mer, Téhéran accepterait qu'ils soient considérés comme une propriété commune des cinq États riverains et que leur exploitation soit gérée en commun ? » 557 .

      La marge de manœuvre de Téhéran est restreinte pour une autre raison également. Si on prend comme base les traités russo-/soviéto-iraniens, il doit se contenter de ses 13 % de la mer de facto définis et acceptés par lui. De surcroît, s'il ne reconnaît que l'ex-URSS et son successeur la Russie, a-t-il le droit de s'ingérer dans la délimitation « intérieure » de la partie « soviéto-russe » ? Ainsi, l'intransigeance de la position iranienne est conditionnée par :

      a) l'attribution de la plus petite part (11 à 13 %) lors du partage selon les principes élaborés par la Russie, le Kazakhstan et l'Azerbaïdjan ;

      b) la menace de voir les États-Unis et l'Occident s'ancrer légalement dans la Caspienne, y compris militairement, sur l'invitation des trois nouveaux pays riverains qui de jure seraient les seuls maître de leur secteurs respectifs ;

      c) l'accroissement considérable de la présence économique et militaire de la Russie ;

      d) la perte des leviers de pression sur les pays caspiens ;

      e) la dévalorisation de la vocation de transit du territoire iranien.

      Pour résumer, la République islamique d'Iran est pour

      la Caspienne en tant que mer fermée ;

      l'exercice de droits souverains par les pays riverains sur une zone côtière de 20 milles de large ;

      la souveraineté totale sur les fonds marins, sur les ressources biologiques et sur l'espace aquatique et aérien dans les limites de cette zone ;

      la délimitation d'une zone économique exclusive d'une largeur de 20 milles au-delà de la mer territoriale et adjacente à celle-ci où les États riverains ont la pleine juridiction sur l'exercice des travaux de prospection, de protection de l'environnement, etc. ;

      une gestion collective dans la partie centrale de la Caspienne au-delà de 40 milles des côtes.

      

      CONCLUSION

      

      

      Les premiers succès perceptibles enregistrés dans le processus d'élaboration du statut de la Caspienne furent liés à l'évolution des politiques respectives des pays concernés qui finirent peu à peu par accepter que le bassin d'eau convoité ne soit ni mer ni lac. Progressivement ils abandonnèrent les tentatives d'appliquer à la Caspienne le droit international existant qui ne s'avérait pas adapté. Ils se rendirent progressivement compte qu'il fallait élaborer, d'un commun accord entre les Cinq, une Convention spéciale sur le statut juridique de cette mer.

      Initialement, la politique russe à l'égard de la Caspienne fut très contradictoire. Elle représentait une double lecture : celle du département des affaires étrangères et celle du monde des affaires. La fin des années 1990 fut marquée par un net rapprochement voire une convergence des positions russes et kazakhstanaises sur la Caspienne, ce qui déclencha des processus similaires dans le triangle Russie-Kazakhstan-Azerbaïdjan qui se partagent ensemble la Caspienne septentrionale. Ce sont les accords bilatéraux et le changement de la politique russe qui firent bouger de son point mort la question du statut. Le pragmatisme économique adopté par la diplomatie russe était censé non seulement empêcher son évincement complet de la région, mais également assurer la propagation de son influence politique ultérieure.

      À l'heure actuelle, la mer est de facto divisée en cinq secteurs. Mais son statut définitif est toujours en suspens, ce qui inquiète beaucoup les investisseurs étrangers, car un statut renégocié signifierait la remise en cause des « contrats du siècle » signés. À l'aube du 21e siècle, les États caspiens eurent tendance à se résoudre à une variante principale de partage de la Caspienne qui, de toute évidence, entraînera la définition de son futur statut. Selon cette formule, la Caspienne se rapproche plutôt du statut du lac frontalier. Le principe du partage pourrait être le suivant : les secteurs nationaux sont divisés par la ligne médiane/médiane modifiée qui n'est que la continuation des frontières terrestres. Dans les limites de son secteur, chaque État a des droits souverains sur la surface maritime, sur les ressources biologiques et sur les fonds marins. L'Iran et partiellement le Turkménistan y sont opposés, alors que cela est avantageux pour l'Azerbaïdjan et le Kazakhstan.

      Les initiatives unilatérales de l'Azerbaïdjan sont constamment encouragées par l'Occident et les compagnies occidentales. En effet, chaque pays essaye d'avoir le plus de positions de facto établies au moment de l'élaboration de la future Convention sur le statut juridique de la Caspienne. La décision finale à cet égard sera la preuve d'une maturité politique des cinq États riverains, de leur capacité à s'entendre et à créer un précédent dans l'histoire du droit international. Encore faudra-t-il que celui-ci soit durable.

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      


CHAPITRE III
LE DESENCLAVEMENT DE LA CASPIENNE : LA GEOPOLITIQUE DES OLEO-/GAZODUCS

      

      

      

      Au lendemain du démantèlement de l'Union soviétique, un combat sans merci se livra dans la région caspienne entre les gros consommateurs mondiaux de pétrole. Les premières estimations suggérèrent que les ressources énergétiques de la Caspienne et des steppes kazakhstanaises valaient celles du Moyen-Orient, voire les dépassaient. Le fait que la mer est « hermétiquement » close constituait un problème majeur. Tout développement sous-entendait la quête de nouveaux débouchés et la construction d'oléoducs et de gazoducs menant vers ces derniers.

      La lutte pour la possession des gisements à explorer se faisait simultanément à celle pour l'exploitation des voies d'acheminement des hydrocarbures. Des débats et différentes propositions de solution opposèrent les puissances mondiales dans cette région stratégique et conduisirent à l'extrême politisation de la question. Comme le soulignent M.-R. Djalili et T. Kellner, « dans ces conditions, c'est la compétition plutôt que la coopération qui est la règle entre les États voisins » 558 .

      

      


§ 1. Le désenclavement de la Caspienne : la géopolitique des oléo-/gazoducs

      

      

      Les tracés des futurs oléoducs et gazoducs représentèrent des instruments puissants pour l'affirmation du poids et des positions géopolitiques dans la région.

      La question de l'acheminement des hydrocarbures était primordiale et vitale pour les jeunes républiques d'Asie centrale et du Caucase du Sud nouvellement constituées et plongées dans une crise économique profonde. L'exploration de gisements pétroliers et gaziers dans les steppes et dans les eaux de la Caspienne fit rêver ces États qui étaient impatients de recevoir les futurs dividendes de commercialisation du pétrole et du gaz caspiens. Cependant, ils n'étaient pas en mesure de résoudre seuls des problèmes d'une envergure telle qu'ils nécessitaient de gros investissements. Tout en disposant d'énormes réserves énergétiques, le Kazakhstan, le Turkménistan et l'Azerbaïdjan manquaient cruellement de moyens financiers pour leur exploitation et leur commercialisation. Cette circonstance conditionna leur dépendance face à des pays tiers qui avaient déclaré la Caspienne comme zone de leurs intérêts vitaux.

      


A. – Les premiers pas du désenclavement de la Caspienne : fin du 19e – début du 20e siècle

      

      Jusqu'aux années 1870, le pétrole était le plus souvent transporté en bateaux par barils. Au cours du dernier quart du 19e siècle, des changements importants se produisirent dans les modes et les moyens d'acheminement du pétrole. Dans un premier temps, ce sont les marchés intérieurs de l'Empire russes qui furent visés. À ces fins, à partir de 1874, le gouvernement tsariste engagea la construction de la flotte pétrolière caspienne, d'abord à voile et depuis 1878 à vapeur. Elle ravitaillait les villes situées sur la Volga d'où, par voies ferrées, le pétrole était acheminé vers les principaux centres urbains de l'Empire. Parallèlement se créa la flotte pétrolière volgienne 559 . La Volga était le « seul fleuve au monde où le trafic de l'aval en amont est supérieure à celui de l'amont en aval » 560 . Le développement du transport pétrolier contribua à augmenter les exportations de pétrole et à favoriser l'essor de l'économie de la région.

      La création de ces infrastructures résolut en partie les problèmes liés à l'acheminement du pétrole vers les consommateurs intérieurs. Cependant, la demande grandissante poussa à améliorer davantage ce réseau, car le nombre de bateaux pour le transport par la voie Volga-Caspienne demeurait limité. Géographiquement, Bakou restait encore éloigné des marchés et était peu accessible par le chemin de fer. De plus le stockage du pétrole était encore à l'état embryonnaire. Ainsi, le développement ultérieur du secteur pétrolier nécessitait l'intervention active du gouvernement tsariste dans ce domaine très prometteur. Pour combler ce vide, plusieurs industriels pétroliers et riches entrepreneurs se précipitèrent dans la région afin de prendre le monopole de l'acheminement, comme, par exemple, les Frères Nobel. En 1877, ces derniers firent construire le premier tanker russe de la Caspienne le Zoroastre 561 . Jusqu'à la moitié des années 1880, on voit apparaître deux autres navires les Nordensheld et Buddha. En 1899, 345 pétroliers (133 à vapeur et 212 à voile) naviguaient sur la Caspienne 562 .

      La création du réseau de pipelines commença dès la fin des années 1870, presque simultanément avec la construction des chemins de fer destinés, entre autres, à desservir l'industrie pétrolière naissante. En 1879, les Nobel achetèrent le champ pétrolier Balatchany et construisirent le premier oléoduc reliant le champ avec la raffinerie situé aux abords de Bakou 563 . En 1883, dans la région pétrolière d'Apchéron, il existait déjà quelques oléoducs avec un débit total de 40 millions de pouds 564  de pétrole par an. Le secteur pétrolier des voies ferrées de Transcaucasie fut inauguré en janvier 1880 565 . Il représentait une partie de la grande entreprise de construction des voies ferrées dans la région.

      Après l'ouverture du chemin de fer Transcaucasien (1883), Bakou était relié à la mer Noire par le rail. En conséquence, de nouvelles perspectives s'ouvrirent pour l'exportation du pétrole d'Apchéron vers les marchés mondiaux. Ainsi, à la fin du 19e siècle, Bakou connut un boom pétrolier avec toutes les conséquences qui en découlent : le développement de l'industrie pétrolière et des réseaux de transport (maritime et terrestre), la formation de marchés de vente, la rivalité acharnée entre les industriels pétroliers pour la domination aussi bien de l'extraction et de l'acheminement que des marchés de vente intérieurs et extérieurs de pétrole.

      L'acheminement du pétrole des lieux d'extraction vers les usines par oléoduc devint très vite prédominant. En 1900, Bakou disposait déjà de 24 oléoducs avec un débit total de 2,3 millions de pouds de pétrole par jour 566 . Au cours de la même année, la capitale pétrolière fut reliée au réseau de chemin de fer uni de l'Empire à la suite de la construction du tronçon qui reliait les lignes de Bakou et de Vladikavkaz. Quant à l'acheminement par la mer Caspienne, le processus de remplacement des bateaux à voile par des bateaux à vapeur continua progressivement. La flotte des péniches pétrolières se développait avec succès sur la Volga. Les Frères Nobel tentèrent vainement de faire remplacer la flotte pétrolière en bois par la flotte en acier, dont ils détenaient le monopole, en faisant du lobbying auprès du gouvernement tsariste 567 .

      Malgré tous ces efforts et ces mesures entrepris, les problèmes liés à l'acheminement du pétrole étaient encore loin d'être résolus. L'insuffisance des infrastructures amena à la monopolisation des moyens de transport dans le domaine pétrolier, notamment ceux concernant les exportations vers les marchés internationaux par les voies ferrées. En fin de compte, ce monopole passa dans les mains des Nobel, Rothschild et Mantachev qui contrôlèrent 80 % du pétrole exporté 568 .

      Ainsi, à la fin du 19e et au début du 20e siècles, l'industrie pétrolière de Bakou occupait une part importante de l'économie de l'Empire russe. Elle contribua largement au développement du réseau des chemins de fer, de la navigation sur la Caspienne et sur la Volga, ainsi qu'à la densification de la population. Avant la Première Guerre mondiale, 80 % des produits pétroliers de Bakou étaient transportés par voie maritime 569 . Le pétrole devint progressivement un enjeu géopolitique sur la scène internationale.

      


B. – Les itinéraires des oléoducs existants et futurs

      

      Après le démentèlement de l'URSS, la concurrence se fit, dans un premier temps, sur le partage des gisements pétro-gazifères. Mais aussitôt arriva le temps de réfléchir aux moyens de transporter les hydrocarbures de cette zone enclavée vers les marchés mondiaux. Et la rivalité se reporta sur ce terrain. L'enjeu géopolitique et géoéconomique était extrêmement important et complexe. La première bataille pour la direction d'un acheminement fut celle du « pétrole initial » (rannaïa neft), à savoir, l'or noir azerbaïdjanais. Ce premier choix avait une importance plutôt stratégique : il devait définir la future voie majeure d'exportation des hydrocarbures caspiens.

      Au début des années 1990, la situation était la suivante : tous les oléoducs et les gazoducs existants menaient vers la Russie. Bien que la partie russe de la Caspienne fût relativement pauvre en hydrocarbures par rapport aux autres pays riverains, Moscou, en contrepartie, avait le monopole de leurs exportations. Par conséquent, les producteurs caspiens d'hydrocarbures étaient contraints d'emprunter le réseau russe pour l'acheminement de leur production. La capacité de ces pipe-lines était très modeste si on tient compte du flux pétrolier attendu. Au surplus, les conduites russes étaient obsolètes donc dangereuses pour l'environnement.

      Une autre difficulté résidait dans la volonté des États de la région de se libérer de la tutelle et du contrôle de Moscou. Au cours des premières années post-soviétiques, la Russie essaya de limiter l'élan d'actions autonomes des trois nouveaux pays caspiens dans la recherche de voies alternatives. Cependant, ces projets étaient tous coûteux et nécessitaient la réalisation d'importants investissements. L'idée du lancement d'un appel d'offres auprès des compagnies pétrolières internationales qui disposaient des moyens financiers que les pays riverains ne possédaient pas, s'imposa.

      L'opinion dominante était de posséder différents itinéraires d'acheminement des hydrocarbures afin d'assurer la sécurité et l'indépendance de l'extraction et du transport des ressources énergétiques caspiennes. En d'autres termes, il fallait songer à diversifier les voies d'exportation du pétrole et du gaz. Compte tenu du facteur politique très présent, les États-Unis et l'UE, concepteurs principaux d'idées et de projets, sous-entendaient avec le mot « diversifier » la mise à l'écart des pays non amicaux de la manne du pétrole caspien et des voies de transit 570 . Il n'est pas difficile de deviner que les pays visés sont la Russie et, plus particulièrement, l'Iran. Washington se souciait notamment de la hausse arbitraire des tarifs imposés par Moscou afin d'obtenir des concessions politiques de la part des jeunes pays caspiens 571 . La Russie, pour sa part, essaya de faire avorter, et au meilleur des cas, d'entraver la réalisation des projets qui échappaient à son contrôle. À défaut, elle s'efforcera au moins d'y participer.

      Les acteurs occidentaux, quant à eux, désiraient non seulement acheter les hydrocarbures caspiens, mais également être associés à toutes les étapes de la production : prospection, extraction, exploitation, évacuation, commercialisation. Par cette participation active, ils pensaient régner dans la région. Ainsi, le problème d'acheminement des ressources énergétiques de la Caspienne se posa dans deux dimensions : politique et économique (financière).

      Cependant, ils ne se montrèrent pas pressés de débloquer de l'argent pour financer les projets souvent sans justifications économiques tangibles et fruits de décisions purement politiques. Les multiples problèmes ethniques qui sont devenus la carte de visite de la région restent non résolus et suscitent des craintes sécuritaires chez les compagnies multinationales. En effet, toutes les zones par où pouvaient éventuellement passer les futurs oléo-/gazoducs étaient des zones de tension voire de guerres ethniques. Des préoccupations similaires étaient partagées par presque tous les pays impliqués dans le « Grand Jeu ».

      Ainsi, les pays caspiens et les compagnies étrangères commencèrent à réfléchir à la construction de voies alternatives pour l'or noir et le gaz naturel.

      Plusieurs itinéraires étaient possibles :

      la « voie septentrionale ou russe »

      la « voie occidentale I ou géorgienne (caucasienne) »

      la « voie occidentale II ou turque »

      la « voie méridionale I ou iranienne »

      la « voie méridionale II ou afghane »

      la « voie orientale ou chinoise »

      À l'heure actuelle, seuls deux itinéraires fonctionnent : le russe et le géorgien.

      

      a) La voie septentrionale ou russe

      

      La « voie septentrionale ou russe » est composée de trois oléoducs principaux. Deux d'entre eux existaient déjà à l'époque soviétique.

      

      i) (Ouzen – Aktaou) – Atyraou (Kazakhstan) – Samara (Russie)

      

      Ce premier, d'une longueur de 695 km, relie Atyraou (ex-Gouriev) à Samara (ex-Kouïbychev) et est destiné à l'évacuation du pétrole de Manguychlak (avec l'extension à Aktaou-Ouzen 755 km). Pendant la période soviétique, 85% du pétrole extrait à l'Ouest du Kazakhstan, centre de la production pétrolière nationale, était transformé dans les raffineries russes (de Volgograd, d'Orsk, de Samara) ou azerbaïdjanaises (de Bakou). En même temps, les trois quarts de la production des raffineries kazakhstanaises (de Pavlodar, de Tchimkent) revenaient au traitement du brut de la Sibérie occidentale 572 .

      Après la dissolution de l'URSS, le Kazakhstan fut confronté au dysfonctionnement de ses raffineries en sous régime, tandis qu'une partie du brut extrait dans le pays restait non demandée. Ainsi, le nord-est et le nord-ouest du territoire kazakhstanais étaient éloignés l'un de l'autre non seulement géographiquement, mais également du point de vue économique.

      

      Les économies des régions et des républiques sentiront encore longtemps les conséquences de la répartition économique du régime soviétique construit aussi bien sur de mauvais calculs que sur la stratégie de créer une forte interdépendance entre les républiques parfois au détriment du bon sens économique.

      Devenu indépendant, le Kazakhstan plaça tous ses espoirs de prospérité économique sur l'exploitation de ses gisements d'hydrocarbures. Mais l'héritage soviétique pesait lourdement sur lui. Après les nouvelles découvertes de pétrole et de gaz sur son territoire, Astana sentit l'urgence et la nécessité vitale de voies de communication pour l'acheminement de ses ressources énergétiques.

      Connecter les deux régions, nord-est et nord-ouest, suscite chez les économistes de nombreuses interrogations concernant la rationalité économique. En revalorisant les oléoducs existants qui étaient tous dirigés vers sa puissante voisine septentrionale, Astana réussit à éviter la confrontation avec Moscou. Parallèlement, la capitale kazakhstanaise continua à travailler âprement à la possibilité de création d'autres voies d'évacuation et au problème de la commercialisation de son pétrole. L'oléoduc Ouzen-Atyraou-Samara assurait toujours au Kazakhstan l'accès aux consommateurs d'Europe occidentale via la ville volgienne, le magistral oléoduc pétrolier Droujba 573  et le Système baltique de pipeline achevé en 2001. La réhabilitation du pipeline permit d'augmenter sa capacité de débit réel de presque deux fois (25 millions de tonnes) avant que d'autres projets ne voient le jour, avec la Turquie ou la Chine, par exemple 574 .

      Dans le contexte du développement des voies d'acheminement, une éventuelle internationalisation de la navigation sur la Volga arrangerait bien le Kazakhstan, car en utilisant des tankers le pays pourrait avoir accès à la Baltique, voire à la mer Noire, par le réseau de canaux existant.

      

      ii) Bakou (Azerbaïdjan) – Novorossisk (Russie). Le problème du passage tchétchène

      

      Le deuxième oléoduc, d'une longueur de 1535 km, relie Bakou à Novorossisk situé sur le littoral de la mer Noire. Or, il traverse le territoire de la Tchétchénie, zone transformée en un théâtre de combats armés particulièrement violents entre les séparatistes tchétchènes et

      l'armée russe. Moscou voulut devancer ses rivaux occidentaux, en pleine élaboration de projets de nouveaux tracés, et commença la réhabilitation de l'oléoduc existant, à savoir, la construction d'un nouveau terminal au bord de la Caspienne et de deux nouveaux tronçons, la réparation et l'entretien de certaines portions, etc. Cependant, les travaux furent partiellement arrêtés à cause de la première guerre de Tchétchénie qui débuta en décembre 1994 et dura jusqu'en août 1996.

      Plusieurs chercheurs estiment que c'est le « parti des pétroliers » qui a déchaîné cette première guerre tchétchène 575 . Certes, le facteur pétrolier, en particulier le contrôle sur 153 km d'oléoduc qui traversaient le territoire rebelle, en était une des causes, mais pas la principale. À notre sens, l'ambition de restaurer le prestige du pouvoir et celui de l'ensemble de la Fédération de Russie, et l'inquiétude grandissante d'une désintégration du pays étaient prioritaires. Par contre, les intérêts pétroliers occupaient la place centrale du « volet économique » de la guerre qui coïncida avec l'année de signature du « contrat du siècle » et la nouvelle répartition géopolitique dans la région caspienne. Quoi qu'il en soit, la guerre eut une répercussion négative sur les intérêts russes dans la région caspienne et discrédita Moscou aux yeux de la communauté internationale.

      En plus des puits et de l'oléoduc traversant son territoire, la Tchétchénie possédait des raffineries disposant d'une grande capacité de transformation du brut. Elles fonctionnaient principalement avec du pétrole extérieur à cause de la chute drastique de l'extraction du naphte local 576 . À titre de comparaison, en 1991, la Tchétchénie a produit 3,9 millions de tonnes de pétrole, en 1992 – 3,2 millions, en 1993 – 2,4 millions, en 1994 – 1,2 millions, en 1995 – 0,4 millions 577 . Il était évident que le rétablissement de la stabilité politique dans la région permettait de revaloriser cette voie d'acheminement du pétrole azerbaïdjanais encore unique. Une fois l'accord de paix signé le 12 mai 1997, Moscou ouvrit des négociations avec Groznyï sur l'évacuation du pétrole caspien provenant de Bakou via la Tchétchénie. Le coût élevé de transit – 860 000 dollars pour quelque 200 000 tonnes – devait contribuer à la reconstruction du pays et couvrir les dépenses relatives aux mesures sécuritaires de fonctionnement de l'oléoduc.

      Entre les deux guerres, la capitale tchétchène désirait s'imposer comme acteur autonome du « Grand Jeu ». En 1996, elle lança un appel à la création d'un consortium international « pour le transit des pétroles tchétchène et azerbaïdjanais vers les marchés mondiaux en contournant la Russie et les Détroits » 578 . Elle envisagea la construction de l'oléoduc Groznyï-Tbilissi et l'utilisation des infrastructures pétrolières de Batoumi et d'Odessa pour l'évacuation du naphte vers l'Europe. Un deuxième projet vit le jour en 1998, quand à Londres le Président de la Compagnie pétrolière méridionale Kh. Iarikhanov et lord Macalpine annoncèrent la création de la Compagnie pétrolière transcaucasienne pour le transit du pétrole azerbaïdjanais de Bakou en direction d'Europe occidentale via Groznyï-Rostov- Krementchoug-Droujba. En cas de stabilité politique dans la région, ce projet pouvait être très prometteur car il ne nécessiterait que la construction d'un tronçon de 480 km reliant Krementchoug à l'oléoduc magistral Droujba 579 .

      Les démarches russes parallèles n'étaient que provisoires, un compromis à court terme qui apparemment pourrait arranger les deux parties : la Russie conservait sa présence en Tchétchénie en échange d'injection de fonds dans le budget républicain. Pendant deux ans et demi de fonctionnement (du 25 novembre 1997 au 17 janvier 2000) avec des interruptions fréquentes, 25 à 35 % du pétrole fut pillé sur le territoire tchétchène 580 . Vu toute la complexité de la situation en Tchétchénie, la capitale russe songeait parallèlement à la construction d'un tronçon via le Daghestan qui contournerait la république séparatiste. Ce projet avait un double objectif : si la situation se réglait en Tchétchénie, le tronçon daghestanais permettrait d'augmenter le débit du pétrole vers le terminal de Novorossisk, à défaut, Moscou aurait au moins une alternative et conserverait sa vocation de transit du pétrole azerbaïdjanais.

      Ainsi, pour ne pas se voir écartés des flux pétroliers caspiens, dès septembre 1997, les Russes se mirent rapidement à la construction du pipe-line contournant la Tchétchénie 581 . Les travaux de construction du tronçon de 312 km de long furent achevés en été 2000 en un temps record de 5 mois au lieu des 16 prévus et pour un coût total de 150 millions de dollars. Le débit pourrait atteindre de 5 à 18 millions de tonnes. Moscou prévoyait également l'arrivée de l'or noir kazakhstanais (du gisement de Tenguiz) et turkmène. C'est pourquoi elle commença à moderniser parallèlement les infrastructures pétrolières de Makhatchkala pour que ces dernières puissent accueillir les tankers de pétrole provenant du Kazakhstan et du Turkménistan en cas d'insuffisance de celles d'Azerbaïdjan pour remplir l'oléoduc Bakou-Novorossisk. L'accord russo-kazakhstanais signé en 2002 fixa, entre autres, les volumes de transit du pétrole kazakhstanais via Makhatchkala-Tikhoretsk à 2,5 millions de tonnes par an 582 . Pour cela, Astana investit dans le secteur du transport en tanker et développa les infrastructures portuaires d'Aktaou, de Baoutino et de Katyk qui approvisionnent également les oléoducs Bakou-Soupsa et Bakou-Batoumi et, dans le futur, dépanneront Bakou-Ceyan. La compagnie d'État Kazmounaïgaz étudie la possibilité de création de sa propre flotte de tankers, car actuellement le pays est encore dépendant de la Russie pour ce moyen de transport de pétrole. Il n'est pas exclu que le Kazakhstan développe la construction navale nationale 583 .

      L'ex-président azerbaïdjanais H. Aliev manœuvrait habilement entre la Russie et l'Occident en essayant de ne pas opposer les voies russe et occidentale, dans un premier temps géorgienne (opérationnelle depuis avril 1999), puis turque en projet (cf. infra b) ; c)). En réalité, H. Aliev tenta vainement d'utiliser ce facteur pour que Moscou change sa position dans le dossier du Haut-Karabakh et exerce une pression économique, politique et militaire sur l'Arménie (cf. infra c)). Mais, en même temps, l'Azerbaïdjan dépendait encore énergétiquement de la Russie. En dépit de ses richesses en hydrocarbures, Bakou consommait toujours le gaz et l'électricité en provenance de Russie.

      On peut supposer qu'après une éventuelle stabilisation en Tchétchénie, l'oléoduc traversant ce pays pourrait être réutilisable de nouveau. Cela demandera, bien évidemment, une réhabilitation coûteuse, mais elle permettrait de diversifier la « voie septentrionale russe » de l'acheminement des hydrocarbures caspiens. Sur ce plan, tout changement favorable sera lié aux succès de régulation impulsée par Moscou dans l'ensemble du Caucase du Nord. Une « remise en ordre » en Tchétchénie se pose toujours, car la guerre locale neutralise complètement un des corridors de la « voie russe » d'acheminement du pétrole. Si les militaires et le gouvernement russes réussissent à obtenir une victoire sur les séparatistes tchétchènes, cela permettrait à la Russie de restaurer en partie ses positions stratégiques perdues dans le « Grand Jeu ».

      Néanmoins, la capacité des deux tracés du pipeline en question ne peut en aucun cas être suffisante pour l'importance du flux pétrolier attendu dans les années à venir. Pour ne pas céder encore plus sur ses positions géostratégiques dans la région caspienne, Moscou a été contraint non seulement d'élaborer d'autres projets de transport du pétrole et du gaz, mais également de les réaliser avant ses concurrents.

      

      iii) Tenguiz (Kazakhstan) – Novorossisk (Caspian Pipeline Consortium). Un exemple réussi de coopération russo-kazakhstano-américaine

      

      En 1992, la Russie, le Kazakhstan et Oman décidèrent de créer le Caspian Pipeline Consortium (C.P.C.) dont l'objectif était la construction d'un oléoduc d'une longueur de 1580 km qui servirait au transport du pétrole provenant du gisement kazakhstanais Tenguiz. En réalité ce fut un long tronçon d'oléoduc (748 km), qui devait commencer à partir d'un embranchement à Komsomolskaïa par où passait l'oléoduc hérité de l'époque soviétique Atyraou-Samara. Le tracé devait initialement traverser le territoire tchétchène et c'est pour des raisons sécuritaires qu'en août 1993 il fut modifié et raccourci de quelque 50 km 584 .

      La nouvelle variante empruntait la région d'Astrakhan, la République de Kalmoukie (traditionnellement stable), les territoires de Stavropol et de Krasnodar (via Kropotkine). Modifié, il promettait d'être à l'abri des situations de crises politiques, ce qui augmenta son attractivité. Pour assurer le remplissage des conduites, en 1999 fut également prise la décision de construire l'oléoduc Karachaganak-Atyraou qui permettrait de transporter le pétrole du gisement Karachaganak par la C.P.C.

      La volonté initiale de Moscou de se passer des Occidentaux ne porta pas ses fruits. Le 27 avril 1996, Moscou et Astana se mirent d'accord pour élargir le nombre de participants dans le C.P.C. afin d'obtenir le financement nécessaire pour la construction qui s'élevait à 2,6 milliards de dollars 585 . Le C.P.C. fut désormais composé de pays et de sociétés russes, kazakhstanais et étrangers. Le poids de la Russie était néanmoins prépondérant. Sa part atteignait 44 %, Loukoïl et Rosneft compris.

      La direction des travaux fut d'ailleurs confiée à ce dernier. La participation des compagnies américaines Chevron et Mobil s'avéra, en fin de compte, un pas stratégique compte tenu des problèmes qui existaient avec le passage via les Détroits turcs (cf. infra le sous-chapitre suivant).

      La construction de l'oléoduc Tenguiz-Novorossisk fut achevée en mars 2001. Cet oléoduc évacue le pétrole de Manguychlak par les conduites russes jusqu'au terminal de Novorossisk sur le littoral de la mer Noire. Selon les estimations des spécialistes, la Russie

      

      pourrait toucher en 15 ans (2000-2015) plus de 20 milliards de dollars de bénéfices et de recettes fiscales 586 .

      

      Tableau n° 12

      Les participations financières dans le C.P.C.

      

      

Compagnies Pays Parts, %




Russie 24

Kazakhstan 19

Oman 7
Total des États
50
Loukoïl Russie 12,5
Rosneft Russie 7,5
Chevron Etats-Unis 15
Mobil Etats-Unis 7,5
Agip Italie 2
British Gas Grande-Bretagne 2
Oryx Etats-Unis 1,75
Kazakhstan Pipeline Venture Kazakhstan 1,75
Total des compagnies
50

      Source : Site du C.P.C http://www.cpc-ltd.com.

      

      La capacité de rendement initiale du C.P.C. est de 28 millions de tonnes par an. Il est susceptible d'atteindre le seuil de 67 millions. Actuellement, le Kazakhstan (Tenguizchevroil) et la Russie (Loukoïl) acheminent respectivement par le C.P.C. 8,5 et 1 millions de tonnes. Dans l'avenir, la Russie n'est pas en mesure d'augmenter sa part à cause de la mise en service du Système baltique de pipeline qui achemine les excédents russes en pétrole vers le terminal de Primorsk situé au bord de la mer Baltique. La production annuelle de pétrole kazakhstanais est estimée à environ 30 millions de tonnes. Dans les années à venir, Astana compte transporter jusqu'à 20 millions de tonnes de pétrole par le C.P.C. Son niveau maximum de production est estimé à 50 millions de tonnes par an d'ici 2014 587 .

      La réalisation de ce projet de diversification des voies d'acheminement du naphte caspien fut une victoire importante de la Russie dans cette région stratégique. Sera-t-elle la dernière ? Le combat promet d'être difficile. Sur ce plan, on peut s'interroger sur les points suivants : la Russie a-t-elle vraiment un intérêt économique à voir passer par son territoire tout le flux des hydrocarbures caspiens alors qu'elle est elle-même un des plus importants producteurs de pétrole au monde ? Quelles conséquences pourrait avoir ce flux sur les exportations russes vers les mêmes directions au niveau des volumes et des prix ? Il est vrai que la Russie obtiendrait un contrôle politique sur le transport, mais de nos jours, ce type de contrôle est incomplet et n'est plus efficace. On ne peut pas « fermer la vanne » à seule fin de faire pression politiquement ou économiquement sur les voisins. Tous les pays de la région, y compris la Russie, ont déclaré leur détermination à s'intégrer dans l'économie mondiale et à respecter les engagements pris. Actuellement, le contrôle économique apporte plus de fruits que le contrôle politique. En réalisant ce contexte, Moscou a commencé à construire sa politique étrangère à l'égard de son étranger proche, y compris les États caspiens, sur la base d'une intervention économique dans ces pays.

      Dans un certain sens, la mise en service de l'oléoduc Tenguiz-Novorossisk fut le fruit des réalités géopolitiques existantes et des concours de circonstances. Gardienne de la quasi seule voie existante de désenclavement de la Caspienne, Moscou réussit à convaincre Astana de donner la préférence à l'oléoduc traversant le territoire russe. La volonté du Kazakhstan de se désenclaver le plus vite possible et d'exporter davantage sa production vers les marchés mondiaux permit d'opter pour la voie russe. À cette période, le pays des steppes n'avait pas trop le choix.

      Mais Astana demeura déterminée dans l'intention de diversifier les voies d'acheminement de ses hydrocarbures. On ne voit plus le territoire russe figurer dans ses nouveaux projets. Dès le début de 1998, le pétrole kazakhstanais arrive par tankers en Azerbaïdjan pour être ensuite transporté par voie ferrée jusqu'à Batoumi. Pour cela, Bakou a construit spécialement un tronçon de chemin de fer Dubendy-Gala. Malgré cela, la politique kazakhstanaise concernant les oléoducs reste constructive, économiquement justifiée et moins politisée par rapport à son voisin caspien l'Azerbaïdjan. Il est vrai qu'économiquement le Kazakhstan est plus lié à la Russie que l'Azerbaïdjan et la situation géopolitique qui conditionne considérablement les orientations des deux pays n'est pas la même. En dépit des déclarations des autorités kazakhstanaises prônant telle ou telle voie d'acheminement du pétrole, ce ne sont pas elles qui décideront réellement de la direction à prendre. En effet, seuls 5 millions de tonnes sur les 36 extraits dans le pays appartiennent à l'État kazakhstanais. Le reste est la propriété des compagnies étrangères. Ce sont donc ces dernières qui feront le choix 588 .

      

      

      En corollaire, ajoutons que la capacité des terminaux russes de Novorossisk, de Touapsé (mer Noire), et de Primorsk (mer Baltique) ne permet en aucun cas d'absorber les volumes de pétrole caspien attendus. De surcroît, les conditions climatiques ne permettent d'expédier le pétrole que 200 jours dans l'année 589 . Ainsi, la construction de nouveaux oléoducs est avant tout une nécessité économique pour la région. Certaines solutions temporaires, comme par exemple, l'utilisation des terminaux lituaniens pour l'évacuation du pétrole kazakhstanais rencontrèrent d'emblée la résistance de Moscou qui gela les négociations à peine entamées 590 .

      Enfin, la construction de l'oléoduc Tenguiz-Novorossisk donna un exemple réussi de coopération russo-américaine. Pour la l'Union européenne, ce pipeline représenta une voie alternative de plus d'approvisionnement en matière d'hydrocarbures. Cela s'inscrit également dans le cadre du développement des relations entre la Russie et l'UE dans le domaine énergétique.

      

      Tableau n° 13

      Les oléoducs existants et en projet : la voie septentrionale ou russe

      

      

Itinéraires Pays dont les territoires sont empruntés Longueur (km) Dates de mise en exploitation Capacité de transport (millions de tonnes par an) État du projet

(extension Aktaou-Ouzen) Atyraou- Samara Kazakhstan, Russie (755) + 695 depuis l'ère soviétique 15 à 25 travaux de réhabilitation et de modernisation entre 1999 et 2002
Bakou- Groznyï-Tikhoretsk-Novorossisk Azerbaïdjan, Tchétchénie, Russie 1535 depuis l'ère soviétique 6 à 15 hors service à cause des combats armés en Tchétchénie
Bakou- Makhatchkala- Tikhoretsk-Novorossisk Azerbaïdjan, Daghestan, Russie 328 (tronçon) depuis avril 2000 jusqu'à 18 contournement daghestanais (fin 1999-début 2000)
Tenguiz-Novorossisk (C.P.C.) Kazakhstan, Kalmoukie, Russie 1580 depuis octobre 2001 28 à 67 en activité

      

      Pour résumer, les inconvénients de la « voie septentrionale russe » pour les acteurs du « Grand Jeu » sont :

      l'instabilité politique qui domine dans les territoires empruntés par les oléoducs ;

      la surcharge des Détroits turcs qui sont un passage obligé, car du terminal de Novorossisk, le pétrole est transporté vers les marchés mondiaux par tankers ;

      le problème de mélange du pétrole azerbaïdjanais de haute qualité avec le pétrole russe et kazakhstanais de basse qualité dans le croisement de Tikhoretsk.

      Ainsi, l'étude d'autres projets et la construction de nouveaux oléoducs sont toujours d'actualité.

      

      b) La voie occidentale I ou géorgienne (caucasienne)

      

      Le deuxième oléoduc en activité appelé la « voie occidentale I ou géorgienne », qui transporte principalement le pétrole azerbaïdjanais, est celui qui relie Bakou (terminal de Sangatchal) à Soupsa (Géorgie). D'une longueur de 850 km, il fut solennellement inauguré le 17 avril 1999. Cette ouverture mit fin à l'hégémonie russe sur l'exportation des hydrocarbures de la Caspienne. Quatre ans auparavant (1995), dans le cadre du programme TRACECA, la voie ferrée Bakou-Tbilissi-Batoumi d'acheminement du pétrole azerbaïdjanais avait commencé à fonctionner après des travaux de réfection.

      L'oléoduc Bakou-Batoumi/Soupsa existait déjà à l'époque soviétique (depuis les années 1930). Mais il était en mauvais état, notamment après sa fermeture en 1986. Pour être opérationnel, il nécessitait une réhabilitation coûteuse. Les constructeurs furent en particulier obligés de changer entièrement 240 km de conduites, ce qui augmenta le coût initial du projet de quelque 275 millions de dollars 591 . La proximité de Poti et de Batoumi permit d'utiliser les capacités portuaires de ces villes pour l'exportation du pétrole « initial » d'Azerbaïdjan. Un troisième port, Soukhoumi, pourrait être associé au trafic pétrolier, mais la sécession de facto de l'Abkhazie le mit hors jeu. En effet, c'est la guerre prolongée en Tchétchénie qui augmenta les chances de cet oléoduc d'être réhabilité rapidement, avant que le contournement daghestanais du pipeline Bakou-Novorossisk ne voie le jour.

      

      Ainsi, la « voie géorgienne » devint la première alternative à la « voie russe ». Loukoïl avait même l'« intention d'acheter la totalité du pétrole produit en Azerbaïdjan pour rendre moins attractive la voie géorgienne » 592 . La réalisation de cet ouvrage ne se concrétisa qu'avec le concours actif des États-Unis qui étaient très soucieux d'assurer leur sécurité énergétique. Le monopole d'un seul État sur les voies d'acheminement du pétrole caspien, surtout quand cet État est la Russie, a toujours inquiété les Américains et leurs alliés occidentaux. C'est pour cette raison que Washington investit beaucoup dans les recherches et dans la diversification des différentes sources d'approvisionnement en énergie. Dans ce contexte, l'ouverture de la « voie géorgienne » fut saluée par les États-Unis, car elle contribua au renforcement de l'indépendance économique des ex-républiques soviétiques vis-à-vis de leur ancienne métropole et sécurisa, dans une certaine mesure, les flux pétroliers, bien que l'influence russe soit encore sensible dans ces pays.

      Cependant, la « voie géorgienne » ne représente qu'une alternative d'acheminement du pétrole essentiellement azerbaïdjanais, et elle n'est pas en mesure de se substituer à la « voie septentrionale russe » à cause de sa capacité de transport réduite : 6,5 millions de tonnes par an. Les deux voies à elles seules ne suffisent pas à résoudre le problème de l'acheminement de tout le pétrole caspien qui n'a pas encore atteint son débit maximal. Un autre inconvénient majeur provient des Détroits turcs, passage obligé pour les tankers. Par les oléoducs le pétrole parvient aux terminaux situés au bord de la mer Noire pour être ensuite transféré par tankers vers les marchés mondiaux via les ports d'Odessa (Ukraine), de Brody (Ukraine de l'Ouest), de Samsoun (Turquie) ou les détroits du Bosphore et des Dardanelles.

      Cependant, la fréquentation des Détroits turcs par tankers reste dangereuse et la Turquie, dès le 1er juillet 1994, prit des mesures restrictives concernant le transport des marchandises à risque : produits pétroliers et chimiques, gaz liquide, etc. 593  En introduisant des limitations unilatérales, la Turquie ne poursuivait pas seulement l'objectif d'augmenter la sécurité du trafic. L'ex-Premier ministre turc T. Tchiller dit à ce propos : « Nous ne permettrons pas que le pétrole caspien passe par la Russie, car, dans ce cas, une source d'énergie d'une telle importance serait placée sous le contrôle exclusif de la Russie. Cela signifierait que le sort des pays de la région se trouverait dans les mains de la Russie » 594 . Par ailleurs, cette décision turque n'était pas conforme à la Convention de Montreux de 1936 qui accorde le droit de libre passage aux navires de commerce par les Détroits sans aucune restriction.

      Malgré ses obligations internationales vis-à-vis du Bosphore et des Dardanelles, Ankara se prononce catégoriquement contre l'augmentation permanente des passages des tankers pour au moins deux raisons : sécuritaires et politiques. Selon les estimations des spécialistes, d'ici 2010, le nombre de pétroliers d'un tirant d'eau de 100 mille tonnes passant de la mer Noire à la Méditerranée via les détroits doit augmenter de plus de huit fois. Cela représenterait un danger économique et environnemental évident, malheureusement bien connu compte tenu de la fréquence des catastrophes liées aux pétroliers dans le monde. La Turquie et les États-Unis instrumentalisent habilement le problème de la protection de l'environnement pour stopper, ou au moins réduire, l'augmentation progressive du nombre de tankers, partant des ports russes de la mer Noire, pour privilégier la « voie turque ». Curieusement, les questions liées à l'écologie de la Caspienne et des territoires de passage des oléoducs sont moins prises en compte ou discutées par les concepteurs de multiples projets.

      Pour désengorger les Détroits, les pays concernés, avec le concours de l'Union européenne, envisagent la construction de terminaux à Bourgas (Bulgarie), à Constanta (Roumanie) et à Alexandroupolis (Grèce, mer Egée), ainsi que d'autres tronçons de pipelines. La construction d'un oléoduc reliant Bourgas à Alexandroupolis (accord russo-grec de Thessalonique, septembre 1994), de 275 km de long, déchargerait les Détroits. Cette entreprise, baptisée « projet orthodoxe » 595 , augmenterait également les chances de la Russie de se réimposer comme maillon indispensable dans l'acheminement du pétrole caspien vers les consommateurs européens et mondiaux. De surcroît, elle est économiquement viable en raison de son prix sensiblement moindre que celui du projet turco-américain Bakou-Ceyan.

      En soutenant avec les Américains la troisième voie dite turque de transport du pétrole caspien (oléoduc Bakou-Ceyan toujours en construction), Ankara, d'une certaine façon, essaye de « préparer » la Russie à la restriction croissante de sa marge de manœuvres. Désirant justifier à tout prix la nécessité primordiale de construire le pipeline qui traverse son territoire, la Turquie se prononce également contre l'oléoduc « orthodoxe ». Parallèlement, elle ne cesse de faire croire à l'Occident qu'il n'y a pas d'autre alternative susceptible d'assurer le transport des immenses quantités de naphte attendues.

      Enfin, l'association à la « voie occidentale I » des pays riverains de la mer Noire (Bulgarie, Roumanie, Ukraine et aussi Moldova) pourrait avoir un impact bénéfique sur leurs économies nationales très fragiles. Au lieu de traverser les Détroits, les tankers de Soupsa, et sans doute de Novorossisk, arriveront aux terminaux d'Odessa, de Constata ou encore de Djourdjoulesti sur le Dniestr (Moldova, en construction). De là le pétrole sera ensuite acheminé vers l'Europe occidentale. Kiev essaie de tirer le meilleur parti de cette perspective et souhaite transformer une partie du brut caspien dans ses raffineries avant de la laisser couler par l'oléoduc Odessa-Brody (région de Lvov). Malgré les capacités suffisantes de ses raffineries, il y a beaucoup de questions qui restent en suspens : la modernisation des installations portuaires, l'insuffisance de la flotte pétrolière ukrainienne. L'essentiel de la réhabilitation de l'oléoduc reliant Odessa à Brody (670 km) a été terminé en décembre 2001 596 .

      Il existe également d'autres réseaux et projets d'acheminement des hydrocarbures en provenance de la Russie et du Kazakhstan qui permettent de contourner les détroits surchargés du Bosphore et des Dardanelles. Pour cela Moscou réalise l'intégration des réseaux magistraux Droujba et Adria et étudie la question de la construction de l'oléoduc Transbalkanique 597  qui peut servir à l'acheminement du pétrole turkmène et kazakhstanais.

      

      Tableau n° 14

      Les oléoducs existants et en projet : la voie occidentale I ou géorgienne (caucasienne)

      

      

Itinéraires Pays dont les territoires sont empruntés Longueur (km) Dates de mise en exploitation Capacité de transport (millions de tonnes par an) État du projet

Bakou- Soupsa Azerbaïdjan, Géorgie 830 depuis les années 1930 6,5 à 10 modernisé et remis en exploitation depuis avril 1999 
Bakou- Khatchouri- Batoumi Azerbaïdjan, Géorgie 231 (tronçon) depuis l'ère soviétique 4 à 8 voie ferrée + oléoduc Khatchouri- Batoumi

      

      

      

      

      

      Tableau n° 15

      Le prolongement des « voies russe et géorgienne » d'exportation du pétrole caspien

      

      

Itinéraires Pays dont les territoires sont empruntés Longueur (km) Dates de mise en exploitation Capacité de transport (millions de tonnes par an) État du projet

Odessa- Brody Ukraine 670 depuis août 2001 14 à 23 se connecte avec Droujba
Bourgas- Alexandroupolis Transbalkanique Bulgarie, Grèce 275 en projet 30 conçu en 1997, ajourné
Bourgas- Vlore Bulgarie, Macédoine, Albanie 915 en projet 35 à 50 conçu en 2001
Constanta- Rijeka Roumanie, Hongrie, Croatie 1125 en projet 33 à 40 étude préliminaire terminée
Samsoun- Ceyan Turquie (mer Noire/mer Méditerranée) 890 en projet 100 construction prévue durant 2006

      

      c) La voie occidentale II ou turque

      

      Ainsi, la Turquie et les États-Unis militent pour le futur oléoduc qui reliera Bakou (Santchagal, à 40 km) à Ceyan au bord de la Méditerranée en passant par la capitale géorgienne Tbilissi (localité de Khatchouri). En mars 1993, à Ankara, fut conclut l'accord azéro-turc sur la construction de cet oléoduc d'une longueur de 1762 km qui au sud devait rejoindre le pipeline magistral venant d'Irak qui ne fonctionne plus en raison des guerres et des sanctions contre le régime de Saddam Hussein. Le terminal de Ceyan fut spécialement construit en 1977 pour le stockage et l'exportation du pétrole irakien et chôme actuellement.

      Ankara utilisa tous les moyens pour appuyer le choix de la « voie turque » d'acheminement du pétrole caspien dont l'enjeu était énorme pour l'économie nationale de la Turquie, mais aussi pour d'autres. La Géorgie et l'Azerbaïdjan étaient également très enthousiasmés par les perspectives qui s'ouvraient devant eux. Le Kazakhstan et le Turkménistan manifestèrent aussi leur intérêt et devinrent rapidement parties prenantes de ce projet ambitieux.

      En 1999, à Istanbul, fut signé l'accord quadripartite (États-Unis, Turquie, Azerbaïdjan, Géorgie) concernant la construction de l'oléoduc en question. La signature fut précédée par plusieurs déclarations des pays concernés (l'Azerbaïdjan, la Géorgie, le Turkménistan, le Kazakhstan, l'Ouzbékistan) sur leurs engagements « moraux » à contribuer à la réalisation de cette entreprise 598 .

      La présence du président américain B. Clinton en personne lors de la signature de l'accord souligna l'importance stratégique (plutôt qu'économique) pour Washington de cet itinéraire d'évacuation du pétrole caspien. Les Américains désiraient priver la Russie des bénéfices de transit et affaiblir l'influence politique et économique russe dans la région. Les compagnies pétrolières étrangères impliquées reçurent largement le concours et le soutien personnel des présidents et des gouvernements géorgiens et azerbaïdjanais.

      Le soutien de Washington au pipeline Bakou-Ceyan n'empêcha pas les compagnies américaines de participer activement à d'autres projets d'acheminement de l'or noir caspien, y compris sous la tutelle russe. Ainsi, Chevron et Mobil sont des associés du C.P.C. avec pour parts respectives 15% et 7,5%. Quant à Amoko, il finança la part kazakhstanaise dans le Consortium tout en devenant indirectement une partie intéressée.

      La construction de l'oléoduc Bakou-Ceyan posa de nombreuses interrogations sur son opportunité. Elles furent à l'origine du désistement des compagnies investisseurs dont le nombre et les parts changèrent sans cesse. En octobre 2000, fut conclu un accord stipulant la création d'un groupe de financement du projet. La participation des compagnies, à l'heure actuelle, est répartie ainsi :

      

      Tableau n° 16

      Les participants au groupe de financement de l'oléoduc Bakou-Ceyan

      

      

Compagnies Pays Parts (%)



Socar Azerbaïdjan 45
British Petroleum Grande-Bretagne 25,72
Unocal Etats-Unis 7,74
Statoil Norvège 6,45
TPAO Turquie 5,08
Itochu Japon 2,96
Delta Hess Arabie saoudite- Etats-Unis 2,05
ENI Italie 5

      Source : http://www.bank-monitor.ru.

      

      Dans cette liste, on ne voit aucune compagnie russe participer à cette gigantesque entreprise. Or, la volonté et des tentatives existèrent de la part de Moscou. En dépit de l'opposition farouche du Kremlin à ce projet, Loukoïl et Ïoukos étaient prêtes à participer au projet Bakou-Ceyan sur le compte des parts de la compagnie d'État Socar en échange du renoncement à la construction de l'oléoduc Bourgas-Alexandroupolis. En apparence, la politique officielle russe diverge des actions pratiques des géants pétroliers nationaux. Mais le lobby pétrolier est assez influent en Russie et il existe néanmoins un tacite consentement entre Moscou et lui.

      

      i) Les inconvénients du projet

      

      Avant que les premiers mètres de l'oléoduc Bakou-Ceyan soient posés, des débats s'organisèrent à propos des nombreux inconvénients du projet. Le premier argument contre était son coût. Les experts affirmèrent que le montant initial de construction soit 2,4 milliards de dollars était sous-estimé. Très vite on parla de quelque 3,5-4 milliards de dollars.

      La longueur de l'oléoduc représentait également un inconvénient qui se répercute directement sur le prix. De plus, les problèmes politiques non résolus des territoires traversés empêchèrent d'opter pour les variantes les plus économiques.

      Un autre inconvénient majeur est lié à ce que le Kurdistan turc est le passage obligé de l'oléoduc. Depuis plusieurs décennies cette région est une scène de l'opposition armée entre l'armée turque et les rebelles kurdes. Ces derniers menacent de créer des obstacles pour la réalisation de ce « projet du siècle ». Dans ce contexte, la nouvelle selon laquelle Amoc a proposé aux Kurdes de faire partie de la direction du consortium fit vraiment sensation 599 . Mais les Kurdes radicaux, notamment les membres du Parti travailliste du Kurdistan, sont plus attachés à trouver une solution politique à leur problème d'autoidentification. Ankara refuse toujours d'entamer les négociations à ce sujet. De surcroît, elle ne reconnaît même pas l'existence de l'ethnie kurde. Ainsi, construire un oléoduc qui traverse une zone de combats armés s'avérait très risqué. C'est pourquoi la Turquie élabora et proposa, entre autres, une variante au tracé qui évitait autant que possible les territoires peuplés par les Kurdes : Tbilissi-Samsoun-Ceyan 600 .

      L'acheminement du pétrole caspien via le territoire turc à un coût aussi considérable, est destiné à résoudre un problème stratégique majeur : diversifier les voies d'approvisionnement de l'Occident en hydrocarbures. Cela permettrait d'améliorer l'image politique positive de la Turquie qui se distingue nettement parmi les pays musulmans de l'Orient. Devenir moins dépendant du pétrole des pays du Golfe est l'objectif stratégique de Washington. Toute sa politique à l'égard de la région caspienne se construit sur cette base.

      Une autre incertitude est liée aux estimations de la quantité de pétrole azerbaïdjanais à exporter. Les réserves prospectées dans le secteur azerbaïdjanais sont de 4-4,5 milliards de barils. Pour que l'oléoduc Bakou-Ceyan soit rentable, il faudrait acheminer, à partir de 2004, 6-6,5 milliards de barils soit quelques 50 millions de tonnes de pétrole par an, ce que Bakou n'est pas en mesure d'assurer. À l'heure actuelle, l'Azerbaïdjan ne produit que 11 mille tonnes et pour atteindre la capacité de production prévue par les spécialistes américains il faudrait multiplier par 15 la production de pétrole nationale d'ici 2008 601 . Selon les estimations des experts russes, l'intérêt du nouveau pipeline ne s'imposera qu'en 2008 quand les exportations de pétrole dépasseront la capacité de transport des oléoducs existants de 10-15 millions de tonnes. Par ailleurs, la capacité du pipeline Bakou-Ceyan dépasserait les besoins réels de 70 millions de tonnes 602 .

      Ainsi, plusieurs facteurs mettaient en doute la pertinence de l'oeuvre turco-américaine :

      a) l'incertitude sur les réserves réelles du secteur azerbaïdjanais ;

      b) les problèmes liés à la sécurité de l'oléoduc compte tenu de la fragilité de la stabilité politique de la région ;

      c) le coût considérable du projet ;

      d) les contraintes géographiques amplifiées par la haute sismicité de la région de passage.

      Néanmoins, avec le temps, les esprits se calmèrent. Avec l'achèvement du premier tronçon en 2005, l'oléoduc Bakou-Ceyan devint réalité. Sa réalisation mettra davantage en relief la portée stratégique de la région caspienne en matière d'approvisionnement du monde en produits pétroliers.

      

      ii) La construction de l'oléoduc transcaspien – gage de la rentabilité économique

      

      Pour que la conduite Bakou-Ceyan soit rentable, il faudrait y canaliser également l'or noir venant du Kazakhstan et du Turkménistan, autrement dit, procéder à la construction d'un pipeline sous-marin à travers la Caspienne. Astana envisageait en particulier la construction

      d'un oléoduc partant d'Aktaou jusqu'à la côte turkmène (Kianli), prolongé par un tronçon sous-marin vers Bakou qui continuerait en direction de Soupsa ou de Ceyan 603 . Ce projet pourrait permettre d'acheminer le pétrole non seulement kazakhstanais et turkmène, mais également russe, sibérien y compris, vers la Méditerranée et la mer Noire en rentabilisant ainsi les oléoducs existants (Bakou-Soupsa) et en construction (Bakou-Ceyan).

      On peut supposer qu'initialement les concepteurs de la « voie turque » mettaient tous leurs espoirs sur le pétrole de toute la région pétrolifère Caspienne-Asie centrale. Les non-dits politiques de ces projets consistaient à diminuer l'influence de la Russie dans le transit du pétrole caspien aussi bien de la côte ouest que de la côte est. Cependant ce n'est plus un impératif absolu vu la proposition géorgienne concernant la construction d'un tronçon reliant le terminal de Novorossisk à l'oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyan pour dépanner ce dernier en cas de baisse de débit 604 . Vu les tensions entre Moscou et Tbilissi, les experts proposent également de transporter le pétrole par tankers de Novorossisk au port turc de Samsoun d'où un oléoduc relirait les côtes de la mer Noire et de la Méditerranée 605 .

      L'idée de construction d'un pipeline sous-marin rencontra d'emblée l'opposition rigide de Moscou et de Téhéran. Ils se prononcèrent contre tout projet de ce type, du moins, avant l'adoption d'un commun accord de la Convention définissant le nouveau statut juridique de la Caspienne. En cas de division de la mer en secteurs nationaux qui supposent une souveraineté nationale aussi bien sur la surface maritime que sur les fonds marins, ces types de construction peuvent échapper au contrôle et à la décision des deux capitales. En tant que propriétaires de leurs secteurs, le Kazakhstan et l'Azerbaïdjan, par exemple, posséderaient seuls tous les droits de décision de construction d'un pipeline sous-marin qui ne traverserait que leurs deux territoires/secteurs. Une telle décision marginaliserait davantage la vocation de transit de la Russie et de l'Iran, ainsi que les infrastructures iraniennes et russes existantes.

      Dans ce contexte, Moscou et Téhéran jouent également la carte de la sécurité écologique dans le bassin caspien : monitoring, mesures en cas de situations extrêmes, responsabilité pour le préjudice causé, problèmes de compensation, etc. La protection de la

      

      flore et de la faune caspiennes uniques ainsi que la haute sismicité de la région sont des arguments non négligeables pour une position rigide de Moscou et de Téhéran sans même tenir compte de ce qui se cache derrière elle. Aucun bénéfice économique ne sera comparable au préjudice causé à l'écosystème de la mer. Malgré tout cela, il ne faut pas se faire d'illusions sur le renoncement des pays, y compris de la Russie et de l'Iran, à leurs projets pétroliers sur la Caspienne. Au contraire, il convient d'envisager une hausse significative des travaux de prospection, de forage de nouveaux puits de pétrole. Le problème qui se pose est plutôt de minimiser les conséquences nocives de cette intervention humaine sur la nature. Après la découverte de nouveaux gisements dans son secteur, la Russie modéra sa position de départ à propos de la construction des pipelines transcaspiens. En conséquence, les compagnies russes Loukoïl et Ïoukos furent même invitées à participer dans ce projet 606 .

      Enfin, le Kazakhstan ne sentira la nécessité de nouveaux itinéraires pour ses exportations qu'à partir de 2009 quand la production nationale atteindra 92 millions de tonnes par an dont 21 millions dans la région caspienne 607 .

      

      iii) L'Arménie mise à l'écart des tracés caspiens de désenclavement

      

      À l'instar de la « voie russe », la « voie turque » traverse une zone déchirée par de multiples conflits ethniques où la stabilité politique restera encore longtemps incertaine. Il s'agit du Caucase du Sud (conflit majeur arméno-azéri) et de l'Anatolie Orientale (conflit entre l'armée turque et les Kurdes).

      Les projets préliminaires (depuis 1993) proposaient différentes variantes de tracés du futur oléoduc. L'itinéraire le plus court (1065 km au lieu de 1670) et économique traversait le territoire arménien en deux endroits : au nord du pays et au sud en longeant la rivière Araxe et en empruntant seulement quelque 43 km de territoire arménien (corridor de Meghri). Ensuite le tracé passait par le territoire de l'enclave de Nakhitchevan, le sud-est de la Turquie jusqu'à Midiat pour joindre l'oléoduc Irak-Turquie. À ce stade, la Turquie soutint l'éventuel passage arménien et fit pression sur A. Eltchibeï pour accepter la proposition de paix turco-russe 608 .

      

      Or, le développement ultérieur de la confrontation armée arméno-azérie écarta l'Arménie de ce projet visiblement prometteur.

      Un troisième tracé pourrait traverser la région du Haut-Karabakh, cause du conflit arméno-azéri 609 . Le fameux plan Hopple proposa vainement aux Arméniens de céder les territoires en échange d'une traversée d'oléoduc empruntant les terres arméniennes. En 1997, l'ex-président arménien L. Ter-Petrossian songea à faire quelques concessions à cet égard, une démarche qui se solda par sa démission anticipée. L'intransigeance dans le différend du Haut-Karabakh des nouveaux dirigeants arméniens, R. Kotcharian, lui-même originaire du Karabakh, en tête, enterra définitivement toute possibilité de passage via l'Arménie/le Haut-Karabakh du « peace pipeline » sur qui s'étaient sérieusement penchés les concepteurs du plan de paix de l'OSCE 610 . Ainsi, on renonça définitivement à ces variantes après avoir s'être rendu compte qu'il n'y aurait pas de solution immédiate et mutuellement acceptable dans un proche avenir. Pourtant, un oléoduc d'une telle importance empruntant le Haut-Karabakh pourrait contribuer à une détente dans la région et à la libération des territoires azéris occupés en échange du tracé. Or, Bakou et Ankara s'opposèrent catégoriquement à un tel scénario.

      Certains experts proposèrent également de construire un « contournement iranien » qui éviterait les 43 km de territoire arménien. Cependant, la prise par les forces du Haut-Karabakh des territoires azerbaïdjanais situés au sud de cette région disputée jusqu'à la frontière iranienne mit un point final à cette variante.

      Curieusement, la Géorgie fut la seule gagnante de la confrontation arméno-azérie. Qu'elle le veuille ou non, elle devint le pays de transit imposé. Compte tenu des opportunités offertes, ses dirigeants caressaient l'idée de voir croître l'influence politique de leur pays dans la région voire au-delà. Le territoire géorgien était devenu attrayant et « incontournable » par la force des circonstances géopolitiques. En réalité, c'était l'influence des États-Unis et de la Turquie qui croissaient dans ce pays plutôt que celle de la Géorgie dans la région. Ainsi, il se produit un changement de pôles de dépendance : un pays, en l'occurrence la Russie, est remplacé petit à petit par les États-Unis et la Turquie. Tbilissi ne peut réellement compter que sur les dividendes venus du transit, ce qui serait déjà énorme pour la fragile économie du pays. Cela lui permettrait également de renforcer son indépendance et de devenir politiquement et économiquement moins dépendante de la Russie, notamment, en matière d'énergie.

      Tableau n° 17

      Les oléoducs existants et en projet : la voie occidentale II ou turque

      

      

Itinéraires Pays dont les territoires sont empruntés Longueur (km) Dates de mise en exploitation Capacité de transport (millions de tonnes par an) État du projet

Bakou- Tbilissi- Ceyan Azerbaïdjan, Géorgie, Turquie 1762 date prévue 2006  50 été 2005, fin des travaux Bakou-Tbilissi-frontière turque
Aktaou- Kianli- Bakou- (Tbilissi- Ceyan) Transcaspien Kazakhstan, Turkménistan, Azerbaïdjan, (Géorgie, Turquie) 595 en projet 30 oléoduc sous-marin, en étude depuis 1998, ajourné jusqu'à la signature de la Convention sur le statut juridique de la Caspienne

      

      d) La voie méridionale I ou iranienne

      

      Une quatrième voie reste néanmoins possible mais peu vraisemblable à court terme : il s'agit de la « voie méridionale ou iranienne », la plus courte et la moins coûteuse. L'Iran est le pays qui a le plus grand nombre de voisins dans la région. Il est également le seul pays régional qui a accès à la fois à la Caspienne et à l'océan mondial. Enfin, il est le seul État qui lie deux importantes zones pétrolifères du monde : le golfe Persique et la Caspienne. Sa situation géographique rend ainsi le territoire iranien incontournable pour les échanges internationaux dans la région.

      Cependant, à l'instar de l'Arménie, les facteurs politiques aussi bien intérieurs qu'extérieurs semblent ignorer cette exceptionnelle vocation de transit de la République islamique. Même le fait que l'Iran bénéficie d'une relative stabilité par rapport à tous les territoires du Caucase du Sud et des régions voisines qui sont marqués par des conflits représentant une menace potentielle pour le bon fonctionnement et la sécurité des voies de communication, ne change pas beaucoup la donne. À la base de cette politique d'isolement se trouvent les États-Unis.

      Par tous les moyens possibles, les Américains essayent d'empêcher l'Iran de devenir un pays de transit du pétrole caspien. L'Iran-Libye Sanctions Act (Loi d'Amato 611 , août 1996) interdit la participation et l'investissement des entreprises américaines, mais aussi étrangères, dans les secteurs pétrolier ou gazier de l'Iran ou de la Libye qui dépassent le seuil de 40 millions de dollars. Ce seuil a été revu à la baisse en 1997 (20 millions de dollars). Ce fut le troisième embargo américain contre l'Iran après ceux de 1980 et de 1987. Or, les tentatives de punir les sociétés étrangères, en particulier russes, n'ont pas donné de résultats significatifs. En fin de compte, les compagnies américaines sont devenues les grandes perdantes de l'application de cet Acte.

      Les sympathies américaines à l'égard de la Turquie sont également un facteur d'isolement de l'Iran, car Washington réserve le rôle de leader dans la région à Ankara. La rivalité traditionnelle entre la Turquie et l'Iran contribue à la mise à l'écart de Téhéran des projets stratégiques régionaux. C'est la Russie qui peut profiter de cette situation en développant une coopération multilatérale avec la République islamique. L'abstention américaine ouvre également la voie à des capitaux d'autres pays intéressés, comme la Chine, le Japon, ou encore la France qui, semble-t-il, s'accommodent de la situation établie autour de l'Iran.

      En principe, la Russie ne doit pas être très intéressée par l'amélioration des relations entre l'Occident et l'Iran. Le réchauffement de ces rapports ne pourrait qu'avoir un impact négatif sur les intérêts russes et sur la place de la Russie dans la région en général, car l'Iran offrirait de meilleures voies de désenclavement de la Caspienne. Si un jour Washington et Téhéran décidaient de renouer leurs relations bilatérales, ce rapprochement irano-américain se ferait sur le compte des relations russo-iraniennes.

      Néanmoins, il est impossible de négliger totalement l'Iran dans les projets caspiens. En effet, il est très difficile d'ignorer les avantages de la « voie iranienne », même pour les Américains. Le lobby pétrolier des États-Unis fait en permanence des déclarations soulignant la rentabilité économique de l'itinéraire iranien. Il est difficilement envisageable d'exporter le gaz turkmène en grands volumes en évitant le territoire de l'Iran. À notre sens, si la Russie ou

      

      la Chine investissent et construisent les pipelines nécessaires, Washington achèterait sûrement, par exemple, le pétrole kazakhstanais acheminé par l'oléoduc traversant le territoire iranien. Par ailleurs, en mai 1998, la Maison Blanche précisa que la décision du Congrès ne concernait pas les projets de construction d'oléoducs et de gazoducs.

      À l'heure actuelle, en plus des Russes, plusieurs compagnies européennes et opportunément américaines, sont impliquées, d'une manière ou une autre, dans les projets iraniens relatifs aux hydrocarbures.

      Ainsi, malgré les efforts et la résistance farouche de Washington, l'Iran se trouve de plus en plus engagé dans différents projets régionaux. Au début des années 1990, on discuta vivement deux variantes de tracé d'oléoducs : Bakou-Kharg et Bakou-Tabriz-Kharg, de respectivement 1060 et 1150 km de long 612 . Dans les deux cas, il suffisait de construire un tronçon reliant Bakou à Tabriz d'où un oléoduc existant (750 km) allait jusqu'à Kharg. Mais les Américains, en dépit d'avantages incontestables, s'opposèrent farouchement à toute valorisation de la « voie iranienne ». Le désenclavement de l'Azerbaïdjan vers le territoire iranien pourrait être très avantageux pour lui s'il ne se heurtait à l'opposition des États-Unis. Sous la dépendance financière de l'Occident, Bakou n'est pas libre dans la prise de décisions d'une telle importance stratégique, qui placerait les oléoducs sous le contrôle de l'Iran.

      En août 1997, le Kazakhstan, avec l'assistance de la China National Petroleum Corporation (CNPC), prit la décision de construction du pipeline Kazakhstan (Tenguiz-Ouzen-Belek) – Turkménistan – Iran (Téhéran-Koum-Ispahan-Kharg), d'une longueur de 1496 km. Avant que le projet ne voie le jour, Astana signa un accord de swap 613  avec Téhéran selon lequel le Kazakhstan devait livrer par la mer Caspienne deux millions de tonnes de brut par an aux raffineries situées au nord de l'Iran pour une consommation intérieure. En échange, Téhéran expédiait la même quantité de brut aux acheteurs de pétrole kazakhstanais depuis le golfe Persique 614 .

      La décision de la Chine de s'associer à l'Iran a une grande importance stratégique aussi bien pour Pékin que pour Téhéran. Pour ce dernier, l'ouverture chinoise allégerait sensiblement le coup des sanctions américaines et permettrait d'atténuer l'isolement international tant politique qu'économique. En ouvrant encore une brèche dans l'isolement imposé à l'Iran, Pékin pourrait se constituer un capital politique en Moyen-Orient et renforcer son indépendance énergétique en bénéficiant de différentes sources d'approvisionnement.

      La construction du tronçon d'oléoduc Neka-Téhéran (335 km) permettrait de faire une liaison entre les réseaux russo-centrasiatique et iranien et d'accéder au golfe Persique. La Russie est particulièrement intéressée par ce projet qui pourrait acheminer le pétrole sibérien d'Omsk à Tchardjoou (via Pavlodar et Tchimkent) par l'oléoduc existant, puis par la voie ferrée de joindre de nouveau l'oléoduc Neka-Téhéran, avant qu'un tronçon ne soit construit entre Tchardjoou et Neka.

      Désireux de voir son territoire traversé par des tronçons d'oléoduc ou de gazoduc, l'Iran fit à maintes reprises de faibles tentatives pour détendre la situation qui s'était formée autour de la République islamique. Après l'arrivée au pouvoir de Mohammad Khatami en mai 1997, le gouvernement iranien, s'engagea dans quelques réformes de la vie politique intérieure et condamna les actions terroristes. Ainsi il tenta d'enrayer l'isolement international de son pays. Une certaine amélioration fut enregistrée avec l'Europe, mais pas avec les États-Unis.

      Dans l'avenir, en dépit de la volonté des Américains, l'Iran sera traversé par de nouveaux oléoducs et gazoducs. Et ce ne sera pas la politique qui le dictera, mais de purs calculs économiques. À l'heure actuelle, les raffineries de Téhéran, de Tabriz ou encore d'Ispahan fonctionnent avec le pétrole venant du golfe Persique. En construisant un oléoduc de 100 km de long, le pétrole caspien peut arriver dans ces raffineries pour transformation. En contrepartie, l'Iran pourrait charger des tankers de son brut du golfe Persique et l'expédier aux consommateurs selon le principe de « substitution ». Ce mécanisme est déjà expérimenté. En plus de l'accord avec le Kazakhstan, Téhéran signa avec succès encore deux autres contrats swap avec l'Azerbaïdjan et le Turkménistan. Ces derniers approvisionnent les régions septentrionales de l'Iran en hydrocarbures nécessaires. En échange, les compagnies pétrolières occidentales reçoivent la même quantité de pétrole des gisements iraniens du golfe Persique. Les compagnies américaines pourraient également développer ce mécanisme, cependant les mauvaises relations américano-iraniennes entravent toute initiative dans ce domaine.

      Malgré tout, les exportations swap ne dureront que tant que l'Iran ne trouvera pas de nouveaux gisements dans son secteur caspien qui est le moins étudié. En tenant compte de cette perspective, le gouvernement turkmène avec le concours des compagnies occidentales a conçu un projet de construction d'un oléoduc qui transporterait le pétrole turkmène vers les marchés d'Asie orientale via le territoire iranien.

      Enfin, un autre obstacle réside dans les lois intérieures iraniennes qui ne rendent pas attractifs les futurs projets pour les investisseurs. Selon ces lois, les étrangers ne peuvent pas devenir propriétaires d'oléoducs traversant le territoire iranien ni du pétrole se trouvant dans ces conduites. Cela veut dire que toute transaction doit se faire aux frontières d'entrée et de sortie de l'Iran. C'est aussi à la capitale iranienne de gérer les tarifs. Mais ces dernières années, Téhéran assouplit sa législation dans le but de rendre son territoire plus attractif pour les investisseurs étrangers. Par exemple, à la fin du 20e siècle, la République islamique fit un appel d'offre pour la construction de l'oléoduc Neka-Téhéran. Elle proposa les conditions de buyback. Le constructeur obtient le droit d'opérateur pendant cinq ans qui permet aussi bien de compenser les dépenses effectuées que de constituer un certain bénéfice. À l'expiration de ce délai, la partie iranienne s'engage à racheter le site à l'investisseur étranger 615 . En dépit de cette souplesse, le régime iranien reste néanmoins peu enthousiaste pour accueillir les investissements étrangers, bien que son économie en ait besoin. Pour cette raison, le seuil de ces interventions est fixé à 5,2 milliards de dollars par an 616 .

      

      Tableau n° 18

      Les oléoducs existants et en projet : voie méridionale I et II

      

      

Itinéraires Pays dont les territoires sont empruntés Longueur (km) Dates de mise en exploitation Capacité de transport (millions de tonnes par an) État du projet

Voie méridionale I ou iranienne

Bakou- Tabriz- Kharg Azerbaïdjan, Azerbaïdjan iranien, Iran 1150 en projet 6 proposé par TotalFinaElf
Bakou- Kharg Azerbaïdjan, Iran 1060 en projet 6 -
Tenguiz- Belek- Téhéran- Kharg Kazakhstan, Turkménistan, Iran 1496 en projet depuis août 1997 15-à 18 proposé par la CNPC (Chine), étude de faisabilité réalisée par TotalFinaElf (2005), en attendant contrat swap
Neka- Téhéran (extension Tabriz) Iran 335 en construction 18 destiné aux échanges swap

      

      

Voie méridionale II ou afghane

Dovletabad-Gwadar (Kazakhstan) Turkménistan, Afghanistan, Pakistan (1673) 1460 en projet 15 à 20 accord de principe, ajourné jusqu'à la stabilisation politique dans la région

      

      e) La voie méridionale II ou afghane

      

      (cf. infra § 2 Les itinéraires des gazoducs existants et futurs)

      

      f) La voie orientale ou chinoise

      

      Pékin ne peut pas s'abstenir de se mêler au jeu pétrolier. Depuis 1993, la Chine n'exporte plus de pétrole. En revanche, ses besoins augmentent progressivement et sa dépendance des importations pétrolières pourrait passer de 11 % en 1996 à 60 % en 2020 617 . Les Cinois sont le troisième plus gros consommateur au monde de produits pétroliers derrière les Américains et les Japonais 618 .

      La signature le 24 septembre 1997 d'un autre « contrat du siècle », cette fois entre la Chine et le Kazakhstan, positionna nettement Pékin sur l'« échiquier pétrolier » d'Asie centrale. Le Kazakhstan céda ses droits d'exploitation de deux gisements pétroliers dans les steppes, ceux d'Ouzen (Ouzenmounaïgaz) et d'Aqtobe (Aktioubemounaïgaz), à la compagnie chinoise d'État CNPC (China National Petroleum Corporation). La CNPC acheta la majorité des actions (60 %) de ces deux compagnies pétrolières kazakhstanaises pour un montant respectivement de 4,3 et 1,3 milliards de dollars. C'est le plus gros investissement jamais réalisé par la Chine en dehors de ses frontières 619 . Pékin s'engagea dans la construction d'un oléoduc de l'Ouest du Kazakhstan (Tenguiz-Kenkiak-Aralsk-Koumkol-Atassou-Alachankoou) jusqu'à la ville chinoise de Karamaï (Xinjiang) d'une capacité annuelle de 20 millions de tonnes de brut et de 2 797 kilomètres de long. Le coût de cette construction s'élève à 2,7 milliards de dollars 620 . En perspective, le pipeline doit atteindre la mer Jaune après la construction d'un autre oléoduc de 3 500 kilomètres de long. Depuis 1999, le pétrole du gisement Tenguiz est transporté par voie ferrée aux quatre raffineries du Xinjiang 621 .

      Avec ce contrat Pékin reçut toute une série d'avantages. La construction de l'oléoduc via le Xinjiang, dont le pétrole est évacué aujourd'hui par voie ferrée, sera un catalyseur du développement de l'industrie pétrolière de la région autonome des Ouïghours. Cet oléoduc alimentera également les provinces orientales du Kazakhstan qui actuellement dépendent totalement du pétrole sibérien (par le biais des opérations swap russo-kazakhstanais). Il permettrait automatiquement de relier les deux grands axes verticaux de pipelines du Kazakhstan. On peut donc également parler de l'intégration des deux industries pétrolières, celles de l'Asie centrale et de la Chine. En évitant les territoires étrangers, ce tracé d'oléoduc renforcerait l'indépendance de la Chine en matière d'approvisionnements pétroliers.

      Avec deux autres contrats similaires, la capitale chinoise renforça encore plus ses positions dans le « Grand Jeu ». En 1998, la CNPC et la India's Oil and Gas Corporation Videsh créèrent un joint-venture dont l'objet était l'exploration pétrolière de l'ouest du Kazakhstan 622 .

      Moscou accepta mal la signature des contrats sino-kazakhstanais et se mit rapidement à la construction de l'oléoduc Tomsk-Chine qui acheminerait le pétrole sibérien vers la Chine orientale dès la fin 2005. Ce projet d'une valeur totale de 2 milliards de dollars et de 2 400 kilomètres de long, s'avère plus rentable à court terme 623 . Cet argument parmi d'autres 624  suspendit momentanément la construction de l'oléoduc Kazakhstan-Chine. Mais la croissance économique chinoise (10 % en moyenne) et la fermeté de Pékin à ne pas céder sa place dans l'acheminement du pétrole kazakhstanais à des tiers, poussèrent la Chine à reprendre la construction.

      

      

      

      

      Mais on ne peut pas considérer que la Russie soit perdante dans ce projet géant. Dans ce contexte, l'interdépendance russo-kazakhstanaise des infrastructures pétrolières peut jouer un rôle positif : le tronçon de l'oléoduc Atassou-Alachankoou doit être rempli à parts égales, au moins dans un premier temps, par le pétrole russe (venant d'Omsk) et kazakhstanais 625 . En général, le développement des relations économiques dans le domaine pétrolier entre la Russie et le Kazakhstan peut servir d'exemple de coopération régionale et de la faculté à trouver des solutions mutuellement acceptables et avantageuses. Dans Le programme d'État d'exploration du secteur kazakhstanais de la mer Caspienne, Astana rejette toute construction d'itinéraires et d'installations pétrolières et gazières qui doubleraient les voies existantes. Cela signifie l'utilisation optimum du réseau actuellement en exploitation, c'est-à-dire russe, parallèlement à la recherche de nouvelles voies de désenclavement. En effet, le réseau russe ne sera pas en mesure de satisfaire l'exportation de la quantité de pétrole prévue 626 .

      Parallèlement, la Chine signa un accord avec Téhéran et Achkhabad prévoyant la construction d'un tronçon d'oléoduc (250 km de long) qui relie le territoire kazakhstanais à celui de l'Iran via le Turkménistan. Avec l'Iran, elle va effectuer une opération de troc (swap) permettant l'acheminement de l'or noir à partir de l'Iran avant que la construction du pipeline direct Kazakhstan-Chine ne voie le jour. Cela permettrait aux Chinois d'exploiter leurs gisements acquis avant 2005, date officielle prévisionnelle de la fin des travaux de construction du tronçon Atassou-Alachankoou (fin décembre), et de diversifier les voies d'évacuation de ses approvisionnements pétroliers. En outre, la Chine, après avoir importé le pétrole, aura même la possibilité de le revendre sur les marchés d'Asie du Sud-Est : les Japonais (groupe Mitsubishi) et les Coréens accordent un vif intérêt à ce projet stratégique et sont prêts à investir.

      Ainsi, Pékin renforcerait incontestablement ses positions dans l'extraction, l'approvisionnement, le raffinage et sans doute dans la commercialisation du pétrole d'Asie centrale, y compris de la Caspienne, car le futur oléoduc sera l'unique pipeline terrestre de toute l'Asie de l'Est et du Sud-Est. À l'instar des Américains, les Chinois auront même l'occasion de réduire l'exploitation de leurs propres puits pétroliers en les classant parmi les « réserves stratégiques nationales ».

      

      

      Tableau n° 19

      Les oléoducs existants et en projet : la voie orientale ou chinoise

      

      

Itinéraires Pays dont les territoires sont empruntés Longueur (km) Dates de mise en exploitation Capacité de transport (millions de tonnes par an) État du projet

Tenguiz-Kenkiak-Aralsk-Koumkol-Atassou-Alachankoou- Karamaï Kazakhstan, Chine (Xinjiang) 2797 en projet 9 à 14 accord signé en 1997, depuis 1999, le pétrole est transporté par voie ferrée aux quatre raffineries du Xinjiang

      

      *****

      

      Pour résumer, à l'heure actuelle, la position de la Russie dans la question de la diversification des voies d'acheminement du pétrole caspien se partage entre les thèses suivantes :

      elle renonce silencieusement à s'investir dans la lutte inopportune contre les tracés d'oléoducs alternatifs et ne se réserve plus de droits monopolistiques quant à l'acheminement du naphte caspien face à la hausse sans précédent attendue de la production de pétrole dans le futur proche ;

      elle se prononce pour la prise en considération, dans l'élaboration de nouveaux itinéraires, des critères suivants : les besoins réels, la rationalité commerciale et économique, la sécurité environnementale et physique ;

      elle propose de moderniser et d'augmenter la capacité de transport des réseaux de pipelines et des infrastructures existants avant de concevoir et de construire de nouvelles voies d'exportation ;

      elle veut compenser ses concessions sur le statut de la mer Caspienne et sur les nouveaux tracés d'oléoduc qui traversent son territoire par une participation à d'autres projets régionaux à capital international ;

      elle se prononce pour que les futurs choix de direction d'exportation soient libérés de toute politisation.

      

      

      CONCLUSION

      

      La politique de conception de nouveaux oléo-/gazoducs est déterminée par la lutte géopolitique dans la région. Ces principaux acteurs sont : la Russie, les États-Unis, l'Iran et la Turquie. Nombreux sont les projets de désenclavement de la Caspienne en matière d'acheminement des ressources énergétiques dans lesquels l'argumentation et le raisonnement politique ont plus de poids que les considérations économiques. Du point de vue économique, seule la « voie iranienne » peut concurrencer la « voie russe ». Mais les États-Unis, pour des raisons politiques, s'opposent fermement à tout projet qui favorise la vocation de transit de l'Iran.

      Moscou aspire à valoriser son territoire pour la traversée des oléo-/gazoducs. Mais les actions militaires de grande envergure en Tchétchénie discréditent beaucoup l'attractivité de la « voie russe ». Cette circonstance pousse la capitale russe à canaliser ses efforts afin de diversifier ses voies de communication pour les rendre attrayantes pour les acteurs du « Grand Jeu ». En même temps, la Russie a fini par se rendre compte que le temps du monopole des voies de communication est passé et qu'il faut redéfinir et reconstruire sa politique dans le sens d'une intégration à de nouvelles structures afin d'éviter l'évincement complet des multiples projets régionaux bénéficiant de la participation du capital international.

      Les nouveaux oléoducs permettront d'améliorer la situation économique et sociale des trois anciennes républiques caspiennes d'Union soviétique, ce qui peut également être bénéfique pour la Russie. Ces pays seront en mesure d'honorer leurs dettes vis-à-vis de Moscou, l'émigration économique du Caucase et de l'Asie centrale en direction de la Russie peut ralentir voire stopper. Le redressement économique des pays en question permettra aussi de lutter contre la pauvreté et la criminalité.

      L'alliance de la Géorgie et de l'Azerbaïdjan donne une possibilité unique de création d'un couloir de différentes communications qui va relier l'Est à l'Ouest, exportateurs et importateurs de pétrole, en échappant à la Russie et à l'Iran, partenaires non désirables pour l'Occident. Une telle stratégie est également une sorte de pression sur la Russie afin que Moscou utilise ses positions stratégiques et géopolitiques pour résoudre les conflits de l'Abkhazie, de l'Ossétie du Sud et du Haut-Karabakh en faveur de Tbilissi et de Bakou.

      Dans quelle mesure la réalisation des projets de désenclavement se répercuteront sur le prestige et sur l'influence de la Russie dans la région et comment doit-elle réagir ? La région échappera-t-elle davantage au contrôle russe ? De toute évidence, il ne se passera rien de dramatique. La région a commencé à s'émanciper de l'influence russe bien avant la construction des nouveaux oléoducs. Le recul des positions russes s'avère difficilement lié à cette dernière.

      La Russie ne doit pas trop se focaliser sur la lutte vaine contre la diversification des voies et des moyens de communication. Elle n'est pas en mesure d'entraver ni d'ajourner la réalisation de ces projets qui marqueront les décennies à venir. Tout n'est pas encore clair sur leur rentabilité économique et leur compétitivité. Quant au pétrole kazakhstanais, il coulera toujours par les conduites russes pour de simples raisons économiques. Plutôt que de s'apitoyer sur sa perte du monopole du transport, la capitale russe peut s'efforcer de participer aux entreprises gigantesques du futur. Cela sera une tâche très difficile, mais plus avantageuse qu'une opposition verbale inefficace. Rien n'empêche également la Russie de chercher et de proposer elle-même des voies alternatives d'acheminement des hydrocarbures.

      On n'est pas encore certain des réserves russes dans le secteur caspien qui lui revient et qui est encore mal étudié. En cas de nouvelles découvertes, il est très probable que le réseau existant ne suffira qu'à la satisfaction des besoins de la seule Russie, ce qui est aujourd'hui le cas pour le réseau du gaz. Est-ce un hasard si les concepteurs du Bakou-Ceyan songeaient également à remplir leur ouvrage de pétrole sibérien ?

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      


§ 2. Les itinéraires des gazoducs existants et futurs

      

      

       La consommation de gaz augmente sans cesse dans le monde entier. À proximité de la Caspienne se trouve la Chine qui vit une croissance économique spectaculaire. La demande de l'Inde, de la Turquie et du Pakistan est également en hausse constante. À l'instar du pétrole, les importantes découvertes de gaz naturel dans la région caspienne ont changé la donne. L'agence énergétique internationale évalue ainsi les réserves assurées des pays caspiens en gaz naturel :

      

      Tableau n° 20

      Les réserves prouvées des pays caspiens en matière du gaz naturel (2004)

      

      

Pays Volumes, trillions m³ Parts dans les réserves mondiales, % Place occupée dans le monde

Russie 48 26,7 1
Iran 27,5 15,3 2
Kazakhstan 3 1,7 11
Turkménistan 2,9 1,6 12
Ouzbékistan 1,86 1 18
Azerbaïdjan 1,37 0,8 22

      Source : BP AMOCO, Statistical Review of World Energy 2004.

      

      Tableau n° 21

      La production de gaz naturel dans les pays caspiens (1994-2004)

      

      

Pays Années Parts dans la produc. mond.

1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 %













Russie 566,4 555,4 561,1 532,6 551,3 551 545 542,4 555,4 578,6 589,1 21,9
Iran 31,8 35,3 39 47 50 56,4 60,2 66 75 81,5 85,5 3,2
Ouzbékistan 44 45,3 45,7 47,8 51,1 51,9 52,6 53,5 53,8 53,6 55,8 2,1
Turkménistan 33,3 30,1 32,8 16,1 12,4 21,3 43,8 47,9 49,9 55,1 54,6 2,0
Kazakhstan 4,2 5,5 6,1 7,6 7,4 9,3 10,8 10,8 10,6 12,9 18,5 0,7
Azerbaïdjan 6,0 6,2 5,9 5,6 5,2 5,6 5,3 5,2 4,8 4,8 4,6 0,2

      Source : BP AMOCO, Statistical Review of World Energy 2004.

      

      En dépit d'une demande croissante, l'accès aux débouchés pour le gaz caspien pose un sérieux problème, pratiquement insoluble à court terme. Excepté pour la Turquie, les marchés d'autres pays voisins sont presque inaccessibles sans la construction de nouveaux gazoducs. Ankara, quant à elle, a finalement surestimé la croissance de sa consommation de gaz 627 . Pour le combustible bleu extrait dans la région caspienne il ne reste que le marché traditionnel des pays de la CEI très peu solvables et de l'Europe occidentale via la Russie dont le monopole de transport pose un sérieux problème aussi bien aux exportateurs qu'aux importateurs.

      Ainsi, l'acheminement du gaz caspien comme celui du pétrole suscita de vifs débats parmi les principaux acteurs du « Grand Jeu ». Avec les trois nouveaux pays caspiens, les Américains bâtirent leur politique de diversification des voies d'acheminement de gaz sur le même modèle que celui des oléoducs.

      


A. – L'acheminement du gaz turkmène

      

      L'extraction industrielle du gaz naturel turkmène débuta en 1966 et aussitôt la Turkménie soviétique devint le 2e producteur de l'ex-URSS pour arriver au 4e rang mondial dans les années 1980 628 . De nos jours, le Turkménistan occupe la 12e place dans le monde par ses réserves prouvées de gaz naturel : 2,9 trillions de m³ soit 1,6 %. En 2004, le pays a produit 54,6 milliards de m³ soit 2 % de la production mondiale.

      Depuis son accession à l'indépendance, le Turkménistan est en quête de voies de transport pour ses ressources énergétiques, notamment pour le gaz naturel. À l'époque soviétique, la seule artère d'acheminement vers les marchés était le gazoduc qui traversait le territoire russe (Asie centrale-Centre). Par le système uni de gazoducs, le Turkménistan exportait son gaz largement excédentaire vers les ex-républiques soviétiques et vers l'Europe occidentale. Après l'indépendance, les volumes d'exportations furent sensiblement réduits, de plus de huit fois, à cause des quotas et des tarifs de transit élevés imposés par la Russie, le Kazakhstan et l'Ouzbékistan.

      Avant 1994, Achkhabad avait l'autorisation d'exporter 11 % de son gaz naturel par le réseau russe, mais essentiellement à destination des pays de la CEI, comme l'Arménie, la Géorgie ou l'Ukraine, de surcroît tous insolvables. C'était la résultante de la politique pratiquée par Gazprom qui gardait le marché européen pour ses propres exportations en réservant les marchés sans moyens financiers fiables de la CEI à Achkhabad. Or, les négociations avec Gazprom au sujet des tarifs de transit et de l'approvisionnement des pays de la CEI échouèrent en perturbant les livraisons. En conséquence, la part du Turkménistan dans la production mondiale de gaz naturel chuta de 4,6 % (1987) à 0,7 % (1998). L'exportation par le territoire russe baissa de 56 milliards de m³ (1993) à 6,5 milliards de m³ (1997) pour être entièrement bloqué par Gazprom pour une durée de 2 ans et demi. La création d'une société russo-turkméno-américaine Turkmenrosgaz (Gazprom, le gouvernement turkmène, Itera) ne réussit pas à résoudre le problème. Ainsi, la position russe démontra clairement que le problème d'exportation du gaz turkmène était une question politique et non économique.

      Vu l'insolvabilité des pays de la CEI, le Turkménistan est désireux de vendre sa production aux pays européens qui toutefois sont géographiquement très éloignés de lui. Le seul accès est assuré par le réseau de gazoducs russes vétuste et de capacité limitée. De surcroît, ce réseau est déjà saturé de gaz russe qui rapporte à la Russie des ressources stables en devises. Enfin, il transporte aussi le gaz du Kazakhstan et de l'Ouzbékistan. Les divergences avec Gazprom, transporteur principal du gaz turkmène, sont difficilement surmontables. Le problème d'origine résidait dans la politique des prix de Gazprom. En effet, ce dernier achetait le gaz turkmène à 32 dollars pour mille m³ et le revendait à 80 dollars. La demande du Turkménistan de révision du prix pour le monter jusqu'à 42 dollars altéra les relations avec le monopoliste russe 629 .

      Ces différends non résolus se répercutèrent lourdement sur le destin des populations russes du Turkménistan (cf. infra Partie III chapitre III § 2). Une fois de plus, la diplomatie russe ne réussit pas à coordonner ses actions cette fois avec la compagnie gazière. Le durcissement de la politique turkmène à l'égard des Russes résidents fut une des conséquences du conflit avec Gazprom. Au lendemain de l'indépendance, on ne pouvait cependant pas qualifier d'hostile la politique étrangère turkmène vis-à-vis de Moscou. Le Turkménistan fut le seul pays de la CEI qui instaura la double citoyenneté pour les Russes qui habitaient dans le pays. Il ne coopéra et ne fit partie d'aucun bloc dirigé contre les intérêts russes : GUUAM, OTAN.

      Dans ces circonstances, la seule issue pour Achkhabad était la recherche des voies alternatives de transport pour son gaz.

      

      

      

      

      a) En quête de voies alternatives

      

      La création de voies alternatives contribuerait à l'indépendance d'Achkhabad par rapport au réseau russe de gazoducs qui assure encore la sortie du gaz turkmène vers les marchés, notamment, l'Ukraine. Nous avons déjà évoqué le projet, pour le moment théorique, de construction de l'oléoduc transcaspien Kazakhstan-Turkménistan-Azerbaïdjan. Une des variantes proposait de doubler l'oléoduc sous-marin par un gazoduc (317 km de long), qui relierait Turkmenbachi (ex-Krasnovodsk) à Bakou, ensuite via la Géorgie à la Turquie et à l'Europe.

      Le 18 novembre 1999, le Turkménistan, l'Azerbaïdjan, la Géorgie et la Turquie signèrent un accord quadripartite concernant la construction du gazoduc transcaspien de Chatlyk (Turkménistan) à Erzeroum (Turquie) d'une longueur de 1680 km. Washington soutint cette entreprise sans précédent pour au moins trois raisons : a) le gazoduc serait moins long que ceux de la Russie ou de l'Iran, b) il ne traverserait pas les territoires russe et iranien, c) il pourrait acheminer également le gaz du Kazakhstan et de l'Ouzbékistan. La naissance de ce projet, comme d'ailleurs de plusieurs autres déjà évoqués, fut la résultante de considérations et de calculs plutôt politiques qu'économiques. Il existe également plusieurs autres contraintes face à la réalisation de ce projet :

      l'opposition rigide de la Russie et de l'Iran ;

      les différends azerbaïdjano-turkmènes concernant l'appartenance de certains gisements sous-marins ;

      la traversée du gazoduc, comme de l'oléoduc Bakou-Ceyan, de territoires peuplés de Kurdes rebelles, qui augmente les risques politiques par rapport à cette question ethnique non résolue ;

      le problème des quotas azerbaïdjanais : Bakou demande l'utilisation de la moitié de la capacité du futur gazoduc pour sa production domestique, notamment, après la découverte du gisement gazifière de Chah Deniz ;

      les contraintes environnementales.

      En plus de ce projet, le Turkménistan est très intéressé par un éventuel désenclavement vers l'Iran. Selon l'accord irano-turkmène de 1992, le pays essaya de réaliser la construction d'un gazoduc à travers le territoire iranien pour accéder aux marchés internationaux, en premier lieu, ceux de la Turquie et de l'Europe occidentale.

      Ce gazoduc devait avoir une longueur de 2 300 km (3 219 km avec l'extension jusqu'en Europe) et un coût allant jusqu'à 5 milliards de dollars. Un projet d'une telle envergure nécessitait des investissements étrangers. Obtenir ces derniers était une tâche très complexe compte tenu du fait que le futur gazoduc devait emprunter le territoire de l'Iran, pays qui se trouve en disgrâce imposée par les États-Unis (la Loi d'Amato) pour le capital financier mondial. Ainsi, à cause de la pression des Américains sur la Turquie et sur les compagnies internationales, ce projet fut ajourné. Il risquait de rester encore longtemps sur le papier. Mais l'Iran ne voulait pas laisser échapper cette opportunité et l'abandonner complètement. Téhéran décida de le réaliser étape par étape avec principalement ses propres ressources financières.

      En octobre 1997, fut achevée la construction du gazoduc Korpedjeh (Turkménistan) – Kort kui (Iran) d'une longueur de 199 km, complété par le tronçon Artyk-Loftabad (2000), qui relia les réseaux de gaz iranien et turkmène. Désormais, le gaz turkmène peut atteindre la Turquie, ensuite l'Europe par le territoire iranien. Par ailleurs, ce fut la seule alternative aux gazoducs russes pour exporter le combustible bleu turkmène vers l'Europe occidentale. La mise en exploitation de ce tronçon constitua la première étape dans la réalisation du grand projet Turkménistan-Iran-Turquie-Europe occidentale. Cette entreprise avait une double importance :

      1) elle était la première voie alternative à celle de la Russie ;

      b) elle impliqua, pour la première fois, l'Iran dans les projets caspiens d'acheminement d'hydrocarbures.

      Le 22 janvier 2002, fut ouvert la station de pompage de gaz à la frontière irano-turque qui créa une liaison entre les réseaux gaziers du Turkménistan, de l'Iran et de la Turquie. Dans le futur on prévoit la jonction des réseaux turc et grec qui rapprocherait le gaz turkmène et iranien de l'Europe. Il faut dire que la réalisation de ce programme, en dépit de l'opposition américaine, était également possible car les participants au projet étaient soutenus par l'Union européenne qui travaille activement sur les projets alternatifs (autres que russes) concernant l'approvisionnement du Vieux continent en gaz naturel.

      Le désenclavement vers le territoire iranien est, certes, une avancée, mais le Turkménistan risque de se retrouver dans la même situation qu'avec la Russie compte tenu que l'Iran lui-même est un grand producteur de gaz naturel, donc concurrent du Turkménistan 630 . La collaboration irano-turkmène dans le domaine du gaz ne peut pas satisfaire la demande grandissante d'exportations turkmènes via le territoire iranien. Téhéran peut toujours assurer l'approvisionnement à moindre frais de ses provinces septentrionales

      avec le gaz turkmène, mais le transit vers d'autres consommateurs sera limité pour les raisons déjà évoquées 631 . C'est pourquoi, Achkhabad est contraint de travailler sans relâche à d'autres opportunités. Dans ce contexte, une voie alternative d'importation du gaz turkmène existe avec le projet de gazoduc traversant l'Ouzbékistan et le Kazakhstan/le Kirghizistan pour aller rejoindre l'Asie de l'Est (Chine, Corée du Sud) avec la possibilité d'être étendue au Japon. Ce projet, d'un coût total de 12 milliards de dollars (26 milliards de dollars s'il est prolongé jusqu'aux îles nipponnes) 632 , est étudié par la CNPC. Le gazoduc a une longueur de quelque 8 045 km avec une capacité de transport de 30 milliards de m³ par an. Pour qu'il reste lettre morte, la Russie avança son propre projet : la construction du gazoduc Kovykta-Chine-Corée du Sud, plus court et moins coûteux.

      Enfin, parallèlement à la quête de voies alternatives, Achkhabad commença à songer à la diversification de la nature de ses exportations en misant sur la production de gaz liquide. En effet, celui-ci est facilement transportable par chemins de fer, par bateaux ou par transport terrestre. Construite avec le concours des Italiens, la première usine fut inaugurée à l'été 1998. Plusieurs pays sont intéressés au développement de cette branche de l'industrie turkmène. Il rendrait Achkhabad moins dépendant des réseaux de gazoducs de la Russie et du Kazakhstan pour accéder aux marchés de l'Europe et de la CEI. C'est d'autant plus actuel que, dans le futur, Astana envisage de réduire les volumes de gaz turkmène à exporter par ses conduites proportionnellement à la hausse de sa propre production nationale.

      

      b) La redéfinition de la politique russe face aux ambitions turkmènes de désenclavement

      

      En réalisant les conséquences néfastes des variantes de désenclavement du Turkménistan pour ses intérêts économiques et politiques dans la région, la Russie non seulement se rapprocha de la Turquie, mais également enregistra une certaine réussite dans la pratique. Le 15 décembre 1997, elle établit avec la compagnie turque Botach un projet portant le nom de Blue Stream (« Golouboï potok ») qui devait approvisionner la Turquie en gaz russe. Initialement, Botach avait conçu la construction du gazoduc Turkménistan-Azerbaïdjan-Géorgie-Turquie-Europe. Vu la complexité de réalisation de ce projet, il se tourna vers la Russie.

      

      Le futur gazoduc devait partir de la ville d'Izabilnoe (territoire de Stavropol, Russie) pour arriver à Ankara (1 213 km). La partie sous-marine avait une longueur de 396 km et reliait Arkhipo-Osipovka (territoire de Krasnodar, Russie) au terminal de Douroussou à 60 km du port de Samsoun en Turquie. La résolution de difficultés techniques de réalisation conditionnait l'aboutissement du projet. Posé le plus profondément au monde (2150 m), ce gazoduc exigeait l'application de nouvelles technologies et la mobilisation du savoir-faire des ingénieurs russes et italiens.

      Le 30 décembre 2002, les travaux de construction furent terminés avec succès. Dans le futur, on envisagea de le prolonger jusqu'à Israël. Avec une capacité de transport de 16 milliards de m³ par an, la proposition de la Russie reporta au second plan l'urgence d'autres projets similaires comme la construction du gazoduc Transcaspien qui devait être ensuite prolongé en direction de la Turquie et de l'Europe, ou celui du gisement azerbaïdjanais Chah-Deniz jusqu'au marché turc. Rappelons que la Turquie recevait déjà le gaz russe par les gazoducs venant de Bulgarie et de Géorgie. Actuellement, le Blue Streem et ces derniers couvrent environ 70 % des besoins en gaz de la Turquie 633 . Ainsi, la Turquie n'aura besoin du gaz turkmène qu'en 2014 634 .

      Ces initiatives de la Russie montrèrent toute sa détermination à garder son monopole de fournisseur principal de gaz pour les marchés européen et turc. Mais cela sera de plus en plus difficile pour elle, car le Turkménistan, l'Azerbaïdjan et encore notamment l'Iran, dont les réserves situées au sud du pays sont largement supérieures à celles de toute la région caspienne, caressent le même type d'espoir et lui font concurrence.

      Dans cette rivalité russo-centrasiatique pour l'exportation et la conquête des marchés de gaz, la Turquie est la seule partie qui sortira toujours gagnante dans tous les cas de figures. Les cinq producteurs caspien de gaz naturel visent tous son territoire aussi bien pour conquérir son marché intérieur que pour accéder à l'Europe. Seule la Russie dispose d'une voie alternative à destination de l'Europe. Les quatre autres pays ne peuvent l'atteindre que via les territoires russe ou turc. Ankara et Moscou essayent de tirer le meilleur profit de ces circonstances en exploitant la « dépendance géopolitique » des quatre autres États caspiens. Dans ce contexte, la deuxième voie d'exportation du gaz turkmène, proposée par le géant turc Botach, était son acheminement vers les marchés européens via le Kazakhstan et la Russie.

      Comme on l'a révélé, excepté le désenclavement vers l'Iran, qui est d'ailleurs loin de satisfaire les demandes d'exportation de gaz du Turkménistan, les autres voies sont encore toutes théoriques. Cette circonstance poussa le gouvernement turkmène à se tourner de nouveau vers Moscou afin de trouver un compromis mutuellement acceptable. Le 10 avril 2003, V. Poutine et S. Niazov signèrent l'accord de coopération dans le secteur gazier et le fameux protocole qui abrogea l'accord bilatéral sur la double citoyenneté de 1993 en entraînant l'exode massif des Russes du Turkménistan (cf. supra Partie III chapitre III § 2).

      La Russie céda enfin sur les tarifs, mais cela n'améliora guère les relations déjà bien dégradées entre les deux pays. Les indices économiques du Turkménistan dans l'industrie gazière enregistrèrent une hausse absolue : la production nationale de gaz dépassa le seuil de 55 milliards de m³ en 2003 soit 2 % de la production mondiale 635 . Pour augmenter les volumes d'exportation, Moscou et Achkhabad se mirent d'accord sur la construction d'un gazoduc Turkménistan-Kazakhstan (littoral caspien)-Russie-Ukraine d'une longueur de 1 745 km 636 . Cet accord fut conclu sur la nouvelle vague d'une politique expansionniste russe en Asie centrale dans le domaine du gaz naturel 637  qui se matérialisa par la proposition du président russe de créer une Alliance gazière eurasiatique entre le Kazakhstan, l'Ouzbékistan, le Turkménistan et le Kirghizistan. On baptisa cette initiative de Moscou de tentative de création d'un OPEP du gaz.

      Cette démarche russe témoignait de la nouvelle approche de Moscou sur les flux de gaz naturel à proximité de ses frontières. Elle faisait partie de la politique d'intégration économique dans l'espace eurasiatique (CEE). L'actualité de cette proposition était évidente. On peut la considérer comme la manifestation de la volonté russe de créer de vrais organismes d'intégration sur une base contractuelle dont les enjeux sont multiples. Certes, la Russie veut restaurer son influence d'antan en matière de contrôle sur la production et sur l'exportation ultérieure du gaz. D'ailleurs, toute puissance a de telles aspirations et Moscou, dans ses ambitions, ne fait pas exception.

      Pour les jeunes pays en voie de développement, avoir affaire aux grandes puissances signifie, de toute façon, entrer d'emblée dans une certaine dépendance vis-à-vis d'elles. Pour les grands pays (puissances), les opportunités de donner, de prêter, de protéger et enfin de défendre les petits pays sont plus élevées que l'inverse. « Les grands États peuvent se passer d'alliance et les petits ne doivent pas y compter » 638 . Ce sont les petits pays qui tombent en premier lieu lors de l'extension des grands États. Dans ce contexte, le petit État (la petite nation) est « voué » à être absorbé par un grand État (la grande nation). La dernière bataille est toujours réservée aux plus forts. Dans ce contexte, il s'avère facile pour les pays centrasiatiques de s'entendre avec l'ancien partenaire encore « incontournable » même s'il est monopoliste plutôt que d'en chercher à la hâte de nouveaux avec peu de chance que ces derniers soient meilleurs que la Russie.

      L'acceptabilité de la proposition russe dépendait des contreparties proposées. La Russie s'engageait à assurer le désenclavement des pays centrasiatiques en matière d'exportation de gaz vers le marché européen convoité pour sa solvabilité. La réintégration aux réseaux russe et européen assurerait l'apport de devises si importantes pour les budgets nationaux. La rivalité croissante pousse également Moscou à élaborer des programmes attractifs qui sous-entendraient le respect des engagements. Dans le gouvernement russe on se rend parfaitement compte que la création d'autres corridors de désenclavement est inévitable. C'est pourquoi un changement de la pratique établie s'imposa. Il fallait la placer sur une nouvelle base contractuelle plus ou moins équitable pour toutes les parties. Outre cela, la Russie avait besoin de sécuriser ses obligations d'exportation à l'égard de ses partenaires en cas de penne de sa production nationale. Une telle alliance qui regroupe la Russie et les pays centrasiatiques, qui possèdent ensemble plus de 40 % des réserves mondiales de gaz, serait susceptible d'augmenter le poids géopolitique de tous ses membres sur la scène internationale.

      

      Tableau n° 22

      Le Blue Stream

      

      

Itinéraires Pays dont les territoires sont empruntés Longueur (km) Dates de mise en exploitation Capacité de transport (milliards m³ par an) État du projet

Izabilnoe- Arkhipo-Osipovka- Douroussou- Samsoun- Ankara (extension Israël) Stavropol, Krasnodar (Russie) Turquie, (Israël) 1 213 depuis 30 décembre 2002 6 à 16 depuis décembre 1997, 396 km sous-marin à 2150 m de profondeur

      Tableau n° 23

      Les gazoducs existants et en projet : l'acheminement du gaz turkmène

      

      

Itinéraires Pays dont les territoires sont empruntés Longueur (km) Dates de mise en exploitation Capacité de transport (milliards m³ par an) État du projet

Asie centrale- Russie, Asien centrale-Centre Turkménistan, Kazakhstan, Russie, 1 070 existe depuis l'ère soviétique 99 en exploitation
Turkmenbachi-Bakou- Transcaspien (Tbilissi- Erzeroum- (extension Europe) Turkménistan, Azerbaïdjan, (Géorgie, Turquie, Europe) 317 (sous-marin) 1 680 en projet 5 à 11 (jusqu'à 31) ajourné à cause des différends azerbaïdjano-turkmènes et de l'absence de Convention sur le statut juridique de la Caspienne
Korpedjeh- Kort kui Turkménistan, Iran, 199 octobre 1997 4 à 8 assure la connexion des réseaux turkmène et iranien avant que le gazoduc magistral Turkménistan-Europe voie le jour
(Tedjen) Serakhs- Mechkhed (Téhéran) Turkménistan, Iran 210 en projet 20 à 60 En construction
Chatlyk- Gorgan- Tabriz- Dogoubaïazit- Erzeroum- Ankara (extension Europe) Turkménistan, Iran, Turquie 2 300 (3 219 jusqu'à l'Europe) en projet jusqu'à 31 étude de faisabilité
Asie centrale- Chine (extension Japon, Corée du Nord) Turkménistan, Ouzbékistan, Kazakhstan, Xinjiang (Japon, Corée du Nord) 1 640 (8 045) en projet 30 étude réalisée par CNPC, Exxon et Mitsubishi
Asie centrale- Russie, (extension Europe) Turkménistan, Kazakhstan, Russie, Europe 1 745 existe en partie depuis l'ère soviétique 99 certains travaux de réhabilitation et de construction de nouveaux tronçons

      

      

      

      

      c) La voie afghane de désenclavement

      

      Plusieurs projets furent conçus qui valorisaient le passage de futurs oléo-/gazoducs, chargés d'acheminer les hydrocarbures de la Caspienne par le territoire afghan. Cependant, ils sont tous ajournés à cause de la situation politique instable de l'Afghanistan.

      En août 1993, les autorités turkmènes et pakistanaises songèrent à la construction du futur gazoduc Iachlar (Turkménistan)-Chaman (Afghanistan)-Quetta (Pakistan) avec le concours de Gazprom, de Bridas (Argentine) et des sociétés japonaises. Le projet resta sur le papier à cause des discordances entre Turkmenbachi et la société argentine.

      Un autre accord fut signé le 22 octobre 1995 à New York entre le gouvernement turkmène, Unocal (États-Unis) et Delta Oil Company (Arabie saoudite) pour l'acheminement du gaz turkmène de Daouletabad à Multan (Pakistan) ou Sui 639 . Cette conduite devrait avoir une longueur de 1 460 km et disposer d'une extension possible jusqu'à New Delhi. Selon le projet, 764 km de gazoduc devaient traverser le territoire de l'Afghanistan, tandis que ce pays ne participait même pas à la signature du préaccord le concernant. C'est pourquoi on baptisa d'emblée ce projet « pipe-dream » 640 . Mais le sérieux de cette entreprise « américain » était avéré. Il se confirma par la constitution d'un Consortium international CentGas (octobre 1997). Son objectif était la réalisation du projet conçu à New York dont la date de démarrage était fixée en 1998. Initialement, 10 % des actions étaient destinés à Loukoïl, mais Turkmenbachi changea d'avis et exclut ce dernier du consortium sans doute par vexation vis-à-vis de Gazprom et de l'État russe en général.

      

      Tableau n° 24

      La répartition financière dans le Consortium international CentGas

      

      

Compagnies Pays Parts (%)



Unocal Etats-Unis 46,5
État turkmène Turkménistan 17
Delta Arabie saoudite 15
Itochu Japon 6,5
INPEX Japon 6,5
Hundai Corée du Sud 5
Crescent Group Pakistan 3,5

      Source : BLAGOV S., « Bold Turkmen Project in the Pipeline again », Asia Times, February 19, 2002.

      

      Washington se réjouit ouvertement de la prise de Kaboul par les Talibans (le 27 septembre 1996). Or, le développement ultérieur des événements montra qu'il était encore trop tôt d'envisager tout type de projets qui ait un quelconque rapport avec le territoire afghan. En éprouvant des pertes, Unocal fut contraint de quitter ce consortium paralysant ainsi les travaux d'étude à peine entamés 641 .

      La chute du régime des Talibans éveilla de nouveau l'intérêt pour la construction du gazoduc transafghan. Les 26-27 décembre 2002, les leaders afghan, pakistanais et turkmène se réunirent à Achkhabad pour discuter des problèmes liés à la réalisation de ce projet. Un accord sur le principe de sa réalisation fut conclu à l'issue de la rencontre. Cependant, l'instabilité politique en Afghanistan représenta l'obstacle principal du « pipe-dream », à côté de son coût considérable estimé environ 2,5 milliards de dollars. L'absence des compagnies étrangères à cette réunion traduisit leur volonté de s'abstenir momentanément en attendant des temps meilleurs.

      Le projet, néanmoins, ne fut pas rejeté. Il reste ajourné jusqu'à la stabilisation de la situation politique en Afghanistan qui, à court terme, est difficilement envisageable. Washington veut toujours voir le gazoduc transafghan se réaliser comme une des alternatives de diversification du réseau gazier régional. Celui-ci placerait sous contrôle des Américains le flux du combustible bleu turkmène, car ce sont eux qui règnent en Afghanistan. Cela augmenterait la possibilité de contrôler l'Inde, le Pakistan et la Chine auxquels le gaz caspien serait destiné. L'Union européenne, au contraire, n'est pas très enthousiaste sur les projets de construction dans la direction asiatique, car le Vieux continent lui-même a constamment besoin de gaz. En attendant, Islamabad augmentait progressivement la production nationale de gaz naturel et fit savoir à Achkhabad qu'il aurait plutôt besoin de gaz liquide et non d'un nouveau gazoduc 642 . Cela rendit encore plus incertain le projet transafghan ajourné.

      De nos jours, Achkhabad compte fortement sur la participation de Pékin dans le développement de son secteur énergétique, notamment dans l'extraction du gaz naturel. La Chine se déclara très intéressée par la construction du gazoduc qui partirait du gisement turkmène Daouletabad vers l'océan Indien via l'Afghanistan et le Pakistan jusqu'au port de Gwadar qu'elle s'était chargée de moderniser. L'implication de Pékin, de toute évidence, changera une nouvelle fois la composition du consortium international CentGas.

      Réaliser un vaste projet d'acheminement des hydrocarbures par un territoire extrêmement instable est une entreprise très risquée. En règle générale, on a une chance sur deux d'avoir les conséquences suivantes : l'établissement de la paix ou une recrudescence des hostilités. L'hypothèse selon laquelle des projets stratégiques, en l'occurrence le transport des hydrocarbures derrière lequel se trouvent les puissances mondiales présentées par leurs compagnies multinationales et forces militaires, peuvent voir le jour et arrêter les hostilités, n'est pas assurée. L'affrontement arméno-azéri en est un exemple : tout le bénéfice provenant du passage éventuel d'un tronçon d'oléoduc par le territoire arménien ne réussit pas à convaincre Erevan de faire des concessions dans le dossier du Haut-Karabakh.

      

      Tableau n° 25

      Les gazoducs existants et en projet : la voie afghane

      

      

Itinéraires Pays dont les territoires sont empruntés Longueur (km) Dates de mise en exploitation Capacité de transport (milliards m³ par an) État du projet

Iachlar- Chaman- Quetta (extension Inde) Turkménistan, Afghanistan, Pakistan, (Inde) 1 450 en projet depuis 1993 17 en sommeil
Daouletabad- Herat- Multan (extension Inde) CentGas Turkménistan, Afghanistan, Pakistan, (Inde) 1 130 (+ 645) en projet depuis 1995 20 accord de principe, ajourné jusqu'à la stabilisation politique dans la région

      

      Pour résumer, à l'heure actuelle, cinq directions d'exportation du gaz turkmène vers le marché international sont travaillées :

      russe (via le Kazakhstan vers les pays de la CEI et de l'UE) ;

      iranienne (vers la Turquie et l'UE) ;

      transcaspienne (via l'Azerbaïdjan et la Géorgie vers la Turquie et l'UE) ;

      orientale (via l'Ouzbékistan et le Kazakhstan/le Kirghizistan vers la Chine) ;

      afghane (via l'Afghanistan vers le Pakistan et l'Inde).

      Seule la voie iranienne, qui se réalise étape par étape, représente une vraie concurrence à la voie russe. Les autres projets sont pour l'instant théoriques.

      


B. – L'acheminement du gaz iranien

      

      En 2004, l'Iran occupait la 2e place au monde par ses réserves prouvées de gaz naturel : 27,5 trillions de m³ soit 15,3 %. Il produit 85,5 milliards de m³ de gaz soit 3,2 % de la production mondiale (5e producteur) 643 . La plus grande partie de ses gisements se trouve au sud et au centre du pays. Compte tenu de cette répartition géographique, Téhéran se heurte à deux problèmes majeurs :

      le développement des infrastructures nécessaires pour approvisionner en gaz le nord du pays où se trouvent les provinces les plus riches et industrialisées ;

      la construction de gazoducs à destination de la Turquie, de l'Europe, du Pakistan et de l'Inde, tous gros consommateurs de gaz.

      Le premier combat se produisit pour conquérir le marché turc. L'Iran livre déjà du gaz naturel par le gazoduc Tabriz-Erzeroum. Or, pour atteindre la capitale Ankara, il faut prévoir la construction d'un tronçon Sivas-Ankara. Ici Téhéran est en rivalité avec Moscou qui, en mettant en exploitation le Blue Stream (décembre 2002), montra toute sa détermination à ne pas renoncer à son rôle « traditionnel » dans l'approvisionnement de la Turquie et de l'Europe en gaz russe. Le gazoduc sous-marin russe est prolongé de Samsoun à la région d'Ankara en forte demande de gaz. C'est sans doute la crainte de voir Téhéran affermir ses positions dans le marché turc qui précipita la construction du Blue Stream par Moscou.

      De nos jours, TotalFinaElf, Petronas (Malaisie) et Gazprom participent activement au développement de l'industrie pétrolière iranienne et à l'exploitation des gisements de gaz naturel. En particulier, un accord fut signé le 28 septembre 1997 entre ces trois compagnies et la National Iranien Oil Company (NIOC) pour l'exploitation d'un important champ gazier (South Pars Field) dans le golfe Persique, et cela avec le consentement tacite de Washington. Ce dernier réalise quand même qu'insister pour la mise à l'écart total du territoire iranien est un non sens.

      L'Arménie se déclara également prête à acheter le gaz iranien et turkmène en lançant en janvier 2001 le projet de construction d'un gazoduc Iran-Arménie de 141 km de long. Actuellement, c'est le gazoduc Vladikavkaz-Tbilissi-Erevan qui alimente l'économie arménienne par le gaz russe et turkmène. Les années de conflit armé arméno-azéri montrèrent toute la vulnérabilité du réseau gazier régional hérité de la période soviétique. En effet, l'approvisionnement de l'Arménie dépendait du bon vouloir de la Géorgie et de la situation politique existante sur les territoires traversés par les gazoducs. De surcroît, la région de passage du tracé est majoritairement peuplée d'Azéris géorgiens. En conséquence, les livraisons de gaz devinrent irrégulières, notamment en période hivernale, à cause de coupures arbitraires fréquentes, de vols, d'actes terroristes sous forme d'explosion, etc. Ces circonstances poussèrent Erevan à chercher à s'approvisionner en Iran, ce qui était d'ailleurs la seule alternative pour la république soumise au blocus de la Turquie et de l'Azerbaïdjan.

      Vu l'opposition de Moscou, inquiet de perdre son monopole sur le marché gazier arménien, et de Washington, opposé à tout rapprochement avec l'Iran, le projet se heurta à des problèmes de financement. Mais un compromis avec Moscou se présenta aussitôt naturellement. Pendant la période des négociations qui débutèrent en 1992, le réseau gazier arménien passa sous la gestion de la compagnie mixte russo-arménienne Armrosgazprom (Ministère de l'Energie de la République d'Arménie, Gazprom et Itera). C'est cette compagnie qui se chargea des travaux de construction qui commencèrent fin 2004. En outre, l'arrivée du gaz iranien ou turkmène par la nouvelle conduite ne signifie nullement qu'Erevan renonce au gaz russe. Au contraire, Armrosgazprom prévoit même d'augmenter les importations arméniennes provenant de la Russie de 1,5 à 2,7-3 milliards de m³ d'ici à 2020, ce qui reste d'ailleurs largement inférieur à la consommation nationale de l'époque soviétique : 6 milliards de m³ en 1988 644 . Le gaz iranien sera principalement destiné à faire fonctionner les centrales thermiques de la république et à approvisionner les régions du nord-est de l'Iran en électricité produite en Arménie.

      Il n'est pas encore facile de savoir qui prendra le contrôle définitif du gaz iranien importé. Si l'Arménie veut tirer le maximum de bénéfices, elle doit canaliser le combustible bleu vers la centrale thermique d'Erevan qui a échappé à la mainmise du Système énergétique uni de Russie. Mais se poserait alors la question suivante : que faire avec l'électricité produite ? En effet, l'Iran serait le seul consommateur compte tenu du fait que les frontières avec la Turquie et l'Azerbaïdjan sont hermétiquement closes. La Géorgie, quant à elle, noue actuellement une coopération avec le même monopoliste russe qui contrôle déjà 80 % des infrastructures énergétiques de l'Arménie, y compris la plus grande centrale thermique de la république, l'unique centrale nucléaire du Caucase et une dizaine de centrales hydroélectriques. Dans ces circonstances, l'Iran peut dicter et imposer ses conditions. De surcroît, Erevan sera contraint d'achever la construction du prolongement du gazoduc Tabriz-Kadjaran jusqu'à Ararat (environ 200 km) avec ses propres moyens financiers qui manquent cruellement.

      Si les compagnies russes se chargent de l'achèvement du gazoduc et transforment le gaz iranien en électricité dans les centrales qui se trouvent sous leur contrôle, le nombre de consommateurs potentiels augmenterait sur le compte de la Géorgie voire de la

      Turquie qui, à l'époque soviétique, importait l'électricité produite en Arménie. Ankara ne désire toujours pas développer une quelconque coopération économique avec Erevan avant l'évacuation des forces armées arméniennes des territoires situés autour du Haut-Karabakh. Mais la capitale turque pourrait acheter l'électricité d'une société russe qui, de surcroît, est en train d'investir dans sa sphère énergétique. Dans ce cas, l'Arménie dépendra de la Russie, ce qui offre néanmoins plus de possibilités de désenclavement que la solution iranienne. Quoi qu'il en soit, Erevan est réduit à dépendre des investisseurs étrangers compte tenu de la précarité de sa situation économique et des contraintes géopolitiques. Au moins, les Arméniens et les Russes sont des partenaires de longue date et sont capables d'élaborer des solutions qui seront mutuellement acceptables et avantageuses. Ainsi, la Russie peut tirer des bénéfices du gazoduc Iran-Arménie.

      Par ce dernier, l'Iran aura la possibilité de rejoindre le réseau géant russe de Gazprom. Dans cette optique, l'Arménie constitue pour Téhéran une voie pratique pour accéder aux marchés européens et russes avec lesquels les échanges commerciaux se multiplient. La Géorgie et notamment l'Ukraine montrèrent également leur intérêt à l'égard du gazoduc arméno-iranien. Depuis plusieurs années, Kiev se trouve en conflit permanent avec Gazprom et le Turkménistan, et cherche des voies alternatives d'approvisionnement en gaz naturel chez d'autres fournisseurs : norvégiens, hollandais, iraniens. Dans ce dernier cas, la capitale ukrainienne envisage la création d'un « corridor » Iran-Arménie-Géorgie-fond de la mer Noire-Crimée-Ukraine avec la perspective d'atteindre l'Europe. Ainsi, Téhéran a considérablement activé sa politique dans la réalisation de différents projets à grande échelle liée aussi bien à l'extraction qu'à l'acheminement du gaz naturel.

      

      Tableau n° 26

      Les gazoducs existants et en projet : l'acheminement du gaz iranien et azerbaïdjanais

      

      

Itinéraires Pays dont les territoires sont empruntés Longueur (km) Dates de mise en exploitation Capacité de transport (milliards m³ par an) État du projet

Tabriz- Erzeroum Ankara Iran, Turquie 1370 se réalise étape par étape 30 exploitation partielle
Tabriz- Kadjaran (extension Ararat) Iran, Arménie 141 (environ 200 km) date prévue début 2007 0,5 à 2,3 conçu en 1992, inclus dans le programme INOGATE en 2001, en construction depuis l'automne 2004
Bakou- Tbilissi- Erzeroum Azerbaïdjan, Géorgie, Turquie 970 date prévue été 2006 20 en construction depuis octobre 2004


C. – L'acheminement du gaz azerbaïdjanais

      

      De nos jours, l'Azerbaïdjan occupe la 22e place dans le monde par ses réserves prouvées de gaz naturel avec 1,37 trillions de m³ soit 0,8 %. En 2004, il a produit 4,6 milliards de m³ de gaz soit 0,2 % de la production mondiale 645 . On voit que les ressources gazières azerbaïdjanaises ne sont pas énormes, mais les récentes découvertes de Chah-Deniz transformeraient Bakou, à moyen terme, en concurrent d'Achkhabad. Cependant, à long terme, il peut difficilement faire concurrence à ses voisins caspiens dans les exportations.

      L'Azerbaïdjan a l'intention d'acheminer son gaz du gisement Chah-Deniz vers la Turquie (Erzeroum) à partir de l'été 2006. Le gazoduc d'une longueur de 970 km commence à Neftianye kamni, en pleine mer Caspienne, et traverse le territoire géorgien.

      

      Tableau n° 27

      Les actionnaires du gazoduc Bakou-Tbilissi-Erzeroum

      

      

Compagnies Pays Parts (%)

British Petroleum (opérateur) Grande-Bretagne 25,5
Statoil Norvège 25,5
Socar Azerbaïdjan 10
TotalFinaElf France 10
Loukoïl-Agip Russie-Italie 10
NICO Iran 10
TPAO Turquie 9

      Source : Azerbaijan – Info, 2000, ICSR « Prognoz ».

      

      La construction du gazoduc Bakou-Tbilissi-Erzeroum dont certains tronçons doublent l'oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyan, est intéressante dans l'optique de la construction du gazoduc transcaspien sur lequel Bakou désire obtenir un quota d'une base 50 : 50 pour acheminer son propre gaz.

      De toute évidence, l'arrivée du gaz turkmène et azerbaïdjanais sur le marché turc et ensuite européen, se répercuterait sur les volumes d'importation de gaz russe par les pays consommateurs. À la fin de 2006, est prévue la construction du gazoduc Karababeï (Turquie)-Komotini (Grèce), de 300 km de long, qui relierait les réseaux turc et européen par un deuxième tracé via la mer Marmara 646 .

      

      


D. – L'acheminement du gaz kazakhstanais

      

      En 2004, le Kazakhstan occupait la 11e place dans le monde par ses réserves prouvées de gaz naturel avec 3 trillions de m³ soit 1,7 %. Il a produit 18,5 milliards de m³ de gaz soit 0,7 % de la production mondiale 647 .

      Malgré la vaste étendue de son territoire, 72 % des ressources gazières du Kazakhstan sont concentrées dans la région caspienne, sur les presqu'îles de Manguychlak et de Bouzatchi situées sur la côte occidentale de la mer 648 . Le gisement de Kachagan est le plus riche et Astana nourrit de sérieux espoirs sur son exploitation qui demande cependant de gros investissements. À l'heure actuelle, la seule voie d'exportation du gaz kazakhstanais est la voie septentrionale russe. Selon le plan de développement du secteur gazier (août 2001), le Kazakhstan envisage de quadrupler sa production d'ici 2015 649 . Dans ce contexte, il fait preuve de flexibilité politique afin d'utiliser au maximum le potentiel du réseau de gazoducs russe existant qui permet d'accéder aux marchés de la CEI et de l'Europe. À la différence du Turkménistan, ses relations avec la Russie sont plus constructives et moins conflictuelles.

      Dans la Conception nationale de développement de la sphère gazière jusqu'en 2015, adopté par le gouvernement kazakhstanais le 11 janvier 2002, il est prévu quatre voies d'acheminement du gaz extrait des gisements de la république :

      a) vers la Turquie via le gazoduc sous-marin transcaspien ou via le Turkménistan et l'Iran ;

      b) vers le Pakistan et l'Inde via l'Afghanistan ;

      c) vers la Chine par le gazoduc en projet Turkménistan-Kazakhstan-Chine ;

      d) vers l'Europe via le territoire russe.

      On voit que les trois premières voies représentent des projets à moyen et à long terme. À l'heure actuelle, le seul corridor réel de désenclavement est le territoire russe avec son réseau de gazoducs existant. Sur ce terrain, Astana et Moscou ont des intérêts communs. La société mixte KazRosGaz s'occupe de l'acheminement du gaz kazakhstanais vers le marché européen. Vu l'étendue de la frontière commune, ils utilisent efficacement le système de substitution swap. Outre cela, la Russie envisage la construction à Novorossisk d'une usine de gaz liquide à laquelle le futur gazoduc amènera la matière première nécessaire. Ainsi, il existe une certaine interdépendance entre les deux pays, quoique la Russie garde, au moins à court terme, le monopole du désenclavement du Kazakhstan. L'intérêt de la Russie est de ne pas utiliser cet atout comme instrument de chantage politique, car cela pourrait accélérer le processus de construction d'autres voies alternatives, notamment vers les marchés asiatiques (Inde, Chine, Pakistan) en forte demande de gaz naturel.

      

      

      CONCLUSION

      

      Le désenclavement de la Caspienne en matière de gaz naturel provoqua de vifs débats géopolitiques. Parmi les pays caspiens, le Turkménistan est le leader de par ses réserves. Enclavé et dépendant presque entièrement du réseau gazier russe, passage obligé pour ses exportations, le Turkménistan est en quête de voies alternatives d'acheminement de son combustible. Privé d'accès direct aux océans, il est très intéressé par l'ouverture vers l'Iran dont le territoire constitue pour lui la voie la plus courte vers les marchés mondiaux, surtout depuis la dégradation de ses relations avec la Russie. Les différends russo-turkmènes dans le domaine énergétique se sont lourdement répercutés sur le sort de la communauté russe du Turkménistan.

      Pour la première fois, l'Iran est directement impliqué dans les projets d'acheminement des ressources énergétiques de la Caspienne au grand dam des États-Unis. Téhéran, comme Moscou, est catégoriquement hostile à toute construction d'oléoducs et de gazoducs transcaspiens sous-marins. Compte tenu, notamment, de la sismicité élevée de la région, ils peuvent représenter un danger pour l'environnement maritime. Cette position va à l'encontre des projets d'Astana et d'Achkhabad qui, à l'aide du capital occidental (en premier lieu, américain) veulent se désenclaver en direction de l'Azerbaïdjan.

      En profitant des difficultés objectives d'accès des pays caspiens aux gros consommateurs internationaux, notamment européens, la Russie a élaboré toute une stratégie pour conquérir les marchés en forte demande de gaz naturel (CE, Turquie, Chine) avant que la région caspienne ne se désenclave. Parallèlement, elle diversifie son réseau gazier afin de ne pas se voir priver de son monopole traditionnel de transitaire de gaz. Enfin, la Russie n'a pas ménagé ses efforts pour créer un « OPEP du gaz » avec trois pays centrasiatiques auquel le Turkménistan n'était pas associé. Cette démarche russe s'inscrit dans le vaste projet d'intégration eurasiatique qui doit encore faire la preuve de sa faisabilité. Dans tous les cas, la Russie comprend que pour rester monopoliste, il faut également se charger d'engagements et les respecter.

      L'Iran est toujours écarté de la plupart des projets caspiens et cela malgré l'intérêt de son territoire avec son réseau d'oléoducs et de gazoducs existants qui représentent la voie la plus courte et la moins coûteuse vers les marchés mondiaux. Pourtant, la diversification des sources de revenu est un objectif stratégique pour l'Iran dont la dépendance vis-à-vis de la production pétrolière s'est avérée excessive. Sa fonction transitaire pourrait y contribuer. Parmi toutes les variantes possibles, seule la voie iranienne représente une vraie concurrence à la voie russe. Ses atouts sont tels que les partenaires potentiels n'ont pas hésité à braver l'interdit américain, ce qui a déclenché la réalisation par étape des passages iraniens sous forme de la construction de courts tronçons avec le Turkménistan, l'Arménie, la Turquie et la Chine. Pékin s'implique davantage dans les projets aussi bien d'extraction que d'acheminement des hydrocarbures caspiens. Une autre route, celle du Pakistan et de l'Inde dont les populations dépassent largement le milliard, est également vouée à rester lettre morte, car elle doit passer à travers l'Afghanistan toujours instable. Ainsi, les autres voies (afghane, transcaspienne, orientale) restent encore hypothétiques et demandent la vérification de leur rentabilité et rationalité.

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      § 3. La position des États-Unis et de l'Union européenne quant au transport des hydrocarbures caspiens

      

      

      Les objectifs principaux de la politique des États-Unis dans la région caspienne furent formulés dans le rapport de l'ambassadeur spécial du département d'État Yan Kalicki au Congrès en 1994 650  :

      1) diversifier les exportations de pétrole et de gaz, et établir une coopération tripartite entre les pays producteurs, transitaires et importateurs ;

      2) augmenter l'extraction des hydrocarbures afin de diminuer la dépendance vis-à-vis du Moyen-Orient en pétrole ;

      3) tenir compte que la réussite des compagnies pétrolières encourage les PME américaines dans l'augmentation de leur vente d'équipements et de services dans la région.

      Par la nouvelle répartition des voies de transport des hydrocarbures, Washington, en plus de ses propres intérêts géopolitiques, poursuit quatre objectifs majeurs :

      1) concourir au développement des économies nationales des pays caspiens par le biais de l'élaboration de nouveaux itinéraires ;

      2) contribuer à l'émancipation économique des États en question pour arriver à une émancipation politique ;

      3) soutenir et encourager les dispositions pro-occidentales dans les ex-républiques soviétiques ;

      4) essayer de diminuer, voire de résoudre, les problèmes interétatiques régionaux en proposant différentes variantes de passage des tracés d'oléoducs et de gazoducs.

      En effet, les États-Unis désirent aboutir à une stabilité dans la région par le biais de la création d'une importante interdépendance économique entre les pays. Mais l'histoire récente de l'ancien espace soviétique a révélé que toute interdépendance économique, même la plus forte, peut être inefficace, facilement négligée et ignorée lors de conflits ethniques sérieux.

      Tout en maintenant l'embargo à l'égard de l'Iran, les Américains tentent de valoriser le territoire turc en tant que principale voie de désenclavement de la région caspienne. Le désenclavement de celle-ci est perçu par Washington dans un unique sens : vers l'Ouest en excluant quasiment les autres directions. C'est la façon américaine de diversifier les voies d'évacuation des hydrocarbures caspiens. Cette politique est par ailleurs très coûteuse, en premier lieu pour les États-Unis eux-mêmes, car les arguments économiques tangibles sont absents. Cependant, elle s'inscrit dans le cadre de la politique américaine d'endiguement (containment) qui n'est apparemment pas encore abandonnée.

      En fait, le fonctionnement de la machine américaine de propagande fait penser à celui d'une campagne publicitaire destinée à préparer la population à un nouveau produit ou à une nouvelle information : « D'abord on annonce la présence d'énormes réserves d'hydrocarbures, on mène une campagne d'information et de propagande pour attirer l'attention du capital privé, et seulement après tout cela, on commence à prospecter les gisements avec les réserves présumées » 651 . C'est la raison pour laquelle plusieurs compagnies, déçues, déclarèrent forfait et renoncèrent à leur participation dans de nombreux projets.

      À cette fin, l'administration de Georges W. Bush relança le projet du pipeline Bakou-Tbilissi-Ceyan. Les diplomates américains continuent d'exercer une pression sur Astana pour la voie d'acheminement des ressources énergétiques kazakhstanaises : Washington est désireux de voir le pétrole du gisement de Tenguiz 652  transporté par l'oléoduc en question, au lieu d'être acheminé par la voie existante Tenguiz-Novorossisk. Après la découverte de réserves d'hydrocarbure considérables à Kachagan, les Américains concentrèrent leurs efforts encore plus énergiquement sur l'acheminement du pétrole des gisements kazakhstanais.

      Les Américains sont préoccupés par le désenclavement du Turkménistan dans la perspective de l'exploitation des gisements de gaz turkmène. Du point de vue politique, c'est un projet très complexe.

      La lenteur certaine des travaux de construction des oléoducs s'explique également par le fait que les États-Unis ne sont pas en situation de pénurie en matière de pétrole. Avoir le pétrole caspien en réserve s'inscrit dans la stratégie américaine de « conservation » de certains gisements non seulement sur son territoire mais également dans d'autres régions pétrolifères du monde. Or, cette politique se heurte aux aspirations des pays caspiens de produire et de commercialiser davantage. Cela est vital pour les économies locales pour lesquelles ces activités représentent souvent la seule source de développement. Ignorer cette circonstance signifierait contribuer à accroître l'instabilité politique et les tensions interethniques dans la région. Actuellement, la politique de l'Occident consiste à limiter ses investissements qui ne servent qu'à conjurer le danger d'un collapse économique et d'une explosion sociale. En dépit du fait que le pétrole caspien est déjà acheminé par les pipelines, on n'observe pas l'arrivée d'un flux de pétrodollars dans la région ni de changements radicaux dans les économies locales et dans les sphères sociales. Cela permet de conclure que l'enrichissement peut se produire à moyen et à long terme et qu'il dépendra de la politique et de la volonté des investisseurs occidentaux.

      L'Union européenne également, comme toutes les puissances, accorde une attention particulière à ses approvisionnements en énergie. À l'instar des États-Unis, elle s'inquiète da sa dépendance vis-à-vis d'un seul fournisseur ou de pays producteurs dont la situation politique n'est pas stable. Par l'ironie du sort, les réserves énergétiques sont, en bonne partie, concentrées dans des zones instables. Compte tenu que certains pays de transit se distinguent aussi par une stabilité fragile, la dépendance énergétique de ce type de fournisseurs et de transitaires représente une menace potentielle pour l'UE.

      C'est pourquoi, dès 1992, Bruxelles s'est efforcé d'élaborer une politique de diversification de ses approvisionnements en hydrocarbures dans le but d'atténuer les conséquences indésirables en cas de crise ou de dégradation de la situation politique au Moyen-Orient, en Russie ou en Afrique du Nord. Ces trois régions sont à haut risque et pour mesurer les conséquences de l'instabilité, par exemple, au Moyen-Orient, il suffit de remonter au premier choc pétrolier de 1973 lors duquel des actions violentes furent déclenchées contre les intérêts pétroliers occidentaux. Dans ce contexte, après l'effondrement de l'URSS, le bassin caspien, dans son sens le plus large qui englobe le Caucase du Sud et l'Asie centrale, devint une opportunité pour les Européens. Presque tous les géants pétroliers européens s'y précipitèrent dans le but de s'ancrer durablement. Ainsi, les Quinze n'avaient pas l'intention de manquer leur chance aussi bien sur le plan économique que politique et diplomatique.

      Le programme TRACECA (cf. infra Troisième partie, chapitre II) fut complété par celui d'INOGATE (Interstate Oil and Gas Transport to Europe), volet concernant les oléo-/gazoducs. Son but était la réhabilitation des anciennes conduites et la création de nouvelles voies d'acheminement des hydrocarbures caspiens qui combinaient plusieurs types de transport : voies ferrées, routes terrestres (conduites de gaz et de pétrole), voies maritimes (tankers). Pour la réalisation de ce programme, l'UE élabora le projet TACIS (Technical Assistance to the Commenwealth of Independent States) destiné à apporter un concours technique aux pays issus de l'ex-URSS.

      Cependant, le rôle de l'Europe reste marginal. « Malgré les attentes des pays de la région, soucieux de diversifier leurs partenaires extérieurs, l'Union européenne n'est pas en mesure, aujourd'hui, de jouer un véritable rôle dans cette région. On ne peut qu'être frappé par le contraste évident entre l'ampleur des moyens déployés et la modestie des résultats » 653 .

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      


TROISIÈME PARTIE
LES ENJEUX GÉOPOLITIQUES DE LA CASPIENNE POUR LA RUSSIE

      

      

      

      Au cours des 150 dernières années, l'histoire de la géopolitique russe connut trois périodes de repli par rapport à l'Europe :

      après la guerre de Crimée (1853-1856) pour un demi-siècle ;

      après le Traité de Versailles (1919) jusqu'à la Seconde Guerre mondiale ;

      après la dissolution de l'Union soviétique.

      Les deux premiers reculs du vieux continent furent compensés par la réorientation de la géopolitique russe en direction de l'Orient : Asie centrale, Caucase, Mongolie, Chine. Repoussée de l'Europe, la Russie, en contrepartie, entreprit la réunification de l'espace eurasien. Après le démantèlement de l'URSS, la Fédération de Russie suivra-t-elle cette ligne dans sa politique étrangère en réactualisant les traditions séculaires de ses formations étatiques précédentes ?

      

      

      

      

      

      

      

      

      


CHAPITRE I
LA CASPIENNE SEPTENTRIONALE : DES CONTRADICTIONS AU PARTENARIAT REUSSI

      

      

      La stratégie de toute puissance provient de son histoire, de ses origines, des particularités de sa situation géopolitique, de la nature et du niveau de son développement et de son potentiel intérieur.

      

      


§ 1. La nouvelle Russie et l'Asie centrale post-soviétique en transition

      

      Le vecteur asiatique de la politique étrangère russe présente des avantages incontestables.

      La Russie est séparée de l'Europe occidentale par deux « cordons » spatiaux : les ex-républiques soviétiques et les anciens pays du bloc socialiste. Les contacts avec l'Orient sont directs, les zones intermédiaires étant absentes. Avec les géants asiatiques tels que le Japon et la Chine, la Russie a des frontières communes qui constituent un avantage par rapport aux pays européens qui sont éloignés géographiquement et pour lesquels le territoire russe est un passage obligé pour accéder à l'Asie de l'Est. Dans cette perspective, les futurs projets transcontinentaux promettent d'importants bénéfices.

      La région d'Asie-Pacifique qui connaît un développement dynamique voire spectaculaire est considérée comme un des futurs pôles économiques mondiaux. La Russie a un accès direct à l'océan Pacifique et aux 13 mers, ses frontières maritimes ont une longueur totale de 38 807 500 kilomètres. Dans cette optique, une revalorisation de la voie maritime du Nord reste prometteuse.

      Les deux pays les plus peuplés du monde, la Chine et l'Inde qui influencent la politique régionale voire mondiale sont situés en Asie. De plus, la Chine montre un exemple brillant de réformes économiques réussies tout en conservant au maximum ses valeurs, ses spécificités civilisationnelles et son régime politique. Le développement ultérieur de la Sibérie et de l'Extrême-Orient russe dépend beaucoup de la coopération avec la Chine. Les relations avec cette dernière sont également importantes pour les jeunes républiques d'Asie centrale.

      L'importance du facteur asiatique dans la politique intérieure est également conditionnée par le fait que la plupart des sujets de la Fédération de Russie sont habités par des populations de type oriental. Plusieurs d'entre elles ont des origines ethniques communes avec d'autres peuples au-delà des frontières de la Fédération de Russie actuelle.

      L'Iran fait aussi partie de la vaste région centrasiatique. À l'heure actuelle, le potentiel de coopération multilatérale avec cette puissance régionale n'est pas utilisé pleinement, notamment dans les domaines énergétique, technico-commercial et militaire. Outre cela, de bonnes relations avec l'Iran ouvrent aux Russes la voie aux « mers chaudes ». Le bon voisinage avec Téhéran signifiait toujours pour la Russie le renforcement de sa sécurité nationale. De même, l'Iran est un partenaire important dans la lutte contre le trafic et le commerce de drogues.

      À la charnière des deux continents, européen et asiatique, se trouve le Caucase, une région stratégique très convoitée par les puissances aussi bien régionales que mondiales. Il est historiquement lié à la Russie et à ses intérêts stratégiques. Il représente également une région instable dont les événements se répercutent directement et indirectement sur le Caucase du Nord russe.

      L'Asie centrale méridionale (Afghanistan, Pakistan) est devenue un foyer de l'islam intégriste qui menace de se propager dans toute la région. Ceci est déjà une réalité en Tadjikistan, Ouzbékistan, Kirghizistan et pour les populations musulmanes de la Fédération de Russie, notamment au Caucase du Nord.

      Ajoutons enfin les réserves prometteuses de la Caspienne et des steppes kazakhstanaises et l'acheminement des hydrocarbures provenant de ces deux régions. Il est vital pour Moscou de garder cette zone sous son influence immédiate en collaborant avec ses anciens satellites et l'Iran.

      


A. – L'esquisse de la nouvelle donne russe dans la région centrasiatique

      

      Du point de vue géographique et historique, l'Asie centrale se trouvait à la croisée des chemins des cultures et des civilisations. Ce fait définissait sa situation délicate qui était constamment déterminée par l'équilibre politique intérieur des puissances voisines ainsi que par les alliances avec ces dernières.

      Tout au long de l'époque soviétique, les relations entre Moscou et les républiques d'Asie centrale se formèrent sur le principe de la hiérarchie. L'ancien centre soviétique traita cette région comme la moins développée et la plus arriérée sur les plans économique, technologique et de l'instruction. Elle demandait beaucoup d'investissements et « avalait » tout ce qu'on lui proposait.

      Dès le début des indépendances, le nouveau gouvernement russe, à l'unisson avec ceux des deux autres républiques slaves (Ukraine, Biélorussie), s'est méfié du niveau inférieur de développement de la région, du conservatisme local et de la corruption « révélée » par la perestroïka. Les différences culturelles et civilisationnelles jouaient également un rôle important, car malgré 70 ans de vie communautaire dans la « chaudière soviétique », les populations habitant dans ce vaste espace sont restées cependant disparates. Il est vrai qu'à la différence des élites politiques russes, les tendances centristes étaient toujours fortes chez les dirigeants d'Asie centrale à cause d'une série de facteurs : la dépendance économique, le manque de main d'œuvre qualifiée parmi les peuples titulaires, la présence d'une forte minorité russe, etc.

      Le choc causé par la disparition subite de l'Union soviétique fut énorme pour les ex-républiques soviétiques d'Asie centrale. Auparavant défenseurs ardents de l'intégrité de l'ex-Union soviétique 654 , elles se sentirent rejetées soudainement par l'ancienne métropole, d'autant plus que les jeunes réformateurs pro-occidentaux russes négligeaient ouvertement cette région. Le monde musulman jusqu'alors inconnu s'ouvrit largement devant elles, mais il suscitait beaucoup plus d'interrogations que d'enthousiasme. Le fait que Moscou n'était plus en mesure d'aider l'Asie centrale comme auparavant, poussait la région à prendre peu à peu ses distances par rapport à elle.

      Pour la première fois, une allusion à l'existence du clivage civilisationnel entre la Russie et l'Asie centrale surgit à la veille de la dissolution de l'Union soviétique. Les accords de Belovej, près de Minsk, entre la Russie, l'Ukraine et la Biélorussie ont été traités comme une tentative de création d'une union à base ethnique et confessionnelle. Les républiques centrasiatiques ont été ignorées, y compris le Kazakhstan fort de ses populations russophones (quelques 53 % avant le démembrement de l'URSS). La réaction à l'entente de Belovej des républiques slaves a été immédiate. Quatre jours après (le 12 décembre 1991), à Achkhabad, les cinq leaders centrasiatiques étaient prêts à créer la CEI-2 « turco-musulmane » basée ostensiblement sur les valeurs ethno-confessionnelles. Grâce au pragmatisme et à l'autorité du président kazakhstanais N. Nazarbaev, ses homologues régionaux ont décidé de ne pas « remarquer l'indélicatesse » de Moscou, Kiev et Minsk.

      Non reconnus et laissés au bord du chemin, les jeunes États se mirent à manœuvrer entre la Turquie, l'Iran, le Pakistan, la Chine et le monde arabe afin de construire leur propre chemin de développement et de faire face aux multiples crises qui les envahissaient. À cet égard, ils envisageaient également à compter sur la solidarité islamique. L'appel aux pays ethniquement et culturellement proches, notamment à l'Iran et à la Turquie, correspondait à la période de l'« euphorie romantique » liée à la surestimation de leurs forces provoquée par la survenue des indépendances non revendiquées. En fin de compte, il s'est soldé par une déception sur le « miracle » économique attendu. Les jeunes États d'Asie centrale ont vite constaté que la coopération avec la Russie était une nécessité économique. Ainsi, les relations entre Moscou et les capitales centrasiatiques représentaient une combinaison complexe entre éloignement et rapprochement, rejet et attraction.

      À l'époque de B. Eltsine, une certaine idéologisation des relations interétatiques s'est produite. Autrement dit, leur développement dépendait de la sympathie ou de l'antipathie qui étaient portées à tel ou tel régime ou homme politique. Les forces pro-occidentales russes et aussi les démocrates tentaient d'« enseigner les fondements de la démocratie » aux régimes autoritaires centrasiatiques tout en contribuant à l'éloignement de la Russie de cette région. De surcroît, les nationalistes de toute sorte prônaient la révision des frontières existantes.

      Les impératifs de Moscou ont subi des changements radicaux après le remplacement en 1995 du ministre russe des Affaires étrangères A. Kozyrev, dit pro-occidentaliste, par E. Primakov, partisan des méthodes pragmatiques, autoritaires et, dans une certaine mesure, conservatrices.

      Avec l'arrivée au pouvoir de Poutine, l'attitude de la Russie envers les ex-républiques soviétiques a changé considérablement. La politique étrangère russe à l'égard de son étranger proche est devenue de plus en plus pragmatique et offensive. Les nouvelles orientations se reflétèrent dans deux documents publiés au cours de l'année 2000 : la nouvelle Doctrine militaire et la Doctrine de la sécurité nationale. Qualifié de pragmatique par le président russe, ce dernier document se distingua par un anti-américanisme marqué, en comparaison des thèses énoncées dans la première Doctrine adoptée le 23 avril 1993 (doctrine Kozyrev). L'établissement d'une ceinture d'États amis assurant une protection géopolitique sûre devint prioritaire pour Moscou. La capitale russe ne renonça pas à sa sphère d'intérêts vitaux qui coïncidaient avec le territoire de l'ex-URSS.

      Une autre révélation de la nouvelle doctrine fut la constatation que l'intégration politique n'était plus à l'ordre du jour. La Russie de Poutine, semble-t-il, mise davantage sur une stratégie géoéconomique que politico-militaire à cause, d'une part, de la faiblesse chronique de son économie et, de l'autre, de la pression de l'influent lobby pétrolier, composé notamment des géants énergétiques Gazprom, Loukoïl et Transneft. Depuis l'élection de Poutine, les dirigeants d'Asie centrale préfèrent se comporter avec modération et discrétion dans les relations bilatérales avec la Russie.

      C'est sans doute la première fois que Moscou fut amenée à négocier avec les capitales nationales d'égale à égale et à construire des relations horizontales. Mais les stéréotypes du passé se font toujours sentir. Encore aujourd'hui, certains responsables russes sont enclins à considérer comme de second ordre les nouvelles formations étatiques de cette vaste région. Toute activité de la Russie dans cette zone est interprétée par ses rivaux comme une nouvelle poussée impériale. Une « estampille » qui va hanter Moscou encore longtemps.

      Les périodes de rapprochement et d'éloignement entre la Russie et les nouveaux États d'Asie centrale témoignent du processus douloureux et contradictoire de la mise en place des politiques étrangères de ces nouveaux sujets du droit international. Dans les capitales centrasiatiques on craint beaucoup la démocratisation, car toute force démocratique dans leurs sociétés est susceptible d'avoir la sympathie et le soutien des Russes comme cela se produisit au Kirghizistan. L'ancienne nomenklatura communiste s'efforce de moderniser la façade du pouvoir tout en gardant ses positions dominantes. C'est une circonstance qui pourrait à court terme éloigner de Moscou les élites conservatrices d'Asie centrale.

      Mais les capitales centrasiatiques comprennent que se couper entièrement de Moscou n'est presque pas possible. La Russie a et aura toujours des atouts géographiques, historiques, culturels, ethniques, économiques et stratégiques incontestables. Tout en restant le pays le plus développé des États de la CEI, elle les utilisera pour assurer ses intérêts géopolitiques en Asie centrale. Seuls, les pays de la région ne sont pas en mesure de faire face aux multiples menaces et défis de cette période de transition très complexe. Parmi les principaux facteurs d'instabilité notons :

      le surpeuplement de la région et la hausse démographique incontrôlée ;

      la pénurie d'eau ;

      les problèmes environnementaux et les catastrophes écologiques causés par des activités anthropologiques (les bassins des mers Caspienne et d'Aral, l'ancien polygone nucléaire soviétique de Semipalatinsk (actuel Semeï), etc.) ;

      le trafic de drogue ;

      la criminalité transfrontalière organisée.

      À l'heure actuelle, l'influence politique, économique et militaire russe ne se répartit pas proportionnellement sur les cinq États centrasiatiques : l'Ouzbékistan et le Turkménistan prennent davantage leurs distances par rapport à Moscou, les trois autres États restent toujours dans l'orbite de la Russie. Les compagnies russes participent activement à l'extraction des hydrocarbures kazakhstanais, un coût qu'Astana paye pour l'utilisation des réseaux de transport russes. Si l'Occident critique régulièrement les régimes autoritaires locaux, Moscou s'abstient de déclarations sévères à cet égard sans doute parce qu'elle ne représente pas elle-même un modèle à imiter. Cette attitude contribue indirectement à ce que ces régimes durent le plus longtemps possible. Cela se produit sur fond de critiques sporadiques à l'adresse de l'Occident qui veut imposer aux autres pays le modèle occidental de démocratie. Ainsi, Nazarbaev déclara : « Maintenant nous ne sommes plus les élèves des pays occidentaux. C'est pourquoi nous rejetons catégoriquement les conseils de l'Occident qui visent à accélérer les processus démocratiques. De tels conseils ne tiennent pas compte des particularités de développement du Kazakhstan et sont fondés sur des idées illusoires de soi-disant standards démocratiques communs… Nous sommes différents. Nous avons le collectivisme dans notre sang… » 655 . Dans sa vision des choses, le leader kazakhstanais se rapproche, sans aucun doute, de ses homologues russe et chinois. Son voisin turkmène est à peu près du même avis estimant que « perdre son temps en des jeux de pluralisme, en suscitant la création de partis politiques décoratifs est un luxe inadmissible » 656 .

      Cependant, les moyens économiques de la Russie restent assez restreints pour faire concurrence à l'Occident, au Japon ou à la Chine. Cf. : en 2003 le PNB de la Russie a été de 433 milliards de dollars (16e place) tandis que celui des États-Unis était de 10 933 milliards, celui du Japon de 4 301 milliards et celui de la Chine de 1 410 milliards. Ainsi, le PIB de la Russie représente 3,96 % du PIB américain, 10,07 % du PIB nippon, 30,71 % du PIB chinois 657 .

      L'aspiration à préserver à tout prix l'indépendance acquise à l'égard de la Russie pourrait mobiliser autour de la Chine les pays centrasiatiques, notamment le Kazakhstan à cause de son déséquilibre démographique. Pour la Chine, il est préférable d'avoir à ses confins quelques États indépendants plutôt qu'un nouvel Empire russe. Néanmoins, la capitale chinoise s'inquiète des risques de contagion de ces indépendances pour ses minorités turcophones du Xinjiang.

      Tous les leaders centrasiatiques, excepté ceux du Kirghizistan, sont d'anciens dirigeants communistes des ex-républiques soviétiques. Une pérennité évidente bien que l'enseigne ait changé. Dans ce contexte, les élites politiques de ces pays montrent de l'intérêt pour l'expérience de la Chine qui a su conserver l'« idéologie communiste » tout en connaissant un important essor économique.

      En règle générale, aujourd'hui Pékin répond aux attentes des pays d'Asie centrale. Selon l'expression de Z. Brzezinski, la sphère d'influence de la Chine dans cette région est une « sphère de respect » 658 . La capitale chinoise, à l'opposé de Moscou, ne se mêle pas des affaires intérieures des nouveaux États centrasiatiques. Sur le plan économique, la Chine est plus attractive pour ces pays que leur ancienne métropole. De nos jours, elle est le deuxième investisseur dans l'économie kazakhstanaise après les États-Unis 659 . Avec sa population d'un milliard trois cent millions d'habitants, la République populaire est également un marché immense pour leurs produits.

      Toute restauration de l'influence russe dans la région centrasiatique se ferait au grand dam de Pékin. Les Chinois sont désireux d'avoir un accès direct aux hydrocarbures du Kazakhstan sans le moindre contrôle russe. Dans ce contexte, la présence des populations russophones au nord du Kazakhstan, qui est en grande partie à l'origine des orientations prorusses d'Astana, est une source d'inquiétude pour eux. De surcroît, les gisements acquis par Pékin sont situés dans cette zone. Les tracés des futurs oléoducs doivent également traverser les provinces septentrionales du Kazakhstan. Ce sont les raisons pour lesquelles la Chine s'aligne sur la Turquie, l'UE et les États-Unis qui veulent également marginaliser au maximum la Russie dans l'espace centrasiatique.

      À l'heure actuelle, Moscou et Pékin ne souhaitent pas remettre en cause leur partenariat stratégique ouvert en 1996 et développé dans le Traité d'amitié et de coopération de 2001 660 . On peut même supposer que les succès chinois en Asie centrale résultent, dans une certaine mesure, des relations de « bon voisinage » entretenues avec la Russie. Or, dans le futur, la rivalité sino-russe en Asie centrale pourrait s'aggraver et avoir un impact sur les relations bilatérales en général.

      La Chine préfère aujourd'hui se contenter de la brèche économique laissée ouverte par Moscou et évite sciemment le domaine militaire. Si pour elle la menace militaire est écartée, la concurrence économique, au contraire, promet d'être sans merci, d'autant plus que les économies des républiques périphériques d'ex-URSS étaient toutes orientées vers la Russie. C'est un atout pour Moscou que les autres acteurs ne possèdent pas. Mais il ne faut pas surestimer les possibilités de la Russie. Depuis 1991, son champ d'action ne fait que se réduire. Quant aux pronostics à court ou moyen terme, tout dépendra de la façon dont elle se sortira de sa crise économique. La situation inquiétante de l'économie russe ne permet pas à Moscou de s'imposer à ses anciens satellites. Il est peu probable que la Russie veuille et puisse regagner par la force ses positions perdues, encore moins par une expansion économique. Elle n'a pas vraiment d'autres solutions que de se résigner à son sort. Dans ce contexte, Moscou, à l'instar de Pékin, a donné son consentement à la présence des forces militaires américaines en Asie centrale, à proximité même de ses propres bases comme au Kirghizistan. Les deux capitales ont néanmoins fait des réserves sur une telle situation qui n'est tolérable que jusqu'à certaines limites 661 .

      Au début des réformes économiques russes, les jeunes réformateurs ont tenu un certain discours sur les désavantages économiques du rapprochement de la Russie avec ses anciens satellites. Ils valorisaient davantage le vecteur occidental dans leur politique étrangère, les relations avec les anciens satellites méridionaux n'étaient pas prioritaires. Leurs opposants insistaient sur la thèse que la Russie est un pays eurasiatique et qu'elle devait être l'État phare de tout l'espace post-soviétique. Ainsi, l'approche de Moscou à l'égard de l'Asie centrale dépendait de la question majeure de l'identité russe, qui la hante depuis longtemps. Autrement dit, une question d'identité se pose dont la réponse n'est pas évidente à trouver.

      

      

      

      


B. – Le facteur confessionnel dans les relations russo-centrasiatiques

      

      Durant une longue période historique, la coexistence sous le « même toit » et dans des États communs (l'Empire russe et l'URSS) contribua à la formation des traits communs et, dans une certaine mesure, d'une même conception du monde chez les peuples russes et centrasiatiques. Parmi les facteurs qui facilitèrent cette cohabitation, citons :

      le caractère fermé de la société soviétique qui empêchait tout rapprochement avec d'autres cultures historiquement proches (occidentale et musulmane) ;

      l'orientation prorusse du système d'éducation et de formation des cadres nationaux ;

      les processus migratoires intérieurs (déplacements bénévoles, placements imposés, déportations massives, mise en valeur des territoires et des terres vierges, etc.) ;

      les mariages mixtes ;

      l'institutionnalisation de l'internationalisme ;

      l'enracinement dans l'esprit de la population de l'appartenance à une nouvelle communauté historique dite le « peuple soviétique » qui repoussa, d'une certaine manière, au second plan les vraies valeurs nationales ;

      le cap imposé sur l'athéisme qui en éloignant les populations des traditions confessionnelles encouragea pleinement l'indifférence envers la religion à l'échelle nationale.

      Kazakhs, Ouzbeks, Turkmènes, Tadjiks et Kirghizes, après s'être fondus pendant presque 70 ans dans le moule soviétique, cherchent à nouveau leur identité dans leurs coutumes passées. Pour la première fois dans leur histoire commune d'un siècle et demi, les leaders centrasiatiques réfléchissent sérieusement à l'avenir de leurs pays sans la Russie. Au lendemain de l'acquisition des indépendances, les éléments principaux de l'unification furent l'appartenance aux mêmes origines ethniques (turques), excepté pour le Tadjikistan, et à un moindre degré, le facteur religieux comme moteur d'intégration.

      Peu à peu, dans leur quête d'identité, les pays d'Asie centrale retournèrent progressivement aux traditions où le rôle de la religion était fondamental. Cette tendance au retour en arrière continue toujours malgré la laïcité apparente des élites dirigeantes qui, par ailleurs, sont de plus en plus minoritaires. Dans la politique étrangère, ces dernières gardent le cap sur l'occidentalisation, notamment, quand il s'agit des relations économiques. C'est une approche purement pragmatique et non idéologique. Mais la politique culturelle et sociale se construit sur la base aussi bien de la tradition que de la religion qui n'est qu'une partie intégrante de la première. Par conséquent, on observe la formation de nouvelles mentalités et idéologies nationales qui laissent leur impact sur les orientations principales des politiques étrangères des pays concernés.

      En règle générale, l'impact du facteur religieux sur les relations interétatiques n'a pas une importance primordiale, notamment quand il s'agit de pays où la religion est officiellement séparée de l'État. Cependant, ce fait ne signifie pas que le facteur confessionnel doit être négligé dans les rapports politiques, car le principe de « neutralité » de la religion n'est pas absolu. Au contraire, de nos jours, on observe une tendance à se référer en permanence à la religion de la part aussi bien des cléricaux que des élites politiques laïques. Tout cela devient plus évident dans le cas de l'Islam à cause de l'unité de la vie séculière et spirituelle. Dans ce contexte, la politique est la sphère où « se réalise la réaffirmation des normatifs traditionnels conditionnés par la religion qui réglementent le comportement de l'individu et influencent les formes de sa socialisation et, en fin de compte, les relations dans la société » 662 .

      L'adresse aux valeurs civilisationnelles est plus fréquente dans les pays qui se trouvent au croisement des civilisations. À cet égard, la renaissance de la religion et de la pratique religieuse contribue beaucoup à son passage au premier plan aussi bien de la politique que de la vie sociale de la nouvelle Russie et des républiques post-soviétiques d'Asie centrale situées géographiquement dans la zone traditionnelle de contacts entre musulmans et chrétiens.

      Historiquement, la Russie et les anciennes républiques soviétiques turcophones sont respectivement identifiées aux mondes chrétien et musulman. En général, l'aspect confessionnel ne se manifeste guère dans les relations bilatérales. Dans les discours des hommes politiques des deux bords, de même que dans les documents officiels, on n'observe aucune déclaration qui mise sur l'appartenance confessionnelle des populations habitant ces pays. Cependant, le fait que la majorité des peuples sont de confessions orthodoxe et musulmane se répercute indirectement sur ces rapports. Elle laisse également son empreinte sur les orientations géopolitiques élaborées par les élites politiques locales en tenant compte des préférences et des prédispositions basiques. Quant au facteur islamique, il s'agit plutôt de la pénétration des idées de l'islam fondamental des pays voisins (Afghanistan, Pakistan, Iran) susceptible d'affecter les populations locales. Le développement dramatique des événements en Afghanistan démontra clairement la charge destructrice que porte l'extrémisme religieux.

      Le grand tournant est venu avec la perestroïka. Des changements radicaux ont libéré le terrain pour la renaissance religieuse dans tout l'espace soviétique. Chaque nouvel État indépendant a valorisé d'emblée la confession du peuple titulaire tout en s'identifiant à une des civilisations, notamment, orthodoxe ou musulmane. L'émancipation religieuse a vite gagné toutes les couches de population en pleine quête d'identité manquante. En conséquence, la Russie et l'Asie centrale post-soviétiques se retrouvèrent dans des « enclaves confessionnelles ». Il s'agit de l'orthodoxie, isolée dans le monde chrétien, et de l'Islam particulier centrasiatique qui diffère sensiblement de la croyance de ses voisins immédiats (Afghanistan, Iran, Pakistan). Au début des années 1990, au moins dix partis islamiques existaient dans les pays d'Asie centrale 663 , mais ils n'avaient pas un poids politique significatif et leur auditoire était faible, en grande partie à cause des régimes autoritaires locaux, ouvertement laïcs. Les restrictions sévères de la liberté d'expression limitèrent notamment la propagation des idées panislamiques dans la région.

      Dans ce chaos idéologique, on observa une pénétration hâtive de l'idéologie de l'islam radical, accompagnée par l'ouverture de nouvelles mosquées, écoles et institutions coraniques. Les anciens dirigeants communistes des républiques centrasiatiques commencèrent à prêter serment sur le Coran, de même que B. Eltsine sur la Bible. Ces nouveaux repères identitaires et l'acceptation du postulat que l'Asie centrale est une partie intégrante du monde musulman se répercutèrent sur les relations bilatérales avec la Russie. Les hommes politiques furent désormais contraints de tenir compte de cette circonstance. La revalorisation de l'Islam dans la région se déroula parallèlement à la résurgence de l'orthodoxie en Russie. En 1995, les cinq États d'Asie centrale furent admis à participer à l'Organisation de la Conférence islamique.

      La renaissance religieuse fut accompagnée par une relecture des histoires nationales et par une hausse d'un nationalisme souvent extrême. Tout cela était prévisible, car pendant plus de trois générations la machine idéologique soviétique, nourrie d'athéisme scientifique, a tout fait pour éloigner les gens des croyances de leurs ancêtres en opposant les traditions religieuses au mode de vie laïque dit soviétique.

      Historiquement, l'islam centrasiatique a toujours été modéré. Dans les relations bilatérales, le fait d'appartenance au monde musulman et la solidarité islamique n'ont pas mené jusqu'à aujourd'hui à une confrontation ouverte avec les intérêts de la Russie. Lors des guerres qui se sont déroulées dans les Balkans, en Tchétchénie et en Irak, les États musulmans centrasiatiques réussirent à garder leur impartialité, à la différence de l'Azerbaïdjan aussi turcophone et issu de l'Union soviétique. Ils sont également restés fidèles à leurs politiques de neutralité adoptées sur le dossier du Haut-Karabakh, conflit qui oppose l'Arménie chrétienne, alliée la plus proche de la Russie, à l'Azerbaïdjan musulman. Cela a beaucoup déçu Bakou.

      Le facteur islamique dans les ex-républiques soviétiques d'Asie centrale joue un double rôle. Il est en mesure non seulement d'éloigner cette région de la Russie, mais également de la rapprocher d'elle. Dans ce rapprochement virtuel, un rôle central est réservé aux populations musulmanes de la Fédération de Russie, turcophones en majorité.

      Malgré tout, et c'est inattendu, la Russie est un des grands pays musulmans. Dans l'histoire, sur le territoire actuel de la Fédération de Russie, il existait quelques États musulmans puissants : la Bulgarie de la Volga (10e-14e siècles), la Horde d'Or (13e-15e siècles) désintégrée au 15e siècle en khanats de Kazan, d'Astrakhan, de Crimée, de Sibérie et d'autres. Avant la dissolution de l'URSS, 30 % de la population soviétique était musulmane.

      De nos jours, la Russie compte presque 20 millions de citoyens de confession musulmane. Parmi les populations autochtones de la Fédération de Russie, une quarantaine de nationalités et de groupes ethniques sont adeptes de l'Islam. Il représente l'héritage socioculturel et spirituel de ces populations qui sont regroupées, par excellence, à Moscou, à Saint-Pétersbourg, dans les régions de la Volga, de l'Oural, de la Sibérie et du Caucase du Nord. Neuf Républiques fédérales possèdent des populations traditionnellement musulmanes. Tout en gardant une façade laïque, les républiques peuvent utiliser dans leurs législations certaines normes de la charia. La majorité des musulmans sont des turcophones russes (Tatars, Bachkirs, Balkars, Karatchaïs, etc.) ainsi que certains autres peuples montagnards du Caucase du Nord. Si à l'époque soviétique on comptait une seule Direction spirituelle des musulmans de la partie européenne de la Russie et de la Sibérie, aujourd'hui il en existe plus de 40 664 . À Moscou même, 1 million de personnes se réfèrent traditionnellement à la communauté musulmane l'ummah 665 .

      L'histoire des rapports entre l'État russe et les musulmans est complexe. La domination était alternante. Au tout début, c'est la Steppe qui dominait la Forêt, mais à partir du 16e siècle, la Forêt prit sa revanche sur la Steppe. Pendant un millénaire, les populations russes et musulmanes, par excellence turcophones, combattaient et coopéraient entre elles tout en s'enrichissant mutuellement. À cet égard, la contribution des musulmans dans la vie spirituelle et culturelle de l'État russe est énorme.

      Les organisations publiques et politiques des musulmans sont fort présentes dans la composition sociopolitique de la société actuelle russe. Les représentants des communautés musulmanes sont de plus en plus présents dans les élites politiques de la Russie.

      Les experts font des pronostics pessimistes concernant l'expansion de l'extrémisme islamique en Russie. Selon certains chercheurs, les extrémistes islamiques voyaient en l'ex-Union soviétique, malgré son athéisme, une alliée tactique dans la lutte contre l'Occident 666 . L'URSS soutenait le mouvement de libération nationale dans le tiers monde dont la direction anti-impérialiste était à l'unisson des doctrines fondamentalistes islamiques. Outre cela, dans le tiers monde, s'était même propagée l'idée d'un « socialisme islamique » qui empêchait la radicalisation des sentiments anti-soviétiques.

      Les causes principales de la hausse du fondamentalisme islamique (le plus souvent le wahhabisme) en Fédération de Russie sont :

      la renaissance de l'islam dans un pays post-totalitaire affecté par une crise globale ;

      le choc subi après l'application des réformes radicales entreprises dans tous les domaines de la vie quotidienne et sociétale ;

      l'instrumentalisation de l'islam par certaines forces extrémistes aussi bien nationales qu'étrangères ;

      le radicalisme endogène de l'Islam ;

      le déséquilibre démographique (la diminution des populations slaves et l'augmentation parallèle des populations musulmanes qui sont de surcroît réparties inégalement.

      Mais le processus de radicalisation de l'Islam en Russie n'est pas de grande envergure. Il a différents traits et degrés d'intensité qui varient selon la région. Bien évidemment, la Russie, comme les États-Unis, manipule beaucoup cet argument. Sous le voile de la lutte anti-islamique ou anti-terroriste, Moscou essaye de réaliser simultanément ses ambitions géopolitiques, en l'occurrence dans son « étranger intérieur » (Tchétchénie, Caucase du Nord) et étranger proche (Tadjikistan).

      La propagation du fondamentalisme est une source d'inquiétudes pour Moscou. La menace de l'islamisme radical vient pour elle de l'Asie centrale où les conflits afghan et tadjik couvent toujours et sont encore loin d'être définitivement réglés. Ce type d'extrémisme religieux alimente également le conflit tchétchène. On observe également une tendance d'implantation dans de nombreux lieux de la Fédération de Russie comportant des populations majoritairement musulmanes. Dans ce contexte, Moscou redoute une « réaction en chaîne ». Si un jour l'atomisation de la Fédération de Russie devient inévitable, le facteur religieux jouera un rôle essentiel. Les autorités russes se rendent parfaitement compte de cette situation, car les tendances indépendantistes sont fortes non seulement au Caucase du Nord, mais également au cœur de la Russie, à savoir, au Tatarstan et au Bachkortostan. Une fois l'Asie centrale envahie par la contagion islamique, la Russie serait exposée directement à cette menace. C'est pourquoi le Kremlin s'efforce de lutter contre l'islamisme radical, plus particulièrement contre le wahhabisme, au-delà des frontières russes, sur le territoire des pays tiers qui y sont exposés au premier rang.

      La pénétration de l'islam radical en Asie centrale représente une menace réelle pour les élites dirigeantes des pays de la région et pourrait les rapprocher de la Russie pour lutter ensemble contre le radicalisme islamique. Or, la manifestation de la renaissance islamique dans les pays centrasiatiques n'est pas répartie de la même façon. De nos jours, on peut constater que l'islam radical n'est plus uniquement importé. S'il y a encore dix ans on ne parlait que des islamistes du Tadjikistan, à l'heure actuelle leur présence est sensible en Ouzbékistan, dans la vallée de Fergana. Traditionnellement, les islamistes sont plus influents dans la province où ils ont plus de chances de s'ancrer. Ils tentent de se transformer en une opposition par rapport aux pouvoirs et aux régimes locaux. Au Tadjikistan ils font même partie du gouvernement de coalition. L'alliance stratégique avec la Russie et la présence des gardes-frontières russes sur le sol tadjik servent aux dirigeants laïcs du Tadjikistan de garantie principale dans leur lutte acharnée contre les islamistes intérieurs.

      On peut observer tout au long du conflit tadjik une évolution de la vision russe de l'islamisme. Au début Moscou était catégoriquement contre les islamistes locaux et les considérait comme une menace potentielle pour la sécurité nationale de la Russie. À mesure que la situation intérieure au Tadjikistan se développait et que le Parti de la renaissance islamique du Tadjikistan, transformé en Opposition tadjike unifiée, s'affirmait, le Kremlin a révisé ses positions initiales et a établi un compromis avec eux. Une contribution importante a été apportée par l'ancien premier ministre russe E. Primakov, orientaliste et arabiste de profession. À l'heure actuelle, Moscou dialogue en permanence avec les islamistes tadjiks, un fait qui est venu très naturellement sur fond de relations de bon voisinage avec l'Iran, partisan et leader de l'idéologie fondamentaliste institutionnalisée.

      Si la situation en Ouzbékistan se dégrade de la même manière qu'au Tadjikistan, Moscou bénéficiera de l'expérience tadjike pour régler des conflits identiques. Elle pourra proposer ses bons offices d'intermédiaire, car en cas d'urgence, Tachkent aura besoin d'alliés et d'aide extérieure. Dans l'actuel Ouzbékistan, l'opposition islamiste est sévèrement réprimée et se trouve en pleine clandestinité, mais a tendance à se reconsolider. Dans ce contexte, la vallée de Fergana est sous l'épée de Damoclès de l'islamisme. Le Mouvement islamique d'Ouzbékistan, interdit par les autorités ouzbèks, a construit ses actions sous la bannière de la création d'un État islamique 667 . Selon la version officielle des autorités ouzbeks, les multiples attentats à Tachkent (1999) et les émeutes dans la vallée de Fergana (2005) sont organisés par des fanatiques islamistes et l'intrusion de groupes armés islamistes provenant du territoire kirghize. De nos jours, la situation intérieure de l'Ouzbékistan est loin d'être stable. De toute évidence, après le départ de Karimov, les islamistes, feront leur entrée dans la vie politique du pays.

      Les événements de l'Ouzbékistan, selon les dirigeants russes, lancent un défi non seulement à l'Ouzbékistan et à toute l'Asie centrale, mais également à la Russie. Leur déroulement se produisait en même temps que la guerre en Tchétchénie « provoquée », entre autres, par les wahhabites. Ainsi, le radicalisme islamiste se manifeste comme ennemi commun de Moscou et des cinq capitales centrasiatiques. En réalité, les événements de la vallée de Fergana et du Caucase du Nord ont révélé une certaine corrélation : aux côtés des séparatistes tchétchènes on trouvait plusieurs agitateurs originaires d'Asie centrale. La participation des Tchétchènes aux combats armés au-delà des frontières tchétchènes (Karabakh, Abkhazie, Daghestan, Afghanistan) était également fréquente. En conséquence, les dirigeants des nouvelles républiques ont gardé leur « neutralité approbative » par rapport aux actions de l'Armée russe pendant la seconde guerre de Tchétchénie.

      Quant au Turkménistan, après l'ère de Turkmenbashi, l'Islam a de forte chance de jouer le rôle de ciment de la société turkmène divisée et déchirée. La corruption, la bureaucratie et surtout le chômage et la misère nourrissent en permanence le mécontentement des populations qui risquent d'écouter l'appel des extrémistes fanatiques qui rêvent de voir se créer des Émirats islamiques. En instrumentalisant l'Islam en tant que fondement de l'identité nationale, les dirigeants centrasiatiques l'utilise pour renforcer leurs régimes autoritaires et pour faire face à l'influence russe. Dans leur esprit, c'est à l'Islam de contrecarrer la nouvelle expansion russe dans la région 668 . Les autorités locales tentent de « doser » l'intrusion de l'Islam et de la limiter au domaine culturel et identitaire 669 .

      Ainsi, l'Ouzbékistan et surtout le Tadjikistan sont les plus affectés par l'Islam fondamentaliste, tandis que le Kazakhstan et le Kirghizistan, dans une certaine mesure, prennent encore leurs distances par rapport à ce dernier. Ceci est dû à une interprétation « pragmatique » du rôle de l'Islam dans la société et dans la politique aussi bien intérieure qu'étrangère de ces deux derniers États, et à une présence importante des populations russes et russophones sur place. Les Kazakhs furent longtemps attachés au chamanisme. Ils étaient le dernier peuple d'Asie centrale à être islamisé 670  et l'Islam ne réussit jamais à y prendre racine comme au Tadjikistan ou en Ouzbékistan. Ces derniers temps, Bichkek par ailleurs a de plus en plus de mal à faire face à l'avancée du radicalisme religieux et à son lent ancrage dans la vie politique et sociale de la république. Cette situation est due, en grande partie, à la proximité de la vallée de Fergana et du Tadjikistan.

      Ainsi, dans les années à venir, Moscou risque de se confronter aux capitales centrasiatiques plus traditionnelles et islamisées 671 . Il en résulte que le pragmatisme politique et économique doit être complété par des éléments culturels et idéologiques. C'est ici, que certaines idées eurasistes pourraient être bien utiles.

      


C. – La répartition de la présence militaire en Asie centrale et sur la Caspienne

      

      Dans le cadre de l'Union soviétique, aucune république ne possédait son armée nationale. L'Armée Rouge se trouvait sous un seul centre de commandement et n'avait pas le moindre signe de fédéralisme. Sur le territoire de l'Asie centrale, on trouvait les troupes de la région militaire du Turkestan, la 40e armée stationnée au Kazakhstan, ainsi qu'une partie des troupes stratégiques équipées de missiles. Au lendemain de l'effondrement de l'URSS, on a observé une situation paradoxale dans toutes les ex-républiques soviétiques : l'Armée soviétique, toujours sous l'ordre de Moscou, restait stationnée sur les territoires des pays nouvellement constitués, bien qu'ils aient entamé la création de leurs propres armées nationales.

      Les nouveaux États centrasiatiques se retrouvèrent dans une situation ambiguë : ils n'avaient pas de forces militaires propres pour défendre leur indépendance. Le droit pour les pays membres de la CEI de constituer leurs propres armées fut confirmé par l'Accord du 30 décembre 1991 sur les troupes armées et les gardes-frontières. En attendant, c'est la Russie qui remplit vite ce vide conformément au Traité de Tachkent en matière de défense (décembre 1992). Celui-ci définit les nouvelles approches de la Russie vis-à-vis de ces États indépendants sur le plan militaro-stratégique.

      La position géographique des cinq républiques d'Asie centrale (Kazakhstan, Ouzbékistan, Kirghizistan, Turkménistan et Tadjikistan) définit d'emblée l'importance pour la sécurité nationale de la Russie de leur territoire occupé. Après l'indépendance de ces États, une bonne partie des frontières sud de la Russie devint dénudée et transparente. La Fédération de Russie hérita de son prédécesseur 76 % de son territoire, et de presque la même longueur de frontières étatiques 672 . Cf. : elle était de 64 000 kilomètres pour l'ex-URSS et est passée à 58 562 kilomètres pour la Russie.

      Ainsi, la décomposition de l'Union soviétique, en effet, amena au démantèlement du système de sécurité dans plusieurs parties de l'ex-espace soviétique. Malgré les indépendances déclarées, les pays naissants n'étaient pas capables de maintenir leur propre sécurité nationale, ni de faire face aux menaces venant de l'extérieur. En réalité, l'épicentre d'instabilité créé en Afghanistan à une autre époque historique, s'élargit et se déplaça peu à peu à l'intérieur de l'espace post-soviétique. C'est pourquoi après la signature du Traité de Tachkent, la Russie envoya ses troupes au Tadjikistan, le pays le plus pauvre et déchiré de la région, afin d'y maintenir la paix et de surveiller la frontière commune avec l'Afghanistan. Ce pays était démuni face à la pénétration de groupes islamistes armés venant de l'Afghanistan. La frontière afghano-tadjike ne pouvait être protégée que par des efforts communs. Ainsi, la Russie se retrouva impliquée dans le conflit tadjik.

      La présence de l'armée russe représentait un facteur important pour stopper la progression des forces islamistes en provenance de l'Afghanistan. Sans elle, l'islamisation du Tadjikistan était inévitable et la menace se répandrait sur l'Ouzbékistan et le Kirghizistan dans un effet de domino. En infléchissant sa politique extérieure vers le domaine militaire, le Kremlin tenta notamment par cette décision de rétablir son influence militaire dans la région. Dans le domaine de la défense, la Russie était soucieuse du devenir de son « ventre mou » afin qu'il ne se transforme pas en zone de confrontation et de conflits locaux.

      Après l'implosion de l'URSS, la capitale russe considéra toujours les frontières extérieures de son étranger proche (CEI) comme sa première ligne de défense. Les Russes n'avaient pas encore pris l'habitude de percevoir les limites actuelles de la Fédération de Russie comme frontières propres de leur patrie. Pour eux, ces frontières, dans leur totalité, coïncidaient avec celles de l'ex-URSS. Si du côté de l'Europe, la Russie est relativement sécurisée, c'est loin d'être le cas pour les frontières méridionales avec le Kazakhstan (6 846 km), la Géorgie (723 km) et l'Azerbaïdjan (284 km). Donc, les frontières de Caucase de Sud et d'Asie centrale constituaient la première ligne de la sécurité nationale russe. Du point de vue stratégique, Moscou redoutait toute pénétration étrangère dans cette région frontalière. Était visé tout d'abord l'influence croissante de l'Iran, de la Turquie, du Pakistan, de la Chine, mais aussi celle des États-Unis, de l'UE et de l'OTAN.

      Ainsi, les premières années post-soviétiques furent marquées par une précision des priorités russes concernant son étranger proche qui découlait de la première Doctrine militaire russe. La Russie se réserva le droit d'intervenir au nom de la protection des minorités russes, ainsi que de protéger les frontières extérieures de la CEI. Durant cette période, une certaine méfiance apparut chez les élites politiques centrasiatiques sur les intentions de leur voisine septentrionale désireuse, selon elles, de reconquérir l'espace qui lui appartenait depuis déjà deux siècles. C'est pourquoi les capitales centrasiatiques entamèrent des négociations à propos du statut et des délais de présence des troupes russes sur leurs sols.

      Cette « tolérance » temporaire des pouvoirs locaux avait deux explications majeures : d'une part, les autorités nationales considéraient que la présence de l'armée russe était un facteur de stabilité intérieure de leur pays, d'autre part, elles tentaient de gagner du temps pour créer leurs propres forces militaires. Ainsi, de nombreux cadres officiers russes, tout en gardant leur citoyenneté russe, furent recrutés dans les armées nationales en tant que contractuels. Les pays centrasiatiques étaient confrontés à la nécessité d'assurer leur propre sécurité nationale par ce moyen. En ce qui concernait les matériels de combat, les équipements et les munitions militaires, ceux-ci furent partagés pour leur plus grande part, mais le reste fut vendu, volé ou dilapidé.

      Mais c'était il y a plus de dix ans. De nos jours, les instructeurs et les spécialistes militaires turcs et de l'OTAN s'occupent activement de la formation des armées nationales centrasiatiques. Avec l'apparition des bases militaires de l'OTAN consécutive aux événements d'Afghanistan, le domaine militaire n'est plus le privilège de Moscou. Les actions de l'Alliance atlantique et son programme de Partenariat pour la paix, inquiètent plus particulièrement le Kremlin, notamment, après le 11 septembre 2001.

      Après l'opération militaire contre les Talibans, les pays d'Asie centrale se sentirent doublement soulagés, car avec la disparition, au moins à court terme, de la menace islamique l'importance de l'assistance militaire russe diminua aussi. Or, les Russes continuent toujours d'offrir leurs bons offices en matière de protection militaire en contrepartie d'une alliance géopolitique et d'une participation aux programmes économiques régionaux, notamment celui de l'extraction et de l'acheminement des hydrocarbures. Dans le domaine militaire, le recul de la Russie en Asie centrale va s'accélérer de toute évidence.

      Actuellement, la frontière afghano-tadjike est le dernier bastion russe au sud de l'Asie centrale où des troupes russes sont encore stationnées. La présence politico-militaire russe est un facteur de stabilité dans cette république et, entre autres, permet au régime autoritaire en place de durer. D'autres contingents militaires russes, notamment des gardes-frontières, ont définitivement quitté l'Ouzbékistan et le Turkménistan encore durant les années 1990.

      Ces dernières années, on observe une militarisation de la Caspienne. Tous les pays riverains réservent une part de leur budget au renforcement de leurs forces navales. Une série de facteurs a conditionné les changements significatifs de la situation militaire sur la Caspienne :

      le démembrement de l'URSS et l'apparition des trois nouveaux pays riverains ;

      la croissance de la présence militaire russe sur la mer ;

      la présence des États-Unis et de l'OTAN dans les territoires voisins de la Caspienne ;

      l'aspiration des nouveaux pays riverains à créer leurs propres flottes navales.

      De nos jours, c'est la Russie qui possède la plus grande flotte militaire et commerciale de la Caspienne : quelques divisions de surveillance aussi bien maritime qu'aérienne, des dragueurs de mines, des bateaux sur coussin d'air de débarquement et de transport de missiles, des bâtiments de combat et de secours. L'infrastructure de la flotte est également développée. Il y a quelques années, Moscou transféra également une partie de la flotte Baltique sur la Caspienne. Les avions amphibies, les hélicoptères anti-sous-marins et de patrouille (Ka-25 et Ka-27) sont venus compléter l'aviation de la flotte caspienne.

      En 2000, le Ministère russe de la Défense acheva la création de l'infanterie navale de la mer Caspienne. Elle est stationnée dans la ville daghestanaise de Kaspisk. Approximativement, Moscou doubla son potentiel militaire sur la Caspienne 673 . Plusieurs fois il se prononça contre la démilitarisation de la Caspienne, au moins à court voire à moyen terme 674 .

      À l'époque soviétique, l'État-major général de la flotte caspienne était basé à Bakou. Lors de son partage, la capitale azerbaïdjanaise reçut une partie considérable de ses infrastructures et 25 % des navires de surface (une frégate, 9 vedettes de patrouille, 5 dragueurs de mines, 4 bateaux sur coussin d'air et 3 bâtiments de secours) 675 . À l'heure actuelle, Bakou et Astrakhan sont les deux plus importantes bases navales de la Caspienne.

      Après l'effondrement de l'URSS, le Turkménistan renonça à sa part de la flotte caspienne (25 %) en faveur de Moscou. En contrepartie, il reçut en héritage la plus grande escadrille d'avions d'Asie centrale avec les infrastructures correspondantes. Jusqu'en 1999, ses frontières maritimes étaient gardées par des forces communes russo-turkmènes. Cependant, en dépit de sa neutralité déclarée, Achkhabad acquit récemment en Ukraine 20 vedettes rapides payées avec une partie du gaz livré. Des navires d'un tonnage de 40 tonnes équipées de mitrailleuses de gros calibre constituent la moitié de cette commande. Téhéran, pour sa part, proposa de louer à long terme quelques bateaux militaires de la production soviétique 676 . À plusieurs points de vue concernant la Caspienne, le Turkménistan est le seul allié de l'Iran et partage avec lui plusieurs positions. Téhéran a également besoin d'Achkhabad pour contester en commun la propriété de gisements vis-à-vis de l'Azerbaïdjan.

      Certains politiciens de la rive opposée furent enclins à considérer l'armement du Turkménistan, déclaré État neutre depuis 1994, comme une menace directe pour les activités économiques de Bakou dans le secteur des gisements litigieux 677 . Achkhabad a déjà précédemment empêché par la force militaire des travaux de prospection dans le secteur contesté.

      Le Kazakhstan ne possède pas officiellement de flotte navale. Ce sont les navires de guerre russes qui patrouillent aux abords des gisements pétrolifères kazakhstanais. En août 1996, les États-Unis apportèrent leur contribution pour « combler » ce vide en transférant six vedettes de patrouille à Astana. La capitale kazakhstanaise reçut également une proposition similaire de la par de Pékin 678 . Encouragé, le Kazakhstan, après avoir indépendamment construit quelques navires de guerre, créa en janvier 1998 son propre détachement naval Once. C'est seulement le 17 février 2003 que le ministre kazakhstanais de la Défense fit une déclaration sur la nécessité de la création de forces navales nationales 679 . Les Américains et les Britanniques, ayant tous les deux d'importants intérêts pétroliers au Kazakhstan, s'engagèrent dans l'entreprise commencée par les autorités kazakhstanaises.

      Ces dernières années, l'Iran dépense plus de 7 % de son PIB pour les besoins de la défense 680 . Se trouvant dans un isolement international, Téhéran noue des relations de plus en plus étroites avec la Russie, notamment, dans le domaine militaire et de l'énergie nucléaire, car seul Moscou, sans doute, peut se permettre de coopérer avec l'Iran sans avoir « peur » de la disgrâce américaine. En 1995, Téhéran acheta aux Russes 3 sous-marins dont le Varchavianka qui est basé dans le golfe Persique. Les deux bases navales, de Bander-Abbas et de Chah-Bahar, sont en train de se moderniser 681 . Les officiers de la marine iranienne font leur préparation militaire dans la base de la ville de Baltisk (région de Kaliningrad) 682 . La République islamique met en œuvre les technologies de construction de sous-marins diesel de petites dimensions qui peuvent être utilisés sur la Caspienne.

      La vigilance pousse l'Iran à augmenter ses forces navales, en particulier, sur la Caspienne où sa présence militaire n'est pas importante : quelque 90 bâtiments de mer, concentrés principalement à Enzeli et à Noouchahr. Ils se trouvent sous deux commandements indépendants : celui des Forces navales de l'armée (Enzeli) et celui des Forces navales des gardes de la révolution islamique (Noouchahr). La principale flotte navale nationale est basée dans le golfe Persique, celle de la Caspienne a toujours été considérée comme secondaire voire marginale 683 . Téhéran a également pris la décision de créer une police maritime spéciale 684 .

      

      En cas de dégradation de la situation politico-militaire dans la région, la Russie et l'Iran peuvent devenir alliés. Si de sérieux heurts militaires se produisent un jour, les États-Unis, sans aucun doute, seront également impliqués. Téhéran a déjà intimidé au moins une fois son voisin azerbaïdjanais pour chasser le navire de prospection de British Petroleum qui réalisait des études dans une zone litigieuse (2001).

      En automne 2003, l'Iran mit en exploitation le bâtiment de guerre Peïkan, porteur de missiles. En cas de nécessité, la République islamique est en mesure d'augmenter dans de courts délais sa présence militaire de 1,5 fois en transférant les bâtiments de mer du golfe Persique 685 . En cas d'affrontement, l'Iran serait opposé à l'Occident. Les méthodes choisies par Téhéran peuvent également donner des prétextes à ce dernier pour déployer ses forces dans les trois nouveaux pays caspiens.

      Malgré la déclaration selon laquelle la Caspienne doit être utilisée exclusivement à des fins pacifiques, les pays riverains ont tendance à augmenter leurs puissances navales. Les plus inquiets sont la Russie et l'Iran. Après l'opération anti-terroriste en Afghanistan et la guerre en Irak, les États-Unis, semble-t-il, s'ancrent durablement en Asie centrale et au Caucase. Pour l'instant, les Américains ne sont pas présents sur la mer et Moscou et Téhéran font tout leur possible pour qu'ils n'y accèdent jamais.

      

      

      CONCLUSION

      

      La fragmentation des vastes régions de l'Eurasie intérieure est lourde de conséquences géopolitiques. Elle peut transformer l'Asie centrale en une zone de conflits ethniques et interétatiques permanents. De surcroît, un espace éclaté peut facilement tomber dans le giron des puissances régionales et/ou mondiales ayant chacune ses propres intérêts géopolitiques. Une raison de plus pour désirer l'intégration et la coopération mutuelle afin de contrecarrer ces menaces et devenir un des centres (pôles) internationaux.

      Toute déstabilisation interne en Asie centrale est susceptible d'avoir une résonance en Russie ainsi que dans les pays riverains comme l'Afghanistan, le Pakistan, l'Iran et la Chine. La hausse du trafic de la drogue via la région centrasiatique et l'avancée de l'Islam radical sont des menaces auxquelles Moscou fait face. À cette fin, les Russes rendent de bons offices à l'Ouzbékistan et au Kirghizistan, en étant déjà présents au Tadjikistan. Dans ce contexte, la frontière afghano-tadjike est devenue l'avant-poste de la Russie dans sa lutte contre ces deux fléaux. Face à ces défis, et à d'autres encore, les États nouvellement constitués ont été amenés à créer un système collectif de sécurité avec la participation de la Russie, le pays de la CEI le plus puissant sur le plan militaire.

      Après l'arrivée au pouvoir de Poutine, la politique étrangère russe changea de cap à l'égard de l'Asie centrale et devint plus pragmatique. En renonçant à l'intégration politique et militaire, au moins à court et moyen termes, elle privilégia la coopération économique. Ainsi, Moscou n'a pas l'intention d'abandonner complètement la région, surtout après son évincement de l'Europe de l'Est, des Pays baltes et même de l'Ukraine. Elle est mal comprise par une Europe qui n'est pas encore prête à lui ouvrir largement ses portes. Ainsi, il ne lui reste que la possibilité de concentrer toutes ses forces sur l'Asie. Cette stratégie est soutenue par certaines élites politiques russes qui tiennent un discours d'appartenance de leur pays à la civilisation eurasienne. La politique de la Russie apporte son soutien aux régimes autoritaires et antidémocratiques des pays centrasiatiques à condition d'obtenir la signature d'accords de caractère politico-militaire.

      Le retour de la Russie en Asie centrale provoque des sentiments mitigés chez les peuples titulaires. Les quatorze années d'indépendance ont ouvert cette région aux autres pays, donc aux autres modèles de développement qui diffèrent sensiblement de celui offert par les Russes. Par ailleurs, gênée par la crise économique, la Russie n'est pas censée proposer un modèle précis et élaboré. Le manque chronique de moyens financiers limite l'importance de l'intervention économique russe en ouvrant la voie à d'autres acteurs désireux de s'ancrer dans cette région stratégique, comme la Chine. Cette dernière est de plus en plus présente, mais joue son rôle prudemment en se contentant de coopération économique afin de ne pas altérer ses relations avec la Russie et l'Occident.

      Le facteur confessionnel n'a jamais été mis en cause dans les relations russo-centrasiatiques. Les Russes orthodoxes et les peuples d'Asie centrale avec leur islam modéré ont toujours été isolés dans les mondes à qui ils appartenaient : chrétien et musulman. Cependant, de nos jours, l'Asie centrale est menacée par l'islam fondamentaliste qui lance un défi à la Russie par son implication dans des conflits existants et sans doute futurs. Cependant, elle n'est plus la seule puissance à faire face à l'intégrisme dans la région centrasiatique. Ainsi, la Russie préfère lutter contre ce fléau avant qu'il ne s'approche de ses frontières, sur les territoires de ses voisins centrasiatiques assimilés à sa première ligne de défense.

      La Russie et les cadres militaires russes contribuèrent largement à la création des armées nationales centrasiatiques. La flotte soviétique caspienne, quant à elle, fut partagé entre la Russie, l'Azerbaïdjan et le Kazakhstan. Ces dernières années, tous les pays riverains renforcent progressivement leurs forces navales caspiennes.

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      


§ 2. À la recherche d'une nouvelle idée nationale : le retour de l'eurasisme

      

      

      À la veille du 21e siècle, comme au 19e et au début du 20e, la Russie est de nouveau prise dans des débats et des polémiques sur l'idée nationale russe, une question cruciale qui la hante depuis très longtemps. Le problème est de construire une Idée autour de laquelle un environnement ethno-social serait susceptible de se former et de se consolider en se transformant en un nouveau sujet de développement historique, économique et politique 686 . Cette fois ce sont les « atlantistes » et les « néo-eurasistes » qui ont pris la relève des « slavophiles » et des « occidentalistes ».

      


A. – Les eurasismes contemporains : des fondements théoriques de plus en plus élaborés

      

      À partir de la déclaration de la perestroïka, la société soviétique commença à se décomposer. Les réformes entreprises eurent pour conséquence le démembrement non seulement de l'État soviétique, mais également d'alarmantes tendances augurant la désintégration de la Fédération de Russie (RSFSR) elle-même. Dans tous les domaines de la vie sociétale, les modèles socialistes existant se mirent progressivement à s'écrouler. La perte des anciennes valeurs et orientations eut un impact négatif sur la conscience populaire. Le temps des changements radicaux (perestroïka) fut déclaré, mais les repères, la direction et l'objectif final étaient confus et mal définis. De plus, la société devenait peu à peu politisée et polarisée entre réformateurs et conservateurs.

      Parallèlement, à l'échelle de la CEI, le pourcentage des populations turcophones augmentait sans cesse. De ce fait, la composition ethnique de la population de la Fédération de Russie était en plein changement. Tout cela poussa Moscou à chercher différentes voies afin d'entraîner ses populations hétérogènes dans la construction collective du nouvel État russe post-soviétique. La confusion, la quête d'identité, d'idéologie et de doctrine nationale concernent non seulement les Russes, mais également les autres peuples de l'espace eurasien. Le démontage du système communiste contribua à la résurgence de l'identitarisme et à l'augmentation de l'intérêt pour des cultures nationales (langues, religions, éducation, etc.).

      Sur le plan international, le déplacement géopolitique de la Russie devint incontestable. La déclaration des indépendances des anciennes républiques soviétiques tout le long de la frontière occidentale russe contribua à l'éloignement de la Russie du vieux continent. Quant aux traditions séculaires de solidarité slave, elles s'avérèrent plutôt unilatérales. Depuis Pierre le Grand, la question de l'identité russe ne s'était sans doute pas posée aussi fortement. Cependant, cette fois le vecteur de la quête n'était pas dirigé vers l'Europe. L'arrivée au pouvoir de Poutine donna un nouvel élan au processus douloureux de recherche de l'identité et de l'idée nationale russes.

      Ainsi, dans un nouvel environnement géopolitique, on observa une relecture de l'héritage historique des eurasistes non seulement en Russie, mais également dans certaines ex-républiques soviétiques, notamment, au Kazakhstan. Les œuvres des eurasistes classiques devinrent l'objet des préoccupations des milieux scientifiques et sociopolitiques.

      De nos jours, l'emploi du terme « eurasisme » suggère plusieurs réflexions. En tant que philosophie, mouvement de pensée, l'eurasisme est très disparate. Ceux qui s'appellent « eurasistes », en effet, sont répartis en plusieurs groupes, en différents courants, souvent opposés l'un à l'égard de l'autre. On a ainsi : l'eurasisme classique des intellectuels russes des années 1920-30, la sociobiologie de Lev Goumilev, le néo-eurasisme souvent traditionaliste et ésotérique des années 1990, la géopolitique originale d'Alexandre Douguine, la multiculturalité et la politique pragmatique d'intégration post-soviétique du président kazakhstanais N. Nazarbaev, la stratégie d'affirmation de la conscience nationale et de valorisation de la composante turco-musulmane des turcophones de Russie. Si l'eurasisme classique était né dans l'émigration, le néo-eurasisme se forma « sur le terrain », au sein des différents centres stratégiques et de recherches de la Russie et du Kazakhstan.

      Le néo-eurasisme surgit et se profila distinctement parmi les courants nationaux-conservateurs à la fin du règne de Gorbatchev. À la différence de l'eurasisme classique, il prit d'emblée des traits traditionalistes mélangés à des éléments monarchiques, religieux (orthodoxe et islamique), ethniques et à une critique acharnée de l'idéologie marxiste. Les néo-eurasistes essayèrent de démontrer par tous les moyens possibles une « filiation continue » 687  tout au long du siècle qui vient de se terminer, une certaine pérennité des idées de l'eurasisme romantique (classique) via la sociobiologie de L. Goumilev.

      Depuis l'apparition du livre de Douguine La grande guerre des continents (1991), on commença à parler de l'eurasisme en tant que modèle aussi bien politique et économique que culturel. Le regain d'activité du mouvement eurasiste est également conditionné par l'augmentation de la popularité des œuvres de L. Goumilev, par la levée du tabou sur le mot « géopolitique » et sur les discussions à ce sujet ainsi que par la création de l'école russe de géopolitique.

      En 1996 le mot « eurasisme » apparaît officiellement dans la Conception de la politique d'État dans le domaine des relations nationales, signée par le président russe B. Eltsine dans laquelle est souligné le « caractère eurasien » de la communauté des peuples de la Fédération de Russie. De nouveaux courants eurasistes apparaissent. L'eurasisme des turcophones russes, notamment au Tatarstan, commença à s'affirmer. Ainsi, à la fin de la présidence de B. Eltsine, l'eurasisme non seulement sortit de sa « disgrâce », mais également passa au premier plan de la vie politique du pays. On observa un net rapprochement du mouvement avec le pouvoir. Le principal idéologue néo-eurasiste A. Douguine devint le conseiller du président communiste de la Douma d'État.

      Mais le « grand tournant » débuta après l'arrivée au gouvernement de V. Poutine. Le pouvoir sanctionna les activités et le développement du mouvement quoique sans l'afficher. Les changements à Moscou « en faveur » de l'eurasisme donnèrent une impulsion au mouvement eurasiste au Kazakhstan qui eut comme porte-parole le président de la république N. Nazarbaev lui-même. En 2000, fut signé le traité de création de la Communauté économique eurasiatique (Eurazes) 688 .

      Le néo-eurasisme présente les valeurs suivantes :

      premièrement, il restaure les idées principales de l'eurasisme classique dans un nouvel environnement historique et géopolitique ;

      deuxièmement, extrêmement politisé, il poursuit le but d'implanter ses principes dans un programme idéologique et politique.

      Il prétend donner des recettes à la fois politiques, économiques, stratégiques et civilisationnelles concernant tant l'espace eurasien que la Fédération de Russie elle-même. Son objectif principal est de contrecarrer le pôle atlantiste. Selon les néo-eurasistes, dans le monde actuel, il existe deux principales idéologies : la mondialisation américaine aspirant à une domination mondiale et portant malheur aux nations « originales », et l'eurasisme, prônant une communauté des peuples, dont la Russie est le rempart, et qui tient compte des spécificités historiques, culturelles et confessionnelles de chacun d'entre eux.

      La perception de l'idéologie et de la philosophie de l'eurasisme contemporain comme variante au modèle de développement ultérieur est basé sur la combinaison d'« anti-occidentalisme », d'« anti-slavophilisme », d'« anti-eurocentrisme », d'« anti-asiocentrisme » 689 . En tant que pensée philosophique, le néo-eurasisme prétend résoudre à sa manière les contradictions cristallisées entre les deux mondes opposés – l'Orient et l'Occident. La recette finale est simple : il n'y a pas de place pour le compromis avec l'Occident ni pour la Russie, ni pour les anciennes républiques soviétiques. C'est contre la nature des « lois géopolitiques ». L'Orient et l'Occident sont comme deux pôles négatifs qui ne peuvent pas se rapprocher. À la différence de ses prédécesseurs, le néo-eurasisme associe l'Occident plutôt au monde anglo-saxon que romano-germanique. L'Europe occidentale (continentale) est considérée comme alliée potentielle et stratégique contre les États-Unis.

      Les deux principales thèses civilisationnelles avancées par les néo-eurasistes qui attirent plusieurs communistes, nationalistes et même libéraux, sont :

      1) les réformes économiques doivent s'appuyer sur l'association des peuples et des confessions ;

      2) la Russie est « vouée » à synthétiser, à l'échelle de son territoire, les civilisations orthodoxe, musulmane et bouddhiste pour un avenir meilleur. C'est la synthèse des cultures qui garantit l'intégrité de l'Eurasie, sa puissance et sa pérennité dans le temps.

      Dans la sphère économique, le néo-eurasisme s'aligne sur le modèle de la « Troisième voie » 690  (ni socialisme ni capitalisme) dont l'objectif géostratégique majeur est l'autarcie des « Grands espaces ». Le modèle économique eurasiste est moins traditionnel, plus original et garde ses distances par rapport aux doctrines soviétique et libérale. Néanmoins, il suppose une synthèse de tous les modèles existants et manifeste une flexibilité pragmatique en s'ouvrant, dans des conditions concrètes, à certaines recettes du libéralisme (libre-échangisme, etc.) ainsi qu'à celles du marxisme (redistribution des profits, rôle de l'État dans l'économie, etc.).

      Les thèses principales de la conception économique néo-eurasiste sont : priorité aux valeurs civilisationnelles et spirituelles et subordination de l'économie à celles-ci ; union douanière, intégration macro-économique et division du travail dans le cadre des « Grands espaces » ; création, à l'échelle de l'espace eurasien, d'un centre commun pour tous les domaines stratégiques - transports, communications, énergie, information, etc. ; différenciation des frontières économiques des « Grands espaces » et des « zones géoéconomiques » ; création à l'avenir d'une monnaie unique eurasienne.

      La construction économique néo-eurasiste est axée vers l'élaboration d'un tel modèle qui sera en mesure de préserver la Russie du démembrement à l'instar de l'URSS. Dans ce contexte, la CEI est considérée comme le noyau de la future formation politique (la Communauté eurasiatique) ayant un seul centre stratégique de commandement.

      Dans l'approche civilisationnelle néo-eurasiste, le rôle réservé à l'Islam est énorme. Les néo-eurasistes admirent l'universalisme de l'Islam, plus particulièrement l'ummah qui transcende les clivages et les définitions ethniques et politiques. L'Islam est considéré comme un exemple presque parfait de l'union de la religion, de la culture, de la politique et du mode de vie. Il est une sorte d'incarnation de l'ordre et de la stabilité. Encore une raison pour laquelle la Russie doit se rapprocher du monde islamique et garder, en premier lieu, dans sa sphère d'influence immédiate, son Orient intérieur dont l'Asie centrale est considérée comme partie intégrante. Pour cela, une révision de l'histoire nationale se réalise. Dans cette relecture, le rôle de la composante islamique depuis le 16e siècle (prise de Kazan) est exalté. Le danger et le caractère réactionnaire des idées des néo-eurasistes se reflètent clairement dans leur sympathie et leur admiration pour les actions de Gengis Khan et de son empire qui leur servent de modèle de référence : « … c'est la barbarie qui apporte la culture, c'est la mort qui appelle à la vie, c'est la destruction qui libère la voie pour une nouvelle création » 691 .

      Or, l'Islam est toléré s'il sert l'idée eurasiste commune : l'union des mondes slave et musulman. La vieille Russie suivie par l'Empire russe et l'Union soviétique a déjà synthétisé dans la civilisation eurasienne les cultures russes et orientales. À cette fin, on utilise activement la thèse selon laquelle l'intégration, dans son sens le plus large, dans le monde slave est la seule voie de développement et de prospérité pour les musulmans russes et centrasiatiques. En Russie, le christianisme, l'Islam, le bouddhisme et aussi le judaïsme sont officiellement reconnus comme les religions traditionnelles de la Russie (et non seulement l'orthodoxie) « légitimant » et prouvant ainsi la thèse des néo-eurasistes.

      C'est une erreur de penser que le néo-eurasisme est un mouvement éphémère et confus qui nourrit, à différents degrés, plusieurs partis et structures politiques. Il y a encore quelques années, en Russie on ne trouvait aucun parti politique ayant l'exclusivité d'être porteur de cette idéologie. On ne pouvait rencontrer des tendances et des idées eurasistes que dans les programmes de différents partis politiques, groupes parlementaires et organisations publiques.

      Les buts et les objectifs principaux des partis eurasistes peuvent être formulés ainsi :

      renaissance de la grandeur planétaire de la Russie ;

      affirmation de la spiritualité dans les fondements de la civilisation et de la culture ;

      restauration de la Communauté eurasienne unifiée sur la base de la CEI et de l'Eurazes ;

      restauration de la puissance militaire de la Russie ;

      renforcement et soutien d'un pouvoir vertical fort ;

      confirmation des « droits fondamentaux des peuples » en tant qu'alternative à la conception libérale des « droits de l'homme » 692 .

      Les disciples du néo-eurasisme misent beaucoup sur la politique domestique et étrangère de V. Poutine et de son équipe en utilisant plutôt une tactique d'influence sur le pouvoir (une sorte de lobbying) plutôt qu'une volonté d'arriver au pouvoir. Dans la politique contemporaine de l'État russe, ils sont enclins à voir la réalisation de plusieurs initiatives néo-eurasistes : dans la politique domestique, le renforcement de l'État (derjavnost) et de la hiérarchie du pouvoir, les mesures d'assainissement de l'économie pour le compte de ses propres ressources internes, l'affaiblissement de l'oligarchie financière et monopoliste, le contrôle des médias et, dans la politique vis-à-vis de l'étranger proche, la création de la Communauté économique eurasiatique (2000) ou bien le renforcement de l'Union d'intégration Russie-Biélorussie.

      Les néo-eurasistes furent sévèrement critiqués pour leurs rapports étroits avec l'extrême droite occidentale ainsi que pour leur zèle à chercher un « noyau rationnel » dans l'idéologie du fascisme. Pour eux, le fascisme italien ou le national-socialisme des nazis sont les meilleurs exemples de la « Révolution conservatrice ». Et pour justifier leur attirance envers le fascisme, les néo-eurasistes précisent qu'ils s'intéressent aux aspects « intellectuel » et « scientifique » du fascisme et non pas militaro-politique. Ils sous-entendent par là le fascisme initial, ésotérique et mystique et non pas les altérations et les dérives ultérieures apportées dans l'idéologie fasciste par la pratique politique.

      Pour terminer ce bref aperçu de l'eurasisme contemporain en Russie, rappelons les grandes lignes des thèses des eurasistes turcophones russes qui, stricto sensu, se distinguent nettement de celles de l'eurasisme classique ou du néo-eurasisme russe.

      Au sein de la Fédération de Russie ce sont les élites turcophones du Tatarstan, avec le président de cette république M. Chaïmiev à leur tête, et quelques institutions basées essentiellement à Moscou dont la plus influente est le Congrès des peuples turcs de Russie, qui lancent et développent de nouvelles idées eurasistes, appelées par M. Laruelle l'« eurasisme turcique » ou l'« eurasiatisme » 693 . D'après ces nouvelles interprétations, seuls les peuples turcs constituent le noyau de l'Eurasie. Les Russes sont européens, mais marginalisés à cause de leur faible niveau de développement par rapport au vieux continent. La seule voie pour que la Russie puisse sortir de cette situation humiliante, en augmentant en même temps son poids géopolitique, est de retourner vers l'Eurasie, mais à condition de respecter et de reconnaître les valeurs du monde islamique.

      Dans la politique étrangère, les eurasistes turcophones russes privilégient les relations avec les pays du monde islamique et invitent Moscou à adhérer à l'OCI. Si cela n'était pas fait, ils augurent le démembrement de la Russie à l'exemple de l'URSS. Cependant, un tel penchant des Russes envers le monde islamique, s'il est virtuel, n'est envisageable qu'à long terme. Pour que de tels projets se réalisent, il serait indispensable de vaincre la résistance intérieure des forces politiques de type libéral démocratique ainsi que de ramener au minimum l'islamophobie présente dans la société russe et dans certains milieux politiques. Un rapprochement hypothétique demanderait également une certaine « culture internationale » 694 , culture dont la base est bien ébranlée dans de nombreux conflits interethniques suite à la dissolution de l'URSS.

      Les domaines d'intérêts et d'application de l'eurasisme des turcophones russes sont assez restreints par rapport à ceux des néo-eurasistes. Les derniers sont plus ambitieux et se veulent être universels à l'échelle d'au moins un continent (Russie-Eurasie), tandis que les premiers se limitent aux frontières de la Fédération de Russie. Selon M. Laruelle, les partisans de ce courant de l'eurasisme se prononcent, d'une part, pour le droit à la différence, pour les traditions nationales et pour les valeurs de l'Islam afin d'obtenir une grande autonomie et, de l'autre, ils ne veulent prendre aucun risque politique 695 . Les turcophones russes, essentiellement, sont intéressés par la place qu'ils pouvaient occuper dans la vie politique, économique et sociale de la Russie, ainsi que par le niveau d'autonomie et de souveraineté de leurs territoires nationaux appelés à souligner leur identité.

      L'idéologue de ce courant de l'eurasisme, le penseur islamique H. Djemal, est connu pour ses réflexions extrémistes. Avec le temps, il est arrivé à la conclusion que le « monde sera sauvé exclusivement par l'Islam fondamentaliste » 696 . En 1999, lors de la Conférence orthodoxo-islamique à Saint-Pétersbourg, il avança la thèse selon laquelle il existe une possibilité de créer une alliance entre l'Islam et l'orthodoxie dans le cadre du projet anti-occidental 697 .

      


B. – L'aspect géopolitique des réflexions néo-eurasistes concernant l'Eurasie

      

      L'aspect géopolitique occupe une place centrale dans cette nouvelle vision du monde. Selon les adeptes du néo-eurasisme, le 21e siècle se déroulera sous l'égide de l'opposition entre les deux conceptions du monde, entre la multipolarité et le mondialisme unipolaire. En qualité de pôles mondiaux, les États traditionnels seraient remplacés par de « Grands espaces », autrement dit, par de nouvelles formations d'intégration à base civilisationnelle liées entre elles par des « arcs géoéconomiques » :

      arc euro-africain composé de trois « Grands espaces » : l'Union européenne, l'Afrique du Nord et l'Afrique Noire (sub-saharienne) ;

      arc Asie-Pacifique composé de trois « Grands espaces » : le Japon, l'Asie du Sud-Est, l'Australie avec la Nouvelle Zélande ;

      arc continental eurasien composé de quatre « Grands espaces » : la Russie avec la CEI, les pays de l'islam continental, l'Inde et la Chine ;

      arc américain composé de trois « Grands espaces » : l'Amérique du Nord, l'Amérique centrale, l'Amérique du Sud.

      

      

      Il en découle que chaque puissance doit se contenter de sa part du gâteau : l'UE – de l'Afrique et du monde arabe, l'Inde, l'Iran et la Chine – de l'Asie, etc. Quant à la Russie, elle doit garder sa sphère d'influence traditionnelle, c'est-à-dire la CEI, en formant avec elle une Communauté eurasiatique. Selon le leader des néo-eurasistes A. Douguine, la seule condition d'existence de la Russie est son élargissement, en premier lieu, pour le compte de la CEI 698 . Ce n'est qu'une vision néo-impériale avec un nouveau partage du monde. Mais les tentatives de restauration de l'URSS risquent d'infléchir les vecteurs des politiques d'intégration des anciennes républiques soviétiques au-delà des frontières de la CEI.

      La thèse principale en matière de politique étrangère est la construction d'un monde multipolaire dont l'un des pôles sera la Russie actuelle. Pour cela, des alliances stratégiques sont indispensables avec d'autres puissances régionales et continentales qui, comme la Russie, sont intéressées par la multipolarité. Dans la direction asiatique, sont menées des tentatives sporadiques de formation d'un axe stratégique Moscou-Téhéran-New-Delhi-Pékin. Cet axe hypothétique est souvent appelé la « colonne vertébrale de la doctrine de politique étrangère, version eurasiste » 699 . Elle passera inévitablement par l'Asie centrale et le Caucase du Sud en valorisant l'importance géopolitique de ces deux régions.

      La vision eurasiste de l'évolution de l'État peut cependant contenter certaines attentes des anciennes républiques soviétiques qui sont toujours à la recherche d'elles-mêmes. À l'heure actuelle, les processus d'intégration dans le monde aboutissent à ce que l'État-nation classique cède sa place à de nouvelles alliances stratégiques au sein de « Grands espaces » avec un système complexe de souveraineté et des autonomies nationales, culturelles et économiques. Dans ce contexte, È. Bagramov se prononce pour la création rapide et efficace de structures supranationales dans l'espace eurasien qui garantira le succès de la réalisation de l'idée eurasiste 700 . Ces hypothèses ont un avenir à condition que la Russie ne cherche pas de nouveau à s'imposer brutalement aux pays concernés en leur rappelant les mauvais souvenirs du passé lointain et proche.

      Les réserves très prometteuses en matière d'énergie de la Russie et de l'Asie centrale, y compris de la Caspienne, peuvent devenir l'une des principales armes de l'Eurasie future en rapprochant en même temps les positions du monde romano-germanique (l'Europe occidentale) et de l'Eurasie dans leur lutte commune contre la mondialisation. Ainsi, l'Europe occidentale pourrait devenir un partenaire stratégique de l'Eurasie. Cependant, parler d'un rapprochement idéologique entre eux est une pure utopie, mais une alliance stratégique est tout à fait envisageable.

      Ainsi, sur le plan géopolitique, le néo-eurasisme se prononce pour un monde polycentrique : le monde doit être composé de quelques centres civilisationnels de même importance dont la Russie-Eurasie. Chaque centre est autosuffisant et autarcique.

      À l'origine, dans la théorie géopolitique, on prône la thèse de la différence fondamentale entre la thalassocratie (puissance maritime) et la tellurocratie (puissance continentale), en d'autres termes, entre les cultures occidentales, donc progressistes, et orientales, autrement dit, despotiques et archaïques. Cette thèse de géopolitique classique est reprise par l'école géopolitique russe actuelle. A. Douguine ne tolère aucune dérive de cette « règle » classique, de cet antagonisme fatal entre la Terre et la Mer qui accompagne toute l'histoire de l'humanité. Selon son modèle géopolitique du monde, la Russie correspond à un continent, à la Terre et, par conséquent, son opposition à la Mer et aux puissances maritimes est notoirement définie.

      L'histoire de la Russie est analysée à travers le prisme de cette opposition « éternelle » et « naturelle », car ce sont la géographie et la géopolitique qui ont définitivement déterminé le cours de son développement. L'eurasisme est compris dans l'esprit du « continentalisme » ayant pour mission de faire face à l'atlantisme. Il est également appelé à unifier l'Eurasie afin de faire face non seulement à l'Occident, mais également à l'Orient, notamment à la Chine, cette superpuissance naissante, à son expansion idéologique, économique et surtout démographique.

      Dans la défense ardente de l'imperium, les néo-eurasistes focalisent leur attention sur le fait que l'Empire russe, en fin de compte, a conservé les spécificités nationales et culturelles des peuples se trouvant sous sa domination. Loin de représenter un pluralisme culturel, cette diversité est considérée comme l'essence et l'acquis suprême de l'époque impériale, car c'est la « démocratie civilisationnelle » qui compte pour l'empire eurasien. Mais qu'est-ce qui se cache sous cette diversité des principes ? Une « mission historique » de l'Empire russe (eurasien) qui n'avait qu'un seul objectif, celui de la conservation de l'authenticité des différentes cultures, notamment au Caucase, en Asie centrale ou chez les populations autochtones de Sibérie et d'Extrême-Orient ? Ou bien le souci primordial de garder l'intégrité du vaste territoire eurasien ? Sans aller jusqu'à faire une incursion dans l'histoire impériale avec la politique de la conversion forcée ou les fermetures périodiques des écoles nationales etc., c'est quand même plutôt la deuxième mission qui domine.

      Tout au long de son histoire, l'État russe ne fut jamais mono-ethnique. Il en découle le constat que les Russes en tant qu'ethnie n'ont pas de monopole de l'État. Donc, dans la construction de l'État doivent être prises en compte toutes ses parties constituantes, notamment les populations turques. Cependant, le noyau des institutions reste quand même l'ethnie russe. Ainsi, logiquement, l'espace du futur État eurasien doit être élargi sur le compte des pays turcophones voisins, en visant bien précisément l'Asie centrale. Ainsi, la « perspective finale du mouvement reste la justification de l'Empire » 701 .

      Pour résumer, la nouvelle idée dite néo-eurasiste peut-elle faire face aux réalités géopolitiques d'aujourd'hui ? Ne se transformera-t-elle en un rudiment du passé ? Comme l'écrit V. Kolosov, « dans les modèles géopolitiques, il n'est pas toujours important que le modèle reflète précisément ou d'une manière absolument imprécise la réalité. C'est le facteur mental qui joue le rôle majeur » 702 . Tout dépend du nombre de politiciens qui croient à la vérité de tel ou tel modèle, car ce sont eux qui adoptent postérieurement une des doctrines en tant que base idéologique pour leurs politiques étrangères.

      


C. – L'eurasisme au Kazakhstan : une approche pragmatique

      

      Toute conception eurasiste est basée sur l'opposition des cultures, des systèmes de valeurs, de la mentalité et du mode de vie des peuples européens et asiatiques. Quand on parle de la culture orientale, on sous-entend très souvent le bouddhisme et le confucianisme avec leurs aspects spirituels, irrationnels, avec leur collectivisme et totalitarisme. À l'instar de l'Occident, l'Orient est également convaincu de sa supériorité culturelle.

      Entre l'Orient et l'Occident se trouve l'Asie centrale dont la culture essaye de se trouver et de construire son chemin en s'appuyant sur l'élément mongolo-tatar, base de la civilisation nomadique. Après le démembrement de l'Union soviétique, en tant que sujets internationaux, les ex-républiques soviétiques se retrouvèrent face au problème de leur identification civilisationnelle et géopolitique à l'échelle tant régionale que mondiale. C'est à ce moment qu'un intérêt pour l'eurasisme s'éveilla chez certaines élites nationales des pays de la CEI. Pour différentes raisons, elles n'étaient pas intéressées par l'éloignement de la Russie.

      Comme on l'a déjà évoqué, l'eurasisme est l'une des préoccupations majeures de l'élite politique du Kazakhstan. Après l'indépendance, dans les discours des intellectuels kazakhstanais, la théorie eurasiste est devenue l'un des outils de l'affirmation nationale et occupe une place importante dans l'interprétation de l'histoire contemporaine du pays. Mais la lecture eurasiste au Kazakhstan a une autre résonance et se distingue sensiblement de l'eurasisme des turcophones et du néo-eurasisme russe.

      La vision kazakhstanaise a d'autres orientations et bases politiques. C'est au 20e siècle, dans le cadre de l'URSS, que le Kazakhstan connut un développement spectaculaire qui, de nos jours, détermine, dans les grandes lignes, ses orientations politiques, économiques et culturelles.

      Devenu indépendant, le pays des steppes fut l'un des premiers pays qui s'est rendu compte de son essence eurasienne. La capitale kazakhstanaise comprenait bien que sortir seule de la crise entraînée par le démantèlement de l'URSS, ne s'avérait pas possible. C'est pourquoi la politique d'intégration intérieure et de réintégration de l'espace post-soviétique était au centre des préoccupations des dirigeants kazakhstanais.

      La mosaïque des ethnies, des cultures et des confessions détermine les spécificités du Kazakhstan post-soviétique. À l'heure actuelle, une ethnie est en pleine reconstitution dans ce pays dont le potentiel historico-culturel est énorme. Durant deux millénaires, celui-ci engloba une diversité de cultures pour se constituer tel qu'il est aujourd'hui : si on utilise les termes de L. Goumilev, une « jeune passion » susceptible de jouer un rôle important dans le processus de la constitution d'une « superethnie eurasienne » qui s'étirerait du Pacifique à l'Atlantique. Dans l'élaboration de la politique intérieure et extérieure du pays, les dirigeants kazakhstanais sont contraints de tenir compte des facteurs ethniques, culturels et confessionnels. L'internationalisme, slogan de l'époque soviétique, fut remplacé par la multiculturalité et la consolidation nationale. Compte tenu de l'environnement géopolitique du pays entre les mondes russe, turc, iranien et chinois, le Kazakhstan en est réduit à emprunter toute l'expérience positive accumulée par ces peuples et à utiliser à sa façon cet héritage historico-culturel.

      À la différence du néo-eurasisme russe, le statut de l'eurasisme kazakhstanais a même atteint l'idéologie d'État. Ce courant de pensée est prôné par le président même de la république N. Nazarbaev considéré comme un eurasiste convaincu. Si les néo-eurasistes russes s'appuient sur leurs prédécesseurs de l'émigration des années 1920-30, Nazarbaev prend comme référence les idées et les thèses eurasistes du penseur et poète kazakh Oljas Souleïmenov 703 , formulées dans les années 1970. Bien évidemment, il a volontairement fait sa propre interprétation. Les eurasistes kazakhstanais se sont beaucoup inspirés de l'« eurasisme turcique » de Goumilev. En effet, celui-ci fut le premier qui valorisa la composante turcique, aussi bien politique qu'ethnique, dans la construction de l'Eurasie, à la différence de ses prédécesseurs qui avaient porté l'accent sur la composante mongole.

      Après avoir obtenu son indépendance, le Kazakhstan essaye à travers cette philosophie de trouver sa juste place dans la région et d'élaborer une identité nationale kazakhstanaise qui serait « proportionnelle » à l'étendue de son territoire. Pour les eurasistes kazakhstanais, l'eurasisme est la tolérance ethnique et spirituelle, l'ouverture de la société et de l'État à tout ce qui est positif et constructif, créé non seulement par les peuples eurasiens, mais également européens et asiatiques 704 . N. Nazarbaev caractérise ainsi le modèle de la « Troisième voie » : « Nous sommes un pays eurasien ayant notre propre histoire et notre propre avenir. C'est pour cela que notre modèle ne doit pas ressembler aux autres. Il absorbe les acquis d'autres civilisations […]. Il doit refléter la convergence de différents modèles de développement social en réunissant en lui leurs éléments, mais en s'appuyant principalement sur nos conditions spécifiques, sur notre histoire, sur notre nouvelle citoyenneté et sur nos nouvelles aspirations […] » 705 .

      Dans ce contexte, les eurasistes kazakhstanais sont amenés à penser que le Kazakhstan est le noyau de la nouvelle civilisation dite « russo-sibérienne », une force motrice du processus de symbiose des cultures européennes et eurasiennes et, d'une certaine façon, sino-indienne. « Qui sait, si Dieu n'a pas décidé de transmettre à Astana, nouvelle capitale du monde, la gestion du processus historico-culturel ? », écrit un certain N. Tarkhan 706 .

      Pour conduire à de pareilles réflexions, il existe des raisons objectives et subjectives dont la principale consiste en la composition ethnique du Kazakhstan : seulement 53 % de la population est kazakhe. Dans ce contexte, les thèses les plus avancées sont la multiethnicité et la multiculturalité du Kazakhstan, et non pas la turcité ou l'islamisme. Dans une certaine mesure, les dirigeants kazakhstanais prennent leurs distances vis-à-vis du monde turco-musulman classique, en valorisant la culture nomadique des steppes du Kazakhstan qui les identifie et les distingue parmi les autres turcophones d'Asie centrale, marqués aussi bien par la culture turque que persane.

      L'une des idées clés du penseur russe V. Soloviev (1820-1879) est très discutée par les eurasistes kazakhstanais. Il s'agit de celle du peuple-intermédiaire dans le processus d'intégration et d'unification de l'espace eurasien. Pour l'historien russe, bien évidemment, ce sont les Slaves (Russes) qui jouent ce rôle de peuple-intermédiaire. Vu les changements géopolitiques de l'espace eurasien, les eurasistes kazakhstanais sont enclins à attribuer ce rôle à la République du Kazakhstan grâce à une série de paramètres : la situation géographique du pays au cœur de l'Eurasie, sa composition ethnique, ses traditions de dialogue interethnique, son aspiration à l'harmonie avec la nature (Orient) et au progrès technologique (Occident) 707 . Comme l'écrit M. Laumulin, la géographie et le destin historique n'ont réservé qu'une seule issue au Kazakhstan, celle de jouer un rôle moteur eurasien 708 .

      Si le néo-eurasisme russe est axé sur l'Asie, l'eurasisme kazakhstanais, au contraire, s'appuie davantage sur les valeurs européennes fort présentes dans la société kazakhstanaise contemporaine et qui ne cèdent guère aux valeurs asiatiques ou islamiques. En accordant une place à l'Occident, les eurasistes kazakhstanais vont à l'encontre des néo-eurasistes russes. Ils ne sont pas soupçonnés d'anti-américanisme et rejettent toute opposition de l'Eurasie, au sens géopolitique, à l'Occident ou à l'Asie orientale.

      Les contacts avec les Russes et l'impact de ces derniers sur les Kazakhs, notamment sur le plan culturel, sont soulignés ouvertement. À cet égard, le rôle de la Russie pour le Kazakhstan, dans le passé comme dans le futur, n'est pas sous-estimé. La quasi absence de motifs et de slogans religieux dans le mouvement national de libération du peuple kazakh est également analysée sous l'angle de l'interaction des systèmes ethniques russe et kazakh 709 . Ces types de réflexions viennent d'un certain discours mené au Kazakhstan qui prône la complémentarité entre les peuples eurasiens où les Russes ont une place centrale. Parmi les qualités du « code » des eurasiens on retrouve que l'« Eurasien doit connaître la langue russe comme la langue de communication interethnique » 710 .

      Les eurasistes kazakhstanais font également une distinction entre les colonisateurs russes et les conquérants étrangers venant de Mongolie, de Dzoungarie ou des pays centrasiatiques 711 . Les explications sont données en partant des positions de l'eurasisme. Vu les difficultés rencontrées par les populations russophones après la fin de l'ère soviétique, les eurasistes kazakhstanais, issus de la communauté russe du pays, mettent leurs espoirs dans cette nouvelle doctrine, version kazakhstanaise de l'eurasisme, qui nie aussi bien les différences ethniques que le statut privilégié du peuple titulaire, au moins dans le discours officiel.

      Pendant les siècles de cohabitation, les populations russophones, notamment celles appartenant à l'ethnie russe, réussirent à s'intégrer aux populations locales en participant activement à la synthèse des cultures nationales. Ce sont ces populations qui sont éventuellement susceptibles de représenter les futurs Eurasiens, sujets d'une Eurasie hypothétique. De mêmes que les populations kazakhes de la Russie installées tout le long de la frontière russo-kazakhstanaise sont appelées « eurasiennes ». Enfin notons que pour les eurasistes kazakhstanais, l'« Eurasien » possède avant tout une essence socioculturelle plutôt que géographique, ethnique ou religieuse.

      Mais les eurasistes du Kazakhstan renoncent également à toute domination russe dans la future union d'intégration qui est l'objectif du programme eurasiste. Ils se concentrent, par excellence, sur l'intégration économique et sociétale dans l'espace post-soviétique tout en préservant la souveraineté du Kazakhstan. N. Nazarbaev, homme politique prévoyant et pragmatique, se rend compte que la future union serait avantageuse avant tout pour le Kazakhstan. Et ce n'est pas par hasard que le projet de création de la Communauté économique eurasiatique vient de lui. C'est pourquoi l'eurasisme kazakhstanais pourrait être appelé « eurasisme pragmatique », car il a pour « critère de vérité » la valeur pratique.

      L'intégration économique est la première étape qui doit constituer la base de l'intégration politique ultérieure, à l'instar de l'UE. En d'autres termes, elle doit se transformer en un système d'intégration transeurasien 712 . Pour les eurasistes du Kazakhstan, l'Eurasie n'est pas limitée à la coopération russo-kazakhstanaise ou au territoire de la CEI. Certains d'entre eux sont même enclins à comprendre l'Eurasie dans son sens géographique le plus large, comme l'ensemble de l'Europe et de l'Asie.

      À l'instar des néo-eurasistes russes, leurs homologues kazakhstanais accordent une attention particulière à la religion : « L'avenir du Kazakhstan ainsi que de toute l'humanité est dans la spiritualité » 713 . Les deux misent sur la priorité de la moralité nationale traditionnelle. Selon eux, l'orthodoxie et l'Islam portent en eux-mêmes une idée d'union. Outre la ressemblance apparente des livres sacrés, ils distinguent et valorisent également les principes du sobornost (conciliarité) et de l'ummah.

      Parmi d'autres courants de l'eurasisme contemporain, celui du Kazakhstan est le plus déclaratif et le moins élaboré du point de vue de la théorie. Compte tenu du conservatisme du régime politique du pays, comme des autres pays d'Asie centrale, dans les déclarations et les slogans lancés par les dirigeants kazakhstanais on peut observer une ressemblance frappante avec l'époque soviétique. Les expressions employées à propos de la Communauté eurasiatique rappellent le langage déclaratif des dirigeants soviétiques : « Nous sommes condamnés à avoir confiance l'un envers l'autre », « Les ex-républiques soviétiques sont préparées par l'histoire et par le destin à vivre ensemble », etc. 714 

      Il convient de comprendre la variante kazakhstanaise de l'eurasisme comme une aspiration des peuples et des Etats à coopérer afin de trouver une forme réelle d'intégration supranationale mutuellement acceptée.

      

      

      CONCLUSION

      

      L'implosion de l'URSS stimula la renaissance de l'eurasisme qui marqua son retour sous différents projets. La géopolitique contemporaine donna une impulsion scientifique et relança la philosophie eurasiste. Même si officiellement les autorités russes n'ont pas adopté la doctrine de l'eurasisme, l'impact de certaines de ses idées sur les politiques étrangère et intérieure de la Russie se fait sentir.

      À l'heure actuelle, l'eurasisme avec tous ses courants disparates est une des idéologies bien élaborées par les courants conservateurs présents sur la scène politique de la Russie post-soviétique. Il ne cesse de se compléter et de se perfectionner face à l'atlantisme et à l'évolution géopolitique du monde, en général. Son objectif principal est la redéfinition de l'identité russe et de la juste place de la Russie dans le monde en constant changement, à travers le prisme d'un nouvel asiocentrisme. La renaissance et la popularité de l'eurasisme montre une fois de plus combien la question de l'Orient est fondamentale, dans la réalité russe comme déjà il y a presque un siècle.

      L'eurasisme contemporain se présente comme une idéologie à « géométrie variable ». Tous les arguments, que les néo-eurasistes tirent de l'histoire et de l'héritage intellectuel russe en formulant leurs idées, sont appelés à justifier un seul but, l'Imperium. Les objectifs des partis et des mouvements vont très loin. En tant que projet géopolitique et théorie économique, les néo-eurasistes prétendent à une nouvelle conception du monde autour de laquelle peuvent s'articuler non seulement les différentes forces politiques de la Russie, mais également celles des autres pays du vaste espace eurasien.

      Du point de vue ethno-géopolitique, le néo-eurasisme tente de faire une synthèse de l'Europe et de l'Asie. En prenant ses distances vis-à-vis d'autres modèles économiques, le néo-eurasisme se prononce en faveur du modèle de la « Troisième voie » dans l'économie où les relations sont soumises à des fins stratégiques et sociales. Il est diamétralement opposé à l'atlantisme.

      L'eurasisme prend également racine dans les discours des élites turcophones de la Russie et de certaines ex-républiques soviétiques d'Asie centrale. Le séparatisme est exclu de l'eurasisme turcique, du moins semble-t-il. En revanche, il est divisé, à son tour, en différents courants, des plus modérés jusqu'aux plus extrémistes qui prônent l'intégrisme religieux. À la différence du néo-eurasisme russe, l'eurasisme kazakhstanais sous-entend la tolérance et une large ouverture de la société ainsi que l'empressement à absorber et synthétiser tout ce qui est étranger et qui servirait de base à la création d'une civilisation spécifique parfaite. Tout en gardant une vue en direction de l'Europe, du même coup, le Kazakhstan défend ardemment l'idée d'intégration économique des pays membres de la CEI.

      Les prétentions et les tentatives des eurasistes classiques de faire de leur idéologie la philosophie officielle de la Russie soviétique ne furent pas couronnées de succès. Le néo-eurasisme parviendra-t-il à réaliser le rêve le plus cher de ses prédécesseurs ? Y aura-t-il un avenir pour ce mouvement de pensée au 21e siècle ? L'eurasisme serait-il capable de répondre aux attentes des peuples et d'assumer la mission historique d'intégration ?

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      


§ 3. L'évolution des relations russo-kazakhstanaises et russo-turkmènes pendant la période post-soviétique

      

      

      Le Kazakhstan est le 6e plus grand État du monde. Au cœur de l'Eurasie, riche en hydrocarbures et comptant la plus grande communauté russe de la région (plus de 6 millions de personnes en 1989), et la deuxième plus grande au monde après celle de l'Ukraine, le Kazakhstan se retrouva dès son indépendance au centre des préoccupations prioritaires de la politique étrangère russe. Pendant plus d'un siècle et demi, il joua le rôle d'un pays de transit entre la Russie et le Turkestan russe, puis soviétique (Asie moyenne), et la Chine. À l'époque soviétique, la Russie représentait 70 % des échanges du Kazakhstan effectués à l'intérieur de l'Union, les 30 % restant revenant aux 13 républiques sœurs 715 . Dans la perception russe, le Kazakhstan se distinguait toujours des quatre autres républiques d'Asie centrale appelées Asie moyenne.

      


A. – Russie-Kazakhstan : d'une période de « romantisme » au pragmatisme poutinien

      

      Le processus de développement des relations entre la République du Kazakhstan et la Fédération de Russie pendant la période post-soviétique peut être conventionnellement divisé en trois étapes.

      Les relations bilatérales interétatiques démarrèrent dès le 16 décembre 1991, date à laquelle le Kazakhstan proclama son indépendance. Chronologiquement, ce processus avait déjà été lancé par le traité du 21 novembre 1990 entre la RSS du Kazakhstan et la RSFSR. Mais il faut tenir compte du fait que ce traité fut paraphé entre les deux républiques soviétiques faisant encore partie d'un seul État commun. L'indépendance acquise est devenue possible grâce à la situation politique formée sur l'espace soviétique à l'aube des années 1990. À cette époque, la nouvelle Russie émergente renonça subitement, semble-t-il, à ses ambitions impériales séculaires.

      Après avoir déclaré leurs souverainetés d'État, les gouvernements des deux républiques commencèrent alors à construire leurs relations sur la base du droit international comme des pays indépendants. Au début de l'établissement des rapports politiques bilatéraux, ils montrèrent leur intérêt à conserver l'espace économique commun et la zone rouble. L'indépendance était également une opportunité pour les Kazakhs de se forger réellement une identité nationale, pour la première fois dans leur histoire.

      Le traité russo-kazakhstanais d'amitié, de coopération et d'assistance mutuelle du 25 mai 1992 jeta la base du modèle de coopération économique et politique des deux États. C'était le premier accord de ce type que Moscou signait avec une ancienne république soviétique. Toutes les questions-clés des relations bilatérales y furent traitées : non-ingérence dans les affaires intérieures, respect de l'intégrité territoriale, nécessité d'un système commun de sécurité collective, garantie du droit des minorités nationales, régime de faveur dans le domaine économique, citoyenneté, etc. Les articles 2-8 du Traité sont consacrés à la collaboration des deux pays dans la sphère militaro-politique. Le Kazakhstan et la Russie s'entendirent sur une politique extérieure concertée et sur la défense collective dans le cadre d'un espace militaro-stratégique commun.

      Or, plusieurs objectifs visés ne furent pas atteints. La mise en circulation du nouveau rouble russe en juin 1993 mit fin à la période « romantique » pendant laquelle certaines élites politiques caressaient encore l'idée de la création rapide du marché et de l'espace économique communs qui devaient atténuer les conséquences néfastes causées par le démembrement de l'Union soviétique.

      La nouvelle élite politique de la Russie montra d'emblée tout son désintérêt pour la création d'une nouvelle union avec la Biélorussie et les cinq républiques centrasiatiques, qui voulaient conserver l'URSS le plus longtemps possible. C'est en partie à cause des dispositions de la nouvelle classe politique russe que les anciennes républiques soviétiques, notamment d'Asie centrale, furent « catapultées » dans l'indépendance 716 . Il faut également dire qu'une fois leurs pays respectifs indépendants, les élites nationalistes locales émergentes ne se montrèrent pas non plus trop enthousiastes sur les perspectives d'une réintégration.

      L'entente entre la nouvelle élite politique russe et l'ancienne nomenklatura soviétique du Kazakhstan nouée par simple instinct de conservation, permit d'éviter les conséquences défavorables et les affrontements indésirables dans les relations bilatérales et à l'intérieur du Kazakhstan même. La présence dans sa population de plus de 50 % de non-Kazakhs, notamment de Russes, était un argument suffisant pour prôner la préservation des liens traditionnels avec Moscou.

      

      Le fait qu'en cette période la nomenklatura kazakhstanaise réussit à rester unie, représenta, en fin de compte, un gage de stabilité pour le pays. La propagation rapide des fondements de la démocratie (élections démocratiques, transparence, réelle liberté d'expression, etc.) avec implantation au Kazakhstan de ses institutions et idées devrait amener inévitablement à la division du pays et aux conflits ethniques si on suit la logique des événements qui se déroulent dans des cas similaires (Moldavie, Géorgie, Azerbaïdjan, etc.). C'est d'autant plus probable compte tenu du fait qu'à la veille de l'indépendance certaines idées nationalistes de l'écrivain dissident A. Soljenitsyne, concernant l'appartenance des régions septentrionales du Kazakhstan à la Russie, étaient dangereusement exploitées par l'opinion publique aussi bien russe que kazakhstanaise.

      Au lendemain du démantèlement de l'URSS, le Kazakhstan était le pays caspien le plus intégré à la Russie. L'économie nationale était orientée vers la voisine septentrionale, y compris les communications principales : oléoducs, gazoducs, voies ferrées, routes, etc. C'est pourquoi, N. Nazarbaev a décidé de ne pas altérer ses relations avec Moscou avant de trouver de réelles alternatives. En coopérant étroitement avec la capitale russe, Astana chercha parallèlement d'autres points d'appui extérieurs. Cependant, son but n'était pas de remplacer la Russie, mais de diversifier et d'élargir le cercle de ses contacts afin d'augmenter le niveau de sa sécurité économique et de mener une politique étrangère plus indépendante.

      De nombreuses opinions convergent pour affirmer que toutes les ex-républiques soviétiques étaient économiquement dépendantes de la Russie. En réalité, cette dépendance n'était pas absolue, car il existait une certaine réciprocité. Dans le cas du Kazakhstan, plusieurs entreprises russes dépendaient également de fournisseurs kazakhstanais. Les principaux chemins de fer reliant la partie européenne de la Russie à la Sibérie et à l'Extrême-Orient, traversent le territoire du Kazakhstan. Il s'agit du tronçon d'environ 100 km du Transsibérien et des deux embranchements de l'Ioujsib respectivement de 700 km et 1200 km. La Russie dépend aussi du Kazakhstan pour la transmission de l'électricité de haute tension qui passe par le Nord de ce pays. La même constatation vaut pour d'autres types de communications (gazoducs, oléoducs, etc.). Côté européen, la Russie était presque entièrement dépendante de l'Ukraine en matière d'acheminement du gaz naturel : 90 % des 120 milliard de m³ de gaz sont exportés en Europe par le gazoduc Droujba 717 .

      De nos jours, la dépendance vis-à-vis du Kazakhstan existe toujours pour ce qui concerne les matières premières pour la métallurgie (chrome, cuivre, zinc, manganèse, titane, plomb, etc.) et pour l'industrie pétrolière 718  et chimique. Cependant, il ne faut pas exagérer l'importance de cette dépendance. C'est plutôt un choix délibéré, car la Russie est capable de trouver ses propres sources alternatives d'approvisionnement.

      Ces faits permettent de constater que la politique économique du centre soviétique sur la dépendance pure et simple des républiques de la Russie n'était pas fondée. Elle se construisit sur l'interdépendance économique des régions et des territoires ce qui est, par ailleurs, le cas de tout autre pays. Le « haut degré d'interdépendance » ou la « forte dépendance mutuelle des Républiques », y compris de la Russie, sont également soulignées par F. Seurot 719  et G. Duchêne 720 . Le fait que la RSFS de Russie était la plus étendue des républiques de l'Union et avait le plus grand nombre de voisins, créa naturellement cette interdépendance. Quant aux ratés, ils ne sont pas uniquement dus à la volonté et à la politique de Moscou de création d'un « cercle vicieux » entre les sujets d'Union soviétique. À l'origine de ces erreurs se trouvent aussi bien des facteurs subjectifs qu'idéologiques, l'incompétence de personnes qui prenaient des décisions d'un trait de plume.

      L'interdépendance économique est également à l'origine de la haute sensibilité des économies nationales aux cataclysmes qui traversent l'économie russe, comme, par exemple, la crise financière de l'été 1998. Cette crise encouragea la ferme volonté des dirigeants centrasiatiques de multiplier leurs efforts communs afin de se démarquer de la Russie et de continuer la recherche de nouvelles alternatives et ainsi de minimiser l'impact d'éventuelles crises comparables à celle de 1998.

      Une nouvelle étape dans les relations bilatérales russo-kazakhstanaises commença après le sommet de Moscou en mars 1994. Il se termina par la signature des 22 accords bilatéraux dont les plus importants sont le Traité d'approfondissement ultérieur de la coopération et de l'intégration du Kazakhstan et de la Fédération de Russie, l'Accord de principes et de conditions sur l'utilisation du cosmodrome de Baïkonour et le Traité de coopération militaire.

      Pour la première fois dans l'espace post-soviétique on voit apparaître des accords spéciaux concernant les droits juridiques des citoyens et ressortissants russes, en l'occurrence au Kazakhstan, et des citoyens kazakhstanais en Russie, ainsi que les mécanismes simplifiés d'acquisition de la citoyenneté russe et kazakhstanaise pour les personnes qui décident de s'établir, d'une façon permanente, en Russie ou au Kazakhstan.

      L'accord concernant le cosmodrome Baïkonour fut considéré comme un succès pour la Russie. Par cette entente, pour un délai de vingt ans, les intérêts géostratégiques de Moscou sont conservés. Selon les analystes, ce délai était plutôt conditionné par la volonté de préserver le prestige russe sur la scène internationale, notamment, dans la sphère militaro-spatiale 721 . Juridiquement, Baïkonour était devenu la propriété de l'État kazakhstanais dès le 25 mai 1992 selon le traité spécial russo-kazakhstanais de location du complexe Baïkonour, unique dans son genre. Mais de facto il était subordonné aux forces militaro-spatiales de la Russie qui faisaient partie des troupes stratégiques de la CEI. Un des articles du Traité prévoyait la présence temporaire de détachements militaires de la FR qui devaient assurer le fonctionnement des programmes cosmiques. En outre, la Russie s'engagea à concourir à la formation de spécialistes kazakhstanais dans le domaine spatial.

      Certains hommes politiques russes proposèrent que la Russie renonce au cosmodrome. Selon eux, le Kazakhstan se rendrait rapidement compte que seul il ne serait pas en mesure d'assurer le bon fonctionnement de ce site gigantesque et unique. Ainsi, il serait contraint de le céder à la Russie en acceptant ses conditions. Néanmoins, l'accord fut paraphé. Sa durée de vingt ans, était la période nécessaire pour que des travaux de réhabilitation du cosmodrome de Plesetsk aboutissent 722 . La Russie avait intérêt à moderniser rapidement le site de Plesetsk, car le loyer de Baïkonour, d'un montant de 115 millions de dollars, pesait lourdement sur le budget national. À la fin des années 1990, Moscou avait planifié pour 2005 tous ses lancements de Plesetsk, mais aujourd'hui on est encore loin de ce résultat 723 . Cette décision anticipée a été conditionnée par des exigences supplémentaires, avancées par Astana, à propos du fonctionnement du cosmodrome. Par exemple, la permission préalable de lancer des engins spatiaux et des missiles, avec une présentation détaillée, devait être demandée auprès des autorités kazakhstanaises 724 .

      

      

      

      Dans le domaine économique, le 20 janvier 1995 fut créée l'Union douanière entre la Russie, le Kazakhstan et la Biélorussie, élargie au Kirghizistan un an plus tard (1996). Cette union ne s'avéra pas efficace, comme beaucoup d'autres. En alternative à l'intégration occidentale, Almaty tenta parallèlement de former une alliance économique avec les États d'Asie centrale sans participation de la Russie. Elle chercha également à accélérer la coopération avec l'Occident, notamment dans le domaine des hydrocarbures. C'est en 1996 que commença à se profiler une autre organisation régionale avec la participation de la Chine qui recevra le nom de Forum de Shanghai. La capitale kazakhstanaise alla même très loin en proposant de créer un bataillon centrasiatique de maintien de la paix sous l'égide de l'ONU et non pas de la CEI 725 .

      Tous ces événements se produisirent sur fond de départ massif des Russes et russophones du Kazakhstan, conséquence de la dégradation des relations interethniques. Les populations partantes perdirent tout espoir de voir un jour le Kazakhstan devenir un État réellement multiethnique dans lequel les Russes auraient les mêmes droits que les Kazakhs et la langue russe serait la deuxième langue étatique. Pour éviter le risque d'éclatement du pays, dès 1997, la capitale du Kazakhstan fut transférée d'Almaty à Astana (Tselinograd/Akmola) afin d'augmenter la part de Kazakhs dans le nord du pays 726 . La libre réalisation de la kazakhisation à l'intérieur du pays était un facteur important qui poussait N. Nazarbaev à développer activement la coopération multilatérale avec la Russie. Partisan convaincu de l'intégration post-soviétique, le président kazakhstanais manoeuvra habilement entre Moscou et les forces nationalistes intérieures du pays. Il finit par réussir sur les deux fronts.

      La Déclaration d'alliance et d'amitié éternelle du 6 juillet 1998 ouvrit une nouvelle page dans les relations bilatérales. Le Kremlin se rendit enfin compte qu'il fallait abandonner peu à peu la politique d'Eltsine consistant en des efforts inopportuns de supervision de son étranger proche. La ligne pragmatique de Poutine visait à obtenir des profits d'abord économiques en construisant de rapports bilatéraux qui tiendraient compte des intérêts des deux parties. La preuve de cette nouvelle ligne politique russe est l'entente russo-kazakhstanaise sur la délimitation des fonds marins caspiens dans la partie septentrionale de la mer.

      

      En effet, la coopération bilatérale russo-kazakhstanaise peut servir d'exemple aux autres pays de la CEI. Les relations interétatiques se développent également dans le cadre des structures d'intégration post-soviétiques comme la CEI, l'Union douanière, la CEE, le Forum de Shanghai dans lesquelles Moscou et Astana sont des forces motrices. Si un jour un organisme du type de l'Union européenne voit le jour sur cet espace, la Russie et le Kazakhstan joueront le même rôle que la France et l'Allemagne dans la constitution de l'UE. De par leur seul positionnement géographique, les deux pays sont condamnés à coopérer.

      Pendant les années d'indépendance, Astana a mené une politique étrangère autonome sans être excessivement « dérangée » par sa voisine du nord. Pour la Russie, le Kazakhstan représente un allié important du point de vue économique et militaro-politique. Le Kremlin tient toujours compte du fait que N. Nazarbaev, en fait, a soutenu la position de Moscou pendant la guerre de Tchétchénie 727 .

      C'est avec le Kazakhstan que Poutine se mit initialement d'accord pour créer une OPEP du gaz. Vu sa position géographique, le pays des steppes jouerait un rôle clé dans cette union. Le facteur de « compatibilité » des élites russes et kazakhstanaise joue un rôle très important dans le développement des relations bilatérales. Il semble paradoxal que pour Moscou, se mettre d'accord avec les représentants du Kazakhstan soit souvent plus facile que de s'arranger avec les élites biélorusses 728 . Cela s'explique par les régimes politiques qui se sont établis dans ces pays et sans doute par la « complémentarité » qui existe entre les Russes et les Kazakhs si on suit la thèse des eurasistes.

      Dans tous les cas, le Kazakhstan est le plus stable des pays d'Asie centrale. L'Islam fondamental ne réussit pas à s'ancrer dans ce pays comme c'est le cas au Tadjikistan. Il a peu de sympathisants parmi la population qu'en Ouzbékistan. Le régime autoritaire, en gardant un pluralisme apparent, n'a pas dégénéré en une sorte de dictature avec un culte subtil de la personnalité comme au Turkménistan. À la différence de ce dernier, le régime autoritaire au Kazakhstan est relativement « atténué » par la présence de l'ancienne nomenklatura dite prorusse qui, en effet, est devenue pro-européenne. C'est pourquoi, en comparant avec le Turkménistan, la société kazakhstanaise reste ouverte malgré la similitude du caractère fermé des deux pouvoirs.

      Quatorze ans après la déclaration de souveraineté, l'indépendance du Kazakhstan n'est pas menacée comme auparavant. Mais cette situation peut changer après le départ de Nazarbaev qui est devenu une sorte de garant de la stabilité intérieure et de la cohésion sociale du pays. En effet, pour que l'État kazakhstanais existe et se développe, il ne faut pas que les liens séculaires avec la Russie se rompent. Une éventuelle rupture pourrait amener à l'éclatement du pays et à sa division incontournable.

      On peut conclure que pendant la période post-soviétique le Kazakhstan et la Russie se sont proposés de garder au maximum l'espace économique et de communication, les liens sociaux, le système de défense commune. Les liens traditionnels interétatiques, interparlementaires et interrégionaux n'ont pas été rompus non plus. Cette volonté de coopération afin d'atténuer les conséquences néfastes de la désintégration de l'Union soviétique était réciproque et découlait des intérêts nationaux des deux pays. Ce haut niveau de coopération était possible, car Moscou ne s'ingérait pas ouvertement et officiellement dans les affaires intérieures du Kazakhstan sur, notamment, la « question russe » dans ce pays. Les populations russes sont convaincues que leurs intérêts et leur destin ont été sacrifiés aux profits économiques et politiques de la Russie et que cette dernière n'a pas défendu leur cause.

      Après le démantèlement de l'Union soviétique, des processus contradictoires se sont déroulés dans les milieux russes du Kazakhstan, en pleine quête d'une nouvelle identité. Le nouveau statut des Russes, de leur langue et leur rôle dans la société kazakhstanaise étaient les problèmes majeurs qui se posaient. Deux processus parallèles eurent lieu dans le jeune État : la politisation des ethnies et l'« ethnisation » des processus politiques. Il s'agit de la kazakhisation des postes clés dans les structures politiques et économiques de l'État dont les résultats sont spectaculaires 729 . Plusieurs facteurs étaient présents : le manque d'expérience dans la construction étatique, l'envie de montrer sa capacité et son importance parmi d'autres peuples « reconnus » dans l'histoire, l'explosion de l'identitaire, le nouveau statut de l'ethnie titulaire, etc. Une certaine mythification du passé et de l'histoire des Kazakhs accompagnait ces processus.

      Ces problèmes parmi beaucoup d'autres ont créé une extrême tension psychologique, une atmosphère de nervosité, en créant ainsi de nombreuses spéculations et manipulations politiques. Le gouvernement et l'élite politique kazakh redoute beaucoup la politisation de la « question russe » au Kazakhstan, car la présence de la composante slave représente encore un facteur prépondérant dans la vie sociopolitique de la république. C'est pourquoi le facteur russe est constamment pris en considération dans la politique de l'État kazakhstanais, intérieure comme extérieure. C'est lui qui pousse le gouvernement national à « courtiser » Moscou en lui offrant des contreparties économiques non négligeables.

      Ainsi, si la situation des Russes au Kazakhstan empire, la Russie pourrait éventuellement être confrontée à des conflits potentiels entre les populations russe et autochtone dans les régions où elles sont encore nombreuses. Une telle dégradation de la situation entraînerait inévitablement un afflux de réfugiés. Tout dépendra des circonstances qui suivront le départ du pouvoir de Nazarbaev.

      Pour résumer, les facteurs géopolitiques qui constituent la base de développement des relations russo-kazakhstanaises et qui définissent l'importance du Kazakhstan pour la Russie dans l'espace post-soviétique et, au sens plus large, dans l'espace eurasien, sont :

      la position géographique du Kazakhstan au centre de l'Eurasie, entre les mondes centrasiatique, chinois et russe, avec 11 900 km de frontières ;

      la frontière commune très étendue (6 467 km), la présence de plusieurs fleuves transfrontaliers (Oural, Irtych, Tobol, Ichim) et la partie septentrionale de la Caspienne partagées entre les territoires des deux États ;

      la surface non négligeable de son territoire (2 717 300 km²) qui induit sa vocation de transit pour accéder à l'Asie centrale, la Chine, l'Inde et l'Iran ;

      la présence d'importantes réserves de ressources minérales ;

      une histoire commune de plus de 300 ans dans le cadre des États communs qui est à l'origine de l'interaction des cultures, des processus d'intégration économique et politique, des flux migratoires ;

      la communauté économique établie durant des décennies, la répartition territoriale de la main d'œuvre ;

      la composition confessionnelle unique musulmano-chrétienne du pays qui en fait un espace intermédiaire entre les mondes chrétien (en l'occurrence orthodoxe) et musulman ;

      la composition ethnique avec la présence sur place d'importantes minorités d'origine européenne (russe, ukrainienne, biélorusse, allemande, polonaise).

      Les facteurs géopolitiques qui fragilisent le Kazakhstan, restreignent sa marge de manœuvre, limitent ses choix et le rendent dépendant de ses voisins sont :

      l'enclavement du pays, sans accès direct à l'océan mondial ;

      les infrastructures sous-développées qui ne valorisent pas pleinement sa vocation de transit ;

      l'éloignement géographique de l'Europe occidentale avec ses traditions démocratiques séculaires ;

      l'instabilité politique de l'Asie moyenne voisine avec qui les frontières sont quasi transparentes ;

      les conditions écologiques alarmantes dans les bassins des mers Caspienne et d'Aral, dans le polygone nucléaire de Semipalatinsk, etc. ;

      les processus migratoires en direction de l'ouest qui changent sensiblement la composition ethnique et confessionnelle du pays en la rendant davantage fragile.

      


B. – Russie-Turkménistan : des relations politiques épineuses

      

      Avant les événements de 1917, lorsqu'on demandait aux Turkmènes, Kirghizes ou Tadjiks quelle était leur nationalité, ils répondaient « Musulmans ». Les nations proprement dites n'existaient pas. Il existait des « unités ethniques avec leurs propres caractéristiques, leurs coutumes, leur territoire, chaque unité pouvant entrer en conflit pour la possession de la terre et de l'eau » 730 . Historiquement, l'aire turkmène fut composée des tribus nomades qui avaient un « vague sentiment d'appartenance nationale » 731 . La rivalité entre eux freinait le processus de formation d'un État turkmène centralisé. Même à l'époque soviétique, les différentes hiérarchies (parti communiste, soviets, milice) établies par le système communiste, furent noyautées par des clans 732 .

      Paradoxalement, le laurier de l'unification des tribus rivales n'appartient pas aux Turkmènes mêmes, mais à une force extérieure. C'est l'Empire russe qui se chargea de les unifier sous son contrôle rigide. Bien évidemment, il poursuivait ses propres fins stratégiques, mais les Turkmènes, en fin de compte, étaient aussi bénéficiaires de la politique impériale.

      Après l'échec du coup d'État en août 1991, Niazov, auparavant partisan ardent de la conservation de l'Union soviétique, « retourna rapidement sa veste pour épouser la cause nationale » 733 . Une nouvelle identité turkmène était à reconstruire. Le « père de tous les

      

      Turkmènes » (Turkmenbachi) s'y attela à sa manière. Il commença à Gueok-Tepe en annonçant la construction d'un musée consacré à la résistance armée du peuple turkmène contre les Russes 734 . En fait, c'est après la chute de Gueok-Tepe (1881) que le Turkménistan fut intégré à l'Empire russe. L'identité turkmène a été ensuite « moulée », forgée à coup de dictat par Turkmenbachi. Ce processus identitaire s'apparente à celui qui se déroulait sous le régime de Staline ou de Kim Jong-il en Corée du Nord.

      Pendant la période soviétique encore, se distingua parmi les Turkmènes une couche sociale appelée Euroturkmène sur laquelle s'appuyait traditionnellement le centre soviétique. En réalité, la formation des premiers groupes d'Euroturkmènes remonte à l'époque des tsars 735 . De nos jours, la Russie actuelle pourrait continuer cette tradition séculaire en s'appuyant aussi sur les Euroturkmènes comme ses prédécesseurs. Cependant, en l'absence d'idéologie communiste unificatrice, ceux-ci se retrouvèrent divisés en deux : les Euroturkmènes des régions et ceux de la capitale, toujours dans une position hégémonique. De plus, les anciens Euroturkmènes ont été évincés par ceux de la période post-soviétique, formés dans d'autres pays que la Russie, notamment en Occident et en Turquie.

      Une partie de l'ancienne élite a émigré volontairement avec les populations russes et russophones du pays. L'autre a été contrainte à l'émigration. Elle compléta en partie les rangs de l'opposition nationale de l'étranger concentrée principalement à Moscou 736 . En effet, au Turkménistan, toute dissidence est sévèrement réprimée. Il est donc impossible de mener une lutte politique quelconque dans les conditions politiques actuelles formées sous dictat de Niazov. Le savant turkmène Ch. Kadyrov voit une des causes du régime totalitaire au Turkménistan dans le petit nombre de partisans et de sympathisants de la culture politique « pro-européenne » implantée dès l'annexion des terres turkmènes par l'Empire russe, « chargé de mission civilisatrice » et d'« européanisation » des allogènes asiatiques. Selon l'auteur, la présence des grandes aires de populations russes au Kazakhstan et au Kirghizistan a atténué considérablement l'autoritarisme post-soviétique dans ces deux pays, ce qui n'est pas le cas pour les trois autres républiques d'Asie centrale, dont le Turkménistan, où la communauté russe était la moins nombreuse 737 .

      Quant à la composante confessionnelle de la nouvelle identité turkmène, elle est présente dans la vie quotidienne sous la forme de construction de mosquées gigantesques et du regain d'une certaine activité religieuse, mais la foi imposée envers Turkmenbachi semble plus forte qu'envers la croyance. La tolérance religieuse est une des particularités du sentiment national turkmène 738 . Traditionnellement nomades, les Turkmènes ne se distinguaient jamais par une religiosité exacerbée. L'athéisme marxiste « profita » bien de cette circonstance pour séculariser la société turkmène. Mais les confréries soufies restèrent néanmoins actives en dépit de toutes les représailles des autorités communistes. En 1984, le pays n'avait plus que 4 mosquées en activité sur les 500 recensées en 1917 739 .

      À l'heure actuelle, le Turkménistan ne compte aucune organisation islamique bien constituée. Il n'existait que le Parti de la renaissance islamique mais sous un statut informel, car officiellement il est interdit. Enfin ajoutons que Niazov fut le premier dirigeant centrasiatique qui effectua son hadj à La Mecque.

      À la suite de la dissolution de l'URSS, le 27 octobre 1991, le Turkménistan proclama son indépendance, un an après avoir déclaré sa souveraineté d'État (le 22 juin 1990). Achkhabad refusa d'emblée d'adhérer au TSC lors du sommet de Tachkent en mai 1992. Cependant cela ne signifiait pas encore que le Turkménistan songeait à élaborer une politique étrangère et intérieure anti-russe. Au contraire, la constitution nationale adoptée en 1992, reconnaît le russe comme langue de communication interethnique. Encore premier secrétaire du Parti communiste, Niazov même réclama deux langues officielles, dont le russe 740 . En effet, le Turkménistan et le Tadjikistan, jusqu'en 1995, étaient les seuls pays post-soviétiques ayant accordé le droit de double citoyenneté aux ressortissants russes. Enfin, l'Islam et l'orthodoxie sont devenus les seules religions autorisées au Turkménistan. Mais tout cela n'était que temporaire.

      La dégradation ultérieure des relations bilatérales était imprévisible comme, par ailleurs, toute la politique intérieure et extérieure du Turkménistan. Il est vrai que Moscou ne se montra pas exaltée par ces gestes d'Achkhabad qui attendait une réciprocité. Les concessions russes dans le domaine économique étaient vitales pour la fragile indépendance turkmène. C'était d'autant plus important que le gaz extrait dans la république ne pouvait être exporté que par le réseau russe de gazoducs. De toute évidence, le Kremlin considérait les concessions turkmènes naturelles, à la limite de l'obligation vu la situation géopolitique du Turkménistan. Une chose que les Russes n'ont pas prise en compte c'était la dérive autoritaire de la construction de l'État de cette ancienne république soviétique où la vexation personnelle du dirigeant autoritaire pourrait se répercuter sur les directions générales de la politique aussi bien intérieure qu'extérieure. Cela se traduisit par un changement d'attitude à l'égard de la communauté russe du pays, et au sens plus large, d'une dégradation progressive des relations bilatérales.

      Dès la fin des années 1990, les rapports russo-turkmènes empirèrent. Aux querelles avec Gazprom s'ajouta le changement de position russe à propos du statut juridique de la Caspienne qui laissa Achkhabad et Téhéran minoritaires. L'apogée de la dégradation des relations bilatérales fut l'abolition unilatérale de la double citoyenneté pour les Russes du Turkménistan qui eut lieu en 2003. La riposte de l'État russe aux humiliations fréquentes et à la discrimination ouverte des populations russes fut faible, à l'étonnement général. C'est sans doute le gaz turkmène bon marché qui est acheminé vers les consommateurs par le réseau russe de gazoducs qui expliqua la réaction officielle du Kremlin. La communauté internationale, à part de rares exceptions 741 , resta également silencieuse 742 .

      

      

      C'est pendant cette période que Gazprom signa un accord concernant la construction d'un gazoduc via le Kazakhstan destiné aux exportations de gaz turkmène. Cela traduisait les inquiétudes de Moscou liées à l'éventualité de la réalisation du projet de gazoduc transafghan qui aurait une double répercussion négative sur la Russie. Elle placerait hors du contrôle russe les flux gaziers en la privant d'importantes recettes. La variante de Gazprom est moins coûteuse et fait encore plus ombrage au projet concurrent. Enfin, il existe la question des dettes de Moscou vis-à-vis d'Achkhabad d'un montant de 107 millions de dollars qui se trouvaient sur les actifs de Vnechekonombank au moment de l'implosion de l'URSS 743 . Cet argent appartenait aux entreprises turkmènes. Il semble que Turkmenbachi utilise de temps en temps cette carte afin d'obtenir des concessions de la part de Moscou.

      Parallèlement, la Russie commença à gagner les marchés visés, entre autres, par Achkhabad. Il s'agit tout d'abord du marché turc. La construction du Blue stream anéantit la nécessité de construire le gazoduc transcaspien. Dans tous les cas, la dépendance du Turkménistan par rapport à la Russie à court et moyen terme est évidente. La république n'a pas d'autres choix que de s'entendre avec Moscou, plus précisément, avec Gazprom, car il n'a tout simplement pas d'autres marchés où fournir son gaz, excepté une petite quantité qu'il exporte en Iran.

      Il existe très peu de sources fiables concernant la situation intérieure du pays. En 1994, le Turkménistan déclara solennellement sa neutralité à la tribune de l'ONU. Depuis lors, il suit « avec succès » sa politique d'isolement régional et international. En effet, la « neutralité positive » d'Achkhabad est très contradictoire. À cause d'elle, les relations avec ses voisins immédiats et Moscou se sont dégradées en poussant le Turkménistan à se replier davantage sur lui-même. La capitale turkmène introduisit le régime de visa avec les pays membres de la CEI, y compris ses frères turcophones d'Asie centrale 744 , et abrogea l'accord russo-turkmène à durée indéterminée concernant la défense commune des frontières, notamment avec l'Afghanistan. Ainsi, le Turkménistan est devenu le seul État post-soviétique qui eut recours à l'introduction des visas avec tous les pays. En s'investissant pleinement dans le renforcement de ses nouvelles frontières, en réalité, il se coupa du reste du monde par le « rideau de neutralité ».

      En décembre 1999, le Parlement turkmène mit la Constitution en conformité avec la volonté de Niazov de rester « président à vie » du Turkménistan en précisant que le « premier président élu par le peuple entier bénéficie du droit exclusif à une présidence à vie » 745 .

      Les contradictions existant dans la vision du monde du leader turkmène ont laissé leur empreinte sur la politique étrangère de la jeune république qui est pleine d'imprévisibilité. Achkhabad noua des relations aussi bien avec les Talibans qu'avec l'Alliance du Nord dirigée par l'ouzbek Dostoum. Pendant les années de gouvernance des Talibans, le commerce frontalier a rapporté au Turkménistan plus de 100 millions de dollars par an 746 . Par la suite, Achkhabad refusa de collaborer avec l'Occident dans la guerre anti-terroriste d'Afghanistan, altérant ainsi ses rapports avec les États-Unis. Il rejeta notamment la demande de Berlin de se servir des aérodromes turkmènes, hérités de l'URSS, pour le déploiement du contingent allemand 747 . Finalement, la capitale turkmène se limita au transport des cargaisons humanitaires destinées à l'Afghanistan.

      On ne rencontre pas le Turkménistan parmi les membres de la CEE, du Forum de Shanghai, du GUUAM ou de l'Alliance eurasienne des producteurs de gaz (l'OPEP du gaz). Récemment, pendant le sommet de Kazan (le 26 août 2005), Achkhabad a également annoncé son changement de statut d'État membre de la CEI par celui de membre associé 748 . Selon Turkmenbachi, cette démarche politique découlait du statut de pays neutre et de la volonté de ne rallier aucune alliance militaire ou politique prévoyant une responsabilité commune.

      Face au changement de la politique russe à l'égard de l'Asie centrale, le Kazakhstan et le Kirghizistan, tout en gardant des relations de bon voisinage avec l'ancienne métropole, s'activent dans la recherche de nouveaux partenaires pour contrebalancer ce dernier, tandis que le Turkménistan et l'Ouzbékistan se démarquent de plus en plus de Moscou. L'éloignement d'Achkhabad de la Russie est accompagné par un rapprochement avec l'Iran.

      Le Turkménistan d'aujourd'hui est un des pays les plus pauvres et les moins développés de l'espace post-soviétique avec un « régime aussi rocambolesque que totalitaire » 749 . Il a des relations tendues avec Bakou (gisements litigieux) et Tachkent (contentieux du lit d'Amou-Daria, revendications de la minorité ethnique ouzbek, responsabilité ouzbek présumée dans la tentative d'attentat contre Turkmenbachi en 2003). Avec Astana et Téhéran les contacts sont plutôt bons. Mais il faut envisager des changements positifs après le départ, forcé ou volontaire, de Niazov. En cas de soulèvement intérieur, Niazov ne peut pas compter sur le soutien de la Russie. Au maximum, il peut espérer un refuge à Moscou, comme son homologue kirghize qui, par ailleurs, était prorusse, mais n'a pas réussi à bénéficier de l'aide politique et militaire du Kremlin. D'autres scénarios restent également possibles, comme par exemple, le refuge à Téhéran ou à Astana, ou encore à la Ceausescu.

      


C. – Le volet militaire des coopérations bilatérales

      

      Par rapport à ses voisins, les forces armées kazakhstanaises apparurent relativement tard. Compte tenu de la composition ethnique de la république, Almaty fut confronté à un dilemme : qui doit constituer le noyau de la future armée ? Une armée essentiellement kazakhe serait susceptible de provoquer le mécontentement des populations russes. En cas de création d'une armée multiethnique (russo-kazakhe), peut-on compter sur sa loyauté ? Ce fut une des raisons pour laquelle le président kazakhstanais Nazarbaev s'opposa jusqu'à la fin à la dissolution de l'URSS et notamment de ses forces armées en prônant un commandement commun du système soviétique de défense déjà existant. Néanmoins, en adoptant cette prise de position particulière, le Kazakhstan se trouva isolé parmi ses voisins.

      Le processus de formation de l'armée nationale devint ainsi inévitable, mais avec le concours de la Russie et des Russes habitant le Kazakhstan. Une alliance étroite avec Moscou était également un gage contre une éventuelle pression de la part de sa puissante et redoutable voisine, la Chine, avec qui le Kazakhstan possède une longue frontière. Pékin a toujours eu des prétentions territoriales vis-à-vis de l'ex-URSS qui se sont soldées par des escarmouches armées. C'est pourquoi, Astana est membre fidèle du TSC et reste sous le bouclier russe en matière de défense.

      Le premier bloc d'accords russo-kazakhstanais dans le domaine militaire, notamment le Traité de coopération militaire, fut paraphé le 28 mars 1994. Une situation très curieuse se créa dans les relations militaires bilatérales qui témoigna du haut niveau de confiance mutuelle et de la volonté des deux pays de ne pas couper brusquement avec l'histoire antérieure commune. Selon l'accord, les militaires russes, citoyens de la Fédération de Russie mais habitant d'une façon permanente au Kazakhstan, pouvaient être embauchés par l'armée nationale. De plus, ils étaient exempts de prêter serment à l'État kazakhstanais. Ils se contentaient de s'engager auprès du Ministère de la Défense du Kazakhstan à exercer consciencieusement leurs obligations dans le cadre de leur service militaire 750 . Il faut dire aussi qu'Almaty n'avait pas tellement le choix, car 95 % des officiers postés au Kazakhstan étaient d'origine slave 751  et il convenait de trouver une solution de compromis. C'est pourquoi N. Nazarbaev se prononça pour le maintien d'un commandement conjoint de l'armée soviétique, mais sous la tutelle de la CEI 752 . Cette vision n'était que temporaire et, aussitôt, la Russie mit fin au commandement conjoint des forces stratégiques en poussant ainsi le Kazakhstan à constituer sa propre armée nationale.

      Sur les plans militaire et sécuritaire, l'importance du Kazakhstan pour Moscou était considérable. Les steppes kazakhstanaises jouaient le rôle d'une zone tampon, d'un rempart stratégique pour la Russie contre toute sorte de pénétration provenant d'Asie centrale et de Chine. Le système de première alerte de Balkhach et 54 centres de contrôle radar faisaient partie de la défense anti-aérienne. Le centre de test de missiles de Sary Chaghan avait toujours un grand intérêt pour la défense militaire russe, notamment en ce qui concernait la surveillance de lancements hypothétiques de missiles provenant du sud.

      L'importance du territoire kazakhstanais était amplifiée par l'existence du polygone d'essais nucléaires de Semeï (Semipalatinsk) et de l'arme nucléaire à disposition des forces nucléaires stratégiques de la Fédération de Russie reconnue par Almaty. Le Kazakhstan abritait des missiles intercontinentaux avec quelque 1 400 ogives nucléaires. C'est pourquoi les accords militaires avec le Kazakhstan étaient au centre des préoccupations du Kremlin dès le début de l'établissement des relations bilatérales interétatiques. La présence de ces installations militaires eut une double importance pour Almaty. D'un côté, ce fut un élément valorisant lors des négociations avec Moscou et l'Occident, tous deux inquiets de voir le nombre d'État possédant l'arme nucléaire proliférer. De l'autre, ce fut une menace, car le pays n'avait pas de spécialistes capables de gérer l'arsenal nucléaire hérité.

      Ainsi, les accords militaires portèrent, en premier lieu, sur le statut des forces nucléaires installées sur le sol du Kazakhstan, des sites, des équipements et des polygones, sur le statut juridique des détachements militaires russes stationnés au Kazakhstan, etc. Les deux capitales se mirent d'accord sur le fait que la présence des forces nucléaires sur le territoire kazakhstanais était temporaire. En 1996, le retrait des missiles balistiques intercontinentaux du territoire kazakhstanais fut achevé. La même année fut démontée la dernière charge nucléaire du polygone de Semipalatinsk 753 .

      Le Traité de coopération militaire fut suivi par la signature de celui de coopération technico-militaire. Depuis le 21 avril 1995, le Kazakhstan est devenu un État dénucléarisé 754 . Toutes les ogives nucléaires ont été démantelées et détruites. La rapidité relative de ces actions a été conditionnée par la volonté de la Russie et des capitales occidentales de « minimiser toute possibilité de réanimation des bases nucléaires de missiles au Kazakhstan » 755 . En appréciant la volonté d'Almaty de se débarrasser de l'arme nucléaire, Moscou et Washington s'engagèrent à compenser ces pertes du potentiel militaire du Kazakhstan sous forme financière ou matérielle (livraisons d'équipements, de techniques et de munitions militaires). Selon l'accord spécial conclu à ce propos le 24 juillet 1995, la Russie, en particulier, transmit au Kazakhstan des bombardiers stratégiques. Avant de se dénucléariser, Almaty, comme Minsk et Kiev, reçut des garanties pour sa sécurité nationale de la part de la Russie, de la Grande-Bretagne, des États-Unis, ainsi que de la France et de la Chine 756 .

      Astana ne rompit pas non plus la coopération établie de longue date avec la Russie dans la formation des cadres militaires. Par exemple, en 2000, 1 100 militaires kazakhs ont fait leurs études dans les 48 établissements militaires russes 757 . Dans les ultérieures années ce chiffre baissa tout en restant néanmoins important : par exemple, plus de 400 jeunes officiers en 2002 758 . Cependant, le Kazakhstan ne souhaitait pas trop se placer entièrement dans le giron de Moscou. En se proposant de renforcer sa sécurité nationale, il développa prudemment des contacts militaires avec d'autres pays (les États-Unis et l'UE représentés par l'OTAN, et la Chine). Dès 1994, le pays est devenu membre du programme Partenariat pour la paix. Depuis 1996, le bataillon centrasiatique spécial, créé à l'initiative personnelle de Nazarbaev conjointement avec Tachkent et Bichkek, est formé par des instructeurs de l'OTAN. Avec le temps, Moscou fut contraint de se résigner à de telles velléités d'émancipation de son « ventre mou ».

      Astana, pour sa part, s'efforça de ne pas provoquer la Russie en instrumentalisant ses contacts militaires avec l'Occident et la Chine, pour ne pas suivre l'exemple de certains membres de la CEI et afin d'en tirer le meilleur profit à court terme. Par exemple, après le 11 septembre, le Kazakhstan se déclara prêt à offrir son territoire pour le déploiement de bases militaires de l'Alliance atlantique sans toutefois accueillir les troupes de la coalition antiterroriste. En revanche, il autorisa le survol et le ravitaillement des avions sur son territoire 759 . Lors de la guerre en Irak, Astana s'aligna sur la position de Moscou plutôt que sur celle de Washington 760  à la différence de certains autres pays de la CEI (Géorgie, Azerbaïdjan). Enfin, le Kazakhstan reçut discrètement l'aide militaire chinoise destinée aux forces armées kazakhstanaises, sans contrepartie, pour un montant de 3 millions de dollars 761 .

      Actuellement, en Russie il existe encore des forces politiques qui se prononcent pour la révision de la frontière russo-kazakhstanaise. Un tel développement de la situation risque d'avoir des conséquences néfastes : le conflit interethnique au Kazakhstan, la création d'une vaste zone d'instabilité aux frontières méridionales de la Russie, la perte de l'Asie centrale. C'est sans doute une des causes pour laquelle la Douma d'État mit du temps à ratifier le Traité militaire russo-kazakhstanais. Ce dernier fut signé en mars 1994, ratifié par le parlement du Kazakhstan en octobre de la même année et par la Douma d'État en février 1998 762 .

      La position géographique du Kazakhstan définit d'emblée son importance pour la sécurité nationale de la Russie. Après l'indépendance des pays d'Asie centrale, la frontière méridionale de la Russie avec le Kazakhstan devint presque transparente (exceptés quelques postes de douane), de même entre le Kazakhstan et ses voisins centrasiatiques. Dès le début, Moscou souhaita que les nouveaux États partagent avec elle le même souci lié à la protection des frontières extérieures. C'est pourquoi, au lendemain de la création de la CEI (le 30 décembre 1991), à Minsk, les États membres signèrent un accord concernant les forces armées et les gardes-frontières. Mais cet accord resta lettre morte à cause de divergences d'opinions entre leaders nationaux. Le 6 juillet 1992, fut créé le Conseil des commandants des troupes armées de gardes-frontières de la CEI dont les membres étaient l'Arménie, la Biélorussie, le Kazakhstan, le Kirghizistan, la Russie, le Tadjikistan et l'Ouzbékistan. Le principe de base était la reconnaissance par des États membres du fait que leurs frontières extérieures sont également les frontières communes de la CEI, ce qui donnait à Moscou le droit de participer à la protection de ces dernières. Si, à cette époque, la Russie avait quitté l'Asie centrale, la situation politique aurait vite dégénéré dans la région. Il était tout à fait possible que les États tiers interviennent également.

      Pour équiper la nouvelle frontière russo-kazakhstanaise très étendue (6 846 km) d'installations militaires modernes, la Russie aurait besoin d'une augmentation considérable de son budget militaire. L'économie russe en crise n'est pas en mesure de fournir le lourd poids de telles dépenses, au moins dans un avenir proche. C'est la raison pour laquelle Moscou a signé des traités d'amitié, de coopération et d'assistance mutuelle avec le Kazakhstan, l'Arménie, l'Azerbaïdjan, etc., dont certaines clauses spéciales prévoyaient une coopération dans le domaine de la défense commune. De nos jours, la quasi transparence de la frontière russo-kazakhstanaise ne permet pas de contrecarrer efficacement le trafic de drogue, d'armes, de contrefaçon, ainsi que le passage des migrants illégaux venant d'Asie centrale et de Chine.

      

      

      

      

      Dès le milieu des années 1990, de nombreux officiers et militaires russes faisaient leur service dans les forces armées du Turkménistan. Cela était conditionné par deux facteurs : le manque de cadres militaires nationaux et la double citoyenneté des Russes résidant dans le pays. Le commandant en chef du groupe opérationnel du département de la Défense et des gardes-frontières russes stationnés sur le territoire de la république faisait partie du Conseil de Défense et de Sécurité nationale du Turkménistan 763 . Or, cela ne s'expliquait pas par le choix délibéré d'Achkhabad, car 95 % des officiers en poste avaient des origines non-turkmènes 764 .

      De surcroît, la Russie s'engageait à former une garde frontalière nationale qui devait ultérieurement remplacer les forces russes. Plusieurs autres centaines de Turkmènes furent envoyés dans les établissements militaires de la Russie, et aussi de l'Iran, de la Turquie et du Pakistan. Les gardes-frontières russes quittèrent définitivement le sol du Turkménistan en mai 1999. Ainsi prit fin le commandement conjoint russo-turkmène.

      Ainsi, si au début des années 90, les gardes-frontières russes se trouvaient au Turkménistan, au Kirghizistan, au Tadjikistan, en Arménie et en Géorgie, aujourd'hui ils ne sont plus présents que sur les frontières afghano-tadjike, arméno-turque et arméno-iranienne. Moscou présente actuellement le plan complet d'évacuation de ses troupes de la frontière turco-géorgienne d'ici à 2008.

      Achkhabad noua également des relations avec l'OTAN. Ce dernier abandonna momentanément ses principes démocratiques de ne pas coopérer avec les régimes totalitaires considérés toujours comme incompatible avec sa politique pratiquée 765 . De surcroît, l'Alliance atlantique aide Achkhabad dans ses acquisitions d'armements, de même que l'Iran qui fournit des bâtiments de guerre susceptibles d'être utilisés contre l'Azerbaïdjan 766 .

      

      

      CONCLUSION

      

      En dépit des prévisions pessimistes, les relations russo-kazakhstanaises post-soviétiques se développèrent d'une manière stable, sans complications sérieuses. Le conservatisme du régime politique du Kazakhstan, contrôlé principalement par l'ancienne nomenklatura soviétique, s'avéra en fin de compte bénéfique pour la stabilité du pays malgré les multiples problèmes qui touchaient directement la communauté russe locale et les rapports interétatiques avec la Russie. Ce conservatisme préserva le pays de l'éclatement.

      Du côté russe, deux facteurs favorisèrent le bon déroulement des relations bilatérales : le processus de démocratisation annoncée en Russie et le désintérêt de la nouvelle élite politique russe à l'égard de la création d'une nouvelle union, notamment avec la participation de l'Asie centrale. Mais le haut niveau d'intégration et l'interdépendance économique poussèrent les deux pays à ne pas rompre brutalement les liens d'antan.

      En treize ans, des accords importants furent signés dans les domaines de l'économie, de la coopération spatiale et des unions d'intégration. Dans sa politique étrangère et dans l'appréciation des événements politiques qui se déroulèrent au sein de la Russie et dans le monde, le Kazakhstan s'aligna souvent sur la position de la Russie. Le président kazakhstanais, partisan ardent de l'intégration post-soviétique, proposa le projet le plus grand et le plus ambitieux de création d'un système global de sécurité sur le continent européen, projet qui resta lettre morte. Pour ne pas se voir être encore accusée d'une « nouvelle poussée impériale », la Russie resta sur une position d'attente.

      Les deux parties ont évité la politisation de la « question russe » au Kazakhstan ce qui rendit la région stable. Cependant, rien n'est clair et l'on ne sait pas comment se développeront les événements après le départ de Nazarbaev. Ainsi, un conflit hypothétique entre les Kazakhs et la plus importante minorité du pays n'est pas complètement écarté. Un conflit sérieux pourrait amener à une révision des frontières existantes.

      Après l'arrivée au pouvoir de Poutine, les relations bilatérales sont devenues économiquement plus pragmatiques et politiquement moins interventionnistes.

      Le niveau de dégradation des relations russo-turkmènes était imprévisible. Le régime dictatorial de Niazov a anéanti toute opposition, pro-islamique et prorusse, à l'intérieur du pays. Privée de l'appui traditionnel des élites prorusses appelées les Euroturkmènes, la Russie a eu du mal à défendre ses compatriotes dont la situation a été l'une des plus dramatiques parmi les communautés russes des pays de la CEI, ou n'a pas voulu trop s'engager. Initialement la plus privilégiée (double citoyenneté, espace linguistique relativement moins restreint), elle est devenue victime, d'une part, des divergences politiques et économiques entre la Russie et le Turkménistan et d'autre part, du régime autoritaire turkmène.

      Dans la nouvelle géopolitique de la région, le territoire du Kazakhstan est devenu une zone tampon entre la Russie et l'Asie centrale du Sud instable. Quant au divorce militaire, il se passa sans complications. La Russie contribua largement à la constitution des armées nationales kazakhstanaise et turkmène aussi bien par les techniques mises à disposition que par la présence continue de cadres militaires russes. La dénucléarisation des steppes kazakhstanaises se produisit également avec succès, tout comme le départ des troupes militaires russes du territoire turkmène.

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      


CHAPITRE II
LA CASPIENNE MÉRIDIONALE ET D'AUTRES ENJEUX GÉOPOLITIQUES : TOUTE UNE POLITIQUE EN CONSTRUCTION

      

      

      Une fois l'épreuve de la nouvelle approche pragmatique testée avec le Kazakhstan, la Russie fit un nouvel essai avec l'Azerbaïdjan. Elle a également été contrainte de s'accomoder à une cohabitation dans cette zone, qui fait partie de son périmètre de sécurite, tout en cultivant un nouveau comportement avec les puissances présentes comme l'Iran, les États-Unis et la Turquie. La rivalité et le partenariat, souvent subi, se succèdent. Les jeunes États, à leur tour, essayent de manœuvrer entre les géants proches et lointains afin de tirer le meilleur profit pour leurs fragiles indépendances.

      

      


§ 1. L'évolution des relations russo-azerbaïdjanaises pendant la période post-soviétique

      

      

      L'Azerbaïdjan appartient à ce petit groupe de républiques caucasiennes qui tentent de se structurer depuis l'effondrement de l'URSS. Sur l'échiquier de la Caspienne, il occupe une place singulière. Situé au bord de la mer, ce pays de taille modeste est coincé entre deux géants : la Russie, au nord et l'Iran, au sud. L'Azerbaïdjan est le seul pays du Caucase du Sud qui a des origines ethnique et linguistique communes avec les États centrasiatiques. Il est une sorte de pont entre les deux régions stratégiques, le Caucase du Sud et l'Asie centrale, qui sont réunies par la mer Caspienne.

      Ainsi, sa situation géographique exceptionnelle permet d'étudier le pays au travers de trois entités géopolitiques : le Caucase du Sud, la Caspienne et l'Asie centrale. Zbigniew Brzezinski dans son célèbre livre Le Grand échiquier décrit ainsi le rôle géopolitique du pays du pétrole pour l'Eurasie : « L'Azerbaïdjan indépendant pourrait devenir un corridor qui donnerait accès pour l'Occident au bassin de la mer Caspienne et à l'Asie centrale riches de ressources énergétiques. Par contre, l'Azerbaïdjan soumis signifierait le possible isolement de l'Asie centrale du monde extérieur et la vulnérabilité politique face à la pression de la Russie dans le but d'une réintégration » 767 . Nous orienterons ici notre analyse de l'Azerbaïdjan sur son appartenance à la région Caspienne dans son sens étroit qui n'englobe que les territoires des cinq pays riverains.

      


A. – Le facteur russe dans la vie politique de l'Azerbaïdjan dans les années 1990

      

      De nombreuses circonstances poussèrent l'Azerbaïdjan, dès les premiers jours de son indépendance, à un nationalisme extrême :

      le déclenchement du conflit ethnique du Haut-Karabakh (1988) ;

      l'intrusion de l'armée soviétique à Bakou (1990) ;

      la situation géopolitique favorable ;

      le « parrainage » de la Turquie ;

      l'existence des immenses réserves d'hydrocarbures caspiens.

      Les relations diplomatiques russo-azerbaïdjanaises furent établies le 4 avril 1992. Lors de la période post-soviétique, la politique de l'Azerbaïdjan indépendant vis-à-vis de la Russie subit plusieurs changements, chacun d'entre eux concordant avec l'arrivée d'un nouveau président.

      Le premier président azerbaïdjanais, Aïaz Moutalibov (septembre 1991 – mars 1992), était issu de la nomenklatura soviétique. Imposé par Moscou avant la dissolution de l'URSS, il occupait le poste de premier secrétaire du parti communiste républicain (1990). Il était toujours au pouvoir lorsque la crise du Haut-Karabakh prit de l'amplitude. Cependant, l'orientation prorusse de Moutalibov n'était pas absolue et sa position changeait à l'égard de la Russie selon le développement de la situation au Karabakh. Ainsi, en 1992, un peu avant de quitter son poste, il se prononça catégoriquement pour l'évacuation des bases militaires russes du territoire azerbaïdjanais. C'est également sous sa gouvernance en automne 1991 que la Russie fut exclue du consortium international pétrolier. En mars 1992, après l'offensive victorieuse des forces arméniennes au Karabakh, Moutalibov fut contraint à la démission.

      Le deuxième président, Aboulfaz Eltchibeï (mai 1992 – juin 1993), dissident nationaliste, était passé par la prison soviétique. Leader du Front national, il privilégia les relations avec la Turquie, les États-Unis et l'OTAN à celles avec la Russie. Il infléchit sa politique étrangère vers une complète émancipation de l'influence de Moscou et renonça même à parler publiquement russe. Il réussit à signer un accord (1992) prévoyant l'évacuation des troupes russes du territoire de l'Azerbaïdjan. Les espoirs illusoires de réunification des deux parties de l'ethnie azérie, après deux siècles de séparation entre les empires russe et persan, aigrirent les relations avec Téhéran 768 . La crise économique intérieure et la guerre arméno-azerbaïdjanaise furent également à l'origine de son départ anticipé.

      Depuis juin 1993, Heïdar Aliev, ancien chef du KGB et premier secrétaire du parti communiste républicain (1969-1982), ainsi qu'ancien membre du Politburo du parti communiste soviétique, fit son retour dans la grande politique et prit les rênes du pouvoir du pays en emportant le suffrage universel avec 98,8 % des votes. Il adopta une stratégie d'équidistance en manoeuvrant entre la Russie et l'Occident. Grâce à cette politique équilibrée, il réussit à avancer la phase finale de la signature du « contrat du siècle » avec la définition des grandes lignes de la composition des consortiums et du choix des principales voies d'acheminement du pétrole caspien. En dépit de son appui à l'intégration à l'Occident, Aliev ne renonça pas aux liens séculaires avec la Russie à l'instar de son prédécesseur 769 . Il comprit qu'ignorer complètement la Russie était contreproductif.

      Parallèlement, les dirigeants azéris menèrent le lobbying des intérêts de leur pays parmi les membres du gouvernement, du parlement et de l'opposition russes. Vaguit Alekperov, président de Loukoïl d'origine azérie, joua un rôle inestimable dans l'apparition à Moscou d'un lobby pro-azéri. C'est pourquoi, contre la volonté de l'Occident, Socar céda 10% de ses parts à ce même Loukoïl que choisit Bakou parmi les compagnies russes. Par contre, les efforts de la capitale azerbaïdjanaise pour associer l'Iran au projet échouèrent. En courtisant ainsi ses deux puissants voisins qui se distinguaient par de bonnes relations avec l'Arménie, Aliev caressait l'idée d'infléchir leurs préférences régionales au détriment d'Erevan. Cependant, jusqu'à présent, Bakou n'a pas atteint les résultats escomptés, à savoir la dégradation des relations russo-arméniennes ou arméno-iraniennes.

      La défaite dans l'affrontement armé arméno-azéri laissa une lourde empreinte sur les relations entre Moscou et Bakou. Elle se produisit sur fond de sortie de l'Azerbaïdjan du Traité de sécurité collective (TSC) en octobre 1992 pour y revenir un an plus tard. Dans ces circonstances, le soutien de Moscou à l'Arménie fut ainsi assuré. Les dispositions anti-russes des autorités azéries s'avérèrent fatales pour l'issue de la guerre. La répercussion de cette dure défaite fut immédiate sur la coopération bilatérale politique et économique russo-azerbaïdjanaise. La Russie fut évincée de la participation dans les projets pétroliers. Les orientations de l'élite politique furent dirigées davantage vers la Turquie, les États-Unis et l'Europe. Ces derniers n'hésitèrent pas à profiter des circonstances créées pour se substituer à la Russie. Ainsi, avec son désir d'entraîner l'OTAN dans les conflits régionaux, Bakou altéra encore plus ses relations avec Moscou. Cet envenimement des relations fut également aggravé par la sympathie ouverte de Bakou envers la cause tchétchène pendant la première guerre de Tchétchénie.

      Aliev-père mit du temps pour stabiliser, au moins en apparence, la situation intérieure de son pays qui risquait d'éclater en plusieurs entités politiques à l'instar des khanats d'avant la conquête russe. Pendant les cinq ans qui suivirent l'indépendance, le pays connut six coups d'État 770 . La rivalité des clans régionaux pour s'accaparer le pouvoir, bien qu'elle soit moins marquée qu'en Asie centrale, conduisit l'Azerbaïdjan à des luttes armées intérieures. En fin de compte, le clan de Nakhitchevan arriva de nouveau au pouvoir et n'a pas encore l'intention de l'abandonner. Parallèlement, les forces politiques opposantes furent réprimées. Mais H. Aliev refusa l'orientation vers un seul pôle d'attraction comme ses prédécesseurs : la Russie pour Moutalibov et la Turquie pour Eltchibeï. Comme en Arménie, il introduisit le principe de complémentarité dans sa politique étrangère. Grâce à cette diplomatie, Bakou réussit à équilibrer l'influence des puissances et à les utiliser dans les intérêts de l'Azerbaïdjan à la manière d'Aliev-père. Dans le conflit du Haut-Karabakh, cette stratégie pourtant n'a pas encore porté ses fruits.

      Quant au rôle de Moscou dans les luttes intestines de l'Azerbaïdjan, il se limita à appuyer traditionnellement les forces qui avaient des orientations prorusses. La politique du Kremlin était encore guidée par trois idées lancinantes : voir l'Azerbaïdjan adhérer aussi bien à la CEI qu'au TSC (septembre 1993) et conserver à tout prix la présence de ses troupes tout le long des anciennes frontières soviétiques sous prétexte de défendre la sécurité nationale de la Russie. Dans ce contexte, le facteur arménien joua le rôle d'un puissant instrument de pression pour un chantage politique à l'égard des dirigeants azerbaïdjanais.

      Ainsi, la Russie gardait dans son arsenal au moins cinq leviers de pression sur Bakou :

      le soutien des leaders et des forces politiques prorusses aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur de l'Azerbaïdjan ;

      la présence sur le sol azerbaïdjanais des troupes militaires russes susceptibles d'appuyer les forces nationales ;

      l'instrumentalisation du conflit du Haut-Karabakh afin de s'imposer comme garant de la sécurité dans la région sécessionniste et d'obtenir des concessions politiques et économiques de la part de Bakou ;

      les liens et l'interdépendance économiques hérités de l'époque soviétique, notamment dans la sphère pétrolière, y compris dans le transport des hydrocarbures via le territoire russe ;

      le problème non résolu et dogmatique du statut juridique de la Caspienne pour saboter toute entreprise autonome sans l'avis de Moscou.

      Le 12 mai 1994, à l'aide du Kremlin, Bakou obtint le cessez-le-feu au Karabakh. En instaurant dans le pays le régime autoritaire d'un clan, Aliev, censé au début mener une politique de rapprochement avec Moscou, élimina tous les partis et mouvements prorusses, notamment après la signature du « contrat du siècle ». La cause de ces mesures radicales fut sans doute le fait que plusieurs opposants à son régime, notamment l'ex-président Moutalibov, s'étaient enfuis à Moscou. Les actions de H. Aliev avaient pour objectif de priver la Russie et l'opposition exilée d'une base organisationnelle solide à l'intérieur de l'Azerbaïdjan. Ainsi, pour un éventuel retour, elles ne disposaient plus sur le terrain de structures bien organisées susceptibles de les soutenir 771 . Un tel ménage permit de s'occuper de la revalorisation des richesses énergétiques du pays qui demandait au moins l'arrêt des hostilités internes. Les compromis furent trouvés avec Moscou et l'Occident en ce qui concernait les voies d'acheminement du pétrole « initial ». Enfin, Bakou fut accusé de soutien aux Tchétchènes pendant la première guerre (1992-1994), ce qui se solda par la fermeture de la frontière commune en aggravant la crise économique en Azerbaïdjan.

      L'adhésion à la CEI et au TSC n'était qu'un pas tactique et il ne s'agissait pas d'une pleine intégration à ces structures. Les événements ultérieurs prouvèrent cette faible implication. En 1995, Bakou refusa de signer le concept de sécurité collective de la CEI et se retira du TSC en février 1999. Les autres initiatives de Moscou concernant le domaine sécuritaire (coordination de la défense aérienne, protection conjointe des frontières, etc.) furent également rejetées par l'Azerbaïdjan. La détente à la frontière arméno-azérie et au Haut-Karabakh créa des conditions favorables pour relancer les projets pétroliers. Ces derniers, dans une certaine mesure, se substituèrent au problème du Karabakh, passé au second plan dans les impératifs de la politique étrangère. Cependant, des activités diplomatiques infructueuses continuèrent toujours d'être tentées.

      La Russie se rendit peu à peu compte que le Caucase du Sud ne se limitait pas à l'Arménie. Le niveau et surtout le potentiel de développement de l'Azerbaïdjan étaient visiblement supérieurs à ceux de ses deux voisins du Caucase du Sud. Le pays du naphte était le seul État de la région qui pouvait se reposer sur une réelle culture industrielle implantée dès le 19e siècle avec notamment la participation active de l'Europe occidentale. En dépit du déclin économique qui envahit le pays après la dissolution de l'ex-URSS, l'Azerbaïdjan avait toutes les chances de se développer grâce à ses réserves énergétiques.

      Ainsi, privée de sa présence militaire en Azerbaïdjan, la Russie chercha à prendre sa revanche. Les raisons étaient nombreuses : les hydrocarbures de la Caspienne, l'islamisme et le panturquisme, les trafics d'armes et de stupéfiants par le littoral caspien, etc. Mais elle réalisa que sa marge de manœuvre en matière de pression sur Bakou était devenue restreinte, quoique encore efficace. Les deux leviers furent la coopération militaire avec Erevan et le problème du Haut-Karabakh. Le troisième, moins important, fut la question des Lezguiens, divisés entre la Russie et l'Azerbaïdjan et aspirant à la réunification, que Moscou pouvait utiliser dans l'élaboration de sa politique à l'égard de Bakou, comme, par exemple, pour le déploiement de nouvelles troupes russes sur la frontière russo-azerbaïdjanaise.

      Le Traité d'amitié, de coopération et de sécurité mutuelle entre les deux pays, signé le 3 juin 1997, normalisa relativement les rapports bilatéraux qui commencèrent à se réchauffer après le Sommet de Lisbonne 772 . Il fut conclu au moment où la Douma d'État commençait à discuter du caractère illicite de la vente d'armes à l'Arménie, sujet soulevé par les députés sollicités par le lobby pro-azéri de la Russie. Mais son impact sur la coopération économique ne fut pas important : en 1998, l'Azerbaïdjan n'occupait que la 9e place par le niveau d'intégration économique avec la Russie parmi les 11 pays de la CEI derrière même le Tadjikistan et la Moldavie 773 . Il a fallu attendre le 21e siècle pour observer un vrai début de réchauffement des relations russo-azerbaïdjanaises.

      


B. – La résurgence d'un deuxième allié stratégique au Caucase du Sud ?

      

      À l'aube du 21e siècle, les spécialistes des relations internationales envisageaient que la politique de l'Azerbaïdjan subirait des changements radicaux après le régime autoritaire de H. Aliev qui était, en grande partie, la conséquence de la guerre perdue 774 . Dans ce contexte, la Russie était désireuse de voir l'ex-président prorusse A. Moutalibov, exilé à Moscou, gagner les élections présidentielles. Mais Aliev-père brouilla les cartes de l'opposition et prépara habilement sa succession au profit de son fils, à l'instar des monarchies « pétrolières » du Proche-Orient.

      L'existence de tensions dans les relations bilatérales russo-azerbaïdjanaises est soulignée par le fait qu'à la période post-soviétique, la première visite officielle du dirigeant suprême russe à Bakou n'eut lieu qu'en 2001. Le prédécesseur de Poutine, Boris Eltsine, n'était pas bienveillant pour Aliev-père et ne le cachait pas 775 . À partir de cette date, on observa un net rapprochement politique entre les deux pays. Un peu avant (octobre 1999), le principal conseiller d'État du président azerbaïdjanais en matière de politique étrangère V. Goulouzade, partisan ardent d'un pro-américanisme, avait été contraint à la démission. Cette démarche présidentielle marqua une nouvelle période dans les orientations de la classe dirigeante du pays et ne passa pas inaperçue à Moscou. Enfin, en août 2000, l'Azerbaïdjan rejoignit le système de défense aérienne commune de la CEI, après l'avoir refusé quelques années auparavant.

      La visite de Poutine en Azerbaïdjan coïncida avec l'intérêt accru de Moscou pour cette région voisine méridionale. Elle fut couronnée par des accords économiques (avec Loukoïl), diplomatiques (sur le statut de la Caspienne), ainsi que militaires (station de radar de Gabala). Poutine utilisa habilement le facteur de la diaspora azérie en Fédération de Russie et celui des populations russes encore présentes en Azerbaïdjan. Le président russe ne manqua pas non plus de rappeler au président azerbaïdjanais H. Aliev leurs parcours communs – les deux passèrent par la « forge » du KGB à Leningrad (actuel Saint-Pétersbourg).

      Un des importants résultats de ce sommet fut l'accord concernant le statut juridique de la Caspienne. Bakou donna son consentement pour ne diviser que les fonds marins en laissant la surface maritime sous utilisation commune. Cette avancée était la preuve que l'Azerbaïdjan était intéressé par la collaboration avec Moscou. Les objectifs poursuivis par la capitale azerbaïdjanaise étaient nombreux. Elle s'était rendue compte que la confrontation avec Moscou n'apportait que des préjudices à ses intérêts nationaux. Pour l'exploitation « en pleine sécurité » de ses gisements offshore, un consensus sur le futur statut était nécessaire, compte tenu notamment de la dégradation des relations avec Achkhabad et Téhéran à propos de gisements litigieux. Être d'accord avec la puissante voisine était un pas stratégique bien réfléchi. La concession de Bakou était conditionnée par le fait indéniable que la prospérité économique de l'Azerbaïdjan était liée à l'exportation du pétrole. Il fallait donc avancer dans le dossier du statut juridique de la Caspienne.

      Selon Bakou, tout règlement des problèmes liés au pétrole avait un rapport direct avec l'issue du conflit du Karabakh. L'arrivée des pétrodollars devait servir, entre autres, à la militarisation du pays pour reconquérir les territoires perdus. En se rapprochant de Moscou, l'Azerbaïdjan tenta également de gagner la Russie à ses intérêts. De même, Aliev-père réussit à convaincre le Kremlin que son gouvernement avait prit des distances par rapport aux séparatistes tchétchènes, malgré le tollé général de sa population encore sensible à cette cause 776 . La Russie avait accusé à maintes reprises Bakou de donner refuge et d'accorder un concours logistique aux Tchétchènes et menaçait d'introduire un régime de visa, comme avec Tbilissi.

      Parmi les causes du changement de la politique azerbaïdjanaise par rapport à Moscou, les analystes mentionnent également les prédispositions subjectives du président H. Aliev. Il semblerait que ce dernier désirait obtenir le soutien et l'« approbation » du Kremlin dans la succession de son fils au pouvoir en Azerbaïdjan. Vu le manque de soutien populaire au sein du pays, l'ancien haut fonctionnaire du Parti communiste soviétique se rendit compte qu'aucune force étrangère n'était en mesure d'assurer et de soutenir entièrement la succession de son fils après son départ. Moscou en était capable compte tenu de pratiques séculaires. Pour obtenir ce « consentement » futur, se posait la nécessité d'accroître le niveau de coopération bilatérale. Sa réalisation n'était pas trop difficile, car pendant sa présidence, Aliev-père n'avait jamais adopté une politique ouvertement antirusse comme son prédécesseur Eitchibeï ou comme son homologue géorgien Chevardnadze, lui aussi ancien apparatchik et membre du Politburo du PCUS. Il ne construisait pas une politique fondée sur l'affrontement des intérêts russes et américains en Azerbaïdjan afin d'en tirer le meilleur profit pour lui, comme le faisait en permanence le président géorgien. Au contraire, H. Aliev comprit vite « qu'il était temps de remplacer la conjonction disjonctive « ou » par une copulative « et », et de s'orienter vers un développement multilatéral des liens avec les deux puissances » 777 . En d'autres termes, Bakou « reconnut » que la Russie était un des pôles mondiaux qui ne pouvait pas rester longtemps négligé. Dans tous les cas, cette négligence se faisait aux dépens, en premier lieu, des intérêts de l'Azerbaïdjan.

      Tout cela se produisit sur fond de rafraîchissement des relations entre la Russie et l'Arménie dont la politique de « complémentarité » irritait Moscou. En corollaire ajoutons que ce n'était qu'un début du réchauffement des relations bilatérales russo-azerbaïdjanaises et qu'il ne s'agissait nullement pour Bakou de retourner dans le giron de Moscou. Cependant, cela n'empêcha pas les spécialistes des relations internationales de conclure que désormais dans le Caucase du Sud la Russie possédait deux alliés stratégiques, l'Arménie et l'Azerbaïdjan : le premier était irremplaçable au sens militaro-stratégique, le deuxième était indéniablement intéressant du point de vue économique 778 . Les atouts de la situation géopolitique de l'Azerbaïdjan ne sont pas négligeables non plus. Z. Brzezinski appelle le pays du pétrole « point d'appui géopolitique » de la région, « « bouchon » vital qui contrôle l'accès à la « bouteille » des richesses du bassin de la Caspienne et de l'Asie centrale » et prévoit que l'Azerbaïdjan est voué à devenir la cible prioritaire de la Russie 779 .

      À l'heure actuelle, la tendance à l'amélioration des rapports russo-azerbaïdjanais se poursuit. Moscou tente de mettre en place une coopération politique et économique à l'image des États-Unis, et cela pourrait être plus facile pour elle à cause de la proximité géographique et du passé historique commun malgré la relecture de cette période pleine de controverses. La diplomatie russe a tenté également de profiter du mécontentement azerbaïdjanais à l'égard des États-Unis, compte tenu notamment de leur mauvaise volonté à révoquer la section n° 907 du US Freedom Support Act (Acte de soutien à la liberté), adopté en 1992, pour diminuer l'influence américaine. En effet, cette section imposait des sanctions à l'Azerbaïdjan pour le blocus de l'Arménie et du Haut-Karabakh. Cependant, depuis 2003, le Congrès américain n'applique plus ce texte en contrepartie de la coopération de Bakou dans la guerre afghane 780 . Cela restreint la marge de manœuvre de Moscou dans sa volonté d'éloigner, de creuser une brèche entre Washington et Bakou. Les années à venir montreront si les relations russo-azerbaïdjanaises connaîtront de nouveaux développements.

      

      

      

      


C. – La coopération militaire rudimentaire russo-azerbaïdjanaise

      

      Bien que l'Azerbaïdjan soit une région très importante dans la géopolitique de la Russie, ce pays a été le premier parmi les États de la CEI à subir le retrait des troupes russes (1992). Depuis ce retrait, Bakou refuse toujours de voir de nouvelles bases russes se redéployer sur son territoire. Mais la Russie réussit néanmoins à conserver la station radar de Gabala, construite en 1985. De nos jours, c'est l'unique base militaire russe sur le territoire de l'Azerbaïdjan. En effet, le radar détecte tout mouvement de missiles à moyenne portée dirigé contre la Fédération de Russie, en provenance de l'Asie, dans un rayon d'action de 7 200 km 781 . Sa fermeture serait une catastrophe pour les autorités russes 782 . Depuis 1991, le radar fonctionnait dans le cadre d'un vide juridique, car son statut n'était pas défini. Par conséquent, la Russie ne payait que les consommations d'énergie des bâtiments et des équipements. Faute de contrat de location, le budget azerbaïdjanais ne percevait rien de l'exploitation du radar 783 .

      L'accord sur la location de la station radar fut signé, pour les dix prochaines années, le 25 janvier 2002, avec un loyer annuel de 7 millions de dollars, en dépit des protestations de l'opposition azérie. Cette dernière estime que la Russie veut à tous prix restaurer sa présence militaire d'antan dans la république. Un peu avant, l'adoption de la nouvelle Doctrine militaire de la Russie (le 21 avril 2000) fut interprétée en Azerbaïdjan, selon l'expression de l'ancien conseiller d'État V. Goulouzadé, actuellement politicien indépendant, comme une « démonstration non dissimulée du retour à la politique d'utilisation de la force dans la politique extérieure » 784 . Il se prononça même pour des négociations avec la Turquie afin d'obtenir le soutien turc en cas d'agression de la part de la Russie. L'opposition estime également intolérable l'existence sur le territoire national d'une base militaire d'un État qui coopère étroitement avec l'Arménie, pays hostile à l'Azerbaïdjan.

      Mais le péril principal pour la stabilité de l'Azerbaïdjan ne vient pas de l'extérieur. Ce qui menace le pays, ce sont des troubles internes et des mouvements régionalistes centrifuges (des Lezguiens, des Talyches, des Avars, du Haut-Karabakh, du Nakhitchevan). Le radicalisme islamique qui prend pied dans la région n'est pas non plus exclu de cette liste de dangers. Le gage de survie du régime politique en Azerbaïdjan est l'avenir radieux qui repose entièrement sur l'abondance pétrolière et sur les futurs pétrodollars. Le chercheur américain Rasizade caractérisait ainsi la politique de l'Azerbaïdjan sous Aliev-père qui ne différait d'ailleurs pas de celle d'Aliev-fils : « Mélange d'intrigues moyen-orientalistes de l'élite avec le traditionnel caprice égalitaire caucasien, de haine qui persiste du passé, de népotisme, de corruption qui s'infiltre partout et, bien évidemment, d'aspiration à s'enrichir personnellement par le biais du pouvoir politique » 785 .

      Moscou s'engagea également à coopérer avec Bakou dans les domaines de la sécurité aérienne et de la modernisation des forces aériennes azerbaïdjanaises 786 . Mais malgré tout cela, les autorités de l'Azerbaïdjan voient la future sécurité de leur pays dans l'intégration aux structures occidentales, notamment l'OTAN, et non pas russes. Tout rapprochement militaire avec la Russie est, semble-t-il, une page tournée pour Bakou.

      L'Azerbaïdjan, à l'instar de la Géorgie, cherche activement à intégrer les structures européennes aussi bien économiques et politiques que militaires. L'approfondissement de cette intégration se déroule sur le compte des relations et de la coopération avec la Russie. Les problèmes aigus non résolus de la vie intérieure sont traditionnellement expliqués par des causes extérieures venant souvent du nord.

      Le retrait des troupes russes n'était pas conditionné par la volonté de Bakou de libérer son territoire de la présence de l'armée étrangère. Depuis 1994, l'Azerbaïdjan est membre du programme de l'OTAN Partenariat pour la paix qui n'est qu'une sorte de prélude à son éventuelle intégration à l'Alliance. Ainsi, la capitale azerbaïdjanaise se prononça pour l'adhésion à l'OTAN et n'est pas opposée à l'installation de forces militaires occidentales sur son territoire sous différentes prétextes : lutte anti-terroriste, sécurité de l'oléoduc Bakou-Ceyan 787 , garantie de paix au Karabakh (Casques bleus), voire reconquête des territoires perdus.

      À cet égard, l'Azerbaïdjan, à maintes reprises, fit preuve de sa détermination. Il soutint les actions de l'OTAN aussi bien au Kosovo, en dépit de certaines similitudes évidentes entre les problèmes du Karabakh et du Kosovo, qu'en Afghanistan et en Irak. Pendant la guerre contre les Talibans (2001-2002), Bakou accorda à l'armée de l'air américaine le droit de survoler son territoire. En contrepartie, Washington suspendit l'application de la section 907 de la Loi sur le soutien à la liberté en ouvrant ainsi la voie d'une assistance militaire et technique américaine à l'Azerbaïdjan. Enfin, ce dernier fut un des rares pays musulmans à soutenir la politique des États-Unis dans la guerre d'Irak. Il fut également le premier pays musulman à envoyer des troupes de maintien de la paix en Irak après la fin officielle de la guerre (le 1er mai 2003) 788 .

      Depuis plusieurs années, les spécialistes de l'Alliance participent à la construction de l'armée azerbaïdjanaise et à la défense de sa frontière terrestre et aérienne ce qui ne peut laisser la Russie indifférente 789 . Moscou s'inquiète naturellement de la création d'un nouveau cercle d'endiguement autour de ses frontières actuelles. Les autorités azerbaïdjanaises ne peuvent pas l'ignorer et, à notre sens, pour cette raison, à la différence de Tbilissi, elles sont plus réservées dans leurs discours pro-atlantistes et essayent de ne pas trop irriter Moscou. L'OTAN, pour sa part, ne cherche pas spécialement à altérer ses relations avec Moscou qui ont été suspendues à plusieurs reprises. Il n'est pas pressé de voir l'Azerbaïdjan devenir membre de son « club » avec le problème non résolu du Karabakh. En cas d'adhésion, il serait automatiquement impliqué dans le conflit arméno-azéri et se heurterait à la Russie.

      Les pays de l'OTAN ont plusieurs autres occupations primordiales, comme la lutte contre le terrorisme sur le plan planétaire. De plus, les relations entre Bakou et Bruxelles ne sont pas sans averse. Le refus par l'Azerbaïdjan de la participation des officiers arméniens aux exercices du Best Effort 2004 dans le cadre du programme Partenariat pour la paix qui devait se dérouler sur son territoire, altéra considérablement les rapports bilatéraux. Ils se soldèrent par la renonciation de Bruxelles à organiser lesdites manœuvres en Azerbaïdjan 790 .

      Par contre, l'OTAN envisage de garantir la sécurité du fonctionnement de l'oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyan qui traverse des zones instables et où, de surcroît, il y a encore une présence militaire russe. C'est pourquoi, il incita Tbilissi à entamer des négociations avec Moscou pour qu'elle évacue ses deux bases militaires stationnées à Akhalkalak et à Batoum, à la frontière turco-géorgienne, par où passe l'oléoduc. La coopération militaire avec l'Occident est également accompagnée de consultations politiques régulières.

      Après le cessez-le-feu du Karabakh, l'Azerbaïdjan améliora beaucoup la capacité de combat de ses troupes. En peu de temps, Bakou renouvela l'encadrement de son armée. Plus de 5 000 militaires azéris ont suivi une formation d'officier au Pakistan, en Turquie, aux États-Unis et dans les autres pays de l'OTAN. En adoptant les standards turcs de conduite des combats, l'armée azérie connut de sérieuses réformes. Les conseillers militaires turcs participent activement à ces réformes 791 . Mais l'armée azérie est noyautée par la corruption 792  et l'arbitraire bureaucratique (faits ordinaires dans tout l'espace de la CEI), ce qui ne la rend pas encore prête à reconquérir ses territoires sur les Arméniens sans aide militaire extérieure.

      Dans cette perspective, il est possible que la coopération militaire entre la Turquie, l'Azerbaïdjan et la Géorgie se renforce sous le patronage de l'OTAN pour contrecarrer la « menace » qui vient de la Russie, de l'Iran, et aussi de la coopération militaire russo-arménienne. Ankara est également censé faciliter et contribuer à l'intégration de l'Azerbaïdjan à l'OTAN.

      


D. – Le facteur du Haut-Karabakh – déterminant dans les relations russo-arméno-azéries

      

      La guerre entre Arméniens et Azéris est le plus ancien conflit armé du Caucase. Cependant nous ne ferons pas pour autant l'historique des relations arméno-azéries sur le dossier du Haut-Karabakh, enclave peuplée en majorité d'Arméniens, néanmoins située en Azerbaïdjan du fait de circonstances historiques. Objet du conflit entre ces deux pays voisins, la guerre du Karabakh a déjà fait environ 30 000 793  morts et plus d'un million de réfugiés en six ans, avant qu'un cessez-le-feu ne gèle la situation en 1994. La confrontation arméno-azérie crée une ambiance malsaine dans toute la région.

      

      a) Les enjeux de l'identité nationale

      

      Une relecture ethno-nationaliste de l'histoire se réalise dans le monde contemporain, notamment dans les zones de crise, comme le Caucase du Sud 794 . L'identité est au centre de la restructuration des relations internationales. Les conflits d'origine ethnique, religieuse ou nationale prennent de plus en plus une tournure identitaire. Cette quête ressemble à un iceberg dont certaines composantes sont dormantes, donc invisibles. Il évolue en partie spontanément et dans des conditions particulières. Ainsi, les explosions identitaires sont devenues une vraie menace pour l'avenir géopolitique de la planète.

      Une ethnie s'identifie à un territoire dans l'espace et dans le temps. Un peuple se différencie ainsi d'un autre, et trouve un sens à son existence. Dans un nouvel environnement géopolitique il se produit une réaffirmation de l'identité, surtout quand le groupe se sent menacé. Ainsi, lors de chaque étape historique, les peuples sentent un « besoin de formulation du code de l'auto-identification nationale » 795 . En d'autres termes, il est nécessaire de retravailler en permanence les bases identitaires. Et c'est le nationalisme qui vient au secours des peuples, car « il n'y a pas de nation sans nationalisme » 796 .

      « Absorbés dans l'affirmation de leurs propres identités et soucieux de vérifier que les autres la reconnaissent » également, les peuples risquent de « consacrer toutes [leurs] forces à cette défense et de [faire] approuver [leurs] champs d'expérience, de mal maîtriser [leurs] rapports au monde » 797 . Ainsi, l'« identité retrouvée n'est que rarement un facteur de stabilité et plus souvent un facteur de désintégration » 798 . Dans les combats identitaires au Caucase du Sud les peuples impliqués ne sont pas une exception. Ces combats, parfois exacerbés, deviennent extrêmement violents quand il s'agit de la lutte d'une minorité nationale contre une majorité dominante au sein de l'État. Ce même combat peut s'aggraver avec l'entrée en jeu du facteur religieux. Les événements au Caucase du Sud en sont une brutale illustration.

      La guerre arméno-azérie est d'une nature différente en Azerbaïdjan et au Haut-Karabakh. Les Arméniens et les Azéris appartiennent à deux civilisations différentes et le conflit du Haut-Karabakh de par sa nature n'est ni une guerre de religion ni une guerre frontalière arméno-azérie, c'est un conflit identitaire, favorisé par l'effondrement du système soviétique. Pour Bakou cette opposition armée est le moyen de faire reconnaître sa suprématie, pour Stepanakert il s'agit de préserver son indépendance, ainsi que le droit de vivre et d'exister. Les Arméniens du Karabakh se percevaient comme les victimes des Azéris, qui jouèrent le rôle d'une majorité dominante pendant seulement quelques décennies. Les Arméniens du Karabakh sentirent la menace d'une disparition sur les plans physique et politique, due à la domination exclusive des Azéris. Autrement dit, le droit à la libre disposition des peuples, qui d'ailleurs est un des principes fondateurs des grandes révolutions de notre Histoire – américaine, française, russe 799  – légitime les actions des Arméniens qui ne veulent plus se plier à la loi de la majorité azérie.

      Le Haut-Karabakh est considéré par les Arméniens non seulement comme une vieille terre arménienne et un espace vital, mais également comme un symbole de toutes les terres perdues par eux au cours de leur histoire 800 . C'est autour du Karabakh que le nationalisme arménien se reconstitua après la chute de l'URSS. Pour les Azéris, ce petit morceau de terre est une cause suffisante pour tenter de retrouver leur identité nationale, c'est également une sorte de lanceur et de catalyseur de ce processus.

      L'identité des Arméniens (race, religion, langue, écriture, culture) prend sa source dans les profondeurs historiques. Les conditions géographiques sévères, ainsi que les événements tragiques de l'histoire de l'Arménie, laissèrent leur empreinte sur la formation de l'identité arménienne. « L'Arménie est comprise comme un territoire éternel qui garde sa personnalité et son nom même en l'absence de réalité politique » 801 . La religion et la langue ont constitué les fondements de l'identité nationale des Arméniens.

      Mais le processus d'identification, dans une certaine mesure, conduisit les Arméniens à l'isolement. L'Arménie est isolée :

      par sa langue dominante, l'arménien, écrit en caractères arméniens, créés « une fois pour toutes » 802 , inchangée depuis un millénaire et demi, qui a même surmonté les menaces de cyrillisation à l'époque stalinienne ;

      par sa religion dominante, l'église apostolique arménienne, autocéphale et nationale depuis 301, premier État chrétien, avant même Rome, tôt placée aux avant-postes de la chrétienté face à l'Islam 803  ;

      par sa situation géographique dans la mesure où elle est entourée par des voisins en majorité musulmans.

      Mais l'isolement de l'Arménie n'est pas absolu, car un pays isolé suppose l'absence d'affinités culturelles avec d'autres sociétés. L'ouverture de la civilisation arménienne grâce à ses traditions d'intégration et à l'existence d'une diaspora étendue, issue des événements historiques du passé et du présent, atténue partiellement cet isolement.

      L'identité actuelle des Azéris s'est forgée sous l'influence de trois empires différents et rivaux. Du point de vue ethnique et linguistique, les Azéris se rapprochent des Turcs. Mais culturellement, ils sont traditionnellement proches des Iraniens : l'Azerbaïdjan est le deuxième et dernier pays chiite au monde après l'Iran. Enfin, son européanisation est due à la conquête et à l'influence russes.

      Bien qu'ils constituent la plus importante nation du Caucase du Sud (environ 8 millions d'habitants sans compter les Azéris iraniens), les Azéris ne parvinrent jamais à créer un État centralisé et autonome. Ils ne forment pas non plus une ethnie particulière : ce sont « seulement les habitants de l'Azerbaïdjan » 804 . « Autant la Géorgie et l'Arménie apparaissent comme des nations constituées depuis longtemps, […] autant l'Azerbaïdjan est récent dans ses contours et fragile dans l'affirmation de sa personnalité » 805 . Le « pays azéri » était la pomme de discorde entre la Perse et la Turquie, et dès le début du 19e siècle, la Russie s'en mêla. Après la soviétisation de l'Azerbaïdjan, on assista à un processus de développement du sentiment d'appartenance à une communauté ethnolinguistique distincte 806 . Le démantèlement de l'ex-URSS montra toute la fragilité et l'imperfection de cette identité nationale forgée par la force des circonstances historiques et idéologiques.

      Les Azéris, « en mal d'âge d'or idéal », cherchent des ancêtres lointains du côté des Albaniens 807  et des Mèdes, comme les Turcs les cherchent du côté des Hittites. L'identité des Azéris est tiraillée entre les identités caucasienne, albanienne, turque, chiite 808 , iranienne, tatare 809 . C'est de là que vient l'aspiration à creuser leur passé en quête d'une identité historique manquante afin de se présenter comme d'anciens autochtones et par conséquent de justifier l'appartenance des territoires où cette identité se réalise. Ou, pour paraphraser A. Bihr, cela découle de la tendance nationaliste à « naturaliser » la nation, à la rattacher à des « déterminants naturels » (le sol et le sang) et, à la limite, à la « racialiser » 810 .

      État hétérogène, l'Azerbaïdjan devint un pays profondément divisé. Cette division, qui était d'ailleurs prévisible, conduisit à la violence généralisée en menaçant son existence même : les différences culturelles ont recoupé la géographie. Selon S. Huntington, dans le « monde d'après la guerre froide, les distinctions majeures entre les peuples ne sont pas idéologiques, politiques ou économiques. Elles sont culturelles » 811 .

      D'un autre côté, l'Azerbaïdjan est un pays déchiré : depuis 70 ans il a été laïcisé et russifié, et fait partie d'une nouvelle civilisation unique sur la base d'une idéologie communiste. Aujourd'hui, il tente de remplacer son ancien État phare, la Russie, par un autre, la Turquie. L'appartenance à la civilisation musulmane est déclarée, mais celle-ci est très hétérogène. Suivant l'exemple de la Turquie, l'Azerbaïdjan veut en même temps se moderniser et s'occidentaliser, mais l'attraction asiatique est toujours forte. L'attirance des Azéris pour la Turquie, qui exprime non seulement un pragmatisme géopolitique, mais également un intérêt marqué pour le modèle culturel et économique turc, révèle la difficulté majeure des Azéris à fonder leur propre identité.

      L'Azerbaïdjan, semble-t-il, est déterminé à voir son avenir dans la famille du monde touranien et islamique en gardant la laïcité héritée de la période soviétique de son histoire qui devient néanmoins peu à peu de façade. Cependant, s'il réussit à créer un deuxième précédent (après la Turquie) de développement « laïc et pro-occidental » basé sur l'économie de marché, son exemple pourrait servir de modèle pour les pays d'Asie centrale voire pour l'ensemble du monde musulman.

      

      b) La question du Haut-Karabakh – source principale de l'aggravation des relations entre la Russie et l'Azerbaïdjan

      

      Comme nous l'avons déjà indiqué, à l'aube du 18e siècle, les méliks du Karabakh s'adressèrent à Pierre le Grand pour lui demander de libérer le peuple arménien du joug musulman. Dès lors, la Russie s'est impliquée dans le destin de la région en question. Le Karabakh garde jusqu'à aujourd'hui cette orientation prorusse.

      Le Haut-Karabakh fut intégré à l'Empire russe en 1805 et, en 1822, une gouvernance administrative russe directe y fut instaurée 812 . La politique nationale des Bolcheviks en Transcaucasie se constitua à travers le prisme de la révolution mondiale dont un des maillons devait être la Turquie. Selon le traité de Moscou (le 16 mars 1921), les régions arméniennes de Kars et d'Ardahan passèrent à la Turquie, et la troisième région, le Nakhitchevan, à l'Azerbaïdjan. Le 5 juillet 1921, le Kavburo décida du sort de la quatrième région arménienne, du Karabakh, qui fut incluse au sein du même Azerbaïdjan. Pendant la période soviétique, il y eut plusieurs tentatives de revoir le statut du Karabakh, mais toutes restèrent vaines.

      La dégradation des relations russo-azéries à propos du Haut-Karabakh recommença dès la fin des années 1980 quand explosa le conflit. Les jeunes diplomaties d'Arménie et d'Azerbaïdjan commencèrent alors à se former autour de ce contentieux embrouillé, supprimant toute autre perspective en ce domaine 813 . En 1990, le centre soviétique installa des détachements militaires à Bakou et dans d'autres régions de la république sous prétexte d'arrêter les pogroms contre les Arméniens et de rétablir l'ordre public. Cette mesure extrême fut tardive et se solda par un véritable massacre non seulement des émeutiers, mais également de la population civile 814 . Après la dissolution de l'URSS, les dispositions anti-russes se substituèrent aux dispositions anti-soviétiques et restèrent dominantes jusqu'à l'arrivée au pouvoir d'Aliev-père. À cette période, le régime soviétique était en train de perdre ses derniers signes de viabilité et tentait de réprimer d'une manière incohérente toute émancipation exhaustive des républiques. Fidèle à la politique impériale du bâton et de la carotte et à l'habitude soviétique de parité entre les nationalités, en 1991, cette même armée se mit à vider les villages arméniens situés sur le territoire du Haut-Karabakh et aux alentours en déportant ainsi la population civile vers l'Arménie.

      Il convient de souligner que les dispositions anti-russes étaient dirigées contre la position officielle du Kremlin et qu'il ne s'agissait pas de haine envers le peuple russe en général. Le fait que dans les années suivantes des centaines de milliers d'Azéris quittèrent le pays pour la Russie en témoigne. Autrement dit et paradoxalement, la sympathie de la population envers les Russes, conditionnée en premier lieu par les facteurs économiques, se renforçait. Actuellement, plus de 2 millions d'Azéris gagnent leur vie en Russie tout en aidant leurs familles restées en Azerbaïdjan. L'argent ramené ultérieurement en Azerbaïdjan a dépassé en 2002 2,5 fois le PIB du pays 815 . Cette population, pour ce qui concerne l'intégration, est plutôt tournée vers la Russie que vers les États-Unis, la Turquie ou l'Iran. C'est pourquoi elle demeura très inquiète face à la menace d'introduction d'un régime de visa avec l'Azerbaïdjan à l'instar de la Géorgie, car cela aurait signifié pour elle un « collapsus social » 816 . Or, les sympathies des élites nationales étaient du côté des Occidentaux capables d'« assurer » le flux des pétrodollars tant attendu dans le pays.

      La répartition des forces au Karabakh et dans les territoires contigus ne serait pas la même que de nos jours si, pendant les années de guerre arméno-azérie les dirigeants azéris ne s'était pas démarqués d'une façon radicale de Moscou et que le Front national n'était pas venu au pouvoir avec sa haine non dissimulée envers la Russie et avec sa détermination à chercher un concours militaire extérieur, autre que russe. Par conséquent, l'Azerbaïdjan n'aurait pas perdu jusqu'à 20 % de son territoire. Le changement de camp et la quête de partenaires alternatifs lui coûtèrent très cher.

      Est-ce une simple coïncidence si les pertes de territoires purement azéris ont eu lieu pendant le retrait de l'Azerbaïdjan de la CEI (octobre 1992 – septembre 1993) ? Les cinq centres des districts azéris tombèrent entre juin et septembre 1993, période de l'arrivée au pouvoir de H. Aliev (le 18 juin 1992) et de la décision de rejoindre la CEI le 24 septembre 1993. Ce retour fut tardif et ne contribua qu'à arrêter les hostilités et à signer le cessez-le-feu (Bichkek, le 16 mai 1994) au moment où les Arméniens étaient en gain absolu. Les territoires azéris occupés deviendront l'objet de marchandages en échange de l'indépendance du Haut-Karabakh. Cet armistice, qui est en vigueur depuis plus de 10 ans déjà, est en grande partie le fruit des efforts de la diplomatie russe. La Russie exerçait sa mission dans le cadre du groupe de Minsk 817 . Mais, en réalité, Moscou commença à organiser des négociations parallèles en altérant ses relations avec la CSCE (OSCE depuis 1994). Cette dernière ne voulut pas voir contester par la Russie sa mission de pacification au Caucase du Sud. Elle instaura une co-présidence tournante (décembre 1994) qui se transforma en « triumvirat » avec la participation de la Russie, de la France et des États-Unis 818 .

      Après avoir perdu la guerre sur le terrain, l'Azerbaïdjan pensa imposer à l'Arménie ses conditions en obtenant le soutien actif de la Turquie et de l'Occident, intéressés par l'exploitation de ses hydrocarbures caspiens. Pour Bakou le pétrole était « à la fois un enjeu et une arme » 819 . En réponse, dès le début, Moscou se prononça catégoriquement contre l'internationalisation du conflit et mit Ankara et, pour toute éventualité, Téhéran, en garde

      contre toute tentative d'intervention militaire. Au printemps 1992, la Turquie concentra quelques détachements de troupes blindées à la frontière arménienne et était prête à intervenir dans le conflit 820 . Après la déclaration rigide du commandant des troupes armées de la CEI le maréchal Chapochnikov selon laquelle l'implication d'une troisième force dans le conflit pourrait déclencher la troisième guerre mondiale, Ankara retira ses forces 821 . Rappelons que l'Arménie est membre du TSC et Moscou a tous les droits légitimes pour intervenir aux côtés de l'Arménie si cette dernière est agressée.Les tentatives de Bakou de donner au conflit l'aspect d'un « complot chrétien russo-arménien », afin d'obtenir le ralliement du monde islamique à sa cause, s'avérèrent également sans perspectives 822 .

      La Russie était prête à devenir le garant de l'éventuel compromis entre les parties opposées. Plus exactement, il s'agit de garanties militaires avec possibilité d'un déploiement permanent de forces d'interposition russes dans la région de confrontation, comme en Ossétie du Sud ou en Abkhazie. Moscou n'excluait pas l'élargissement de cette zone sur le compte des territoires azéris contrôlés par l'armée du Haut-Karabakh. C'est seulement dans cette configuration que la solution au conflit ne signifierait pas pour la Russie un évincement du Caucase du Sud et renforcerait sa présence militaire dans la région. D'ailleurs, l'Azerbaïdjan d'un côté estimait que la clef de ce conflit se trouvait entre les mains de Moscou 823 , de l'autre, refusait le plan de règlement proposé par la capitale russe qui prévoyait la présence des « Casques bleus » russes sous mandat de l'ONU ou de l'OSCE.

      Les dispositions pro-arméniennes de Moscou créèrent une méfiance chez les autorités azéries et les poussèrent à chercher un concours politique, voire militaire, à leur cause en Occident, auprès des pays qui possédaient des intérêts dans le pétrole caspien azerbaïdjanais. Sur le plan militaire, la menace turco-azérie fut temporairement neutralisée par l'Arménie soutenue par la Russie. Mais sur le plan politique, les actions communes de Bakou et d'Ankara ont connu des succès provisoires, comme à Lisbonne en décembre 1996, au cours de la Conférence de l'OSCE 824 . La Russie adhéra aussi à la déclaration générale. C'était la concrétisation de la politique russe qui consistait à essayer de conserver une parité entre

      

      l'Azerbaïdjan et l'Arménie, c'est-à-dire d'exploiter les faiblesses de ces deux pays en les gardant dans un état de dépendance, et d'y renforcer ses positions géopolitiques. Le vote de Moscou poursuivait deux buts : maintenir l'Azerbaïdjan dans la CEI et dans le TSC, et assurer les futurs revenus pétroliers de Loukoïl.

      Avec l'arrivée au pouvoir de Poutine, les formulations russes concernant le conflit changèrent. Le président russe déclara que son pays ne possédait pas de droits spéciaux dans le processus de règlement de l'affrontement dans le Haut-Karabakh. Il souligna que les déclarations selon lesquelles Moscou avait des droits exclusifs pour influencer la situation, n'étaient qu'un « rudiment de la mentalité impériale » 825  rejeté activement par la Russie d'aujourd'hui. En effet, la Russie de Poutine renonça à toute responsabilité et, par conséquent, à toute obligation globale, voire régionale, mais elle n'en défendait que davantage ses intérêts propres. Bakou et Erevan doivent en tenir compte et ne pas surestimer les capacités et les intentions de Moscou qui, elles aussi, évoluent selon la période. Mais cela ne signifie pas que la Russie pensait se retirer du processus des négociations. « La Russie va poursuivre ses efforts pour un règlement du conflit du Haut-Karabakh, mais refuse de faire pression sur l'une ou l'autre des parties » 826  déclara encore en 2000 V. Poutine, à l'issue d'une rencontre avec son homologue arménien.

      Le niveau de coopération politique bilatérale aussi bien russo-azérie qu'arméno-russe dépendra de la résolution du conflit au Karabakh, dans lequel la Russie s'est impliquée dès le début de son déclenchement. Cela suppose que Moscou soit très intéressé par le règlement définitif et rapide du contentieux dont l'issue n'est toujours pas certaine. La question qui se pose est de savoir « Comment faire ? ». Et ici il ne faut surévaluer ni les possibilités ni les capacités du Kremlin. Les conséquences du conflit s'avèrent difficilement surmontables.

      Après 16 ans de confrontation la situation dans l'ancienne région autonome a beaucoup changé. Le Karabakh possède actuellement une structure d'État fort ainsi qu'une armée régulière apte aux combats, peut-être la plus forte de la région après l'armée russe. L'offensive des forces arméniennes du Karabakh de 1993, que la Russie laissa se poursuivre, avait pour objectif non seulement la libération des territoires arméniens, mais aussi la conquête « d'une ceinture de sécurité », incluant le « corridor de Latchine » qui le séparait artificiellement de l'Arménie (voir la carte n°). C'est cette défaite qui aggrava la crise politique en Azerbaïdjan.

      L'objectif des Arméniens était beaucoup plus travaillé qu'il n'y paraissait : les territoires azéris conquis sont utilisés maintenant comme élément de marchandage à la table des négociations. En d'autres termes, les Azéris sont placés dans une situation telle qu'ils sont obligés de céder davantage que les Arméniens. C'est pourquoi l'Azerbaïdjan, suite à cette mauvaise donne de la carte de force militaire, est plus porté au compromis aujourd'hui qu'il y a quelques années. Les dirigeants azéris comprennent bien que les éventuelles concessions à accepter par leur pays doivent être considérables. « Je n'utilise pas le terme d'autonomie, mais plutôt celui beaucoup plus large, d'autogouvernement (self-government) […], un statut qui est aux limites de l'indépendance », déclara à cet égard Aliev-père 827 . Le chercheur azéri R. Housseïnov estime même que le retour du Karabakh à l'Azerbaïdjan est très problématique, voire irréversible 828 .

      Les dirigeants azéris réalisent bien les conséquences funestes de la reprise de la guerre pour leur pays. Il est évident que la meilleure garantie pour prévenir une nouvelle guerre est la reconnaissance de l'indépendance du Haut-Karabakh. Le Karabakh indépendant est la condition de la stabilité politique dans la région de Transcaucasie. Cette stabilité signifierait la sécurité des axes de transport et de communication qui ouvrent la voie de la rentabilité économique des projets. Stepanakert pourrait effectuer un échange de territoires occupés contre son indépendance de jure et la paix. Les centaines de milliers de réfugiés auraient enfin la possibilité de rentrer chez eux. Mais il faut se rendre compte que l'Azerbaïdjan ne pourra pas reconnaître dans l'immédiat l'indépendance du Haut-Karabakh compte tenu de l'opposition de son opinion publique.

      À l'heure actuelle, la situation entre les républiques voisines pourrait être qualifiée de « ni guerre, ni paix » et apparemment à court terme elle convient aux deux parties. Depuis ces 14 années d'indépendance, Bakou et Erevan justifient toutes leurs difficultés intérieures par les « manoeuvres ennemies extérieures » et laissent entendre que le temps travaille à leur profit 829 .

      

      

      

      Le rôle de la Russie dans la conclusion du cessez-le-feu (mai 1994) et dans sa préservation pendant plus de dix ans est indéniable. C'est en grande partie son intervention qui retient les deux parties de reprendre l'escalade d'une nouvelle guerre et les préserve de l'ingérence d'autres pays, notamment de la Turquie et de l'OTAN, dans le conflit. Enfin, si pour l'Occident le règlement de ce conflit est important du point de vue plutôt économique (sécurités des communications, garantie des projets énergétiques), pour la Russie c'est la question de la garantie de la sécurité à proximité de ses frontières méridionales qui prime. Le Caucase du Sud est voisin du Caucase russe qui représente une vraie poudrière ethnique. Toute déstabilisation dans le premier a sa répercussion immédiate chez le deuxième.

      

      c) La géopolitique externe de l'affrontement arméno-azeri

      

      Depuis la disparition de l'URSS, le conflit arméno-azéri est devenu une affaire internationale qui attire l'attention des puissances mondiales ainsi que régionales. Selon S. Huntington, « cette guerre était le dernier épisode en date de la lutte séculaire entre l'Empire russe et l'Empire ottoman pour le contrôle de la mer Noire et du Caucase, ainsi que de l'intense antagonisme entre Arméniens et Turcs » 830 . Comme c'est le cas de beaucoup d'autres conflits, celui du Karabakh est instrumentalisé et attisé par les puissances régionales qui, en profitant des multiples problèmes en suspens, aspirent, chacune à leur tour, à obtenir des avantages géopolitiques dans cette région stratégique.

      Les États-Unis proposèrent également de se porter garants dans le compromis futur. En l'occurrence, il s'agissait de garanties financières et économiques de « réhabilitation » des trois parties en conflit : l'Arménie, l'Azerbaïdjan et le Haut-Karabakh. Réaliser un tel projet est possible s'il y a un rapprochement des positions de Moscou et de Washington, une harmonisation de leurs intérêts géopolitiques et surtout économiques. Ces derniers sont plus importants pour les États-Unis, car ils atteignent leurs objectifs politiques par la réussite économique. Pour le moment, en plus de la lutte contre le terrorisme, les communications et les projets énergétiques sont des objectifs primordiaux pour les Américains. Afin de les réaliser, on a impérativement besoin de stabilité, de règlement des conflits ethniques et de la détente politique. Pour cela, Moscou et Washington seront contraints de faire des concessions mutuelles qui peuvent être à la fois rationnelles et compensatrices. Seul un tel tandem russo-américain pourrait garantir réellement la paix dans la région d'affrontement arméno-azéri.

      La Russie et les États-Unis coopèrent également dans le cadre du groupe de Minsk, mais, jusqu'à présent, les négociations se sont avérées infructueuses. Aujourd'hui, on peut croire que Moscou et Washington ont compris qu'il est mieux de garder un équilibre entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, ce qui signifie de maintenir autant que possible les deux pays dans un état de dépendance.

      L'Azerbaïdjan considère toujours la coopération militaire russo-arménienne comme dirigée contre les intérêts azéris dans la région. De plus, il pense toujours récupérer ses pertes territoriales à l'aide de la force militaire. La capitale azerbaïdjanaise est ouvertement irritée du fait que l'Occident est souvent enclin à soutenir l'Arménie dans le conflit du Karabakh. Le fait qu'en dépit de l'importance de ses réserves énergétiques pour l'Occident, ce dernier ne soutient pas la cause azérie, la laisse perplexe. De surcroît, ce même Occident développe une coopération économique et effectue des investissements non seulement en Arménie, mais également au Haut-Karabakh non reconnu de jure, et tous deux privés de ressources stratégiques. En fait, en Azerbaïdjan, l'Union européenne essaye de tester sa politique étrangère et de sécurité commune en participant à l'établissement d'une paix durable au Haut-Karabakh, mais sans succès perceptibles jusqu'à présent.

      Au début des années 1990, l'Occident exploita deux propositions successives de règlement du conflit arméno-azéri :

      convaincre l'Arménie de céder le Haut-Karabakh à l'Azerbaïdjan en échange de la construction d'oléoducs empruntant le territoire arménien ;

      garder le Haut-Karabakh en échange de territoires.

      Ces propositions étaient basées sur la variante du règlement de la crise du Haut-Karabakh avancée en 1992 par le célèbre analyste américain Hopple, ancien responsable du Département d'État des Etats-Unis. En effet, Hopple proposa un échange de territoires entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan. L'objectif était l'établissement d'un lien direct géographique entre le Nakhitchevan et l'Azerbaïdjan via Zanguezour (corridor de Meghri), d'un côté, et entre l'Arménie et le Haut-Karabakh via le corridor de Latchine, de l'autre (voir la carte n° ).

      La réalisation de ce plan signifierait :

      la disparition de la frontière commune irano-arménienne, autrement dit, l'isolement quasi total de l'Arménie ;

      l'accès direct de la Turquie à l'Azerbaïdjan et l'Asie centrale, c'est-à-dire un premier pas dans la création d'un « continuum panturquiste d'Istanbul à la Chine » et d'un nouvel empire ottoman.

      Ainsi, le territoire de l'Azerbaïdjan était considéré comme continuation de la Turquie. Ce plan pourrait changer complètement la carte géographique et géopolitique de la région en menaçant immédiatement la sécurité nationale de l'Iran, de l'Arménie et de la Russie. Selon l'académicien et homme d'affaires A. Vardanian, « cet échange se ferait au profit de l'OTAN et des États-Unis, qui veulent détruire l'axe géostratégique en formation et dont l'Iran doit devenir le centre » 831 .

      La position officielle d'Erevan fut que le territoire de l'Arménie n'était pas l'objet de négociations. L'éventualité d'un tel compromis provoqua d'emblée la protestation de la population de Meghri et de la diaspora arménienne 832 . La conclusion de l'accord « pétrole contre Karabakh » fut également rejetée par la capitale arménienne. Pour ce qui était du problème du « corridor de Latchine », qui relie les deux territoires arméniens, Erevan estime que c'est le prix que l'Azerbaïdjan doit payer pour sa défaite dans la guerre qu'il a lui-même engendrée. Un échange de territoires est également inacceptable pour Moscou et pour Téhéran.

      À l'origine, le problème du Karabakh n'est pas un litige territorial. Le ramener à cela, c'est altérer l'essence même de ce conflit. Échanger un territoire arménien contre un autre est un non-sens. Cela rappelle une autre tentative d'explication de l'origine de ce contentieux arméno-azéri émise, cette fois par les dirigeants soviétiques. Au tout début, ces derniers tentèrent de ramener le conflit à l'existence de multiples problèmes économiques et investirent beaucoup dans cette direction. Le développement ultérieur des événements montra l'inconsistance de cette argumentation. En fin de compte, le centre soviétique ne fit que perdre un temps si précieux à ce stade du conflit.

      Les États-Unis sont l'unique pays au monde qui accorde une aide d'État directe au Karabakh 833 . Cette aide, outre son importance socio-économique, apporte également des dividendes politiques apparents à la république autoproclamée. Bien évidemment, cela provoque une réaction négative des autorités azéries. Celles-ci sont très souvent persuadées de la trahison des Américains, qui comme les Russes, mènent une politique injuste, voire discriminatoire à l'égard de l'Azerbaïdjan et prennent le parti des Arméniens. La section n° 907 du Freedom Support Act du Congrès américain imposa pendant 12 ans des sanctions à l'Azerbaïdjan pour l'embargo mené contre l'Arménie et le Haut-Karabakh. De toute évidence, le problème du Karabakh une fois résolu, les États-Unis et l'OTAN, comme d'ailleurs les autres puissances intéressées, auront un prétexte de moins pour s'imposer en Azerbaïdjan.

      Quant à l'Iran, après une tentative timide de réconcilier les parties en conflit, il préféra choisir une position plutôt neutre en se rapprochant en même temps de l'Arménie. Ce rapprochement était censé faire contrepoids à celui existant entre l'Azerbaïdjan et les États-Unis et l'Occident, ennemis acharnés de l'Iran. Téhéran est très méfiant par rapport à toute présence politique, économique et surtout militaire des Américains à proximité de ses frontières et plus particulièrement en Azerbaïdjan. Tout au long du 20e siècle, la capitale iranienne a été préoccupée par un risque de déstabilisation intérieure générée par la plus importante minorité de son pays – les Azéris iraniens. Les appels pan-azéris de l'ex-président Eltchibeï non seulement inquiétèrent Téhéran, mais l'incitèrent aussi à adopter une politique plutôt favorable à la cause arménienne du Haut-Karabakh 834 . La République islamique reproche également à Bakou son partenariat avec Israël. La compréhension mutuelle entre la Russie, l'Iran et l'Arménie sur le dossier du Haut-Karabakh est très importante, notamment pour Erevan. Néanmoins, une neutralité de Téhéran dans cette région pourrait contenter les intérêts des États-Unis.

      La Turquie qui fut une des premières à reconnaître l'indépendance de l'Azerbaïdjan, soutient les intérêts de ce dernier dans toutes les organisations internationales et régionales. Elle l'aide également dans le perfectionnement professionnel des cadres militaires en envoyant des conseillers et des officiers instructeurs, ainsi que dans les investissements, les constructions et dans beaucoup d'autres domaines 835 . Ankara proposa plusieurs fois ses services de médiation, mais se heurta chaque fois à l'opposition d'Erevan. Le contentieux historique avec l'Arménie et la coopération plus qu'étroite avec l'Azerbaïdjan réduisirent à néant toute chance de médiation de la Turquie dans l'éventuel règlement politique du conflit arméno-azéri.

      Après les succès militaires arméniens au Karabakh, l'opinion publique turque fit pression sur le gouvernement pour qu'il se porte au secours des Azéris. Ankara, pour sa part, chercha à modérer sa réaction « pour ne pas s'aliéner l'opinion occidentale » sensible « à la cause arménienne » 836 . L'ex-président turc T. Ozal en 1990, lors de l'intervention de l'Armée soviétique à Bakou, déclara même que « les Azéris tout en étant turcs, étaient plus proches de l'Iran que de la Turquie, parce qu'ils étaient chiites ». Ces propos suscitèrent un tel tollé en Turquie qu'Ozal dut présenter ses excuses 837 . Sur le plan militaire, la Turquie préféra une position plutôt neutre et déçut l'Azerbaïdjan en refusant d'intervenir au Karabakh. « Ni « la confrérie turque » ni les sympathies réciproques des deux peuples ne contraindraient Ankara à sacrifier son prestige international en se mettant ouvertement du côté de l'Azerbaïdjan » 838 . Il est évident que la Turquie n'avait aucun besoin d'une seconde Chypre. L'élite politique turque comprend bien que l'Iran et l'Arménie seront toujours un obstacle pour la Turquie dans un processus de rapprochement avec les Turcs orientaux.

      De la même manière, Bakou ne reçut pas l'aide escomptée de la part des républiques turcophones d'Asie centrale qui préférèrent de ne pas altérer leurs relations avec la Russie et l'Arménie. En outre, la turcophilie d'Eltchibeï et ses critiques adressées aux leaders des pays turcophones d'Asie centrale qui, selon lui, manquaient d'enthousiasme pour le panturquisme, irritaient ces derniers et les poussèrent à prendre leurs distances par rapport au régime en place en Azerbaïdjan 839 . La position modérée prise par les « Turcs extérieurs » déçut également Ankara en brisant son rêve d'unir les peuples turcophones sous sa tutelle. Cet échec démontra également l'étroitesse de la marge de manœuvre d'Ankara et l'écart entre ses ambitions hégémoniques et ses capacités économiques et politiques réelles 840 . Le « monde turc » s'avéra plus divisé qu'on ne le pensait au lendemain de la disparition de l'ex-URSS.

      Un tel concours de circonstances pousse l'Azerbaïdjan, à l'instar de l'Arménie, à compter sur deux partenaires en même temps, les États-Unis et la Russie. Ce changement de tactique aboutit à une diminution relative de la tension dans la région et, par conséquent, créa des conditions favorables pour le maintien du cessez-le-feu et pour la recherche de variantes de règlement mutuellement acceptables. La politique dite de complémentarité des deux belligérants diminua leur agressivité en les rendant plus portés au compromis. Mais celle-ci n'est positive qu'à court terme et risque de geler le problème.

      Enfin, on observa l'implication indirecte d'Israël dans le processus diplomatique de règlement du conflit du Karabakh. La quête de nouvelles alliances susceptibles de défendre sa cause poussa Bakou à nouer des relations avec Tel-Aviv. Bakou mesura bien deux circonstances qui pouvaient être utilisées en sa faveur :

      1) l'influence d'Israël au sein du Congrès américain pour le lobbying des intérêts azerbaïdjanais ;

      2) l'aspiration de la diplomatie israélienne à trouver des alliés dans le monde musulman.

      C'est pourquoi, la capitale azerbaïdjanaise qualifia Israël de partenaire stratégique 841 .

      


E. – Les peuples daghestanais à la lisière de la frontière russo-azerbaïdjanaise

      

      Quelques peuples daghestanais (Lezguiens, Avars, Tsakours) sont divisés entre le Daghestan (Fédération de Russie) et l'Azerbaïdjan. La confrontation entre eux et Azéris concerne directement la Russie.

      En effet, les Lezguiens peuplent traditionnellement les terres qui se trouvent des deux côtés de la rivière frontalière Samour entre le Daghestan et l'Azerbaïdjan. La population lezguienne de l'Azerbaïdjan est concentrée majoritairement dans le district de Kouba au nord du pays et compte 178 000 personnes (1999), celle du Daghestan 329 800 (1999). Dès l'époque soviétique, le mouvement informel des Lezguiens Sadval, basé dans la République du Daghestan, mena une certaine activité politique sur le territoire de l'Azerbaïdjan. On enregistra également des cas d'accrochages ethniques entre les Lezguiens azerbaïdjanais et l'administration azérie locale.

      Après l'indépendance de l'Azerbaïdjan, l'aile radicale de Sadval fit un appel pour créer une « Zone économique libre lezguienne » avec une transformation ultérieure en État lezguien 842 . Nombreux sont les cas de boycott de l'administration azérie par ces derniers. Les jeunes Lezguiens évitent de faire leur service militaire, notamment dans la zone d'affrontements armés. Au début des années 1990, l'Azerbaïdjan connut à deux reprises à ses confins nord peuplés par les Lezguiens (mars 1993, avril-mai 1994), des tentatives de déstabilisation de sa situation politique. Bakou alla jusqu'à accuser cette communauté ethnique d'actes terroristes, comme l'attentat du métro de Bakou en 1994 dans lequel les pistes arménienne et lezguienne furent privilégiées 843 . Enfin, l'élite locale exige de plus en plus sa part des recettes reçues de l'exportation du pétrole, compte tenu du fait que l'oléoduc traverse leur territoire 844 . Bien que Moscou reste officiellement à l'écart de l'instrumentalisation de ce problème, certains hommes politiques soutiennent la cause des Lezguiens.

      Deux autres peuples, les Avars (50 900 en 1999) et les Tsakhours (15 900 en 1999), sont divisés entre le Daghestan et la région de Zakataly en Azerbaïdjan où ils habitent depuis plus de 300 ans. Les compatriotes des Avars en Russie sont 13 fois plus nombreux : 657 200 (1999). Par contre, le Daghestan ne compte que 6 600 Tsakhours (1999). Ainsi les deux tiers de cette ethnie habitent en Azerbaïdjan. Certains leaders des organisations communautaires basées au Daghestan, où vit la majorité des ethnies en question, se prononcent souvent en faveur de la réunification des deux parties des peuples séparés par une frontière désormais étatique.

      Les accrochages les plus sérieux de la période post-soviétique eurent lieu en été 2001 quand des chars et des détachements militaires spéciaux azéris entrèrent à Zakataly, peuplé majoritairement par les Avars, pour réprimer la « mutinerie avare » 845 . Bakou avança plusieurs versions à ces événements en y voyant la main de Moscou ou de Téhéran, voire d'Erevan, et aussi l'implication des wahhabites. Chaque version eut son destinataire : l'« ingérence » de Moscou et de Téhéran – pour l'Occident et la Turquie afin de montrer une fois de plus que tous les maux venaient du nord et du sud ; d'Erevan – pour accuser l'Arménie de déstabilisation de la région ce qui lui permettrait de gagner des dividendes politiques au profit du règlement en sa faveur du conflit du Karabakh ; des wahhabites – pour Moscou occupé par la lutte contre cette forme d'islam radical et pour anticiper l'éventuelle ingérence du Kremlin aux côtés des Avars. La piste du wahhabisme n'a pas tenu longtemps, car les Avars ( ?) détruisirent le monument de Chamil érigé par Eltchibeï 846 . Quoi qu'il en soit, Moscou s'abstint de soutenir ouvertement la cause avare.

      Le problème réside aussi dans le déplacement forcé et volontaire des Azéris des régions montagnardes vers les plaines et en direction de la Caspienne. Selon les chiffres officiels, pendant la première décennie post-soviétique, environ 1,3 millions de personnes quittèrent les districts situés au sud-ouest du pays. Une partie, avec l'encouragement et le concours des autorités azéries s'installa dans les régions septentrionales qui, de longue date, étaient peuplées majoritairement par des peuples daghestanais 847 . Makhatchkala considère que la politique intérieure de l'Azerbaïdjan poursuit l'objectif de changer la situation démographique en faveur des Azéris ce qui amènerait l'éviction progressive des autres peuples non titulaires, en l'occurrence daghestanais. En corollaire ajoutons que plus de 80 000 Azéris vivent dans le district de Derbent (Daghestan) frontalier avec l'Azerbaïdjan.

      Sur fond de construction du corridor de transport international « Nord-Sud », la montée de la tension ethnique des deux côtés de la frontière russo-azerbaïdjanaise est susceptible d'apporter des conséquences indésirables à cette route terrestre en constitution. En effet, le corridor « Nord-Sud » retrace un des passages de la Route de la Soie et représente un itinéraire optimal et moins coûteux qui relie l'Inde à l'Europe via l'Iran, la Caspienne et la Russie (cf infra chapitre III, § 3). Dès février 2002, la Douma d'État ratifia l'accord concernant ce corridor de transport.

      

      

      CONCLUSION

      

      L'Azerbaïdjan représente un enjeu important à la fois au Caucase et en Asie centrale réunis de part et d'autre de la Caspienne au cœur de l'Eurasie. Il est la clé de la stabilisation, mais en même temps, engendre de multiples risques causés par les rivalités qui se manifestent autour de lui, et par les tensions ethniques intérieures (indépendance de facto du Haut-Karabakh, perte d'autres territoires frontaliers, question douloureuse des réfugiés, etc.).

      La vision initiale selon laquelle la Russie avait tous les atouts pour garder l'Azerbaïdjan dans son giron s'avéra erronée. La coopération multidimensionnelle russo-arménienne reste comme pierre d'achoppement dans les relations russo-azerbaïdjanaises. Dans le règlement du problème du Haut-Karabakh, Bakou attend toujours des concessions politiques de Moscou. Les Azéris accusaient également la capitale russe de donner refuge aux adversaires politiques du régime en place. Une autre source de tension bilatérale résidait dans la position officielle de Bakou à propos du conflit tchétchène dans lequel l'Azerbaïdjan initialement prit la cause des Tchétchènes dont une partie, notamment, les commandants en chefs, avait trouvé refuge sur son territoire.

      Avec l'arrivée au pouvoir de Poutine, la Russie adopta une politique pragmatique et équilibrée dans le Caucase du Sud. Moscou se déclara prête à coopérer également avec Bakou en prenant une position dite « neutre » à l'égard du conflit du Haut-Karabakh. En contrepartie, l'Azerbaïdjan cessa de soutenir les séparatistes tchétchènes.

      Mais la Russie s'est vue déjà privée de l'opposition intérieure prorusse sur laquelle elle pouvait éventuellement compter. Parmi les leviers de pression elle ne disposait que du « facteur arménien » et, dans une moindre mesure, de la question des peuples daghestanais divisés entre le Daghestan et l'Azerbaïdjan qui aspirent à une réunification hypothétique. Ces circonstances poussèrent Moscou à changer sa stratégie à l'égard de Bakou. Elle infléchit sa politique vers une coopération économique et un dialogue politique (moins réussi) avec Bakou afin de neutraliser le danger éventuel de transformation de l'Azerbaïdjan en un pays non amical. Par ailleurs, la coopération économique aurait de bonnes perspectives à condition de se libérer des éléments politiques. Dans ce contexte, Moscou choisit davantage la voie de la coopération avec l'Occident en Azerbaïdjan que la confrontation, bien que la rivalité existe toujours.

      La diplomatie azerbaïdjanaise réussit à élaborer une politique de complémentarité et à contrebalancer l'enchevêtrement des intérêts et des influences des puissances présentes sur son territoire. L'hypothèse selon laquelle la situation empirerait après le départ d'Aliev-père ne fut pas justifiée. Les relations bilatérales entre Moscou et Bakou ne se dégradèrent pas non plus. De nos jours, le régime d'Aliev-fils est en train de faire la preuve de sa viabilité. Le fait que ce dernier ait vécu et travaillé à Moscou joue, semble-t-il, un rôle non négligeable dans la construction des relations entre les deux pays.

      Dès son indépendance, la politique étrangère de l'Azerbaïdjan se construisit autour des enjeux pétroliers de la Caspienne. Le flux des pétrodollars contribue largement à sa militarisation ce qui, selon Bakou, doit assurer la restauration de son intégrité territoriale.

      Les dirigeants azerbaïdjanais prirent le modèle turc comme exemple pour leurs propres réformes économiques. Les futurs projets économiques vont dans le sens du renforcement de la coopération économique entre les deux pays. En revanche, les 13 dernières années démontrèrent que l'influence politique de la Turquie était surestimée.

      La Russie est privée de la présence de ses troupes en Azerbaïdjan, excepté une station de radar stratégique. Il existe également un accord militaire rudimentaire dans le domaine aérien. En revanche, la coopération entre l'Azerbaïdjan et l'OTAN se développe et reste d'actualité. Sur ce point, la diplomatie russe sera contrainte de changer sa position, car une intégration militaire se produit entre Bakou et Bruxelles et non pas avec Moscou. Résignée à cette idée, elle mise davantage sur la coopération militaire avec l'Arménie, seul pays du Caucase du Sud qui accepte de voir les troupes russes stationner sur son territoire.

      Le niveau de coopération politique bilatérale russo-azérie est conditionné par la résolution du conflit arméno-azéri. Impliquée dès le début des hostilités, la Russie réussit à imposer un cessez-le-feu qui est toujours en vigueur depuis plus de dix ans. Elle réussit également à écarter l'ingérence d'un troisième pays, notamment la Turquie, dans le conflit. Qu'il s'agisse d'un conflit réglé ou couvé, ces deux issues éventuelles du conflit seront de toute façon avantageuses pour Moscou. La première créera une stabilité sur ses confins méridionaux, la deuxième gardera en dépendance encore longtemps les deux belligérants.

      Enfin, on observe une timide émancipation sporadique de quelques peuples daghestanais dont une partie habite dans les districts septentrionaux de l'Azerbaïdjan. La menace de séparatisme s'est éloignée, mais il n'est pas exclu que dans le futur les contentieux ethniques soient instrumentalisés aussi bien par des forces nationalistes que par le Kremlin afin d'exercer une pression sur Bakou.

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      


§ 2. Les autres principaux acteurs de l'échiquier caspien

      

      

      Pendant longtemps, la seule puissance qui régnait sur la Caspienne a été l'Iran, avant que la politique expansionniste de l'Empire russe, débutée au 18e siècle, ne l'évince. Grâce à sa position géopolitique exceptionnelle entre la Russie, l'Inde, les mondes arabe et turcophone, l'Iran prétend jouer un rôle de puissance régionale. La Turquie, quant à elle, est considérée comme modèle et leader du monde turc. Ses aspirations à se rapprocher des anciennes républiques turcophones et musulmanes suite à la dislocation de l'URSS, ouvrirent une nouvelle page dans la rivalité russo-turque au Caucase du Sud et en Asie centrale.

      L'omniprésence des États-Unis dans le monde entier est l'un de ses traits particuliers qui se concrétise notamment par le disséminement de ses investissements. Ils considèrent la région caspienne comme zone de leurs intérêts stratégiques et ils ne rejettent pas la possibilité de renforcer leur influence dans cette région. La nouvelle politique américaine consiste en l'affaiblissement de l'influence russe et iranienne et en la réalisation de toute une série de projets économiques.

      


A. – La Russie et l'Iran : la rivalité sous couvert de partenariat

      

      Après la Russie, c'est le deuxième plus grand pays caspien de par sa population (72 millions d'habitants). Ses sous-sols contiennent 11 % des réserves mondiales prouvées de pétrole et 15,3 % de gaz naturel. De plus, l'Iran représente un des pôles ethnoculturels de l'Eurasie intérieure.

      Le Caucase du Sud et l'Asie centrale sont des zones sensibles et importantes pour l'Iran du point de vue notamment de l'assurance de sa sécurité nationale. Les intérêts économiques ne sont pas négligeables non plus. Pour le moment, la sécurité de l'Iran n'est pas directement menacée. Or, en se trouvant au centre d'un espace conflictuel, la République islamique a toutes les chances de se voir concerné et impliqué dans des conflits potentiels. Téhéran, à l'instar de Moscou, craint que l'admission des pays de la région aux différents blocs, qui lui sont hostiles, comme l'OTAN, ne nuise à son influence. Ainsi, l'Iran observe attentivement les événements qui se déroulent dans la région caspienne, dans sa composition la plus large, et se rapproche de Moscou sur les plans économique et militaire.

      En effet, l'Iran a des relations tendues avec presque tous ses voisins immédiats. À l'ouest se trouve la Turquie, sa rivale traditionnelle pour les sphères d'influence au Caucase et en Asie centrale. Au sud-ouest, il côtoie l'Irak avec qui il a récemment connu une guerre sanglante de plusieurs années. Au nord se situe l'Azerbaïdjan qui représente une menace de déstabilisation pour sa province d'Azerbaïdjan du Sud. En plus, il y a de sérieux contentieux dans le partage des gisements caspiens entre Bakou et Téhéran. Le voisin de l'est, l'Afghanistan, à l'instar de l'Irak, est devenu la tête de pont de la présence américaine à proximité de ses frontières. Le Pakistan inquiète depuis longtemps Téhéran par son ingérence dans les affaires afghanes. De surcroît, la République islamique elle-même est tiraillée entre deux forces opposées, conservateurs et cléricaux face aux libéraux et laïcs, prônant chacune des voies de développement distinctes.

      L'Iran se considère non seulement comme un passage obligé géographique, mais également comme un pôle politico-économique et idéologique voire militaire d'importance entre le Caucase du Sud, l'Asie centrale, le Proche-Orient et l'Asie Mineure. Schématiquement on peut évoquer trois facteurs qui avantagent l'Iran sur le plan régional et international :

      sa position géographique ;

      ses ressources énergétiques ;

      son héritage historique et culturel 848 .

      La dislocation de l'URSS donna à l'Iran une nouvelle dimension géopolitique. L'apparition sur ses frontières de l'Azerbaïdjan et du Turkménistan indépendants éloigna la Russie de l'Iran, pour la première fois depuis 1828. Ainsi en 14 ans, la Russie est revenue à ses limites étatiques du début du 18e siècle. L'Iran se sentit soulagé, car Moscou a longtemps été perçue comme un adversaire potentiel, un rival au Caucase du Sud, en Asie centrale et sur la Caspienne. De surcroît, au cours du 20e siècle, elle était impliquée directement et indirectement dans la déstabilisation de la situation en Azerbaïdjan et Kurdistan iraniens. Le recul du pouvoir russe du centre de l'Eurasie ouvrit enfin à l'Iran de nouveaux horizons géopolitiques pour la coopération régionale et pour la pénétration dans des zones historiquement proches de lui. Avec l'Azerbaïdjan et le Turkménistan, l'Iran a une frontière commune de respectivement 753 km et 1 180 km.

      Il existe toute une série de conditions qui encourage le rapprochement russo-iranien :

      la proximité géographique et la frontière commune par la mer Caspienne. Pendant presque trois siècles, l'Iran constituait la frontière méridionale de la Russie ;

      des sorts historiques similaires, souvent menacés et envahis par des peuples d'un niveau de développement culturel moins élevé ;

      le poids de l'histoire passée et récente : grâce à la présence militaire russe au nord de l'Iran, ce dernier évita de devenir une colonie de l'Angleterre 849  ;

      la coopération économique séculaire mutuellement avantageuse qui continue encore de nos jours ;

      la présence du même ennemi contemporain : l'Occident, source d'inquiétude commune ;

      l'isolement forcé pour la survie et la continuité historique ;

      le rôle que Téhéran a joué et joue au Caucase du Sud et en Asie centrale, deux régions également sensibles pour Moscou ;

      la présence de sources communes culturelles et spirituelles (Avesta et manichéisme eurent un impact considérable sur le développement du christianisme, notamment de sa branche orientale, l'orthodoxie) ;

      la place à part du chiisme et de l'orthodoxie au sein de l'Islam et du christianisme ;

      le rôle important de la spiritualité dans la construction de l'État et dans la formation des deux nations 850  ;

      la présence forte des Scythes iranophones pendant la période préchrétienne des Russes 851 .

      Au lendemain de la dissolution de l'Union soviétique, Moscou craignait que l'Iran n'exporte sa révolution dans les États musulmans récemment constitués, notamment en Azerbaïdjan et au Tadjikistan. En dépit des différences d'origine ethnique avec les Azéris turcophones, les deux pays sont très proches culturellement, sans doute grâce à leur appartenance à la même branche de l'Islam, le chiisme. Outre cela, les deux tiers de l'ethnie azérie vit sur le territoire de l'Iran et, de surcroît, est bien intégrée à la nation iranienne. Le sérieux des projets de Téhéran se manifesta dans le fait qu'en 1992, le Ministère des Affaires étrangères de la République islamique avait édicté un arrêté spécial selon lequel toutes les ambassades d'Iran au monde étaient dans l'obligation de rendre les services nécessaires aux diplomates et citoyens de la République d'Azerbaïdjan 852 . L'Iran était également le premier pays à reconnaître l'indépendance de l'Azerbaïdjan (novembre 1991) et à lui ouvrir ses frontières 853 .

      Les intérêts de Moscou et de Téhéran se heurtèrent également au Tadjikistan où la Russie soutenait le gouvernement en place, tandis que l'Iran prêtait son concours à l'opposition tadjike 854  constituée sur la base de l'ancien Parti islamique de la Renaissance. Par ailleurs, le Tadjikistan est le seul pays de l'espace post-soviétique où le clergé joue officiellement un rôle politique autonome et fait partie du gouvernement 855 . Mais le fait que Téhéran s'est abstenu quand même de faire la propagande de son modèle d'État dans la « zone russe » permit d'établir de bonnes relations entre les deux pays. Si les relations se dégradent, il n'est pas exclu que la République islamique déploie un prosélytisme non seulement dans l'espace en question, mais également au sein de la Fédération de Russie sur les sujets musulmans.

      La stabilité au Caucase du Sud et en Asie centrale est d'intérêt vital pour Téhéran. Le point sensible dans le premier territoire est le conflit du Haut-Karabakh qui oppose les Arméniens aux Azéris. Ici, le monde est confronté à une situation géopolitique paradoxale : l'Iran chiite, avec des ambitions d'unification du monde musulman, soutient l'Arménie chrétienne contre l'Azerbaïdjan, deuxième et dernier pays chiite dans le monde. Bien entendu, cela éveille la perplexité de ses frères de religion.

      Au premier regard, c'est plus qu'étonnant. Pour trouver la réponse à cette situation paradoxale, une réflexion historique est indispensable, car la solution se trouve sur les plans historique, culturel et ethnique. Avec l'Iran l'Arménie a une histoire commune de plus de 2 000 ans. Durant des siècles, l'Arménie, comme l'Azerbaïdjan, était une des provinces périphériques de l'Empire persan. La partie nord de l'Iran se distingue par une forte concentration d'Azéris. Au début du conflit, les Azéris iraniens ont demandé à Téhéran de réviser ses relations avec Erevan. L'Iran a même mis la capitale arménienne en garde en lui faisant savoir que sa politique envers les Arméniens changerait, si ces derniers ne libéraient pas les territoires azéris occupés. Mais la réaction de Moscou à cet égard et l'arrivée au pouvoir d'Eltchibeï changèrent radicalement la donne régionale de l'Iran.

      Téhéran a toujours en mémoire l'utilisation par le pouvoir central de l'ex-URSS de l'Azerbaïdjan soviétique pour déstabiliser l'Azerbaïdjan iranien 856 . Le nationalisme azéri représente une vraie menace pour la République islamique. Certains hommes politiques en Azerbaïdjan se prononcent pour l'unification des « deux Azerbaïdjans », du Nord et du Sud. L'ex-président azéri A. Eltchibeï mena une politique expansionniste à l'égard de l'Iran en encourageant le séparatisme chez les Azéris iraniens. En 1995, il déclara : « Les conditions nécessaires à la poursuite d'une lutte pour l'indépendance sont mûres. Le Front populaire [de l'Azerbaïdjan – G.G.] salue la lutte de l'Azerbaïdjan du Sud [iranien – G.G.] » 857 . C'est pourquoi, soucieux d'éviter l'extension du nationalisme azéri à l'intérieur de ses frontières, Téhéran n'accepte évidemment pas l'idée d'unification des « deux Azerbaïdjans », mais il n'est pas en effet contre l'unification des « deux Arménies ». Dans la même optique, l'Iran commença à soutenir l'opposition azerbaïdjanaise, aussi bien à l'intérieur qu'à extérieur du pays 858 . Ainsi, la République islamique se heurte aux mêmes problèmes de séparatisme dans ses affaires intérieures à l'instar de la Russie (Tchétchénie) et de la Chine (Xinjiang, Tibet). À la recherche d'un appui dans la région afin de briser son isolement international, Téhéran espère pouvoir compter sur Moscou et sur Pékin.

      Enfin, Téhéran n'apprécie pas la coopération de Bakou avec l'OTAN et son intention d'implanter une base militaire de l'Alliance atlantique sur son territoire. Pas une seule fois l'Iran n'a demandé l'Azerbaïdjan de s'abstenir de tels projets 859 . Si les relations irano-américaines ne s'améliorent pas, il n'est pas exclu que Washington utilise le « facteur azéri » pour essayer de démembrer l'Iran en l'éloignant pour toujours du Caucase.

      

      Lors de la crise autour des gisements litigieux en 2001, Téhéran fit même des allusions à Aliev-père pour qu'il dirige le pays sans donner de prétexte au peuple iranien de demander le retour de l'Azerbaïdjan dans le giron de l'Iran 860 . Ce dernier s'efforce également d'empêcher l'émergence d'un axe turco-azéri qui romprait l'équilibre régional et fournirait un modèle de développement plus attractif et concurrent du sien auprès du monde musulman. Par ailleurs, la divergence idéologique sur la question du modèle de construction étatique (islamique ou laïc) est très présente dans les relations bilatérales irano-azéries.

      Sur le plan géopolitique régional, l'hostilité et la méfiance à l'égard de la Turquie sont également des facteurs qui rapprochent l'Iran de l'Arménie. C'est devenu une tradition dans l'histoire commune. Dès le 17e siècle, la Perse a tenté de créer une coalition avec l'Occident contre l'Empire ottoman, en y associant toutes les minorités chrétiennes de l'Orient 861 . Ainsi, la crainte devant le pan-azérisme et le panturquisme crée une alliance naturelle entre Téhéran et Erevan. Dans ces conditions, l'Iran a essayé d'offrir ses bons offices pour le règlement de l'affrontement arméno-azéri, mais sans aucun succès perceptible jusqu'à maintenant. Le rôle de médiateur dans le conflit arméno-azéri provoqua d'emblée le mécontentement de Moscou qui considère toujours cette région comme son domaine propre d'activité.

      Le refroidissement de ce partenariat est possible en cas d'amélioration des relations arméno-turques et arméno-azéries. Aujourd'hui les États-Unis essayent d'atteindre ce but stratégique pour que l'Iran ne puisse miser sur ses deux « amis » régionaux – la Russie et l'Arménie. Pour tenter de contenir les ambitions turco-américaines dans la région, Téhéran renforce sa politique de rapprochement opérée avec la Russie. À l'instar de Moscou, Téhéran a fermement rejeté l'idée de l'envoi de « Casques bleus » étrangers au Karabakh en cas d'accord de paix.

      La Russie a apprécié la position iranienne dans la question tchétchène. L'Iran garda sa neutralité en dépit des multiples tentatives de l'impliquer à la soi-disant lutte entre musulmans et chrétiens. Hormis quelques manifestations peu nombreuses et déclarations officielles timides, Téhéran n'alla pas trop loin. Dès le début du conflit, la capitale iranienne considéra que c'était une affaire intérieure de la Fédération de Russie. Par ailleurs, elle a toujours reconnu l'ex-espace soviétique comme le domaine des intérêts prioritaires russes 862 . L'Iran ne prêta guère de concours aux séparatistes tchétchènes quoique le facteur religieux fût bien présent dans ce conflit. De surcroît, Téhéran a bloqué à maintes reprises la prise de résolutions antirusses dans le cadre de l'Organisation de la Conférence islamique qu'il présidait entre 1997 et 2000 863 .

      Les intérêts russes et iraniens se croisent également sur la mer Caspienne. Téhéran est préoccupé par le problème de la construction des oléoducs d'évacuation des hydrocarbures caspiens. En effet, la route méridionale ou iranienne est la plus courte et la moins coûteuse, mais elle a très peu de chance d'être réalisée à cause de l'opposition farouche des États-Unis. À la suite du partage de la mer Caspienne en sections nationales, Moscou et Téhéran sont devenus les « parents pauvres » de la Caspienne 864  et les relations bilatérales se sont refroidies. Un isolement éventuel dans le « Grand Jeu » ne peut pas arranger l'Iran. Mais il n'a pas de leviers effectifs pour faire valoir ses intérêts dans la région. C'est la Russie et partiellement et paradoxalement la petite Arménie qui pourraient les défendre.

      Moscou tente de temps en temps de raviver l'idée « mythifiée » de création de l'axe Moscou-Erévan-Téhéran-New Delhi comme contrepoids de l'alliance pro-américaine Tel-Aviv-Ankara-Bakou et aussi Tbilissi. Au sein de l'élite politique russe il n'y a pas de consensus sur la politique à l'égard de l'Iran. Les uns prônent un rapprochement de Téhéran pour faire face aux défis géopolitiques contemporains. L'ancien premier ministre Primakov estime que la Russie peut redevenir une grande puissance à condition de s'appuyer sur « ses anciens clients arabes et sur l'Iran » 865 . La thèse de Primakov est également appuyée par les néo-eurasistes et les libéraux démoceates. Le géopoliticien contemporain A. Douguine écrit à propos de l'importance de l'Iran pour la Russie : « La création de l'axe Moscou-Téhéran coupe entièrement l'« anaconda » en sa partie la plus vulnérable et ouvre des perspectives illimitées à la Russie pour obtenir de nouveaux avant-postes au sein et en dehors de l'Eurasie » 866 . Selon le leader du Parti libéral démocrate V. Jirinovski, le « principal souci de la Russie dans le monde musulman doit être la coopération stratégique avec l'Iran » 867 .

      

      

      

      En revanche, les autres, notamment les occidentalistes, sont convaincus que l'Iran n'est pas un allié fidèle et que ses ambitions et sa forte identité ne lui permettront jamais de suivre la Russie dans sa politique étrangère. Il faut donc ne pas altérer les relations avec l'Occident à cause de la République islamique.

      Cependant, l'axe Moscou – Téhéran qui se base sur un élément tactique de coopération, n'est, en réalité, pas trop solide. Autrement dit, les deux capitales sont obligées de coopérer compte tenu de la situation géopolitique et des rapports de forces établis dans la région et dans l'Eurasie, en général. L'essence de cette coopération est l'opposition à l'Occident, en particulier, aux États-Unis. Il est tout à fait compréhensible que Moscou et Téhéran cherchent à se protéger des perspectives de déstabilisation régionale, même si les méthodes utilisées peuvent se heurter. En effet, les deux pays partagent le même sort : isolés géopolitiquement et civilisationnellement, ils sont contraints de faire face seuls aux forces extérieures. Cette circonstance unit également l'Iran et la Russie pour développer une coopération multilatérale, cependant on est encore loin de la création d'une alliance solide.

      Mais le renforcement de l'influence iranienne dans la région, dans une certaine mesure, peut être considéré comme une menace pour ses intérêts régionaux russes, pour la bonne raison que le nombre de rivaux augmente. Téhéran, pour sa part, ne peut pas être intéressé par un affaiblissement substantiel de l'influence russe dans la région. En cas de défaut de ses propres moyens d'influence, la place de la Russie sera comblée par la Turquie et l'Occident.

      Pour ce qui concerne les relations économiques russo-iraniennes, elles furent restructurées après l'implosion de l'URSS. D'abord Moscou reprit les anciens chantiers soviétiques en Iran comme le complexe métallurgique à Ispahan, entreprit d'achever la centrale nucléaire de Boucher (depuis le 25 août 1992) et des travaux d'exploration du gisement gazier South Pars. La Russie devint également un des fournisseurs principaux de l'armée iranienne.

      Des contrats de plusieurs milliards de dollars furent signés, en particulier dans le domaine militaire (environ 5 milliards de dollars). En cas d'amélioration des relations irano-occidentales, la Russie avec ses technologies sera moins attractive. Elle perdrait vraisemblablement le marché iranien des armes. Actuellement, Téhéran coopère avec Moscou dans les domaines stratégiques dans lesquels avant il coopérait avec les États-Unis : achat d'armements, acquisition de hautes technologies, y compris nucléaire, etc. Isolée internationalement, la capitale iranienne est très limitée dans le choix de ses partenaires. Le Kremlin se rend bien compte de cette contrainte qui introduit une certaine méfiance sur les perspectives de coopération bilatérale. C'est pourquoi, il est fort possible que celle-ci dure jusqu'à la détente des relations entre l'Iran et l'Occident.

      L'Iran et la Russie peuvent-ils s'opposer aux États-Unis et à l'Occident dans la région ? Pour cela, avant tout, ils doivent accorder leurs politiques régionales, car seul l'anti-occidentalisme n'est pas suffisant pour un rapprochement solide et pérenne.

      Dans le contexte de l'anti-occidentalisme, la rivalité russo-iranienne est couverte par la coopération économique, politique et militaire. Le 12 mars 2001, fut signé le Traité sur les principes de coopération mutuelle russo-iranienne. La Russie contribue largement au renouvellement de l'aviation et des forces terrestres iraniennes, ainsi qu'au développement de l'industrie locale d'armement 868 , y compris à la fabrication des avions Sukhoï-7 et Sukhoï-25 en Iran 869 . Pour Moscou, il est avantageux d'être le partenaire de l'Iran dans le domaine militaire au lieu de céder ce rôle à des tiers. Mais ici elle se heurte à la pression des États-Unis sur certaines institutions russes qui soi-disant aident l'Iran à créer une « arme spéciale ». Quelques établissements supérieurs de Russie qui, selon le département d'État américain, ont rapport aux technologies nucléaires et de missiles ont été contraints de licencier les étudiants iraniens 870 . Certaines entreprises russes impliquées dans la coopération aussi bien avec les Américains qu'avec les Iraniens, ont également été obligées de revoir leurs rapports avec les partenaires de la République islamique. Ainsi, les perspectives de coopération militaire russo-iranienne dépendent non seulement de la bonne volonté, mais également de facteurs objectifs non négligeables.

      Tout en continuant sa coopération avec Téhéran, Moscou est quand même contrainte de tenir compte des antagonismes existants entre l'Iran et les États-Unis. Dans ce contexte, en 2003, elle amenda l'accord concernant le site nucléaire de Boucher. Selon le Protocole paraphé, le combustible nucléaire travaillé devait être retourné en Russie. La capitale russe soutient le droit de l'Iran d'utiliser l'énergie atomique à des fins pacifiques et est déterminée à continuer sa coopération bilatérale dans ce domaine stratégique en dépit des menaces de sanctions américaines.

      Ainsi, la coopération actuelle russo-iranienne est multidimensionnelle et se concrétise dans plusieurs domaines : énergétique (construction des centrales thermiques et nucléaires), de transport (aérien, routier, maritime, de métro), pétrolier (vente d'équipements pétroliers, travaux de prospection, d'exploration et d'exploitation, notamment dans la Caspienne, construction des pipelines), métallurgique, militaire, etc. Les échanges commerciaux en 2003 ont atteint à 1,37 milliards de dollars ce qui est très important pour l'économie russe compte tenu du fait que 90 % de ces échanges reviennent aux exportations russes 871 . La construction du gazoduc Iran-Arménie et du chemin de fer Qazvin-Recht-Astara sont des projets conjoints russo-iraniens. Le deuxième projet d'une longueur de 355 km, qui relie les réseaux de voies ferrées russe, azerbaïdjanais et iranien, fait partie de l'axe de transport Nord-Sud en constitution 872 .

      En dépit de la coopération existante, les éléments de rivalité ne disparaissent pas. En désenclavant l'Asie centrale par son territoire, l'Iran affaiblit automatiquement la dépendance de cette région vis-à-vis du réseau russe de transport terrestre et de communications 873 . La construction de nouveaux gazoducs et le développement des chemins de fer en Asie centrale méridionale avec l'ouverture de nouveaux tronçons entre le Turkménistan et l'Iran détourne de la Russie une partie des échanges entre la région et l'Europe.

      L'Occident et les pays ayant des intérêts économiques en Iran plaçaient un certain espoir sur les changements entamés par le réformateur Khatami, notamment sur son idée de dialogue des civilisations. Les dirigeants iraniens commencèrent à visiter les pays occidentaux. Téhéran normalisa ses relations avec Bagdad et déclara même qu'il n'était pas contre la participation des États-Unis et de l'UE à différents projets régionaux. Il semblait que l'Iran voulait prendre sa revanche après avoir beaucoup perdu dans le « Grand Jeu ». La victoire écrasante des réformateurs du Front de la participation aux législatives du 18 février 2001 ne fut que provisoire, en fin de compte. Les élections de cette année ont été remportées par des conservateurs 874 , ce qui a alarmé la communauté internationale.

      Enfin, quant à l'exportation de la révolution islamique, elle a eu peu de prise sur les pays caspiens pas très exposés à la politique iranienne. L'attitude de Téhéran dans cette région sensible est relativement réservée. Le réalisme des relations avec le Turkménistan en est une illustration. Achkhabad ne soutient pas l'importante communauté turkmène sunnite qui réside au nord de l'Iran. En contrepartie, Téhéran s'abstient de tout activisme intégriste à son égard en dépit du fait qu'il y a plusieurs mosquées avec des imams chiites à Achkhabad, à Merv et à Turkmenbachi. En Azerbaïdjan, la solidarité chiite ne joue qu'en apparence. L'ancienne république soviétique est suffisamment laïcisée pour ne pas tomber dans les bras du régime iranien.

      La carte de la solidarité ethnique et culturelle trouve ses limites dans le fait que près de la moitié de la population iranienne n'est pas d'origine persane, un tiers est notamment turcophone. L'Iran est peu soucieux d'attiser par le biais de soutiens intempestifs la rivalité ancestrale entre turcophones et persanophones qui menacerait alors sa propre unité. Celle-ci repose d'ailleurs plus sur l'appartenance religieuse au chiisme que sur des facteurs ethniques. Les craintes engendrées par les positions islamistes radicales affichées par ce pays depuis la chute du Shah demeurent-elles entièrement fondées ?

      Le militantisme chiite n'a par ailleurs pas d'appui intérieur au sein ni des républiques d'Asie centrale ni de la Fédération de Russie qui disposent d'une composante sunnite majoritaire. Une propagande très poussée risquerait d'être également contrée par des actions réciproques de l'Arabie saoudite, pays peu apprécié par l'Iran pour sa collaboration avec les Américains et pour le wahhabisme institutionnalisé.

      L'action de l'Iran dans la région caspienne se manifeste donc dans les champs politiques et économiques plutôt que religieux. Pour résumer, à l'heure actuelle, ni le panturquisme ni l'islam militant de l'Iran ne sont pris au sérieux par les dirigeants des nouveaux pays.

      


B. – Les États-Unis : un acteur inédit

      

      La Russie et les États-Unis ont des intérêts communs ou divergents dans la résolution des principales questions de politique internationale. Par conséquent, des éléments de coopération et de rivalité doivent être présents dans les relations russo-américaines. Or, la Russie n'est plus le rival géopolitique des États-Unis dans plusieurs parties du globe. La Russie post-soviétique n'a jamais encore emporté la victoire sur les États-Unis lors des confrontations d'intérêts géopolitiques et elle ne doit pas espérer que l'influence mondiale américaine s'affaiblisse. De nos jours, Moscou est obligée de s'opposer à la pression de Washington à proximité de ses frontières.

      L'enjeu du volet énergétique de la Caspienne est énorme pour les Américains qui consomment 6 milliards de tonnes de pétrole par an, soit un quart de la production mondiale 875 . Dans la consommation énergétique des États-Unis, le pétrole représente 40 %. Selon les estimations, sa part doit augmenter d'un tiers d'ici à 2020, et celle du gaz naturel de deux tiers 876 . C'est pourquoi la sécurité énergétique est pour eux, depuis plusieurs décennies, l'une des priorités de leur politique étrangère. Ainsi, l'administration de B. Clinton déclara la Caspienne zone d'intérêts nationaux américains et Son successeur G. W. Bush mena son opération anti-terroriste en Afghanistan, tout près de ladite région.

      En 2002, lors du forum économique mondial de Davos, la délégation américaine a déclaré une fois de plus que le bassin de la Caspienne est une zone d'intérêt vital pour les États-Unis compte tenu de ses ressources énergétiques équivalentes, selon elle, à celles du golfe Persique 877 . Il est évident que les Américains ne peuvent pas survivre sans importations de pétrole, d'autant plus que, pour des raisons stratégiques, ils ne veulent pas se mettre à l'extraction de leurs propres réserves et miser sur le pétrole mexicain 878 . C'est la raison pour laquelle Washington vise d'autres régions souvent géographiquement bien éloignées.

      À l'heure actuelle, l'influence occidentale dans la région caspienne est essentiellement américaine. Elle repose sur le constat que l'Amérique est bien trop éloignée pour occuper une position dominante dans la région, mais également trop puissante pour ne pas s'y engager. Son principal intérêt consiste à veiller à ce qu'aucune autre puissance ne prenne le contrôle de cet espace et que la communauté mondiale, dominée par les États-Unis, puisse y jouir d'un accès économique et financier libre voire illimité. Le but poursuivi est donc d'assurer la stabilité de la région et d'en dénier la maîtrise d'abord à la Russie et à l'Iran, ensuite, à long terme, éventuellement à la Chine.

      Ces treize dernières années, la présence politique, économique et militaire de l'Amérique est devenue très importante. En 1998, le Département d'État américain a créé un poste spécial de conseiller du président et du secrétaire d'État sur les questions caspiennes après la publication du rapport Les initiatives sur le bassin caspien (Caspian Basin Initiative). Une direction spéciale des affaires du bassin énergétique caspien vit également le jour au sein du même Département.

      Dans sa politique vis-à-vis de la région caspienne, Washington mise sur une expansion économique susceptible d'assurer ultérieurement une importante influence politique. Géographiquement éloignés de la région, les Américains sont prêts à se contenter, dans un premier temps, de la présence de plusieurs puissances, mais en aucun cas d'une seule, notamment de la Russie et encore moins de l'Iran.

      Les objectifs principaux des États-Unis dans la région caspienne sont :

      le soutien et le concours aux États nouvellement créés face au retour éventuel de la Russie ;

      la participation active à la résolution de nombreux conflits ethniques qui déchirent la région afin de créer une zone de stabilité favorable aux investissements des compagnies occidentales dans les secteurs énergétiques des pays concernés ;

      la création d'un corridor Est-Ouest, qui évite les territoires russe et iranien, pour l'acheminement des hydrocarbures du bassin caspien vers les marchés occidentaux 879 .

      La réalisation de projets stratégiques dans la région par les États-Unis débuta par une intervention économique des compagnies américaines. Elle ne rencontra pas de sérieux obstacles, car le paysage politique et économique était en pleine mutation et il n'existait pas de forces réunies susceptibles de concurrencer les Américains ou de les stopper. Par le biais des investissements, de l'aide financière et de la propagande, Washington commença ensuite à exercer une influence politique sur les gouvernements nationaux et à soutenir les élites politiques proaméricaines.

      Dans le Caucase du Sud, Washington tente de transformer l'Azerbaïdjan et la Géorgie en tête de pont, car en y affermissant ses positions, le contrôle des nouveaux États indépendants d'Asie centrale sera facilité. Bakou serait désireux de voir la médiation russe remplacer par celle de Washington dans le dossier du Haut-Karabakh. Cependant, Washington risque de détériorer ses relations avec Moscou qui considère toujours avoir des droits exclusifs dans cette région.

      Les États-Unis estiment que la Russie est encore faible économiquement et déstabilisée politiquement par la crise tchétchène pour faire face à l'expansion occidentale dans la région caspienne. C'est une des raisons pour laquelle les économistes et les stratèges américains organisèrent, en la seule année 2001, quatre forums internationaux (San Francisco, Washington (2) et Huston) concernant les multiples problèmes de la Caspienne sans participation russe. Cependant, c'est un raisonnement naïf d'estimer que Moscou, notamment après l'arrivée au pouvoir de Poutine, a déjà dit son dernier mot, d'autant plus que la Russie ne peut reculer ses frontières plus loin que la Sibérie et possède toute une série d'atouts incontestables susceptibles de continuer à influencer le jeu. L'ex-conseiller du président américain dans les questions de sécurité nationale Z. Brzezinski a défini ainsi le rôle et le poids géopolitique des États-Unis et de la Russie au Caucase du Sud : « L'Amérique est située trop loin pour dominer dans cette partie du monde, mais elle est trop puissante pour ne pas être entraînée sur ce théâtre d'opération. La Russie est trop faible pour restaurer une domination impériale sur la région, mais elle est située trop près et elle est trop forte pour être négligée » 880 .

      Mais la prudence et la prévoyance de la politique menée à l'égard de la Russie doivent être proportionnelles à l'ampleur de sa faiblesse. Actuellement, les Américains sont en train d'élaborer une nouvelle politique de containment face à une poussée russe trop marquée et espèrent pénétrer dans le Caucase du Sud aux côtés de la Turquie, leur « cheval de bataille » dans cette région, qui, depuis 1952 881 , joue un rôle essentiel dans la stratégie américaine d'endiguement.

      Il n'est pas exclu que les États-Unis utilisent les mouvements de libération nationale d'Azerbaïdjan pour le démembrement de l'Iran. L'indépendance de l'Azerbaïdjan iranien affaiblira et rejettera pour toujours l'Iran du Caucase du Sud. D'un autre côté, Washington est prêt à soutenir les efforts régionaux de l'Iran qui coïncident avec les intérêts stratégiques des Etats-Unis : empêcher le renforcement de l'influence russe dans la région caspienne dans son sens le plus large.

      En ce qui concerne l'Asie centrale, elle est devenue pour les États-Unis un point d'appui pour la lutte contre le trafic de drogue et pour les opérations anti-terroristes. L'objectif initial du déploiement des forces américaines dans la région était la lutte contre le terrorisme débutée après les événements tragiques du 11 septembre 2001. Les Talibans ont été chassés, mais Washington, semble-t-il, n'a pas l'intention d'abandonner la région, même après la normalisation complète de la situation en Afghanistan. « L'Amérique est présente dans la région depuis ces 10 dernières années et elle estime nécessaire de continuer à y travailler », déclara l'auxiliaire du secrétaire d'État sur les affaires européenne et eurasienne E. Johns lors d'une de ses visites dans la région centrasiatique 882 . De nouveaux objectifs à

      suivre se sont dessinés. Par exemple, l'installation de bases militaires, notamment en Azerbaïdjan, pour défendre les intérêts économiques et stratégiques américains et même ceux de l'Azerbaïdjan contre ses ennemis extérieurs. Les instructeurs de l'OTAN apparurent également en Géorgie dont le territoire est un passage obligé pour le désenclavement de la Caspienne selon les projets américains.

      À l'heure actuelle, Washington possède déjà des bases militaires au Tadjikistan, en Ouzbékistan, au Kirghizistan, et en Afghanistan qui toutes sont proches de la Caspienne. Les États-Unis ont également conclu un accord avec Astana pour réhabiliter une base aérienne sur la rive kazakhstanaise de la Caspienne 883 . En prêtant leur soutien aux Américains pendant la lutte anti-terroriste en Afghanistan, les leaders autoritaires d'Asie centrale et d'Azerbaïdjan caressaient ainsi l'idée qu'ils seraient récompensés par l'« abandon » des critiques, devenues habituelles, sur leurs régimes non démocratiques et sur le non respect des droits de l'homme 884 . L'installation de bases militaires américaines et de l'OTAN dans la région est une grave source d'inquiétude pour Moscou, car les investissements et la présence militaire étrangers encouragent encore plus les États post-soviétiques à se démarquer d'elle. Néanmoins, le maintien d'une présence militaire permanente des États-Unis reste incertain 885 .

      C'est à cause de leurs réserves colossales d'hydrocarbures que l'Azerbaïdjan et le Kazakhstan, auparavant périphéries méridionales de l'Union soviétique, attirèrent l'attention particulière de Washington. Les compagnies américaines s'engagèrent d'emblée dans la plupart des projets de prospection, d'extraction et de transport des hydrocarbures de ces pays. La part américaine dans 13 des 17 contrats pétroliers conclus avec la République d'Azerbaïdjan varie de 25 à 80 % 886 . En prenant une part active aux projets pétroliers de la Caspienne, ces compagnies s'occupent non seulement de leur profit, mais résolvent également des problèmes géopolitiques.

      À l'instar de l'Azerbaïdjan, Astana salue et encourage la participation des compagnies américaines dans différents projets régionaux. De nos jours, ces dernières sont parties prenantes, directement ou indirectement, de toute négociation importante concernant le domaine des hydrocarbures au Kazakhstan et en Azerbaïdjan. D'acteurs économiques elles se sont déjà transformées en acteurs politiques. Les plus puissantes d'entre elles (Chevron, Unocal) négocient d'égal à égal avec les gouvernements locaux. La part du lion dans les investissements américains au Kazakhstan appartient à Chevron.

      Vu la politique extérieure prorusse du Kazakhstan, Washington tente de miser parallèlement sur l'Ouzbékistan, réputé pour ses ambitions à devenir la première puissance de la région centrasiatique. La diplomatie russe redoute cette politique de « sélection » des Américains qui a pour conséquence l'accentuation et l'aggravation de sérieuses contradictions déjà existantes entre les pays de la région concernée.

      Quant au Turkménistan, il est pour Washington un « musée vivant du totalitarisme soviétique » 887 . En dépit de cette constatation, en 1998, le leader « totalitaire » fut reçu avec honneurs à Washington. Le président Clinton oublia momentanément les principes américains de ne pas traiter avec les régimes anti-démocratiques. Sans doute, sont-ce la présence des hydrocarbures et la démarcation nette à l'égard de Moscou qui ont été à l'origine de cet oubli. Ces deux facteurs étaient suffisants pour que l'administration américaine fasse une exception. Ajoutons également que sans participation du Kazakhstan et du Turkménistan à l'oléoduc Bakou-Ceyan, cet « enfant chéri » des Américains ne serait pas viable.

      L'implication dans les affaires du Caucase du Sud et de l'Asie centrale est déjà très coûteuse pour les Américains dans tous les domaines : économique, politique et militaire. Washington se heurte à des problèmes de rentabilité économique de l'extraction du pétrole. Compte tenu du coût de revient important du pétrole caspien, la rationalité économique impose que le prix ne soit pas supérieur à 18 dollars par baril extrait et transporté. Or, l'augmentation spectaculaire des prix du pétrole liée à la crise irakienne, pourrait apporter des corrections à la hausse à ce tarif à condition que la tendance reste stable dans les prochaines années quand le « grand pétrole » caspien entrera sur les marchés. Selon plusieurs experts, l'extraction rapide du pétrole caspien n'est pas l'objectif premier de Washington, car les hydrocarbures provenant de cette région ne prendront une signification primordiale pour les États-Unis que dans vingt ans 888 .

      De multiples problèmes environnementaux se répercutent également sur le prix des hydrocarbures. L'instabilité politique de la région et les conflits ethniques augmentent le risque de catastrophe écologique d'origine « humaine » provoquée par des actes terroristes. Le sud de la Caspienne fait partie d'une vaste zone sismique qui suggère soit de s'abstenir de projets très coûteux soit d'investir plus.

      Officiellement, les États-Unis ne participent pas aux négociations sur le statut de la Caspienne. Néanmoins, dès le début, ils se prononcent en faveur du partage de la mer en secteurs nationaux. Pour les compagnies américaines, il est préférable de négocier avec chaque pays séparément plutôt que de chercher à accorder tout projet et contrat avec les cinq pays riverains ce qui complique beaucoup la prise de décisions finales.

      Ainsi, pour éviter l'éventuel retour de la Russie dans la région et ses prétentions par rapport à ses anciennes périphéries, les Américains essayent au maximum de couper et d'éloigner le Caucase du Sud et l'Asie centrale de Moscou. Si les réformes engagées réussissent, la Russie aspirerait naturellement à s'imposer comme un partenaire économique privilégié avec une diplomatie plus nuancée. En attendant, la Russie, pour des « raisons tactiques », a donné une « chance stratégique » à l'Occident d'avancer en profondeur dans son étranger proche, jadis domaine réservé. Sous les termes de « raisons tactiques », Z. Brzezinski sous-entend le souci de la Russie de garder la Sibérie d'une éventuelle expansion chinoise 889 .

      La même politique, mais beaucoup plus rigide, d'évincement de la région est également pratiquée à l'égard de l'Iran. Seulement l'isolement de ce dernier va à l'encontre des intérêts des compagnies pétrolières qui payent trop cher les décisions politiques de Washington à l'égard de Téhéran et de Moscou 890 . Washington fait en permanence obstacle pour que l'Iran n'utilise pas ses atouts géographiques et ne devienne pas un pays de désenclavement pour le Kazakhstan, l'Azerbaïdjan et le Turkménistan. Les Américains ont réservé ce rôle à la Turquie.

      


C. – La Russie et la Turquie : une nouvelle étape d'une rivalité ancienne

      

      La fragmentation de l'URSS, les guerres du Golfe, l'isolement international de l'Iran et la crise des Balkans changèrent radicalement l'environnement géopolitique de la Turquie, la rivale traditionnelle de la Russie. En principe, la diplomatie turque possède une vaste zone d'influence qui s'étend des Balkans à l'Est sibérien. Ainsi, elle joue un rôle majeur dans à la fois quatre zones d'importance stratégique : les Balkans, la mer Noire, le Moyen-Orient et la mer Caspienne. Elle « veille aux intérêts des populations héritières de la culture turque » 891  et prend successivement la défense des minorités turques à l'étranger (à Chypre, en Bulgarie, en Grèce) ou des peuples musulmans (bosniaque, kosovar, tchétchène, azéri, etc.).

      Dans ces nouvelles conditions, la Turquie s'est activée au Caucase du Sud et en Asie centrale, avec l'ambition de jouer un rôle moteur et de s'imposer comme une puissance régionale 892 . À l'instar de Moscou, Ankara élabora d'emblée une politique selon laquelle la région caspienne était déclarée comme primordiale pour ses intérêts.

      Après la dissolution de l'URSS, les stratèges russes craignaient le « facteur turc » qui promettait accélérer le processus d'éloignement entre la Russie et ses anciens satellites. Les jeunes États s'adressèrent hâtivement au modèle turc de développement. Déçus de ne pas avoir senti de miracle immédiat, ils comprirent vite que celui-ci ne leur convenait pas et ainsi l'euphorie passa 893 . La vieille habitude soviétique de compter toujours sur quelqu'un (un autre État, un « frère aîné », l'étranger, etc.) était encore fort présente dans les consciences. En conséquence, les jeunes pays élaborèrent d'autres approches qui tenaient compte des traditions historiques, des liens économiques déjà établis, etc., et donc notamment d'un partenariat avec la Russie.

      La Turquie se considère comme le successeur de l'Empire ottoman et souhaiterait voir sa « mission historique » dans la reconstitution de ce dernier. Elle n'a donc jamais renoncé à ses ambitions impériales, et le panturquisme n'a jamais cessé d'être la ligne d'orientation dominante de sa politique étrangère 894 . « Du fait du démembrement de l'Union soviétique, des perspectives brillantes se sont ouvertes pour la création d'un monde turc gigantesque qui s'étendrait de la mer Adriatique jusqu'à l'ancienne Muraille de Chine », a déclaré en 1992 S. Demirel, Premier ministre turc d'alors 895 . Mais cette vision se heurte aux réalités géopolitiques : l'« ombre de la Russie » qui est en train de redéfinir ses intérêts stratégiques régionaux, « continue à planer sur la Transcaucasie » 896  et sur l'Asie centrale. Ankara est convaincue que la Russie est trop faible pour résister à ses ambitions impériales dans la région et pour neutraliser son rôle. En particulier, elle met au point des projets de création de la « Communauté des pays turcophones ». Au cours de l'été 1992, à Istanbul, les Ministres de la Culture de la Turquie, de l'Azerbaïdjan, du Kazakhstan, du Kirghizistan et de l'Ouzbékistan ont évoqué la formation d'un espace linguistique et culturel turc uni 897 .

      Un espace turcophone unifié sous l'étendard du panturquisme qui devrait, entre autre, incorporer le Xinjiang et l'Azerbaïdjan iranien est une mauvaise perspective pour la Russie, l'Iran et la Chine, car elle remettrait en cause leur intégrité territoriale. Par ailleurs, le Kazakhstan et le Tatarstan turcophone, la république la « plus souveraine » de la Fédération de Russie, ne sont séparés que par une étroite bande de territoire russe. Si on voit surgir un Touran, les sujets turcophones russes seront aussi concernés.

      Mais les menaces de cette sorte sont partiellement neutralisées par Téhéran et Erevan dans la mesure où la Turquie est géographiquement séparée de l'Asie centrale par la Caspienne et les territoires de l'Iran et de l'Arménie, ennemis traditionnels de la Turquie, et toujours hostile au panturquisme. De plus, à l'heure actuelle, le développement de la situation politique en Asie centrale ne donne aucune preuve que la création d'une confédération turque est possible, au moins à court et à moyen, voire à long terme 898 . L'audience de quelques défenseurs locaux du panturquisme reste assez limitée 899 .

      Cependant, les idéaux panturcs trouvent une terre fertile plutôt au niveau économique et culturel qu'au niveau politique 900 . Les nouveaux États adoptent la graphie latine, excepté le Kazakhstan, qui remplace l'alphabet cyrillique sans doute pour suivre l'exemple de la Turquie d'il y a quelques décennies. Même la République du Tatarstan au sein de la Russie fut influencée et entreprit une réforme de sa graphie à base de cyrillique. La modernisation de l'alphabet turc fit partie des profondes réformes engagées par Atatürk lors de la période post-ottomane, et actuellement Ankara est dans l'antichambre de l'UE. Cela provoque l'envie des jeunes États turcophones, mais une envie modérée, car les peuples centrasiatiques se sentent d'abord kazakhs ou ouzbeks plutôt que turcs 901 .

      Le poids régional croissant de l'Ouzbékistan, qui de surcroît prend peu à peu ses distances avec Ankara, représente un obstacle pour la réalisation des projets hégémoniques turcs. Les tentatives de la Turquie de remplacer l'ancien « frère aîné », la Russie, furent critiquées à maintes reprises par le président ouzbek Karimov. Cela montre, d'une part, la déception et le mécontentement du leader ouzbek envers les Occidentaux, de l'autre, souligne une fois de plus les ambitions régionales de l'Ouzbékistan. Ou bien Tachkent se rend compte que les « vieilles amitiés ne se remplacent pas ». Karimov comprend bien que ses prétentions provoqueront inévitablement une réaction des géants régionaux et essaye de contrebalancer les influences de ces derniers afin d'en profiter le maximum. C'est sans doute pour cette raison que l'Ouzbékistan cultive des relations avec l'Iran.

      L'Iran, à son tour, est désireux de voir tomber le monde turcophone dans sa sphère d'influence. La création de facto de l'État arménien du Haut-Karabakh, ainsi que l'écrasement des wahhabites en Tchétchénie, ont également contribué à une nouvelle défaite de l'idée de panturquisme. Or, l'opposition turco-iranienne n'est pas absolue comme cela pourrait le paraître à première vue. Ankara et Téhéran ont des intérêts économiques communs. Il est clair que si l'Iran n'était pas isolé sur la scène internationale, la préférence turque serait donnée à la voie iranienne d'acheminement des hydrocarbures plus économique.

      Après l'élection de V. Poutine, Ankara, pour sa part, accuse la Russie d'expansionnisme dans ces zones d'influence, ainsi que dans le bassin de la mer Noire. Selon le célèbre russiste turc, le professeur Kamirli, « chaque pas en avant fait par la Russie [dans ces régions – G.G.] est un pas en arrière pour la Turquie » 902 . C'est pourquoi la Turquie, avec d'autres pays, a marginalisé la Russie, ainsi que l'Iran, dans les projets économiques régionaux.

      Néanmoins, les hauts dirigeants turcs évitent toujours la confrontation directe avec la Russie. Ils jouent un jeu très prudent et ne se laissent pas entraîner directement dans le conflit avec Moscou craignant cette « ombre » traditionnellement hostile. Ils ont assuré à plusieurs reprises ne pas s'être ingérés dans les affaires intérieures de la Russie et de ne pas avoir pénétré dans les zones d'influence considérées traditionnellement comme russes.

      De plus, Ankara ne souhaite pas perdre son très important marché russe. En échange de concessions russes (par exemple, l'arrêt de la livraison des complexes de missiles balistiques C-300 à Chypre), Ankara évoque toujours d'éventuels achats d'armes à la Russie en grosse quantité. Ces achats devraient également « compenser les pertes » de la Russie causées par la création de l'oléoduc qui évite son territoire. Les échanges bilatéraux russo-turcs s'élèvent à 11 milliards de dollars (2004). Pour les années à venir les prévisions sont environ 25 milliards de dollars 903 . Les investissements turcs en Russie dépassent 17 milliards de dollars. Récemment, la compagnie pétrolière russe Tatneft de la république autonome turcophone du Tatarstan a acquit en Turquie une raffinerie dans le cadre du programme de privatisation 904 .

      Dans sa lutte séculaire contre Moscou, Ankara choisit une autre tactique : impulser des dispositions anti-russes dans les nouveaux États indépendants du Caucase du Sud et d'Asie centrale. Ainsi, la Turquie représente une menace potentielle pour les intérêts russes dans la région. Après la Russie, elle est le deuxième et le dernier pays eurasiatique, puissance régionale, un des États phare de l'Eurasie avec beaucoup d'atouts géographiques, historiques et culturels. À l'heure actuelle, la Turquie dispose, en fait, de forces armées comparables à celles de la Russie et, probablement même supérieures 905 . Sa flotte navale sur la mer Noire est quatre fois plus puissante que celle de la Russie et dans les prochaines 20 à 30 années Ankara compte dépenser environ 150 milliards de dollars pour moderniser ses forces armées 906 . En conséquence, il serait difficile de contenir ce pays et d'endiguer son développement militaire progressif. La position turque est renforcée par le fait qu'elle est membre de l'OTAN, mais pas un membre ordinaire. Elle est l'avant-poste de l'Alliance atlantique. Cette dernière a ainsi une vue sur le Caucase du Sud, l'Iran et le Proche-Orient.

      Regardant vers les mondes européen (à l'ouest), russe (au nord), arabe (au sud) et touranien (à l'est), la Turquie veut convaincre les pays occidentaux qu'elle est un vecteur privilégié pour une pénétration économique et politique au Caucase et en Asie centrale turcophones dont certains États possèdent des ressources énergétiques considérables. Mais elle a des rapports tendus et conflictuels avec tous les États voisins, hormis peut-être la Géorgie. À ce propos E. Costel s'interroge : « La Turquie est-elle le verrou ou la porte sur l'Orient ?» 907 .

      Les relations les plus vulnérables sont celles qui existent entre l'Arménie et la Turquie qui résultent d'un lourd héritage historique. Erevan est la seule capitale post-soviétique avec laquelle Ankara n'a pas encore établi de relations diplomatiques. L'expression selon laquelle l'Arménie chrétienne est un « os dans la gorge du monde islamique » est également vraie pour le monde turcophone. À cet égard Churchill, après la Première guerre mondiale, a écrit que « la suppression des Arméniens représenterait un avantage permanent pour l'avenir de la race turque » 908 . Aujourd'hui, l'Arménie est considérée comme un nouvel Israël chrétien, soutenue par l'Occident, qui vient menacer le monde musulman 909 .

      La politique d'isolement de l'Arménie par Turquie et par l'Azerbaïdjan n'a qu'un succès temporaire. Le blocage des relations entre Ankara et Erevan a pour résultat le renforcement de la présence russe sur le territoire de l'Arménie, en transformant la frontière turco-arménienne en une zone d'affrontement de deux systèmes militaro-défensifs, ceux de la CEI et de l'OTAN. Ankara comprend qu'une politique ouvertement anti-arménienne « rappellerait à ses alliés occidentaux de mauvais souvenirs » 910 . La Turquie est devenue une sorte d'otage de l'Azerbaïdjan à cause de la présence en Turquie d'une forte opinion publique en faveur des Azéris. Elle est obligée de sacrifier ses intérêts politico-économiques et de se priver des dividendes éventuels de la normalisation de ses relations avec l'Arménie, en particulier, du déblocage de la frontière.

      Pour l'Arménie la normalisation des relations avec la Turquie signifierait la diminution de la menace sur sa sécurité nationale, assurée actuellement par la Russie. Le déblocage de la frontière turco-arménienne affaiblirait l'importance de l'Iran qui, dans une certaine mesure, assure par son territoire la sortie de l'Arménie vers les marchés internationaux. Ainsi, ni la Russie ni l'Iran ne sont intéressés par la normalisation « complète » des relations turco-arméniennes. Ces deux pays ont suffisamment de raisons de s'inquiéter. D'ailleurs ils se gardent bien de se prononcer pour cette normalisation qui dépendra du règlement du conflit arméno-azéri et de la reconnaissance du génocide arménien de 1915-23 par l'État turc qui est toujours nié par la diplomatie turque.

      En refusant de reconnaître le fait du génocide arménien, la Turquie sent malgré tout sur elle le poids lourd de ce fardeau historique qui la hante constamment. Ankara ne peut pas être indifférente à l'accroissement du nombre de pays qui reconnaissent ce génocide. « La carte arménienne » est souvent utilisée par les pays occidentaux pour exercer une pression

      permanente sur la Turquie. C'est un des facteurs de l'opposition CE-Turquie dans laquelle les Turcs se perçoivent comme une nation incomprise et indésirable.

      Selon P. Béhar, la Turquie, chaque fois repoussée par l'Europe, tente de se rapprocher de la Russie, de se recentrer sur l'Islam, ou bien de devenir le promontoire d'un monde touranien 911 . C'est pourquoi un rapprochement avec la Russie et le monde arabe reste possible sur la base du mécontentement voire d'éventuelles hostilités d'Ankara à l'égard de l'Europe et de l'Occident en général. C'est pourquoi les Américains travaillent, mais peinent à la rattacher à l'Union européenne, afin de mieux la contrôler et d'empêcher son glissement prévisible dans un régime de type oriental.

      Cependant tout n'est pas serein dans les relations turco-américaines. Ankara se trouve sous la critique permanente de l'Occident à cause de sa politique envers ses minorités ethniques, notamment, kurdes. Elle s'oppose sans succès perceptibles à la politique américaine sur l'Irak et la Syrie abritant tous deux, au sein de leurs États, de fortes minorités kurdes. Les dispositions des États-Unis dans la région ont beaucoup nuit aux intérêts turcs.

      

      

      CONCLUSION

      

      Les relations russo-iraniennes ne sont pas alourdies par le poids des contentieux historiques. Il n'existe pas de contradictions et d'antagonismes fondamentaux entre les deux pays. Par contre, le niveau de coopération est conditionné par des facteurs extérieurs, comme l'isolement international de l'Iran et la situation géopolitique existant dans la région.

      La Russie et l'Iran, contrepoids indispensable à la Turquie dans la région, sont des partenaires stratégiques au moins sous deux aspects. Au niveau de leurs intérêts communs, ils se heurtent aux mêmes menaces : l'hégémonie mondiale des États-Unis et de l'Occident et l'influence croissante de la Turquie au Caucase du Sud et en Asie centrale.

      L'isolement international de l'Iran contribue au renforcement des positions russes aussi bien au Caucase du Sud et dans le bassin caspien que de la coopération multilatérale russo-iranienne, y compris dans les domaines nucléaire et militaire. En dépit de la pression américaine, les Russes n'ont pas l'intention de céder leur place à des tiers dans le marché de l'armement iranien.

      Dans les projets d'exploitation des ressources énergétiques de la Caspienne, la politique occidentale de marginalisation de la Russie et de l'Iran, deux puissances régionales, a également favorisé leur rapprochement. Aussi opportune et temporaire soit-elle, la formation d'une alliance circonstancielle russo-iranienne est susceptible de devenir un obstacle dans la réalisation des projets liés à l'exploration des sous-sols caspiens.

      Pour l'Iran, l'Asie centrale et l'Azerbaïdjan pourraient représenter une zone de propagation de son influence politique, économique, idéologique et culturelle. Compte tenu de son environnement géopolitique, Téhéran se contente d'une intervention économique et culturelle et s'abstient de prosélytisme religieux.

      Actuellement, les relations russo-iraniennes se développent régulièrement. Sur beaucoup de questions d'importance régionale ou internationale, Moscou et Téhéran ont des approches similaires. L'Iran est profondément intéressé par la stabilité dans la région caspienne, notamment en Azerbaïdjan. Tout désordre chez son nouveau voisin septentrional déstabiliserait la province d'Azerbaïdjan du Sud voire menacerait son intégrité territoriale.

      La présence militaire américaine et son rôle croissant dans presque tous les domaines d'activité des pays caspiens ne peuvent passer inaperçus pour Moscou, Pékin et Téhéran, car ils vont à l'encontre de leurs intérêts stratégiques et nationaux. Si auparavant Washington se limitait à une politique d'isolement régional et mondial de l'Iran, aujourd'hui il a redéfini ses intérêts géopolitiques. Tout en gardant la même attitude à l'égard de la République islamique, les Américains essayent de faire sortir les anciennes républiques soviétiques de l'ombre de la Russie. Pour cela, ils soutiennent leur indépendance récemment acquise et s'occupent de la création d'un couloir Est-Ouest pour l'exportation des hydrocarbures, à savoir la construction de voies alternatives qui évitent les territoires russe et iranien, car l'enjeu pétrolier est très important pour eux au 21e siècle.

      À l'heure actuelle, les États-Unis peuvent considérer que deux grands objectifs sont atteints : a) la mise à l'écart de la Russie aussi bien de l'exploitation des ressources minérales de la Caspienne (en dehors de son secteur) que du contrôle sur ces dernières ; b) l'ébranlement des fondements de l'influence politique traditionnelle russe dans la région, forgée lors des siècles précédents.

      Depuis des siècles, la rivale principale de la Russie au Caucase du Sud reste la Turquie. De nos jours également, l'influence régionale turque donne prétexte à de sérieuses réflexions pour Moscou. Dans leurs relations actuelles, la rivalité et le partenariat se succèdent constamment. Avec des capacités économiques bien limitées, la Turquie peine beaucoup à jouer un rôle politique et militaire dans cette région. En revanche, elle a enregistré des avancées dans les domaines culturel et économique. Ces types de coopération, aboutiront-ils à un rapprochement politique ? Cela n'est pas sûr.

      Depuis l'indépendance des anciennes républiques soviétiques turcophones, la Turquie mène un certain discours politique sur la création d'un continuum panturquiste des « Balkans à la Grande Muraille de Chine » séparé géographiquement par l'Iran, son rival séculaire, et par l'Arménie, son ennemi héréditaire. Confrontés à un séparatisme hypothétique, la Russie, l'Iran et la Chine ont des intérêts convergents à cet égard. C'est la raison pour laquelle les trois capitales sont dans l'obligation d'empêcher une telle unification tout en maintenant la division géopolitique actuelle du vaste espace méridional post-soviétique stratégique et potentiellement explosif.

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      


§ 3. La quête des alliances, la géopolitique des routes et les problèmes environnementaux

      

      

      Le phénomène de parcellisation du monde politique a connu une prolifération de différentes structures régionales qui constitue une des tendances lourdes de l'économie et de la vie politique. Ce processus est plus actuel dans les régions où il y a de nouveaux pays indépendants, émergents, des pays qui sont en train de réfléchir et de définir leurs voies de développement. L'affirmation des indépendances acquises, entre autres, suppose une diversification des voies de communication qui va à l'encontre des anciens monopolistes, en l'occurrence de la Russie. Ainsi, toute construction de nouvelles routes internationales a une tournure géopolitique. Le pays qui possède davantage de réseaux stratégique de transport a plus de poids géopolitique. Si c'est une puissance, cet atout augmente ses chances de s'occuper de leur protection en dehors de son territoire. L'une des préoccupations primordiales de la Russie au début du 21e siècle est d'essayer de s'imposer comme maillon indispensable d'échanges eurasiatiques 912 .

      


A. – Les nouvelles configurations régionales

      

      L'humanité a une riche expérience de la confrontation et de la séparation en différents blocs. Dans le monde contemporain, en quête de sécurité nationale, les peuples cherchent des alliés afin de faire face aux éventuelles menaces extérieures. Selon S. Huntington, les « États […], appartenant à différentes civilisations […], forment au besoin des réseaux et des coalitions tactiques pour défendre leurs intérêts contre les entités appartenant à une troisième civilisation ou à d'autres objectifs communs » 913 . Ces alliances ont tendance à se former de plus en plus sur la base de cultures similaires en remplaçant les alliances créées sur l'idéologie des États phares. Mais ce n'est pas un axiome : les alliances politiques et économiques ne coïncident pas toujours avec celles fondées sur la culture et la civilisation. Les affinités culturelles facilitent tout simplement la coopération et la cohabitation.

      D'autre part, ces « organisations régionales apparaissent comme un contrepoids à la prolifération des États » 914 . En menant sa politique étrangère, chaque État poursuit ses propres intérêts nationaux. Dans ce contexte, les diplomaties nationales ont des droits et des obligations pour choisir les alliances et les unions, qu'elles soient temporaires ou stratégiques. Les nouveaux regroupements peuvent être purement économiques, militaires, politiques ou encore de structures mixtes.

      Dans l'espace post-soviétique, on observe des tendances à l'intégration comme à la désintégration. Le premier processus, par excellence, repose sur les sphères économiques, de défense et de sécurité. Le deuxième est provoqué par la création des États nationaux, par la recherche de nouveaux partenaires et de nouveaux États phares, par la prise de distances par rapport aux ex-républiques sœurs afin de préserver les pouvoirs locaux conservateurs, autoritaires et corrompus dominés par des dirigeants issus de l'ancienne nomenklatura soviétique. Les gouvernements corrompus sont-ils une bonne garantie de loyalisme et de pérennité des politiques poursuivies ?

      Ajoutons encore un facteur qui peut entraver le processus d'intégration entre la Russie et les États méridionaux issus de la désintégration de l'Union soviétique. Il s'agit des dispositions nationalistes de plus en plus présentes dans la société russe qui sont susceptibles de se matérialiser dans la pratique politique. Elles se sont accentuées après l'effondrement de l'URSS et sont dirigées contre les anciens allogènes de l'Empire russe (inorodtsy). Il reste également la crainte que dans une union d'intégration, l'importance des populations musulmanes, notamment, les turcophones d'Asie centrale et du Caucase, soit menaçante si on tient compte du taux élevé de natalité de ces derniers 915 . On a observé ces changements démographiques depuis les années 1960. Cependant, de nos jours, ils deviennent un facteur qui contribue à la propagation des idées isolationnistes.

      

      a) La Communauté des États Indépendants : un potentiel non réalisé

      

      La période post-soviétique a été caractérisée aussi bien par des processus centrifuges que centripètes ce qui démontre le contexte contradictoire de la dissolution de l'Union soviétique. Après le démembrement de l'URSS, La Russie fut prise d'une « responsabilité hégémonique » pour le destin de l'espace post-soviétique. Pour elle, la clé de la solution aux problèmes de la sécurité nationale se trouvait dans son étranger proche. Le premier pas passait par la création d'un système collectif dont le but serait la conservation d'un certain contrôle sur les anciennes républiques nationales. Mais elle ne tarda pas à se heurter à la résistance de ses nouveaux partenaires. Une fois indépendants, ces derniers ne se montrèrent guère motivés pour recréer une organisation quelle qu'elle soit, sous la tutelle russe. Un des objectifs de la Russie a également été la volonté de garder l'union séculaire entre les chrétiens (slavo-orthodoxes) et les musulmans (turco-centrasiatiques).

      À l'heure actuelle, la plus grande alliance régionale est la CEI à vocation économique, politique et militaire 916 . Les quatre pays caspiens issus de l'ex-URSS sont membres de cette alliance, la première de leur histoire post-soviétique. La Déclaration de création de la Communauté des États Indépendants fut signée à Alma-Ata le 21 décembre 1991. Elle précisa notamment que la CEI « n'est ni un État, ni une entité supranationale » 917 . La courte période de désintégration fut ainsi suivie par celle des aspirations à l'intégration. Les rapports avec les États membres de la CEI devinrent d'emblée la préoccupation prioritaire de la politique étrangère russe.

      La création de la CEI sur les décombres de l'Union Soviétique ouvrit la voie de la construction de nouveaux types de relations entre Moscou et les anciennes capitales nationales. Pour réussir, la Russie était désormais contrainte de prendre en considération les souverainetés déclarées par tous les acteurs. Cependant, les rapports horizontaux entre eux, dans le cadre d'une union d'intégration, ne pouvaient pas se construire automatiquement compte tenu du passé totalitaire commun. La forte dépendance économique des anciennes républiques soviétiques vis-à-vis de la Russie, ainsi que la non moins forte interdépendance entre elles, établies pendant presque deux siècles, ne pouvaient pas disparaître d'un coup du contenu des relations bilatérales. À cette époque, en dépit du fait que l'espace militaire russe était en considérable rétractation par rapport à la période soviétique, il ne s'en arrêtait pas moins à ses frontières politiques.

      Lors du sommet de la CEI de Moscou du 24 septembre 1993 la décision fut prise de créer l'Union eurasiatique du charbon et du métal. L'analogie avec la CECA qui avait jeté la base de l'Union européenne était évidente. L'accent porté sur le domaine énergétique n'était pas mis par hasard, car la dépendance des nouveaux pays de la Russie en matière d'énergie (production, consommation, exportation, transit) était très importante. Pour cette raison, on qualifiait « plaisamment la CEI d'Union énergétique » 918 . Cependant, cette initiative resta lettre morte. Mécontent du niveau de développement des relations entre les pays de l'espace post-soviétique, Nazarbaev, lors d'une conférence donnée à Londres (mars 1994), proposa de réviser la CEI en la transformant en une « Union eurasiatique ». Cette idée fut également fraîchement accueillie par ses voisins, y compris la Russie et son rival régional l'Ouzbékistan 919 . La Russie de Eltsine n'a pas pu ou n'a pas voulu renforcer la CEI et en faire une zone tampon entre elle et son adversaire traditionnel l'OTAN.

      Plusieurs facteurs furent à l'origine de la désintégration économique. On a tout d'abord la politisation des relations. Les intérêts économiques nationaux ont été sacrifiés pour les intérêts politiques des structures économiques excessivement politisées et/ou géopolitisées 920 . Celle-ci a souvent entraîné une réorientation du développement des rapports et une quête de nouveaux partenaires en dehors des pays de la CEI. Enfin, les investissements étrangers réalisés par les organisations mondiales (FMI, BERD, etc.) et par les compagnies transnationales et mixtes contribuèrent à cette réorientation.

      Les relations économiques au sein des pays de la CEI, entre l'État et le business étaient déséquilibrées et tendues ce qui se répercuta sur les rapports interétatiques. Notamment en Russie, se forma un État de type oligarchique et criminel qui s'appuyait, en premier lieu, sur les structures oligarchiques (25 à 30 % du PIB, et avec l'économie de l'ombre et criminelle 51 à 60 %). Cela se produisit aux dépens des PME (12 % du PIB, avec l'économie de l'ombre 15-17 %) et des entreprises étatiques, notamment CMI (23-34 % du PIB) 921 .

      De nos jours, le pluralisme géopolitique est désormais une réalité dans l'espace post-soviétique. Les anciennes républiques soviétiques ont déjà pris goût aux négociations et aux rapports bilatéraux avec leur ancienne métropole. Certaines élites nationales critiquent sévèrement la Communauté. Les unes affirment que la CEI est un « club de présidents », un « enfant mort-né », une « commission de liquidation de l'Union soviétique », les autres soutiennent que l'URSS a pu se diviser, ainsi, sans guerres sanglantes ni catastrophes humanitaires de grande échelle 922 . Malgré tout, l'existence de la CEI n'est contestée par aucun des États membres. Les relations interétatiques se règlent selon plusieurs actes juridiques élaborés dans le cadre de la CEI.

      Au cours de dix ans d'existence, parmi les 173 traités et accords qui demandent une ratification par les parlements nationaux, seuls huit sont entrés en vigueur pour tous les États membres 923 . De plus de mille documents de tout type, signés par les dirigeants des pays respectifs, seulement quelques dizaines fonctionnent réellement. En dépit de cela, les ex-républiques soviétiques aspirent à garder, dans la mesure du possible, leurs relations commerciales, économiques et culturelles, voire politiques. Les peuples de l'ancien espace soviétique, quant à eux, se prononcent également pour le rétablissement des multiples liens d'antan rompus.

      Treize ans après la création de la CEI, se pose toujours la question de savoir si elle est une « réelle structure avec un avenir ou un simple outil de contrôle de l'étranger proche dans les mains de Moscou ? ». Le leitmotiv de toutes les discussions à ce sujet est une vieille question : être ou ne pas être avec la Russie ? Les liens économiques et culturels qui remontent non seulement à l'époque soviétique, mais aussi à la Russie pré-révolutionnaire, ne « peuvent être supprimés d'un trait de plume. L'héritage historique plaide encore, pour le moment, en faveur du maintien de la CEI » 924 . Pour que le consensus autour de celle-ci n'aboutisse pas à un échec, la responsabilité principale des activités de la CEI incombe, en premier lieu, aux pays moteurs : la Russie, le Kazakhstan, la Biélorussie et l'Ukraine.

      À côté des anciens problèmes hérités de la période précédente, on en voit apparaître de nouveaux liés à l'instabilité politique, à la rivalité entre les pays membres et aux conflits armés. Par ailleurs, l'opposition militaire entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, deux États membres, représente un des points faibles de la CEI 925 . L'incapacité de Moscou à s'imposer comme garant de la paix se révéla aussitôt. Par contre, elle réussit à geler le conflit qui couve toujours. Compte tenu de ces tendances de développement, les rapports bilatéraux, trilatéraux ou quadrilatéraux dans le cadre de la CEI deviennent peu à peu la forme la plus efficace de coopération. Après la « révolution des roses », la Géorgie a menacé de remettre en question sa participation dans la CEI si elle ne subissait pas des réformes afin de se transformer en une « sorte de pont économique entre les États d'Asie centrale, du Caucase et de l'Union européenne » 926 .

      Les trois pays caspiens sont les plus représentatifs de la diversification des attitudes à l'égard de la CEI 927 . Le Turkménistan est l'État caspien qui est le moins motivé par l'intégration aussi bien à la CEI qu'à d'autres structures régionales. Lors du sommet de Kazan (août 2005), Achkhabad se retira des membres permanents de la CEI. Les observateurs ont qualifié ce retrait de début de la fin de la CEI qui ressemble de plus en plus à un organe consultatif 928 . En dépit d'une certaine méfiance par rapport à la CEI, l'Azerbaïdjan, à qui l'adhésion a été imposée par Moscou, se montre plus modéré en restant dans cette structure. Mais chacun de ces pays, avec des succès différents, souhaite entretenir des relations bilatérales étroites avec la Russie. Le Kazakhstan, quant à lui, est une des forces motrices de la CEI, un partisan convaincu d'une intégration post-soviétique.

      En ce qui concernait la vacance militaire et stratégique dans l'espace post-soviétique, elle fut comblée en 1992 par le Traité de sécurité collective (TSC) de Tachkent. Le processus de formation des armées nationales était déjà en plein essor dans les anciennes républiques nationales, parfois conditionné et catalysé par les guerres civiles (en Géorgie, au Tadjikistan et en Azerbaïdjan) et interétatique (entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan). Mais les anciens satellites voulaient profiter au maximum de la puissance économique et militaire russe héritée de l'ex-URSS tout en gardant leurs indépendances acquises.

      Le TSC est devenu l'instrument principal de l'influence russe dans la Communauté. Son but principal est la coopération militaire et la garantie de la sécurité collective des États membres de la CEI : la Russie, la Biélorussie, l'Arménie, le Kazakhstan, le Kirghizistan et le Tadjikistan. Le mécanisme de prise et de réalisation des décisions collectives au sujet de l'utilisation de la force et d'autres moyens concernant la sécurité collective est toujours en cours d'élaboration.

      La coopération militaire entre les pays de la CEI a pour objectif, en premier lieu, la défense. Mais dans le cas de conflits régionaux, l'accomplissement des missions pacifiques n'est pas exclu. Outre cela, une décision du Conseil des ministres de la Défense (janvier, 2000) prévoit que les ministres de la Défense des pays membres s'occupent de l'organisation de la lutte contre le terrorisme. Avant c'étaient les services spéciaux de la CEI qui s'en occupaient. En mai 2001, lors du sommet d'Erevan, les États membres du TSC décidèrent de créer une force de déploiement rapide en Asie centrale.

      D'après certains analystes, à travers le TSC, la Russie a cherché à se faire reconnaître par l'opinion internationale un droit d'ingérence dans son étranger proche « à condition que son intervention soit demandée par le pouvoir local » 929 . À ce propos B. Eltsine a déclaré : « Les organisations internationales doivent octroyer des droits spéciaux à la Russie pour assurer la stabilité sur le territoire de l'ex-URSS » 930 . Moscou chercha également à transformer l'espace post-soviétique en « une ceinture de protection » géopolitique. Être entourée par des territoires sûrs aux frontières défendables est prioritaire pour la capitale russe.

      L'Occident craint que le TSC ne devienne l'embryon d'un futur bloc militaire. Selon Henry Kissinger 931  et Zbigniew Brzezinski 932 , la « Russie est un pays intrinsèquement impérialiste. La volonté d'expansion est consubstantielle à la conscience russe et, un jour ou l'autre, la Russie essaiera de reconstituer sa sphère d'influence, notamment parmi les anciennes Républiques soviétiques » 933 . Malgré tout, l'Occident réserva « tacitement à la Russie le rôle de gendarme » 934  dans l'espace post-soviétique. Cependant, ce schéma d'affrontement de la guerre froide ressemble plus à une illusion, car la Russie actuelle et l'ex-URSS ont de plus en plus de points de divergence. Tout en possédant des bases militaires partout dans le monde, les États-Unis et l'Occident reprochent à la Russie de conserver ses bases sur certains territoires des anciennes républiques soviétiques. C'est la manifestation de la politique de pragmatisme « à l'américaine ».

      En effet, la désintégration militaire dans l'espace post-soviétique était un processus prévisible. En 1999, les gardes-frontières russes quittèrent le Kirghizistan et le Turkménistan. La même année, l'Ouzbékistan, la Géorgie et l'Azerbaïdjan se retirèrent du TSC. En 2000, Moscou divisa le nombre de ses bases par deux en Géorgie et présenta un calendrier de retrait de ses troupes de Moldavie jusqu'en 2005. Le processus du retrait des deux dernières bases sur le sol géorgien a démarré cette année. Selon l'accord signé entre Moscou et Tbilissi, la

      

      

      

      Russie les évacuera d'ici à 2008. Tout cela peut être qualifié de reddition des positions géopolitiques de la Russie dans son étranger proche.

      

      b) L'Union douanière/Communauté économique eurasiatique

      

      Le rôle de l'Union douanière, créée entre la Russie et la Biélorussie (1994), élargie au Kazakhstan (28 janvier 1995) et au Kirghizstan (1996) en tant qu'institution d'intégration a été minime. Initialement, il était prévu d'harmoniser les législations nationales concernant les activités économiques, et de créer par la suite un espace douanier commun entre les pays membres. En mars 1996, les quatre membres d'alors de l'Union douanière signèrent le Traité sur l'intégration approfondie dans les sphères économiques et humanitaires. Ainsi vit le jour la Communauté des États Intégrés qui resta finalement inutilisée. En février 1999, le Tadjikistan se joignit aux quatre États pour parapher le Traité sur l'union douanière et l'espace économique commun. Ce changement de nom ne se répercuta pas non plus, d'une manière significative, sur le processus d'intégration.

      Le 10 octobre 2000, à Astana, sur la base de l'Union douanière, fut créée la Communauté économique eurasiatique (CEE). Cinq pays font partie de cette organisation : la Russie, la Biélorussie, le Kazakhstan, le Tadjikistan et le Kirghizistan. Selon les pays fondateurs, la création de la CEE avait pour but de contrecarrer les défis de la mondialisation.

      Les objectifs principaux de l'organisation sont :

      la garantie de la sécurité économique, la lutte contre la contrebande et la contrefaçon ;

      la création de conditions équitables pour les affaires ;

      la formation d'un marché commun des services dans le domaine du transport ;

      l'harmonisation des législations nationales quant à l'accès des investissements étrangers aux marchés des pays membres ;

      le cap sur la création d'un espace juridique commun 935 .

      Les ambitions de la CEE font souvent référence à celles de l'Union européenne. Elles abordent tous les domaines de la vie quotidienne et de l'entreprise : humanitaire, économique, juridique, éducation, santé, citoyenneté, etc. Pour la première fois, un tribunal fut créé afin de punir les États qui ne respectent pas les règles adoptées dans le cadre de la CEE. La distribution des votes est répartie ainsi : la Russie 40 %, le Kazakhstan et la Biélorussie pour chacun 20 %, le Kirghizistan et le Tadjikistan pour chacun 10 % 936 .

      Par contre, on est encore prudent en ce qui concerne l'intégration politique. Les mécanismes de réalisation des objectifs, cités ci-dessus, ne sont pas élaborés. Ce fait ne permet pas de conclure que la CEE est viable et que c'est une réelle organisation d'intégration multidirectionnelle. De temps en temps, il se produit des tensions dans les relations économiques, les pays imposent unilatéralement des restrictions ou augmentent les droits de douane comme cela a eu lieu début 2002 entre la Russie et le Kazakhstan 937 .

      

      

      c) L'Organisation de la coopération centrasiatique/Communauté économique centrasiatique

      

      L'intégration des pays d'Asie centrale (excepté le Turkménistan) n'est pas uniquement liée à leurs rapports avec Moscou, mais également aux relations développées entre eux. Les différends et les contradictions existants ont empêché de créer une vraie organisation qui supposerait la subordination de certains intérêts nationaux aux intérêts supranationaux dans le cadre d'une union d'intégration. Les ambitions hégémoniques régionales ouzbeko-kazakhstanaises entravent également la création de toute structure verticale (supranationale) au sein de cette organisation. Outre cela, le rôle dominant dans cette union serait réservé au Kazakhstan et à l'Ouzbékistan, ce qui ne pouvait pas contenter les prétentions des autres membres.

      Une union douanière existe entre ces pays. La création d'une alliance militaire n'est pas exclue. Les relations sont très tendues entre les membres de l'UECA et le Turkménistan qui ne fait pas partie de cette organisation régionale.

      Le 28 février 2002, l'Organisation de la coopération centrasiatique fut transformée en Communauté économique centrasiatique après s'être élargie à la Russie. Le traité entra en vigueur le 18 octobre 2004 938 . Cette démarche de Moscou démontra une fois de plus la volonté russe de ne pas se couper de la région centrasiatique. Cela fait écho à la thèse des eurasistes prônant de réunifier l'Eurasie sous la tutelle russe ou russo-kazakhstanaise.

      

      

      d) Le GUUAM : un avenir incertain

      

      De nos jours, sur le flanc sud de la Russie, se développe une forme de coalition subrégionale Ukraine-Transcaucasie-Asie centrale qui, « en épousant l'axe Caspienne - mer Noire, tend à l'isoler » 939 . C'est un axe horizontal eurasien créé en 1996 par la Géorgie, l'Ukraine et l'Azerbaïdjan et élargi à la Moldavie en octobre 1997 et à l'Ouzbékistan le 23 avril 1999, lors du cinquantenaire de l'OTAN. Ainsi, le GUUAM est l'acronyme anglais des noms des cinq États membres fondateurs. Tous ces pays ne font pas partie du TSC et se sont d'une manière ou d'une autre offensés de la politique de la Russie à leur égard. C'est pourquoi ils ont déclaré prioritaires les relations avec l'OTAN et les États-Unis 940 .

      L'alliance du GUUAM, à vocation économique et militaire, est constituée en vue de contrecarrer l'influence de la Russie au sein de la CEI en regroupant les « puissances de second rang » 941  de l'espace post-soviétique. Initialement, l'objectif déclaré de cette « structure géopolitique anti-russe » 942  (selon l'expression du géopoliticien russe A. Douguine) était la réunion des efforts communs pour la coordination des actions collectives en matière de transport des hydrocarbures contournant la Russie. Autrement dit, il s'agissait d'un futur axe énergétique horizontal qui excluait la Russie, tout comme l'Iran.

      Dès le début, Moscou assimila la création de cette alliance à « une ingérence directe des Occidentaux dans sa sphère d'influence » compte tenu notamment du fait que la décision de création a été prise lors d'une réunion de l'OSCE à Vienne 943 .

      Le GUUAM se fonde sur :

      la méfiance à l'égard de la Russie ;

      l'orientation pro-occidentale ;

      la volonté d'approfondir les liens et la coopération économiques et politiques ;

      la convergence d'intérêts stratégiques et sécuritaires.

      Les aspirations des États membres coïncidèrent avec le programme TRACECA de l'UE. Cependant, le démarrage de la voie russe et la construction de l 'oléoduc Bakou-Ceyan

      marginalisèrent la vocation initiale de cette alliance éphémère. L'élaboration de programmes très coûteux à des fins politiques, en fin de compte, perdit vite de l'attrait. Par ailleurs, en dehors du GUUAM, trois des membres de cette organisation (Azerbaïdjan, Géorgie, Ouzbékistan) sont toujours au centre de différents projets actuels et futurs. Seules l'Ukraine et la Moldavie se trouvent écartées. De surcroît, Moscou étudie les possibilités de détourner certaines conduites (gazoducs, oléoducs) qui traversent actuellement le territoire ukrainien.

      À l'heure actuelle, les relations entre les deux pays slaves, la Russie et l'Ukraine, ne sont pas des meilleures. Il y a beaucoup de contradictions entre elles, certaines parfois incompréhensibles. Kiev accuse Moscou de pression économique à cause de ses dettes concernant les hydrocarbures et, en signe de protestation, couvre ses besoins pétroliers en Azerbaïdjan et les transporte par le territoire géorgien. Le Kremlin a accusé à plusieurs reprises Bakou, Tbilissi et Kiev de complicité avec les terroristes tchétchènes sous plusieurs formes : livraison d'armes, soutien informatique et jusqu'à des combats de citoyens de ces États aux côtés des combattants tchétchènes.

      Sur fond d'offense à la Russie, l'Ukraine, l'Azerbaïdjan, la Moldavie et la Géorgie cherchent également des voies de renforcement des relations militaires entre eux. Kiev a cédé à Tbilissi une partie de sa flotte navale en mer Noire. Les officiers azéris font leurs études à l'Académie militaire de l'armée ukrainienne 944 . Enfin, c'est l'intégrité territoriale, une question primordiale, qui unit ces quatre pays. Si l'Ukraine a évité le partage de son territoire, la Géorgie, la Moldavie et l'Azerbaïdjan se sont divisés de facto. La capitale ukrainienne soutient ouvertement l'Azerbaïdjan sur le problème du Haut-Karabakh, alors que la Géorgie essaye de garder une neutralité prudente. Le GUUAM prévoit également la création de détachements militaires communs des pays membres.

      Quelle sera la durée de cette nouvelle configuration ? Le GUUAM est condamné pour différentes raisons. Les pays sont très dispersés, ils se trouvent dans différentes régions géopolitiques, il n'existe pas de continuité territoriale entre eux. Ils sont coupés par deux vastes mers et par le territoire russe. Les tentations de s'étendre vers la Bulgarie et la Roumanie ainsi que de créer une zone de libre échange (le sommet de Yalta de 2002) sont également vouées à l'échec. Le chercheur américain Rasizade compare le GUUAM au CENTO et prévoit le même destin. Pour le moment, selon lui, l'alliance en question « sert de cordon sanitaire qui endigue l'expansion russe du nord, et iranienne ou d'autres forces fondamentalistes du sud » 945 .

      

      e) Le Forum de Shanghai : noyau d'un futur système de sécurité en Asie centrale ?

      

      En 1996, à Shanghai, eut lieu la première rencontre entre la Chine et ses quatre nouveaux voisins issus de l'ex-URSS, à savoir la Fédération de Russie, le Kazakhstan, le Kirghizistan et le Tadjikistan. Elle prit le nom de « Groupe des Cinq ». Après la participation de l'Ouzbékistan en juillet 2000 en qualité d'observateur (malgré son absence de frontière commune avec la Chine), le « Groupe des Cinq » se transforma en Forum de Shanghai 946 . Les rencontres sont annuelles et réunissent les chefs d'État. Le Forum n'est pas une organisation fermée, il est ouvert aux autres pays riverains. L'Iran, le Pakistan, l'Inde et la Mongolie ont exprimé leur volonté de s'y joindre dans un futur proche.

      L'essence et l'idée maîtresse du Forum de Shanghai sont la coopération économique régionale et les mesures de confiance mutuelle, à savoir : le règlement des différends frontaliers, la non-ingérence dans les affaires intérieures des pays voisins, la lutte commune contre le terrorisme, le séparatisme et l'islamisme, la réduction de 15 % des forces militaires déployées des deux côtés des frontières communes sur une profondeur de 100 kilomètres de chaque côté (ratifié à Moscou le 24 avril 1997). Respecter ces mesures permettrait aux trois jeunes républiques d'Asie centrale d'être bien considérées par Pékin.

      La présence des deux puissances, la Russie et la Chine, rend cette organisation plus équilibrée ce qui permet aux pays centrasiatiques de manœuvrer entre ces deux partenaires de poids. En même temps, ces derniers jouent un « rôle de catalyseur du rapprochement russo-chinois » qui semblait perdre peu à peu « sa traditionnelle coloration anti-américaine » 947 . Or, sur le plan politique, le Traité de coopération et de soutien mutuel sino-russe (juillet 2001), d'une durée de 20 ans, se distinguait par un anti-américanisme sous-jacent 948 .

      Le Forum de Shanghai a toutes les chances de devenir l'embryon du futur système régional de sécurité. Cependant, fidèles à la conception du monde multipolaire sous tutelle de l'ONU, Moscou et Pékin sont enclins à placer le Forum sous l'égide des Nations Unies en ce qui concerne la résolution des crises internationales, en l'occurrence en Asie centrale. En juillet 2000, à Bichkek, les pays membres du Forum ont créé un Centre régional anti-

      

      terroriste. Après le 11 septembre, ils ont mobilisé davantage leurs efforts communs dans cette direction. La décision de créer un tel centre, dans le cadre du Groupe de Shanghai, peut-elle devenir le prélude d'une coopération militaire russo-centrasiatique plus étroite ?

      

      f) L'Organisation de la coopération économique

      

      Les fondateurs de l'Organisation de la coopération économique (OCE/ECO 949 ) sont : l'Iran, la Turquie et le Pakistan. Après l'effondrement de l'URSS, sept nouveaux États, dont trois pays caspiens, en devinrent membres : le Kazakhstan, l'Ouzbékistan, le Kirghizistan, le Turkménistan, le Tadjikistan, l'Azerbaïdjan et l'Afghanistan.

      À l'origine, l'OCE avait une vocation politico-économique. Actuellement, le développement des événements aussi bien régionaux que mondiaux a conduit à fixer une priorité susceptible de mobiliser tous les États membres : les transports et les communications. Les nouvelles découvertes et l'exploitation des ressources énergétiques de la Caspienne pourraient également donner à l'OCE un véritable élan 950 . C'est dans le cadre de l'OCE que l'Azerbaïdjan annonça plusieurs fois qu'il serait aussi possible de transporter ses hydrocarbures vers les marchés internationaux via le territoire iranien ce qui rencontra d'emblée l'opposition des États-Unis.

      La structure amorphe de cette organisation est en train de se transformer en un système bipolaire irano-turc, bien que la Turquie n'ait jamais considéré l'OCE comme faisant partie de son « champ d'action privilégié » 951 . La compétition entre la Turquie et l'Iran ne contribue guère à la création d'un système de sécurité collective commun. En outre, la formation d'un réel système régional de sécurité n'est pas imaginable sans participation de la Russie et de la Chine. Avec des bases économiques fragiles 952 , il est peu probable que l'OCE soit en mesure de transformer les réalités géoéconomiques et géopolitiques de cette vaste région.

      

      g) Le Conseil des pays de la Caspienne

      

      Le Conseil des pays de la Caspienne (CPC) à vocation économique, créé sur l'initiative de l'Iran en 1992, regroupe les cinq pays riverains : la Russie, l'Iran, le Turkménistan, l'Azerbaïdjan et le Kazakhstan. Initialement, on prévoyait de discuter des questions liées à l'écologie, au commerce, à la navigation et à la pêche dans le cadre de cette organisation 953 . Au début, les pays membres eurent même l'ambition d'étudier les questions concernant le statut de la Caspienne et le partage de ses fonds marins. Mais la conclusion du « contrat du siècle » entre l'Azerbaïdjan et les compagnies pétrolières occidentales a fait avorter tous les efforts entrepris sur cette question. Depuis sa création, lors de multiples rencontres, les États caspiens réussirent à trouver des compromis sur la navigation et l'environnement.

      

      h) La Zone de coopération économique de la mer Noire

      

      La Zone de coopération économique de la mer Noire (ZCEMN), créée à Istanbul le 25 juin 1992, regroupe 11 pays dont six riverains (Russie, Ukraine, Bulgarie, Roumanie, Turquie et Géorgie) et cinq limitrophes (Arménie, Azerbaïdjan, Moldavie, Grèce et Albanie). À vocation économique, cette initiative régionale avait pour objectif d'instaurer une zone de libre-échange, mais les positions de départ étaient très faibles. Sur le plan politique, elle offre aux États membres de la région entre lesquels les différends et les malentendus sont nombreux, la possibilité de dialoguer. Cette initiative fut saluée par l'UE, car elle répondait à son souci de « combler un vide stratégique aux marges méridionales de l'ex-URSS » 954 .

      On envisagea même la création dans le futur d'une alliance Caspienne-mer Noire 955 .

      

      i) Le Partenariat pour la paix de l'OTAN

      

      Les relations avec l'OTAN restent une des questions les plus difficiles à surmonter dans le cadre des politiques étrangère et militaire russes. Les États-Unis avec leurs alliés de l'OTAN sont en train de chercher le moyen de s'ancrer dans les pays de la CEI. Cette extension d'influence s'est déjà annoncée forte et promet d'être durable. Plusieurs manœuvres militaires communes dans les anciennes républiques soviétiques en témoignent.

      Le Partenariat pour la paix fut lancé lors du sommet de Bruxelles des 10 et 11 janvier 1994 par les chefs d'État membres (16 pays) de l'Alliance atlantique. Il poursuit le but de promouvoir la coopération militaire entre les alliés, d'une part, et des pays non-membres de l'OTAN (28 pays), d'autre part. Les objectifs principaux de cette coopération sont 956  :

      contribution à la transparence dans l'établissement des plans et des budgets nationaux de défense des pays de l'« ex-glacis soviétique », républiques de la CEI comprises ;

      contrôle démocratique des forces armées en constitution ;

      préparation aux opérations de maintien de la paix ou d'assistance humanitaire ;

      coopération étroite avec l'OTAN et le concours au renforcement de la confiance mutuelle.

      Comment la Russie va-t-elle réagir au « pacifisme » de l'OTAN dans des régions où se trouvent des troupes russes ou dans celles qui sont des zones d'intérêts stratégiques russes ? Deux scénarios sont possibles :

      le premier : la Russie est obligée de retirer ses forces armées de la région et par la suite l'OTAN y fait entrer sans difficulté les siennes afin de « résoudre » tous les conflits ethniques de la région, notamment au Caucase du Sud, sous le patronage de Washington ;

      le deuxième : l'OTAN installe des bases militaires, tout d'abord celles des États-Unis, pour harceler en permanence la Russie. Le but est de forcer Moscou à accepter la démilitarisation du Caucase du Sud et de l'Asie centrale en retirant les forces armées aussi bien de l'OTAN que de la Russie.

      Le retrait opéré, l'OTAN peut revenir aussitôt. Penser que la Russie en fera autant est assez douteux, à en juger par la répartition actuelle de ses forces dans le monde. Si la Russie quitte ou abandonne ses positions, c'est souvent pour toujours et sans retour.

      La participation du Kazakhstan au système de sécurité collective de la CEI ne l'empêche cependant pas de développer effectivement une collaboration avec l'OTAN dans le cadre du programme Partenariat pour la paix aux côtés des 46 autres États. Mais Astana n'a jamais pensé à une adhésion à l'Alliance atlantique. Il est désireux de maintenir des relations équilibrées avec l'OTAN, d'une part, et avec son grand voisin du Nord, d'autre part. Depuis 1997, au sein du bataillon Centrasiatique, il participe aux manœuvres annuelles avec l'armée américaine 957 .

      Quant à Bakou, il est ferme dans ses intentions de sortir de la sphère d'influence russe et de se positionner nettement dans le camp occidental. C'est pourquoi la Russie est contrainte de raidir ses positions par rapport à l'Azerbaïdjan, et aussi à la Géorgie, pays qui favorisent activement sa marginalisation dans l'espace stratégique transcaucasien.

      L'aspiration de ces deux pays à confronter directement l'Alliance atlantique et la Russie au Caucase du Sud a ses raisons. La Géorgie et l'Azerbaïdjan désirent particulièrement adhérer à l'Alliance, car ils voient dans cet acte un gage de reconnaissance et d'appartenance à la même Europe, mais également le moyen de stabiliser leur situation. Les deux pays, au moyen de leur intégration dans ce bloc militaire, tentent également de conjurer leurs dissensions ethniques internes. Depuis plusieurs années, ces aspirations sont de plus en plus répandues. Cependant, comme le remarque P. Delmas, la « possibilité que l'OTAN les défende un jour contre un retour de l'impérialisme russe est secondaire […]. Il s'agit plutôt de les défendre contre eux-mêmes… » 958 . Les ambitions exorbitantes, la disproportion entre les capacités politico-militaires et financières plus que modestes de ces deux mini empires ex-soviétiques ont souvent un effet boomerang sur les conflits ethniques, les pertes territoriales, etc.

      

      j) L'Organisation de la Conférence islamique

      

      L'Organisation de la Conférence islamique (OCI) est une organisation intergouvernementale qui regroupe 57 pays. La décision de créer un secrétariat général de l'OCI fut prise en mars 1970, à Djedda (Arabie saoudite). L'Azerbaïdjan et le Turkménistan firent partie de l'OCI en 1992, à l'instar du Kirghizistan et du Tadjikistan. Le Kazakhstan ne prit la décision d'adhérer qu'en 1995, sans doute à cause de la présence d'une forte minorité chrétienne dans le pays. Un an plus tard, il fut suivi par l'Ouzbékistan. L'Iran était intéressé par l'élargissement de l'OCI aux pays musulmans non arabes qui aurait pu renforcer sa position au sein de l'Organisation, notamment lors de la prise de décisions communes.

      


B. – Le désenclavement de la région caspienne : les nouvelles Routes de la soie

      

      Depuis l'ère des grandes découvertes géographiques, la priorité dans le développement du commerce mondial fut donnée aux voies maritimes. Vu la nature fermée de la mer Caspienne, le transport maritime sur ses eaux reste rudimentaire, tributaire des routes terrestres. Dès la dislocation de l'URSS, la région a été placée au centre de différents projets en faveur de son désenclavement dont l'objectif est de la transformer en un pont entre l'Est et l'Ouest.

      Les communications terrestres existantes dans ce vaste espace ne sont pas rentables à cause de leur vétusté, de leur longueur et des zones climatiques défavorables qu'elles traversent. Mais les projets récents de restructuration de l'infrastructure de transport transcontinentale avec l'utilisation de nouvelles technologies sont bien prometteurs et peuvent revaloriser la vocation de transit de cette région entre l'Europe occidentale et l'Asie orientale qui se développent d'une façon dynamique voire spectaculaire. C'est notamment le cas de l'Asie.

      Hormis le traitement des oléoducs et des gazoducs déjà évoqués, la communauté internationale est en train de réaliser un vaste programme destiné à marier l'Asie à l'Europe via l'Asie centrale et le Caucase. Il s'agit aussi bien de la modernisation des infrastructures existantes que de la construction de nouvelles : autoroutes, voies ferrées, lignes de transport maritime, couloir aérien. Les différents projets reçurent le nom « Routes de la soie du 21e siècle ». Pour la première fois c'est l'ancien ministre soviétique des Affaires étrangères E. Chevardnadze qui a parlé de la « restauration » de la Route de la soie lors d'une Conférence internationale « Région Asie-Pacifique : dialogue, paix, coopération » à Vladivostok 959 .

      À l'origine de la réalisation pratique de ces projets se trouve l'Union européenne vivement soutenue par les États-Unis. Les objectifs sont différents :

      diversifier les routes reliant l'Europe à l'Asie en pleine expansion ;

      concourir à l'affermissement des indépendances des pays récemment constitués en les faisant sortir du contrôle et du monopole russe sur les voies de communication ;

      affaiblir l'influence russe et iranienne et étendre la sienne sur cette partie de l'espace post-soviétique ;

      contribuer au développement de la coopération régionale et internationale ;

      attirer des investissements dans la région ;

      faire de la Turquie, futur membre de l'UE, un maillon indispensable dans les échanges intercontinentaux.

      C'est au 19e siècle que l'orientaliste allemand F. von Richthofen donna le nom de « Route de la Soie » au chemin historique d'échanges qui faisait une liaison entre l'Extrême Orient et l'Europe occidentale en partant des provinces chinoises actuelles Gansu et Xinjiang et traversant toute l'Asie centrale.

      En effet, la Route de la Soie marqua le début de l'ouverture de la Chine vers l'Europe (fin du 2e siècle av. J.-C.). C'est en Asie centrale, passage obligé pour les caravanes de marchandises, que les Chinois entraient en contacts directs, commerciaux et diplomatiques, avec les Grecs et les Romains 960 . Cet axe de transport devait répondre en partie aux besoins de l'Empire romain 961 . Le fait que l'Iran était son maillon central contribua largement à la propagation de la langue et de la culture persanes en Asie centrale et au Caucase. Ainsi, la Route de la soie, d'un côté, remontait à la culture gréco-romaine, de l'autre à celle des peuples d'Asie orientale 962 .

      À la fin du Moyen Âge, la côte caspienne joua un rôle primordial dans les échanges eurasiatiques. Grâce à leur situation géographique, plusieurs villes et grandes localités de l'actuel Azerbaïdjan, appelées kasebe, jouirent des avantages du commerce maritimes entre la Russie et l'Europe via la Caspienne, d'une part, et l'Asie centrale, l'Inde, la Chine et les pays arabes, de l'autre. De nombreuses pistes caravanières connues passaient par les villes commerciales d'artisans et par les points de transit du pays. La route majeure passait par la ville de Chabran et la mer Caspienne (où par la voie terrestre des caravanes via Derbent) en empruntant la voie commerciale du nord Volga-Caspienne pour joindre la Russie et les pays de l'Europe occidentale. L'axe de transport horizontal, quant à lui, faisait la liaison entre l'Europe, la Turquie, la Perse et l'Inde.

      Sur le plan chronologique, la notion de Route de la soie cesse d'être utilisée après les grandes découvertes géographiques (début du 16e siècle) 963 . Pendant la deuxième moitié du 20e siècle, pour la première fois on applique le nom de nouvelle Route de la Soie à la route moderne (800 km de long) reliant la ville chinoise de Kachgar à Islamabad, capitale du Pakistan, via Tachkurgan et le col Khungerab (4 594 mètres d'altitude). Son nom plus usuel est le Karakorum Highway (KKH).

      

      

      La Route de la Soie joua un rôle important dans la formation et le développement de l'économie et de la culture des pays d'Asie centrale. Elle avait plusieurs embranchements qui permettaient d'élargir la géographie du commerce. De nos jours également elle est vouée à devenir un axe majeur de transport multidirectionnel susceptible de contribuer aux échanges humains et commerciaux entre l'Est et l'Ouest, à l'intégration et à la formation de l'espace eurasiatique.

      La « réanimation » de la Route de la soie version moderne – réseaux ferrés doublés d'autoroutes et de fibres optiques, et combinés, dans certains secteurs avec des liaisons maritimes – va relier 60 des plus grandes villes du continent eurasien. Elle est une des préoccupations majeures des acteurs impliqués, toujours attirés par les richesses de l'Asie centrale, notamment après la découverte d'immenses réserves d'hydrocarbures dans le bassin caspien. Le but de ce projet est le développement des régions les moins avancées de l'espace eurasien. Par ces régions on sous-entend la Chine occidentale (le Tibet, le Xinjiang, les provinces de Gansu et Chansi), la Mongolie, les pays de la CEI 964 . Plusieurs analystes n'hésitent pas à comparer l'importance des passages transcontinentaux eurasiens à celle des canaux de Suez et de Panama.

      La diversification des routes magistrales transcontinentales touche les intérêts de nombreux pays. De nos jours, presque tous les chemins centrasiatiques mènent à la Russie, héritage resté de l'Empire russe. Dans le but de renforcer leurs indépendances, la nécessité de constituer de nouvelles routes était primordiale pour les jeunes républiques d'Asie centrale et du Caucase du Sud. C'est pourquoi certaines d'entre elles se sentirent soulagées par la conception de passages alternatifs. Ainsi, dans cette redistribution des réseaux de transport, la Russie est détentrice de mauvaises cartes, car elle perd son monopole sur les principaux points de passage entre les deux parties du continent eurasien. Enfin, pour se désenclaver, c'est le cas notamment du Kazakhstan, elles nouveaux États post-soviétiques s'ouvrent de gré et de force à la Chine.

      En principe, il doit exister au moins deux, voire trois ou quatre Routes de la soie compte tenu des échanges économiques croissants entre le vieux continent et l'Asie. L'infrastructure des autoroutes est mal développée, c'est pourquoi le transport ferroviaire reste pour le moment hors d'atteinte de la concurrence.

      À l'heure actuelle, il y a trois routes ferroviaires reliant l'Asie à l'Europe :

      1) Chine – Russie (Transsibérien) – Biélorussie – Europe (corridor nord) ;

      2) Chine – Kazakhstan – Russie – Biélorussie – Europe (corridor médian) ;

      3) Chine – Asie centrale – Transcaucasie – mer Noire – Europe (corridor sud).

      La construction du tronçon Urumqi (Xinjiang) – (Droujba) – Aktogaï (Kazakhstan) en 1992 a été la première brèche dans le désenclavement de l'Asie centrale (corridor médian). Par cette liaison, les voies ferrées chinoises ont rejoint le réseau ferroviaire géant de la Russie, le plus étendu du monde. La liaison ferroviaire Chine – URSS devait voir le jour après la seconde guerre mondiale. Mais le climat politique sino-soviétique, loin d'être amical, empêcha la réalisation de ce projet. Moscou et Pékin sont donc entraînées dans le processus inévitable de la mondialisation qui se réalise, dans ce cas, sur le continent eurasien. Au cours de ces dix années d'exploitation, le nouveau passage ferroviaire Droujba – Alachankoü a déjà passé l'épreuve du temps : les autorités chinoises et kazakhstanaises pensent sérieusement y ajouter une nouvelle voie.

      Le corridor médian entre la Chine et l'Europe est très prometteur. Ses avantages sont évidents. Il est la variante la plus attractive et la moins coûteuse : 1 000 kilomètres de moins (11 000 km) que le corridor nord (12 100) qui emprunte le fameux Transsibérien (9 298 Vladivostok-Moscou) 965 , très surchargé et traversant des zones climatiques défavorables, et 9 000 kilomètres de moins que la voie maritime du canal de Suez (20 500 km Yokohama-Le Havre) 966 . Ce projet pourrait également contenter les écologistes car la nouvelle route serait moins polluante et diminuerait la probabilité des accidents de plus en plus nombreux ces derniers temps dans les passes maritimes saturés et surchargés (Suez, Dardanelles, Bosphore, Ormuz, Gibraltar et La Manche). Le premier pas vers la valorisation de cette artère de transport transasiatique a été fait en 1995 quand le président kazakhstanais N. Nazarbaev signa à Pékin un accord concernant l'utilisation par le Kazakhstan du port chinois de Lianyungang situé au bord de la mer Jaune.

      Cependant, le réseau russe de chemins de fer nécessite une modernisation rapide sur le plan technique, matériel ainsi qu'organisationnel. Les mauvaises conséquences de la crise, qui a touché toute l'infrastructure ferroviaire russe, pourraient être éliminées avec l'aide des mêmes Chinois, ainsi que d'autres compagnies étrangères intéressées, notamment du Japon.

      

      

      Le Pakistan, pour sa part, est désireux de moderniser le KKH, mais la haute altitude (4 594 mètres), qui ne permet pas de construire une ligne ferroviaire, a déjà un impact négatif sur l'attractivité de ce projet. Le KKH a une importance plutôt régionale qu'internationale. La proposition d'Islamabad de construire une voie ferrée de 500 kilomètres de long entre la ville pakistanaise de Peshawar et la ville ouzbèke de Termez est confrontée au problème de l'instabilité politique en Afghanistan et à la restructuration des infrastructures locales.

      Il existe plusieurs inconvénients pour un autre chemin, le Trunck Road qui traverse la Turquie, l'Iran, l'Afghanistan et le Pakistan. En plus de la situation politique et économique perturbée de l'Afghanistan, le col de Salang à travers la chaîne montagneuse Hindou Kouch est fermé depuis l'invasion soviétique de ce pays. Même si les Afghans arrivent à le rouvrir avec l'aide de la communauté internationale, sa capacité ne serait jamais suffisante pour les besoins croissants des pays riverains. Cette voie est également trop éloignée et coupée de l'Asie centrale par le relief montagneux.

      En 1993, Bruxelles lança son propre programme de Route de la soie, le projet TRACECA (Transport Corridor Europe-Caucasus-Asia) qui devait relier Shanghai à Rotterdam en évitant les territoires aussi bien russe qu'iranien. Le but est de mettre en place un couloir de transport et d'activer la circulation des marchandises entre les deux parties composantes du continent eurasien, l'Europe et l'Asie. Le TRACECA commence en Chine pour aboutir aux ports de la mer Noire via l'Asie centrale et le Caucase du Sud. Plus tard, comme on l'a déjà évoqué, il fut complété par le programme INOGATE (Interstate Oil and Gas Transport to Europe) et Southern Ring Air Routes concernant les liaisons aériennes 967 . Les Américains, de leur côté, s'impliquèrent vite dans ces projets conçus par l'UE et commencèrent à y investir activement.

      Par son projet, l'UE est désireuse de valoriser le corridor sud qui coïncide avec le principal tracé de l'ancienne Route de la soie et évite le territoire russe. Dans le cadre du TRACECA, les experts européens font des études sur la réalisation du lien ferroviaire entre la vallée de Ferghana et de la province chinoise de Xinjiang. Après la construction du tronçon Kachgar (Xinjiang) – Djélalabad (Kirghizistan) le corridor TRACECA deviendra la voie la plus courte de la Chine à l'Europe en valorisant la vocation de transit de l'Ouzbékistan et du Kirghizistan. C'est d'autant plus important que ces derniers temps, les relations économiques sino-européennes ont tendance à s'accroître. En 2002, la Chine était parmi les cinq premiers pays vendeurs et les dix premiers acheteurs de l'UE 968 . Un an plus tard, elle est devenue le deuxième partenaire commercial de l'UE derrière les États-Unis. En 2004, les échanges bilatéraux ont atteint le seuil de 175 milliards d'euros 969 . Cette voie reliera également Tachkent au port chinois de Lianyungang ainsi qu'au Pakistan et à l'Inde.

      La création d'un couloir de transport entre la Chine et le Tadjikistan est également discutée. Une autre direction est en projet – la voie ferroviaire Kofarnikhon (Tadjikistan) –Irkechtam (Kirghizistan) – Kachghar (Chine). Après avoir été rénovée (mai 1996), la liaison Mechhed (Iran) et Sorakhs-Tedjen (Turkménistan) de 320 km de long est devenue un des principaux passages ferroviaires du sud de l'Asie centrale. Par cette liaison, Pékin est relié au golfe Persique. Les investisseurs ont déjà entrepris la construction de la deuxième voie.

      Le programme de l'UE représente la combinaison de différents modes de transport : terrestre (voies ferrées, autoroutes) et maritimes. Les réseaux chinois, centrasiatiques, sud-caucasiens et européens sont liés par les routes maritimes via les mers Caspienne et Noire. Cette circonstance permet de développer également les infrastructures maritimes, de moderniser les ports caspiens (Aktaou, Atyraou, Turkmenbachi, Bakou) et de la mer Noire (Poti, Batoum, Ilitchevsk, Varna, Constanta, Samsoun) et d'établir le service de containers entre eux. Or, la diversification est accompagnée par des complications logistiques, ce qui rend moins rentables les projets proposés par rapport au réseau russe. Selon les experts russes, le transit via la Russie est 1,8 fois moins long. En matière de coût des transports, il est 1,7 fois moins cher pour les marchandises et 1,2 – pour le pétrole et les métaux non ferreux 970 . Un autre inconvénient est le nombre des pays de transit avec des législations et des droits de douane différents.

      Ainsi, l'amélioration et la modernisation des voies de transport sont à la fois à l'étude et en construction dans certains secteurs. Quant aux fibres optiques, la « Route de la Soie numérique » (17 000 km de long) a déjà relié l'Europe à la Chine 971 . Avec son projet routier transcontinental, l'UE cherche sa place dans la nouvelle répartition géopolitique de l'espace eurasien. Les sociétés de l'Europe occidentale sont fortement engagées en Asie centrale et au Caucase du Sud et représentent une sorte de conductrices de la politique et de la ligne stratégique de Bruxelles. La politique de l'Occident coïncide avec les aspirations des jeunes pays de la région, notamment pour la prise de distance par rapport à la Russie. Le programme TACIS (Technical Assistance to the Commonwealth of Independent States) poursuit des objectifs similaires dans tout l'espace de la CEI. En d'autres termes, il contribue à l'émancipation des anciennes républiques soviétiques vis-à-vis de la Russie par le biais, notamment, de la diversification des voies de transport. Or, ce programme fut critiqué à maintes reprises pour son inefficacité et manque de transparence 972 . Dans les rapports du Sénat, les experts européens soulignent qu'en dépit du fait que 80 % de la coopération technique dans la région centrasiatique provient du programme TACIS, « cette programme n'est guère visible en Asie centrale » 973 .

      Avant l'intervention de l'UE, la plupart des chemins d'exportation et d'importation menaient vers le territoire russe. Hormis la Géorgie, les sept autres ex-républiques soviétiques méridionales n'ont pas accès aux mers ouvertes. Les solutions occidentales arrivèrent à temps, car les conflits interethniques (Abkhazie, Ossétie du Sud, Haut-Karabakh) et la guerre en Tchétchénie avaient fortement affecté les voies reliant la Russie avec la région notamment du Caucase du Sud 974 .

      La plus grande perdante du programme européen sera la Russie, car le TRACECA va décharger le Transsibérien par lequel passent actuellement les flux de marchandises de l'Asie-Pacifique en direction de l'Europe. C'est pourquoi, le représentant de la Russie refusa de signer la Déclaration commune à l'issue du rencontre des 32 pays et des 12 organisations internationales du projet TRACECA qui se réunirent les 7-8 septembre de 1998 à Bakou 975 . La rencontre a porté sur les questions liées à l'approvisionnement de l'Occident en matières premières et en hydrocarbures provenant des régions caspienne et centrasiatique.

      En septembre 2000, la Russie, pour sa part, signa l'accord intergouvernemental avec l'Iran et l'Inde pour la création du corridor Nord-Sud qui relierait la Finlande à l'Inde via la Russie, l'Azerbaïdjan et l'Iran (port Bender-Abbas) 976 . Cela reproduit le chemin fait par le marchand et voyageur russe A. Nikitine réalisé de Tver en Inde en été 1466 977 . En mai 2003,

      

      

      le Ministère russe des voies de communication confirma la détermination de Moscou à créer ce couloir de transport via la région caspienne. L'importance de ce projet est soulignée par le fait qu'il fut entériné par le Conseil de sécurité de la Fédération de Russie. En utilisant les infrastructures actuelles, les marchandises pourraient arriver de l'Inde via le Pakistan, l'Iran et la Caspienne en 20 jours contre 45 par le canal de Suez et les détroits du Bosphore et des Dardanelles 978 . Cette voie partiellement navigable aura une longueur de 1 600 kilomètres et nécessitera de 6,5 à 7 milliards de dollars d'investissements 979 . En ce qui concerne les voies ferrées, à l'instar de l'oléoduc, Moscou réalise un contournement du territoire tchétchène qui relira le Daghestan (Kotchoubeï) au kraï de Stavropol (Boudionnovsk) d'une longueur de 224 km 980 . C'est la guerre prolongée de Tchétchénie qui pousse la capitale russe à sécuriser ses communications qui feront partie de l'axe Nord-Sud.

      En été 2003, les officiels russes se prononcèrent pour le projet de construction à travers le territoire iranien d'un canal navigable destiné à relier la mer Caspienne au golfe Persique. Quatre pays sont particulièrement intéressés par ce chantier : la Russie, l'Iran, l'Inde et l'Oman. L'enjeu est important, car c'est la première fois dans l'histoire que la Russie aurait un accès direct à l'océan Indien via le golfe Persique. Cette nouvelle voie permettrait aux Russes d'éviter le canal de Suez et les détroits du Bosphore et des Dardanelles où la Turquie mène une politique de limitation du passage des tankers. Le recours aux technologies et aux spécialistes russes pendant la construction du canal qui durera au minimum 4 ans constitue l'autre avantage stratégique de ce projet pour Moscou.

      On observe déjà une demande accrue de technologies russes (y compris pour des raisons politiques) dans les pays d'Asie du Sud et en Iran. Le canal transiranien donnerait un accès au marché irakien où les compagnies russes ont beaucoup d'intérêts économiques 981 . Il contribuera également à l'augmentation des échanges entre la Russie et l'Inde, la partenaire traditionnelle des Russes, ainsi que entre l'Inde et l'Europe. En attendant, l'Iran se mit à la modernisation de ses deux ports caspiens, Enzeli et Noouchahr. La liaison maritime Enzeli – Olia (région d'Astrakhan) voit également augmenter sans cesse les flux d'échanges. De plus du port d'Olia, Moscou réhabilite celui de Makhatchkala, le seul sur la façade caspienne russe qui ne gèle pas en hiver.

      L'idée de la construction de cette artère de transport n'est pas nouvelle. En 1962, l'URSS et l'Iran se mirent d'accord pour la réalisation de ce projet. Cependant, deux ans plus tard, les États-Unis forcèrent le gouvernement iranien à le geler. En pleine guerre froide, ils craignaient la coopération étroite soviéto-iranienne et la marginalisation des passages de transit existants via le territoire turc. À l'aube du 21e siècle, quand le projet a été remis à l'ordre du jour, la situation géopolitique de la région a changé, et Moscou et Téhéran ont plus de chance de réussir à réaliser ce projet vieux de quatre décennies. Ainsi, le couloir Nord-Sud représente une sérieuse concurrence au programme TRACECA.

      Enfin, la Russie essaye d'augmenter l'attrait de la Route commerciale maritime du Nord qui passe par les eaux glacées des mers de l'océan Arctique 982 . Son inconvénient majeur est que la plupart du temps, il faut faire dégager la voie navigable par des brise-glace à propulsion nucléaire 983 . Dans ce contexte, on discute de plus en plus la possibilité de construction d'un tunnel sous-marin par le détroit de Béring reliant les continents eurasien et américain 984 .

      


C. – Les risques majeurs pour l'environnement

      

      Depuis longtemps, la Caspienne est devenue l'otage des industries, notamment liées aux hydrocarbures 985 . De nos jours, la situation alarmante de l'écologie de la mer est en partie la conséquence des changements géopolitiques qui eurent lieu après le démembrement de l'URSS. À l'époque soviétique, les problèmes environnementaux trouvaient leur résolution au niveau fédéral. Les solutions étaient loin d'être parfaites, mais il existait une seule politique coordonnée 986 . L'état catastrophique actuel de la Caspienne trouve ses origines dans l'exploitation barbare de ses richesses à l'époque soviétique. L'apparition de cinq politiques économiques et écologiques différentes à la place de deux (soviétique et iranienne) aggrava davantage les problèmes déjà existants.

      

      La particularité de la pollution est sa répartition inégale selon les territoires. Cependant, la communauté de la mer fait partager le préjudice entre tous les pays riverains. À l'heure actuelle, le secteur russe est le plus dépourvu d'hydrocarbures, donc les sources de dégradation de la nature y sont moins nombreuses dans ce domaine. La présence de réserves d'eaux sur la Volga qui, dans une certaine mesure, jouent un rôle de décantation diminue le niveau de la pollution dans la partie septentrionale de la Caspienne. Les principaux foyers de contamination se trouvent dans les zones azerbaïdjanaise (Apchéron et offshore), kazakhstanaise (Manguychlak et offshore) et turkmène (Tcheleken et offshore) sur lesquelles Moscou tente toujours d'exercer une pression politique et économique.

      En dehors de la Caspienne, la Russie a d'autres régions pétrolifères, donc elle peut se présenter comme ardant défenseur de l'environnement maritime et de la situation écologique des territoires riverains, ce qui provoque l'agacement de ses nouveaux voisins caspiens. L'exploration de gisements d'hydrocarbures dans les steppes précaspiennes et dans les eaux de la mer fait rêver les républiques nouvellement constituées plongées dans une crise économique profonde. Elles sont toutes soucieuses de renforcer leur indépendance par le biais de l'exportation de leurs richesses énergétiques plutôt que de s'occuper des questions environnementales qui, après tout, demandent des moyens financiers considérables. Pour cela, la Russie propose de créer un organisme international indépendant – le Centre stratégique des problèmes de la Caspienne – susceptible de se transformer, avec le temps, en une organisation politique.

      Or, la position rigide de la Russie dura jusqu'en 1998 quand le statut de réserve naturelle de son secteur fut partiellement levé au profit des activités industrielles (pétrolières), autorisées sans doute pour ne pas se laisser dépasser dans ce domaine par ses voisins. En effet, les autorités du Kazakhstan, de la Russie et de l'Azerbaïdjan ont donné carte blanche pour l'exploration des gisements pétroliers situés dans leurs sites auparavant protégés. Dans ce contexte, le haut niveau de corruption parmi les autorités est également mis en cause 987 .

      La Caspienne est unique par ses paramètres aussi bien géographiques que biochimiques. Son caractère fermé rend le système écologique très fragile. Les origines des menaces sur son environnement et sur ses ressources biologiques sont nombreuses :

      la hausse du niveau de la mer qui inonde les territoires côtiers parsemés de sites souillés de déchets industriels ;

      les activités économiques des compagnies pétrolières, notamment, au nord de la mer, en pleine « maternité de l'esturgeon caspien » 988  ;

      le préjudice apporté à l'atmosphère par les industries pétrolières (exploitation des gisements, raffineries, etc.) ;

      le braconnage qui se fait à une grande échelle notamment au Daghestan et au Kazakhstan ;

      la navigation maritime et fluviale ;

      la désertification de la zone côtière, surtout en Kalmoukie et au Kazakhstan.

      La fluctuation du niveau de la Caspienne n'est pas un phénomène nouveau. Du point de vue hydrographique, elle est une mer instable. Elle se stabilisait toujours autour de -28 mètres au-dessous du niveau de l'océan. Au 20e siècle son niveau baissa d'abord réduisant son plan d'eau de 422 000 km² en 1937 à 376 000 km² dans les années 1960-1970. Mais, depuis 1977, la tendance s'est inversée et l'eau est remontée de 2,5 mètres. En conséquence, le niveau de la Caspienne est passé de -29 à -27 mètres, une hausse qui doit continuer encore au moins jusqu'en 2020.La vitesse de l'inondation du littoral est de 1 à 2 km par an 989 .

      Cette progression menace de combler les cratères formés par les explosions expérimentales des bombes atomiques à l'époque soviétique. Certaines d'entre elles ont eu lieu à proximité du littoral kazakhstanais 990 . Plusieurs infrastructures côtières (routes, installations industrielles, etc.) sont submergées, y compris plus de mille puits pétroliers sur le territoire du Kazakhstan. Environ 600 000 hectares de terres de cette république sont recouverts causant plus de 2 milliards de dollars de dommages 991 . Enfin, la hausse s'est répercutée sur le niveau des eaux souterraines et des nappes phréatiques.

      La hausse n'est pas seulement due aux caprices de la nature. L'activité de l'homme qui, au 20e siècle aspirait à maîtriser la nature, est également fort présente. Ainsi, en 1980, au Turkménistan, on a construit une digue gigantesque qui empêchait la mer de s'étendre, dont le niveau pendant cette période baissait, vers le golfe Kara-Bogaz. L'achèvement de cet ouvrage a coïncidé avec la hausse de la mer qui s'amplifia du fait de cette construction (passage à 2,5 mètres au lieu de deux). Il s'avère que le Kara-Bogaz sert, dans une certaine mesure, de stabilisateur du niveau de la mer. En juin 1992, le Turkménistan fut néanmoins contraint de démonter partiellement cette digue 992 . Il existait également plusieurs projets, tous plus utopiques les uns que les autres, qui prévoyaient la réalimentation de la mer d'Aral agonisante par les eaux caspiennes ou par le transfert d'une partie du débit de la Volga, du lac Issyk-Koul ou encore des fleuves sibériens. Le dernier projet prévoyait également l'alimentation de la Caspienne par les eaux sibériennes 993 . Enfin, Staline lui-même rêvait de marier la Caspienne et l'Aral par un gigantesque canal 994 .

      Ainsi, pendant que l'Aral se vidait, la Caspienne débordait tout en menaçant les peuples et les territoires côtiers. Environ 10 millions de personnes habitent sur les territoires riverains de la Caspienne. Leurs activités sont en grande partie liées à la mer, notamment l'extraction des hydrocarbures, et la pêche 995 . Ainsi, les habitants du littoral sont directement concernés, car se posent les problèmes de leur migration, relogement et placement.

      La Caspienne abrite également environ 80 % des réserves d'esturgeons de la planète. Le littoral septentrional de la Caspienne, surtout celui du Kazakhstan, est le plus touché par la hausse des eaux. Compte tenu du fait que presque toutes les espèces d'esturgeon ont comme habitat les deltas des fleuves Volga et Oural et la partie nord de la mer, on peut imaginer le préjudice présent et futur sur la production du caviar, autre source de devises. Par rapport au pétrole, il peut être inépuisable à condition de préserver l'environnement. Une tonne de caviar coûte de 500 à 700 mille dollars, tandis qu'une tonne de pétrole de 140 à 180 dollars 996 . Au milieu des années 1990, le chiffre d'affaires mondial de la production du caviar s'élevait à 10 milliards de dollars dont neuf milliards revenait à la Caspienne 997 . Ensuite, sa production officielle a baissé de sept fois en dix ans passant de 1 648 tonnes en 1989 (dont l'URSS – 1 366, l'Iran – 282) à 225 tonnes en 1999 (dont la Russie – 40, le Kazakhstan et l'Azerbaïdjan – 35, l'Iran – 150) 998 . Les données sur le Turkménistan sont absentes. Cf. : l'ex-URSS seule produisit plus de 2 000 tonnes de caviar en 1978 999 .

      La préservation des richesses biologiques caspiennes demande des mesures et actions communes, car tous les pays riverains souffrent de la même manière. Dès 1962, l'URSS et l'Iran convinrent de l'interdiction de la pêche de l'esturgeon dans la mer. Les parties s'accordèrent également sur les quotas de pêche dans les rivières quand les poissons rejoignent leurs aires de frai. En 1974, la partie septentrionale de la Caspienne fut déclarée réserve naturelle avec un régime spécial de limitation des activités humaines et de réservation de la nature. Depuis la fin de l'ex-URSS, les ressources poissonneuses de la Caspienne, notamment l'esturgeon, sont sérieusement menacées par le braconnage et la pollution. Du point de vue de la préservation de ces ressources, seule la partie iranienne de la mer se trouve dans une situation relativement favorable. Cela est dû au fait que l'Iran a conservé le monopole d'État sur la pêche et que le braconnage y est quasi-absent.

      À l'heure actuelle, la situation du biotope caspien est déjà critique et demande une intervention urgente. Le premier accord provisoire post-soviétique, qui fixait les quotas de pêche, fut signé à Téhéran en 1996. Un an plus tard, vit le jour un programme décennal de préservation de la population d'esturgeons. Même si les compagnies excluent le déversement de pétrole dans la mer, leurs activités technologiques se répercutent négativement sur les sites de frai de l'esturgeon. Enfin, pour lutter contre le braconnage, la Russie utilise largement les détachements militaires de ses gardes-frontières.

      Le problème de la pollution de la mer et des zones côtières est en grande partie la conséquence de l'extraction sauvage des hydrocarbures, mais aussi du déversement des déchets des productions industrielles et de l'agriculture. La dégradation des terres à cause de l'exploitation des gisements de pétrole onshore est également alarmante. Compte tenu de la haute teneur en soufre du pétrole kazakhstanais, notamment à Tenguiz, les producteurs sont contraints de traiter une partie du brut sur place. Les déchets de soufre sont stockés en plein air. La mort de la faune maritime est partiellement due à la dispersion des poussières de ce minéral dans la mer 1000 . À cela s'ajoute l'agrandissement et la modernisation des ports caspiens, l'augmentation du trafic maritime, notamment dans le cadre du programme TRACECA et de celui de l'axe Nord-Sud, et la création par les pays riverains de leurs propres forces navales.

      Une autre menace potentielle est issue des projets de construction des oléo-/gazoducs transcaspiens entre les côtes turkmène et azerbaïdjanaise. Or, cette partie de la Caspienne se situe dans une zone à haute sismicité. En fin de compte, l'opposition de la Russie et de l'Iran a gelé la réalisation de cet ouvrage 1001 . Vu l'instabilité politique des régions de passage et la multiplication, à l'échelle planétaire, des actes terroristes, il n'est pas exclu non plus que les infrastructures pétrolières et gazières deviennent la cible des terroristes.

      La diplomatie russe tente de donner la priorité aux questions liées aux problèmes écologiques, à la conservation du biotope, à l'élaboration des principes de navigation et de pêche. Les deux premiers problèmes sont, certes, très importants et vitaux, et Moscou essaye de les instrumentaliser pour dissimuler ses ambitions hégémoniques.

      Ainsi, les menaces que la dégradation de la situation écologique du bassin caspien engendre sont :

      la pollution des eaux marines n'ayant aucune liaison directe avec l'océan ;

      la réduction des réserves des ressources biologiques, notamment d'esturgeon ;

      la pollution des nappes phréatiques et, par conséquent, la pénurie d'eau potable ;

      l'altération de la santé publique pour les populations des pays riverains ;

      l'augmentation des risques de catastrophes technogènes en raison de l'activité économique humaine.

      

      

      CONCLUSION

      

      Il est tout à fait naturel que chaque pays ait le droit de choisir un système de sécurité qui sert au maximum ses intérêts nationaux. Dans l'espace post-soviétique, deux tendances cohabitent : celle de l'intégration et celle de la désintégration. Le temps de l'intégration pour des raisons politiques est déjà passé. Il se substitue à celui de l'intégration pour des raisons économiques et sécuritaires prolongées par des fins politiques. Devenues indépendantes, certaines ex-républiques soviétiques se retrouvèrent face à la nécessité de se rapprocher.

      Pour une nouvelle intégration, il fallait retravailler une question importante susceptible de servir de base à l'unité : la menace commune. À l'époque soviétique c'est l'encerclement capitaliste qui servait de catalyseur pour s'unir autour de la métropole afin de faire face à l'ennemi commun. La viabilité de la CEI dépendait de la formulation des défis éventuels susceptibles de menacer l'ensemble des pays qui en faisait partie. Cependant, la confiance était tant discréditée que les républiques détachées, avides d'émancipation nationale, privilégièrent les intérêts nationaux au détriment des intérêts impériaux même si ceux-ci étaient en partie communs.

      Au départ, la Russie tenta de faire de la CEI un instrument de contrôle de l'espace post-soviétique sous sa tutelle. Treize ans plus tard, les objectifs de la CEI ne sont pas encore atteints. La cause de l'échec repose sur la mauvaise volonté des pays concernés à accepter à nouveau la dominance de Moscou, ou de tout autre État rival, ce qui freine le processus d'une véritable intégration. Les trois pays caspiens sont très représentatifs dans leur attitude à l'égard de la CEI. Le Turkménistan n'est plus un membre permanent, l'Azerbaïdjan se distingue par une position sceptique quant à l'avenir de la CEI tout en restant dans la structure, le Kazakhstan est considéré comme un des piliers de l'intégration post-soviétique.

      Parallèlement, en quête de meilleurs alliés et de bons financements, il se produit une prolifération de création de structures d'intégration et d'alliances à vocation économique et politique de toutes sortes. Ces organisations de concertation régionale réussiront-elles à peser sur les tensions géopolitiques, voire à les stabiliser ? Deviendront-elles des organisations internationales solides tout en créant un pôle régional ? Nul ne sait quel sera leur avenir à moyen et surtout à long terme.

      Enfin, à l'aube du 21e siècle les pays d'Asie centrale (excepté le Turkménistan) et la Russie se sont lancés dans la création d'une communauté économique eurasiatique avec l'ambition de suivre le chemin tracé par l'Union européenne. Les résultats restent encore à percevoir. En attendant des temps meilleurs, la Russie cultive une stratégie de coopération voire d'intégration économique bilatérale, notamment dans le domaine de l'énergie où la rivalité est farouche. Sans amoindrir l'intérêt de la coopération avec l'Occident, la Russie a toutes les chances de faire une percée en direction de l'« Eurasie intérieure » en créant ainsi des conditions favorables à son développement et à sa prospérité.

      Sur le plan militaire, l'influence de Moscou n'est pas équivalente sur l'ensemble des territoires caspiens. Seul le Kazakhstan reste un allié fidèle dans le cadre du TSC. L'Azerbaïdjan s'est retiré du Traité et coopère activement avec l'OTAN. Quant au Turkménistan, il n'en a jamais fait partie. Ainsi, le champ de manœuvre de la Russie dans ce domaine devient de plus en plus restreint.

      Dès l'antiquité, la région caspienne a été un carrefour de routes terrestres, maritimes et fluviales entre l'Est et l'Ouest. Après la dislocation de l'URSS, plusieurs projets sont élaborés et se trouvent en cours de réalisation sous le nom de « Nouvelles Routes de la soie ». Ils servent tous à la création de couloirs de transport reliant l'Europe à l'Asie via la mer Noire, le Caucase, la Caspienne, la Russie et l'Asie centrale. Ainsi, dans le contexte de leur développement, les futures routes Est-Ouest via l'Asie centrale, le Caucase du Sud et la Russie, qui relient la Chine à l'Europe, ont une importance primordiale et stratégique pour Moscou, Bruxelles, Pékin et les capitales des pays de transit.

      La Russie est très intéressée pour qu'une partie des flux transcontinentaux, susceptibles d'apporter d'importants bénéfices, passent par son territoire. Elle a le quasi monopole de l'axe vertical, le couloir Nord-Sud, et s'efforce de valoriser ses atouts afin de contrecarrer sa marginalisation régionale. Pour cela, la Russie s'est lancée dans la modernisation de ses infrastructures de transport existantes et dans la création de nouvelles afin de faire valoir tous ses atouts, qui sont toujours nombreux.

      Pour sa part, l'Union européenne, soutenue par les États-Unis, ne se tient pas à l'écart des projets transcontinentaux. Les concepteurs occidentaux de l'axe de transport horizontal aspirent à réorienter les voies en contournant les territoires russe et iranien.

      La reprise de la Route de la soie a également une signification symbolique pour les pays centrasiatiques ainsi que pour leurs riverains. À l'époque, elle a permis à l'Asie centrale de prospérer. Sa fermeture, au contraire, a entraîné un grand déclin sur le plan aussi bien économique que culturel. Sa réouverture va-t-elle réécrir l'histoire et apporter aux pays de la région la prospérité d'antan ?

      Les nouveaux projets d'extraction et d'acheminement des hydrocarbures caspiens contribuent, d'une part, à développer la coopération régionale et à rapprocher les pays impliqués, et d'une autre, à engendre des foyer de nouveaux conflits et problèmes, notamment écologiques.

      À l'heure actuelle, la situation environnementale de la Caspienne est alarmante, ce qui est due aux activités anthropogènes du passé et du présent aggravées par la montée du niveau de la mer. Dans la mer, il se produit une réduction de la variété biologique unique et sur les zones côtières – une dégradation du niveau et de la qualité de vie des populations riveraines.

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      


CHAPITRE III
LES COMMUNAUTÉS RUSSES DANS LES ÉTATS CASPIENS ISSUS DE L'IMPLOSION DE L'URSS

      

      

      Dans le numéro spécial de l'Hérodote consacré à la Russie post-soviétique, Yves Lacoste écrit : « Les phénomènes démographiques et culturels ne relèvent pas tellement, quant à leurs causes, de l'analyse géopolitique, mais leurs conséquences – le nombre des hommes et leurs plus ou moins grandes capacités créatrices – sont assurément d'une grande importance géopolitique. Surtout quand il s'agit d'un très vaste État qui fut une superpuissance idéologique et militaire dans la seconde moitié du XXe siècle » 1002 .

      Depuis toujours, le peuple russe a intégré le déplacement permanent dans son mode de vie. Cela permettait aux Russes de s'implanter dans le vaste Empire russe, auquel a succédé l'Union soviétique. La migration des populations russes vers les périphéries était une partie intégrante de la politique impériale de colonisation des nouveaux territoires acquis.

      La dissolution de l'URSS, les bouleversements géopolitiques de la période post-soviétique et la formation de nouveaux pays indépendants provoquèrent d'importants flux migratoires des peuples aussi bien titulaires qu'allogènes. Ces changements géopolitiques furent accompagnés de multiples cataclysmes d'ordre politique, économique, social et culturel : les guerres ethniques et civiles, les difficultés socio-économiques, la xénophobie des peuples titulaires, la discrimination des minorités nationales, etc. En conséquence des déplacements forcés sans précédents touchant des centaines de milliers de personnes, la situation démographique, ethnique et confessionnelle a subi des changements considérables.

      À la fin du 20e siècle, la trajectoire séculaire de migration des Russes vers les périphéries changea de direction pour revenir vers l'ancienne métropole en mal démographique. Dans le Caucase du Sud comme en Asie centrale, hormis au nord du Kazakhstan, il n'existe plus de territoires où les Russes sont majoritaires. La dérussification de ces territoires est terminée ou est en cours d'achèvement.

      

      


§ 1. La formation des communautés russes dans les anciennes républiques soviétiques caspiennes

      

      

      À la veille de l'implosion de l'URSS, 17,4 % de l'ethnie russe, soit 25,3 millions de personnes (« pieds-rouges », selon l'expression de Anne de Tinguy 1003 ), habitait en dehors de la Russie, dans les ex-républiques soviétiques. À ce moment, pour la première fois dans son histoire, la Russie se heurta aux problèmes concernant le destin des Russes et des populations russophones qui se retrouvèrent involontairement au-delà des frontières de la Fédération de Russie à l'issue du principal cataclysme géopolitique de la fin du 20e siècle. Il s'agit du nouvel étranger dit « étranger proche » englobant les territoires des 14 ex-républiques soviétiques.

      


A. – Les diasporas russes de l'étranger proche : phénomène nouveau

      

      Comment se définit la diaspora russe dans l'étranger proche ? Que représente-t-elle ? A-t-elle une définition linguistique, ethnique ou ethnoculturelle ?

      Dans le sens strict du terme, si on fait une comparaison avec les diasporas classiques (juives, arméniennes, etc.), la diaspora russe dans l'espace post-soviétique représente un phénomène nouveau. De nos jours, elle est en cours de formation et son niveau de « maturité » est différent selon les régions. Dans celles où la densité des Russes est importante, nous avons plutôt un problème de préservation et de renforcement de l'identité russe. Dans les pays et les régions où les Russes sont dispersés et ne constituent pas une majorité importante, on observe une forte émigration, voire un exode, qui prend principalement la forme du rapatriement.

      À l'époque post-soviétique, dans le langage politique russe, on distingue, au moins, trois approches concernant les compatriotes de l'étranger proche : ethnique, linguistique et juridique 1004 .

      Le premier critère englobe les quelques 25 millions de Russes soudainement abandonnés par les caprices du sort à l'étranger appelé « proche ». Ils sont souvent identifiés à la cinquième colonne de la Russie ou assimilés à une source migratoire importante capable de régénérer et de remédier au déséquilibre démographique qui menace leur mère patrie.

      Le deuxième critère – linguistique – est presque indissociable du premier. Les diasporas dites « russes » et « russophones » ont souvent un emploi synonymique. Cependant, la question : « Les porteurs de la langue russe peuvent-ils tous être considérés comme Russes ? » se pose toujours. Jusqu'à maintenant, il n'existe pas de définition scientifique à ce propos.

      Le troisième critère dit juridique est proposé par le leader des libéraux démocrates russes Vladimir Jirinovski. Selon lui, sont Russes aujourd'hui ceux qui, dans leurs anciens passeports soviétiques, avaient la mention « Russe » devant la fameuse cinquième colonne.

      En effet, dans la pratique, la diaspora russe commence à être identifiée à l'ethnie russe. Mais cela n'empêche pas Moscou, dans sa politique étrangère avec les anciens satellites, d'instrumentaliser, en cas de nécessité, le facteur des populations russophones. De plus, la multiethnicité de la Fédération de Russie pousse également les autorités russes à se préoccuper de temps en temps des russophones opprimés dans les républiques nationales : Arméniens, Tatars, Turcs, Allemands, etc. À cet égard, V. Poutine lors de son intervention au Congrès des compatriotes de l'étranger (11 octobre 2001) souligna notamment qu'être russe dans le monde c'est « parler, penser, se sentir russe », ce qui sort largement du cadre ethnique 1005 . D'un autre côté, pour des raisons politiques, Moscou ne compte pas parmi ses diasporas les Abkhazes ou les Ossètes de Géorgie malgré sa grande sympathie envers eux.

      Dans l'espace post-soviétique, le chercheur russe S. Gradirovski distingue deux types de présence des populations russes :

      les protodiasporas (les diasporas en cours de formation) ;

      les enclaves ou les « îlots russes » 1006 .

      A. de Tinguy estime également que désigner les communautés russes de l'étranger proche comme des diasporas ne parait guère approprié 1007 . Les points sensibles sont, bien évidemment, les enclaves russes comme la Transnistrie, la Crimée, le Donbass et le Kazakhstan du Nord. Elles renoncent à se reconnaître dans le phénomène des diasporas. Les populations de ces enclaves ne se considèrent pas comme étrangères sur les terres qu'elles occupent, souvent depuis des temps historiques. Dans leur esprit, elles ne sont ni immigrantes, ni provisoirement installées sur leurs territoires d'habitation. Pour elles, la patrie (rodina), au sens étroit du terme, est souvent identifiée à leurs zones géographiques de peuplement. La patrie, au sens plus large (otetchestvo), est conçue comme le territoire, au moins, de la Fédération de Russie plus les territoires de leurs enclaves situés dans l'espace post-soviétique. Autrement dit, pour ces populations des enclaves diasporales, qui englobent également d'autres minorités ethniques en majorité russophones, ces deux notions de patrie sont quasi identiques : rodina = otetchestvo. En conséquence, elles ne créent pas de communautés en considérant être chez elles.

      Ainsi, les îlots russes et les protodiasporas diffèrent considérablement par leur perception de la nouvelle situation et du nouveau statut. Il en résulte que Moscou est contrainte d'élaborer, au moins, deux politiques ou deux approches par rapport à ses ressortissants qui se sont retrouvés involontairement au-delà des frontières actuelles de la Russie.

      L'histoire des diasporas russes dans les pays de l'étranger lointain a montré que les Russes, après une ou deux générations, s'assimilaient vite dans un milieu ethnique étranger. Ce phénomène trouve sa source dans :

      a) l'hostilité du pouvoir communiste à l'égard des émigrants blancs, noyau des diasporas russes dans l'étranger lointain ;

      b) le caractère fermé de la société soviétique ;

      c) le manque d'une politique élaborée vis-à-vis de ces fragments du peuple russe.

      À l'heure actuelle, le manque d'expérience pratique dans le travail avec les diasporas, aggravé par l'imprévoyance et par la négligence dans le traitement de ce problème, caractérise la politique de l'État russe par rapport à ses ressortissants. Dans ce contexte, la diplomatie russe semblait être paralysée à en juger d'après ses démarches concernant la discrimination ouverte envers les Russes dans les 13 nouveaux États indépendants (hormis la Biélorussie). Elle fut surprise et ne sut pas comment réagir. C'est l'opposition nationaliste qui se chargea de la mission de protection des Russes de l'étranger proche, au moins, dans les discours populistes publics, ce qui lui fit politiquement gagner des points. Moscou ne réussit pas à formuler des réponses concrètes à ces questions d'une importance stratégique : pourquoi a-t-il besoin des diasporas, à quoi servent-elles et que faire avec elles ?

      La première démarche de coordination de cette politique d'État russe fut la création en 1994 d'un Comité des affaires de la CEI et des liens avec les compatriotes de l'étranger dans la Douma d'État. La même année, B. Eltsine signa le programme Les directions générales de la politique d'État russe par rapport aux compatriotes habitant à l'étranger. Mais il ne s'agissait que d'actions humanitaires et de développement de liens culturels. Le 18 mai 1999, fut adoptée la Loi fédérale sur la politique d'État de la Fédération de Russie par rapport aux compatriotes de l'étranger. Cependant, la définition d'actions pratiques dans ce domaine ne fut pas décrite. Le Congrès des compatriotes (les 11-12 octobre 2001) ne réussit pas à résoudre ce problème non plus, mais il apporta sa contribution à l'élaboration d'une future politique. La présence et le discours de V. Poutine montrèrent l'importance et l'actualité des problèmes concernant l'existence et la survie des diasporas russes, notamment de l'étranger proche.

      Selon plusieurs chercheurs 1008 , l'absence en Russie post-soviétique de politique élaborée par rapport à ses diasporas a finalement été positive, car celle-ci aurait pu s'élaborer autour d'une identification ethnique. C'était la pièce maîtresse des aspirations de plusieurs forces politiques, ce qui aurait signifié que la Russie actuelle était le pays de l'ethnie russe. Et cela bien que, tout au long de son histoire, l'État russe ait tenté de surmonter cette identification ethnique en inventant le mot rossianin (Russien). Le même raisonnement est applicable à la culture russe quand on parle de la culture russe autochtone (ethnique) et universelle (impériale). L'expression très utilisée de « grande culture russe » sous-entend la culture formée au sein de l'Empire russe qui représente un mélange, une symbiose de la culture autochtone (ethnique) russe et de celle des autres peuples habitant dans l'ancien Empire russe. Dans la construction de l'État russe, le critère ethnique ne fut forcément pas dominant. C'est la prédisposition socioculturelle qui joua le rôle fondamental.

      C'est pourquoi, de nos jours, les autorités russes tentent d'élaborer une politique cohérente, qui ne rappellerait pas de mauvais souvenirs des époques impériale ou soviétique. Cependant, jusqu'à aujourd'hui, les succès sont assez maigres. Les protodiasporas et les enclaves, à leur tour, essayent d'apporter leur contribution dans l'élaboration d'une politique adaptée à leurs préoccupations en négociant prudemment avec les nouveaux pouvoirs nationaux. Dans l'élaboration de leurs propres positions, elles seraient désireuses de voir une Russie qui soutienne leur cause.

      En dépit des efforts entrepris, la politique de l'État russe envers ses diasporas dispersées n'est toujours pas établie clairement. D'ailleurs, ce désintérêt de la part de Moscou vis-à-vis des Russes et russophones de l'étranger proche se révéla dès le début des indépendances. C'est pourquoi le sentiment de rejet et d'abandon par leur mère patrie est dominant chez les populations russes restées dans les républiques nationales. Jusqu'à présent, il n'existe pas de programme global définissant le travail avec ces communautés devenues subitement isolées et menacées de discrimination.

      Par le biais de l'immigration russe, l'État russe est également désireux de remédier, au moins temporairement, à une situation démographique catastrophique, où la population, au lieu de croître, diminue progressivement. Le danger majeur est de voir le pourcentage de l'ethnie russe par rapport à la population totale baisser progressivement, tandis que la chute de la natalité ne menace pas d'autres ethnies autochtones, notamment les populations musulmanes. Les déclarations faites par les hauts fonctionnaires russes (y compris le président Poutine) sur l'obligation d'accueillir en Russie tous ceux qui veulent rentrer, dans la pratique, restent lettres mortes à cause du manque de mécanismes de concrétisation de ses intentions.

      Ainsi, l'absence d'un programme élaboré vis-à-vis des populations russes restées à l'étranger proche est le point faible de la politique étrangère russe post-soviétique. Dans l'opinion publique russe, il a également une résonance qui nourrit les sentiments nationalistes dans la société russe contemporaine. Néanmoins, on peut distinguer trois directions de travail de l'État russe concernant ses ressortissants :

      a) le rapatriement, souvent mal organisé ;

      b) la défense des droits et des intérêts des minorités russes aussi bien sur place qu'auprès des institutions internationales (une sorte de parrainage) ;

      c) l'utilisation du potentiel de la diaspora à des fins géopolitiques et géostratégiques.

      Les populations russes dans les ex-républiques soviétiques méridionales, comme d'ailleurs toute communauté ethnique dans un entourage étranger, sont confrontées à un défi majeur : l'assimilation graduelle. Ceux qui veulent rester ou sont contraints, se retrouvent devant des situations difficiles de survie en tant qu'entité ethnique et culturelle. Du point de vue psychologique, c'est une épreuve difficile pour les Russes qui ont eux-mêmes, tout au long de leur histoire, de riches traditions d'« absorption » des autres peuples. Pour lutter contre cette assimilation progressive, la création de communautés russes est une solution qui suppose une mobilisation de leurs forces intérieures ainsi qu'extérieures, indispensable pour la préservation et pour le développement de leur identité ethnoculturelle face au processus inévitable d'intégration aux nouvelles conditions de vie politiques, sociales et culturelles.

      La conservation de l'identité russe (ethnique et culturelle) dans les pays en question n'est possible qu'à condition de consolider de l'intérieur les communautés russes par le biais de la création, sous la tutelle d'un centre commun, de différents types d'associations communautaires, voire l'octroi d'une autonomie culturelle pour les régions où les Russes sont majoritaires (enclaves). C'est une tâche complètement nouvelle, car les Russes, en tant qu'ethnie dominante de l'ancien Empire russe et de l'Union soviétique, ne se posaient jamais une telle question, donc, n'avaient ni traditions ni expérience historique dans ce domaine.

      La situation la plus dramatique est celle des communautés dispersées, car les enclaves ont plus de possibilités de se mobiliser et de créer leur mode de vie, parallèle à celui imposé par les peuples titulaires. Malgré son caractère paradoxal apparent, un tel parallélisme qui n'est pas opposé au pouvoir et qui est exempt d'isolationnisme, de nationalisme extrême ainsi que de toute idée de séparatisme, peut servir d'exemple d'intégration et de cohabitation. Mais les communautés russes ne sont pas unifiées. Les actions et les buts des différentes sociétés de bienfaisance, des nombreux centres et associations socioculturels, parfois politisés, divergent sensiblement de l'un à l'autre.

      Il est clair que, dans le futur proche, sur plusieurs territoires, les populations russes ne réussiront pas à se réunir et à constituer des diasporas unifiées. L'entourage socioculturel, la discrimination fréquente de la part des peuples titulaires, le climat psychologique tendu, notamment en province, ainsi que le départ massif des russophones ne favorisent guère une quelconque consolidation.

      Dans les milieux politiques russes, il existe plusieurs approches concernant les diasporas et leurs territoires d'implantation. Les nationalistes estiment toujours que ces territoires font partie de l'espace russe et doivent être incorporés à la Russie. Un des leaders du Congrès des communautés russes, le député de la Douma d'État D. Rogozine s'est prononcé activement pour la reconnaissance de l'étranger proche en tant que « Russie extérieure ». Selon lui, les « terres peuplées par les colons russes dans les Pays baltes, au Kazakhstan, dans la Nouvelle Russie et en Asie centrale sont juridiquement la propriété de l'État russe » 1009 .

      Les eurasistes valorisent l'idée du continent eurasien, dont l'Asie centrale est partie intégrante, et prônent une complémentarité voire une union « naturelle » entre la Steppe et la Forêt. Dans ces réflexions, on voit clairement émerger une des thèses clés de Lev Goumilev – la complémentarité entre les ethnies eurasiennes. C'est cette complémentarité que les eurasistes proposent comme base d'élaboration d'une nouvelle stratégie à l'égard des communautés russes dispersées. Cette nouvelle politique est censée continuer les traditions de « colonisation complémentaire » de l'Empire russe par rapport à son Orient intérieur qui diffère de la « colonisation impériale » menée dans les régions méridionales de l'Empire (Transcaucasie et Asie centrale).

      D'autres, enfin, croient que la conquête de l'Asie centrale et, dans une moindre mesure, de la Transcaucasie, est une erreur historique. Par conséquent, la Russie doit l'abandonner et se concentrer sur ses problèmes intérieurs (néo-slavophiles) ou mettre le cap sur l'Occident (atlantistes). Quant aux populations russes restées dans l'étranger proche, elles doivent remédier à la situation démographique menacée de la Fédération de Russie par le biais de l'immigration. C'est sans doute pour cette raison qu'au début Moscou préféra le rapprochement avec les États slaves (Ukraine et Biélorussie) plutôt qu'avec les nouveaux pays formés le long de la frontière méridionale de la Russie. On n'invita même pas le Kazakhstan à participer à la rencontre de Belovej.

      Les différences culturelles et civilisationnelles jouèrent également un rôle important. Malgré les 70 ans de vie communautaire dans le « chaudron soviétique » et la formation d'une certaine identité supranationale commune, dite soviétique, les populations habitant dans le vaste espace de l'ancienne URSS conservèrent parallèlement une certaine disparité. C'est cette circonstance que les forces nationalistes exploiteront et instrumentaliseront.

      À la veille de l'effondrement de l'URSS, les nouveaux gouvernements slaves se méfiaient du niveau inférieur de développement de l'Asie centrale, du conservatisme local et de la corruption révélée par la perestroïka. À la différence des autres républiques soviétiques, les tendances centripètes étaient toujours fortes chez les élites politiques centrasiatiques à cause d'une série de facteurs : la dépendance économique, le manque de main d'œuvre qualifiée parmi les peuples titulaires, la présence de fortes minorités russes, etc.

      Cependant, le fait que les régions méridionales de la Russie (des deux côtés de la frontière) soient peuplées par des populations de l'espace socioculturel russe facilite considérablement le dialogue entre Moscou et ses voisins turcophones, notamment, avec Astana. Mais pour rendre constructif ce dialogue, la mise en place d'une politique vis-à-vis aussi bien de ces populations que des pays qui les abritent est indispensable. Il convient de bien expliquer aux compatriotes pourquoi ils se sont retrouvés au-delà des frontières actuelles de leur patrie historique. Dans ce contexte, une relecture des histoires impériale et soviétique s'impose.

      En outre, Moscou doit s'efforcer de faire des déclarations officielles sans équivoque en affirmant clairement que son but n'est pas la désintégration de facto ou de jure des pays d'accueil de ses ressortissants avec l'aide de ces derniers. Dans ce contexte, l'objectif stratégique resterait l'utilisation du potentiel socioculturel de ces populations afin de les transformer en une sorte d'intermédiaires et de porteurs de l'avancée culturelle, économique et aussi politique de la Russie. Tout cela rappellerait certaines thèses eurasistes qui peuvent se montrer bien utiles : le peuple intermédiaire pour l'intégration eurasienne, complémentarités des ethnies et des cultures, etc. Fortement déçues, les minorités russes de l'étranger proche se sentent, dans une certaine mesure, otages de la grande politique.

      Dans le pire des cas, la Russie peut être confrontée à une menace éventuelle qui a commencé à se profiler après le démembrement de l'URSS. Il s'agit des conflits potentiels entre les populations russophones et autochtones, notamment au Kazakhstan. Un tel conflit serait susceptible de provoquer un afflux de réfugiés.

      Au niveau des ressources humaines très qualifiées, la Russie est bien évidemment gagnante, puisque l'afflux de migrants est dirigé principalement du Sud au Nord. Mais sur le plan géopolitique et géostratégique, elle est perdante, car avec la disparition des communautés russes dans les pays de l'étranger proche, Moscou perdrait également ses positions et son influence en Asie centrale et dans le Caucase du Sud.

      Un autre problème majeur est lié aux populations dites russophones. Le recensement de 1989 révéla qu'il existe 11,2 millions de russophones dans l'ex-URSS hors Russie. Malgré l'absence d'utilisation scientifique du terme de « diasporas russophones », celui-ci est entré dans l'usage quotidien. Le phénomène des russophones est très complexe et unique. Nous n'avons pas l'ambition d'en donner une définition. Rappelons seulement que ces populations sont très hétérogènes du point de vue ethnique. Selon la situation, elles sont instrumentalisées dans les rapports entre la Russie et les anciennes républiques soviétiques. Tout en faisant partie de la population de ces dernières, ils ne maîtrisent très souvent que la seule langue russe. C'est le cas de la majorité des Ukrainiens, Biélorusses, Tatars, etc. au Kazakhstan, des Arméniens, Juifs, Géorgiens, etc. en Azerbaïdjan, notamment à Bakou, etc.

      


B. – La politique d'implantation des populations russes aux confins de l'Empire

      

      La présence des populations russes dans les ex-républiques soviétiques caspiennes est un des héritages de l'époque impériale de leur histoire. Dans un premier temps, le but principal de la migration russe était de renforcer la sécurité des nouvelles frontières extérieures. Plus tard, par le biais de cette migration, l'État russe désira également résoudre les problèmes économiques en contribuant au développement du commerce et de l'industrie ainsi qu'à la mise en valeur des terres vierges. À mesure qu'une intégration économique se produisait entre la métropole et les périphéries, se développa l'interaction socioculturelle entre les migrants russes et les autochtones.

      

      a) L'Azerbaïdjan : un terrain propice pour la colonisation paysanne

      

      La formation des communautés russes en Transcaucasie remonte au 19e siècle. La colonisation du Caucase du Nord mit la région à feu et à sang, mais l'intervention extérieure fut évitée. Celle de la Transcaucasie se déroula dans d'autres conditions et le tsar se présenta plutôt en tant qu'« ami et libérateur » des peuples autochtones, notamment chrétiens.

      Lors des trois premières décennies du 19e siècle (1801-1828), le territoire actuel de l'Azerbaïdjan fut rattaché à l'Empire russe. Dès lors, le gouvernement tsariste élabora différents programmes de migration des populations russes aux nouveaux confins de l'Empire. Celui-ci ne pouvait pas tolérer l'isolement ou l'éloignement des nouveaux territoires conquis devenus d'emblée les périphéries impériales. Pour attirer ces nouvelles populations, le gouvernement impérial fonda d'abord des colonies militaires où les soldats et les officiers, en dehors de leur service, recevaient également des lots de terrain et vivaient avec leurs familles. Ensuite, c'est la population civile qui vint s'installer.

      En avril 1830, I. Paskevitch 1010  présenta au tsar Nicolas 1er un projet pour l'introduction en Transcaucasie du « mode russe de gouvernement » 1011 . Ce projet, entre autres, prévoyait la formation de colonies russes, la création de bourgs militaires et de villages russes. Ces derniers devaient être peuplés par des paysans déplacés des provinces centrales de la Russie. Il s'agissait de vieux croyants (raskolniki 1012 ) et de sectateurs (Molokanes 1013 

      

      

      (Pryguns (sauteurs) et Postoïannye 1014 ), Doukhobors 1015 , Soubbotniks 1016 ). Le premier ordre gouvernemental prévoyant le déplacement de certaines catégories de personnes dans les provinces transcaucasiennes fut pris le 20 octobre de la même année. À cette étape, le peuplement russe avait un caractère punitif.

      Sous le règne de Nicolas Ier (1825-1855), le gouvernement tsariste recommença les persécutions des sectateurs engagées par Catherine la Grande. On les priva de passeports et on leur interdit de quitter leurs lieux d'habitation, de suivre leurs rites et de se réunir pour la prière. En 1830, l'oukase spécial du tsar interdit aux Molokanes de s'installer dans les régions méridionales de la Russie, hormis en Transcaucasie, où l'installation volontaire, au contraire, était encouragée. Ainsi, les sectateurs apparurent dans les provinces de Tiflis, d'Erivan, d'Elizavetpol et de Chemakha. Dans une certaine mesure, la politique du gouvernement tsariste coïncida avec les aspirations des sectateurs de l'époque chez qui la légende du royaume d'Ararat, « plein de miel et de lait », était très répandue. Les sectateurs russes et allemands (de Wurtemberg) croyaient à la deuxième arrivée du Christ qui devait avoir lieu près du mont Ararat avec l'établissement d'un royaume de mille ans dont la voie ne serait ouverte qu'aux vrais croyants. Les sectateurs qui se convertissaient à l'orthodoxie pouvaient rentrer en Russie 1017 .

       Si, pour le Caucase du Nord, le noyau des colons russes fut constitué de Cosaques et

      

      

      

      de militaires (colonisation militaro-cosaque), pour la Transcaucasie, il fut majoritairement représenté par des paysans de toutes sortes. Cette situation continua jusqu'à la fin du 19e siècle. La Transcaucasie devait, comme le constate en 1833 le Conseil d'Empire, « être rattachée à la Russie et ne plus constituer qu'un seul corps […] et sa population amenée à parler russe, penser russe et sentir comme les Russes » 1018 .

      Les premiers villages russes sur le territoire de l'Azerbaïdjan actuel apparurent dans les années 30-40 du 19e siècle. Les points de peuplement furent créés dans des régions où les conditions géographiques et climatiques ressemblaient à celles de leurs anciens lieux d'habitation et étaient favorables aux activités agricoles. La majorité écrasante des habitants fut composée de sectateurs venus principalement des régions de Saratov, de Voronej et de Tambov. Le fait que les migrants s'implantaient par sectes entières composées de grandes familles avec une structure équilibrée d'âge et de sexe permettait une installation en isolats autarciques tout en gardant les capacités de se reproduire et de se développer dans ces conditions.

      Le déplacement des sectateurs répondit aux intérêts stratégiques du tsarisme dans la région. En cas de nécessité, l'Empire pouvait s'appuyer sur ces populations qui se distinguaient des peuples aborigènes par leur langue, leur culture, leur origine ethnique ainsi que par leur mentalité et leur psychologie. Les colons russes devaient résoudre toute une série de problèmes comme la défense des frontières et le développement économique de la région afin de la faire entrer dans le système économique commun de l'Empire. Pour cela, le gouvernement tsariste élabora des programmes économiques spéciaux liés au peuplement, notamment dans le nord du pays. Tout développement économique nécessitait des voies de communication sûres. C'est pourquoi les nouveaux villages russes furent créés tout le long des routes commerciales et militaires.

      Les qualités typiques des Molokanes tels que l'assiduité, le sentiment de responsabilité envers la famille, le respect de la loi et l'abstinence dans l'utilisation de l'alcool leur permettaient de s'adapter vite à leurs nouveaux lieux d'habitation entourés par un milieu culturel et ethnique étranger. L'organisation quasi autarcique du mode de vie des Molokanes leur permit de préserver, jusqu'à nos jours, leur identité d'origine. Les sectateurs s'adaptèrent non seulement aux nouvelles conditions de vie et à un entourage allogène, mais exercèrent également une influence progressiste, économique ainsi que culturelle, sur le développement de leurs régions d'accueil.

      En 1844, la Transcaucasie comptait 10 358 Russes : 8 618 vieux croyants et sectateurs, 1 740 paysans d'État et affranchis, les serfs. Cinq ans plus tard (1849), la population russe avait doublée (19 341 personnes). Malgré les efforts du tsarisme, en 1873, le nombre de Russes n'était que 69 331 soit 2,29 % de la population totale de la région. L'historien russe de l'époque V. Velitchko releva avec une grande déception que la présence de la Russie en Transcaucasie ressemblait plutôt à une occupation, et cela après presque cent ans de domination 1019 .

      À partir de 1880, la stratégie de migration des Russes vers la Transcaucasie subit des changements significatifs. C'est durant ces années que l'Empire russe élabora sa politique de peuplement à l'échelle impériale. Les intérêts économiques liés au cap mis sur le développement agraire passèrent au premier plan. En principe, la migration de cette période toucha la population rurale des régions centrales de la Russie et des territoires du Caucase du Nord où on observait une pénurie de terres cultivables.

       Selon la Loi de 1899, l'installation en Transcaucasie des sectateurs ainsi que des personnes n'ayant pas d'origines russes fut interdite. Autrement dit, le gouvernement impérial privilégia le déplacement des Russes orthodoxes (militaires, officiers en retraite, membres de leurs familles ainsi que paysans d'État venus des régions intérieures de la Russie installés auprès d'eux). En 1886, la région comptait 104 919 Russes soit 2,4 % de la population. Durant la dernière décennie du 19e siècle, la population russe doubla (111,2 %), tandis que la population locale n'enregistrait que 22 % de hausse 1020 .

      Parallèlement, pendant cette période, des milliers de Doukhobors, Molokanes et Prygouns commencèrent à quitter la Transcaucasie pour le Canada, l'Amérique, le Mexique, la Palestine, la Mandchourie, la Turquie. Malgré les persécutions, les Molokanes se distinguaient par leur loyalisme vis-à-vis du tsar. Pendant les événements cruciaux de l'histoire russe (révolution de 1905, Première Guerre mondiale, Révolution d'Octobre) ils se rangèrent souvent aux côtés du tsarisme 1021 .

       Une nouvelle vague de migration russe fut étroitement liée à la réforme agraire en Russie entreprise par Stolypine (1905-1907). La Transcaucasie faisait partie des territoires où

      devait être appliquée la réforme. Le gouvernement tsariste encouragea la migration des paysans en leur accordant le droit de se déplacer librement. À cette période, la migration des Russes avait principalement un caractère économique. C'était la première fois que l'Empire russe planifiait la création de vastes zones de peuplement exclusivement russes dans les steppes transcaucasiennes. En particulier, le gouvernement élabora un programme prévoyant la mise en exploitation de la steppe de Moughan. En 1913, il y existait 44 points de peuplement. Au total, de 1902 à 1917, les Russes y fondèrent 55 villages comptant 21 094 habitants soit plus de 40 % de la population de la région 1022 . La plupart des migrants furent des Russes orthodoxes venus des régions méridionales de l'Empire densément peuplées. Ils reçurent 20 000 deciatines 1023  de terres irriguées qui, en principe, devaient être distribuées aux autochtones 1024 . Par ces mesures, le gouvernement tsariste aggrava encore le problème de la pénurie de terres arables qui était déjà critique.

      Parallèlement, les migrants russes s'installèrent tout le long de la côte caspienne (districts de Kouba et de Lenkoran) en fondant quelques dizaines de villages. Au total, à la charnière des deux siècles, plus d'une centaine de villages russes orthodoxes furent créés sur le territoire de l'Azerbaïdjan.

      

      Tableau n° 28

      La répartition et nombre total des populations russes en Transcaucasie (1873-1914)

      

      

Provinces Populations russes % par rapport à la population totale

1873 1886 1897 1914 1873 1886 1897 1914









Tiflis 36 390 35 603 79 082 123 539 5,5 4,2 7,5 8,8
Bakou 18 229 42 432 73 632 171 442 3,4 6,0 8, 14,5
Elisavetpol 8 891 8 089 14 146 36 647 1,5 1,1 1,6 3,1
Erivan 4 525 4 152 13 173 16 408 0,8 0,6 1,6 1,6
Sukhumi 138 - - 22 764 0,3 - - 11,5
Koutais 1 158 3 781 19 273 16 728 0,2 0,1 1,9 1,6
Zakatala - 167 - 396 - - - 0,5
Kars - 10 695 22 327 19 770 - 6,1 7,7 21,7
Batoumi - - - 13 026 - - - 6,8









Total 69 331 104919 221 633 420 720 2,29 2,4 4,5 6,28

      Source : d'après D. ISMAIL-ZADE, Russkoe krest'janstvo v Zakavkaz'e. 30-e gody XIX – načalo XX v. [La Paysannerie russe en Transcaucasie. Années 30 du XIX – début du XX siècle], Nauka, Moscou, 1982, pp. 38-39, 57, 60-61, 122-123, 237-239.

      

      Pendant cette période, la répartition des populations russes urbaines et rurales subit des changements significatifs. Si, au 19e siècle, les Russes s'installaient principalement à la campagne, au début du 20e siècle, l'orientation du peuplement se dirigea vers les villes. En 1903, la population du « Grand Bakou » était de 206 751 habitants dont 74 254 Russes, 53 872 Turcs azéris, 34 256 Arméniens et 44 369 d'autres nationalités (Perses, Juifs, Tatars, Lezguiens, Géorgiens, etc.) 1025 . Ce fut en Azerbaïdjan que la population rurale russe de la Transcaucasie se concentra principalement. À la veille de 1914, le poids démographique des paysans russes était considérable : 10 % de la population et dans certaines régions jusqu'à même 20 % : Chemakha – 13 %, Djevat – 20,6 %, etc.

      En raison des cataclysmes politiques et des guerres – la Première Guerre mondiale, la Révolution d'Octobre, l'indépendance de l'Azerbaïdjan, la Guerre civile – de nombreux Russes furent contraints de rentrer en Russie. Cette vague d'émigration toucha, en majorité, les derniers arrivés. Les populations sectaires en furent préservées. En conséquence, en 1920, les Russes ne constituaient que 3 % de la population rurale concentrés principalement dans 80 villages russes (42 000 habitants) dont 30 composés de sectateurs (30 000 habitants) 1026 . Cependant, pendant les 30 années qui suivirent, la part des Russes fut de nouveau en hausse (5,6 %) avec l'arrivée de nouveaux migrants 1027 .

      Comme déjà évoqué, les populations russes de Transcaucasie, notamment les sectateurs, en règle générale, vivaient d'une façon renfermée et autarcique. Or, elles n'étaient pas toujours homogènes du point de vue ethnique. La plupart des villages étaient peuplés aussi bien par les Russes que par les ethnies de l'espace russe. Parmi ces dernières, on pouvait rencontrer plusieurs Ukrainiens, Mordves, Tchouvaches, Cosaques du Don, etc. Ces villages représentaient des foyers socioculturels russes uniques et des modèles d'adaptation de l'ethnie russe dans un entourage allogène. Ils étaient très différents du point de vue aussi bien ethnique que culturel.

      On rencontrait également des villages avec une population mixte où les Russes cohabitaient avec les Tatars, Arméniens, Géorgiens, Grecs, Polonais, Abkhazes, etc. Un certain nombre de migrants russes apprenaient vite les langues locales ce qui était nécessaire pour la vie quotidienne. Le bilinguisme devenait de plus en plus courant. Parallèlement, le nombre de paysans autochtones connaissant la langue populaire russe était également en hausse. Tout interactivité entre les Russes et les autochtones se déroula sans de graves complications interethniques grâce au niveau élevé de tolérance ethnoreligieuse des populations locales vis-à-vis des Russes ce qui n'était pas le cas des ethnies locales entre elles 1028 .

      L'arrivée des Russes dans la région laissa sa marque dans la nouvelle toponymie. Très souvent, les migrants essayaient de conserver les traces de leurs anciens lieux d'habitation dans les nouveaux toponymes russes : Saratovka, Astrakhanka, Tchernigovskoe, Smolenski, Poltavskoe, etc. Plusieurs toponymes russes avaient des origines anthropologiques : Ivanovka venait du nom du colonel Ivanov, etc.

      

      b) Le Turkménistan : une implantation des populations russes devant contribuer à la résolutions des questions militaro-stratégiques

      

      Les Russes commencèrent à s'installer plus ou moins massivement au Turkménistan dès le 19e siècle. Les premières implantations russes sur les terres turkmènes furent les fortifications militaires fondées tout le long du littoral caspien. La plus ancienne d'entre elles fut le fort de Novo-Alexandrovski dans le golfe de Kaïdak (1834) transféré en 1846 au cap de Tïoub-Karaganski sous le nom de Novo-Petrovski (depuis 1857 – Fort Alexandrovski). Un an plus tard, on fonda la cité des pêcheurs Nikolaevski (1847).

      Dans les années 1860, une fois la conquête du Caucase terminée, le gouvernement tsariste envoya une partie de ses forces militaires, déployées au Daghestan, s'emparer des terres transcaspiennes. Ainsi, en 1869, le détachement militaire russe de Stoletov débarqua dans le golfe de Krasnovodsk et fonda la ville la plus importante de la côte turkmène portant le même nom. Mais les premiers colons russes s'y étaient installés un siècle et demi auparavant 1029 . La fondation de Krasnovodsk permit à l'Empire russe d'avancer en profondeur dans les steppes turkmènes.

      

      

      

      L'apparition des points d'appui sur la côte orientale de la Caspienne joua un rôle important pour l'avancée ultérieure de l'Empire en direction centrasiatique. L'installation des migrants russes résolvait les questions militaires et stratégiques du gouvernement tsariste. À cette étape, le but principal de l'autocratie russe fut l'établissement du contrôle russe sur les territoires transcaspiens, jusqu'aux rivières Atrak et Gorgen, peuplés par les Turkmènes. Ces derniers étaient hostiles à la Perse et ne reconnaissaient pas sa domination. En réalité, le contrôle russe ne s'étendait réellement que sur la presqu'île Manguychlak et sur l'île Tcheleken.

      Après l'abolition du servage (1861), de nombreux paysans libérés se mirent spontanément à la recherche de terres libres dans les nouveaux territoires récemment rattachés à l'Empire, y compris dans la région transcaspienne. Cette vague d'émigration paysanne continua jusqu'à la première révolution russe (1905). Le but de la création des localités agricoles russes fut le renforcement des nouvelles frontières de l'Empire et le ravitaillement des villes et des bourgs militaires russes. C'est pourquoi, les premiers villages purement russes surgirent à proximité de ces derniers. Ils devaient également assurer les communications internes de la région : la poste, le voiturage, le transport à cheval, etc. À l'instar de la Transcaucasie, au début de la colonisation russe, les sectateurs furent les bienvenus. Quant aux cités de pêcheurs, leur noyau fut constitué par des Cosaques. Ces cités, où la migration n'était pas contrôlée, étaient populeuses et se développaient progressivement.

      Parallèlement à sa conquête (fin du 19e siècle), le Turkménistan entrait petit à petit dans le système économique de l'Empire russe. L'économie de la Russie était plus progressiste et avancée que l'économie locale. L'Empire se mit à la construction de chemins de fer, contribua au développement des commerces, de l'industrie et de la production agricole. Des villes et des points de peuplement de colons russes surgirent le long du Transcaspien. Les migrants russes s'établirent, de préférence, dans les villes. L'administration des districts fut confiée à des officiers russes.

      En 1897, parmi les provinces du Turkestan, dans la Transcaspienne seule, les Russes (avec les Polonais et d'autres Slaves) constituaient près de 10 % de la population, soit 97 000 personnes. Par comparaison, à Fergana on en avait 7 000, à Samarkand – 18 000, à Syr-Daria – 32 000 1030 .

      

      

      Dans les années de réforme agraire de Stolypine, le gouvernement tsariste encouragea le déplacement de paysans moyens et cossus afin de créer sur place les exploitations koulaks. L'installation des paysans pauvres était interdite. Ce fut à cette époque que les migrants russes commencèrent la fondation de colonies dans le nord-est de la Perse divisée en deux zones d'influence : russe et anglaise. À la veille de la Première Guerre mondiale, cette région de la Perse comptait 13 villages russes (2 176 personnes) composés de sectateurs et d'autres paysans venus de la Tauride, des régions centrales de l'Empire, et même du Turkestan. Ces villages étaient tous dans une situation semi-légale 1031 .

      En 1917, dans la région transcaspienne, il existait 33 points de peuplement russes : 6891 personnes soit 2,03 % du nombre total de la population locale 1032 . Démographiquement, cette population russe n'était pas importante à cause de sa mobilité permanente. Nombreux étaient ceux qui, en mal d'adaptation et en manque de terres cultivables, rentraient ultérieurement en Russie. En 1909-1910, le nombre d'émigrants était deux fois plus important que le nombre de nouveaux arrivés 1033 . Pour conclure, les efforts de l'Empire pour encourager l'immigration des Russes en Turkménistan ne furent pas couronnés de succès. L'afflux des migrants resta modeste. Le nombre de colonies purement russes n'était pas très élevé. En outre, elles furent peu peuplées. La Transcaspienne en compta 27 avec environ 5 000 habitants 1034 .

      Avec l'arrivée des Russes, le Turkménistan, à l'instar des autres pays d'Asie centrale, commença à « s'européaniser » et à se moderniser. Cette modernisation toucha toutes les sphères de la vie sociale, politique et économique ainsi que la construction de l'État. Dans la politique de colonisation des steppes et des déserts centrasiatiques, les nomades devinrent la cible privilégiée des « activités civilisatrices » de l'Empire russe dont l'objectif fut la diffusion d'un nouveau mode de vie au lieu du prosélytisme religieux classique. En 1914, la région transcaspienne avait 58 écoles laïques avec 6 783 élèves dont un certain nombre d'enfants turkmènes 1035 .

      

      

      

      c) Le Kazakhstan : une présence russe remontant au 17e siècle

      

      L'avancée des Russes dans les steppes kazakhes commença à partir de la fin du 16e siècle. Les premiers Russes s'établirent principalement à l'Ouest et à l'Est du pays. Ce furent des migrants volontaires et des sectateurs fuyant des persécutions. Au 18e siècle, des milliers de paysans libres, serfs évadés, schismatiques et sectateurs s'installèrent durablement dans la région de l'Altaï. Parallèlement, les Cosaques russes bâtirent leurs forteresses, redoutes, piquets et stanitsas. Ainsi, apparurent les infrastructures militaires, urbaines et rurales appelées « lignes fortifiées ». Elles avancèrent petit à petit en profondeur dans le pays. En règle générale, les points de peuplement russe se formèrent tout le long des routes stratégiques et militaires.

      La colonisation du Kazakhstan se distinguait par son caractère militaro-cosaque. Historiquement, sur le territoire de l'actuel Kazakhstan, il existait trois armées de Cosaques :

      de l'Oural, créée en 1591 au nord-ouest du pays à la lisière de la frontière actuelle russo-kazakhstanaise ;

      de la Sibérie, formée en 1808 au nord du pays et au sud de la Sibérie russe ;

      de la Semiretchié qui se trouve au sud-est et englobe les territoires intérieurs du Kazakhstan (d'Almaty et de Taldy-Kourgan).

      Au milieu du 19e siècle, les possessions russes s'étendirent jusqu'à la mer d'Aral et au lac Balkhach. Les premiers industriels russes se mirent à exploiter les ressources naturelles dans les territoires conquis. Partout au nord et au sud-est du Kazakhstan apparurent les bourgs militaires des Cosaques qui attiraient des milliers de civils. Dès les années 1870, le gouvernement impérial encouragea le peuplement intensif des steppes par des peuples de Russie intérieure.

      La redistribution des terres steppiques se fit souvent sur le compte des pâturages traditionnels des tribus nomades. Le nouveau règlement de répartition foncière de la migration élaborée par le gouvernement russe et appliqué dès 1889 amputa une importante partie des steppes qui avoisinaient les territoires situés au sud de la Sibérie et dans la région de l'Oural 1036 . Cela se répercuta immédiatement sur la tradition nomade ancestrale des Kazakhs. Ces derniers étaient contraints de se retirer avec leurs troupeaux vers le sud composé de terres moins appropriées à l'élevage. Ainsi, le flux migratoire venant de la Russie européenne et ses conséquences ébranlèrent toute la « structure sociale des Kazakhs fondée sur la nomadisation » 1037 .

      L'apparition des Slaves contribua également à la sédentarisation d'une partie des Kazakhs nomades. Le nombre de sédentarisés était important dans la mesure où eux seuls pouvaient jouir de tous les droits des sujets de l'Empire russe. Cette politique « civilisatrice » impériale majorée par la confiscation des terres pastorales pour les activités agricoles altéra les relations interethniques russo-kazakhes.

      

      

      Tableau n° 29

      La répartition des populations russes dans certaines provinces septentrionales du Kazakhstan

      selon le recensement de 1897

      

      

Provinces Population totale Part des Russes Part des Russes, % dont les Cosaques



Akmola 1 279 818 725 657 56,7 74 707
Semipalatinsk 973 589 233 661 24,0 28 717
Tourgaï 728 057 275 206 37,8 -
Oural 801 975 327 206 40,8 114 166





Total 3 783 439 1 561 730 41,28 217 590

      Source : d'après Istorija Kazaxstana [L'histoire de Kazakhstan], Dyuir, Almaty, 1993, p. 234.

      

      Les quatre cinquièmes d'entre eux étaient des colons paysans avec un noyau dur russo-ukrainien. Les chiffres furent plus modestes pour le Turkestan qui ne comptait que 230 000 paysans sur 400 000 migrants russes 1038 . Dans les villes, les Russes étaient principalement fonctionnaires, militaires, ouvriers, cheminots, sectateurs ainsi qu'un certain nombre d'exilés politiques. En 1911, ils constituaient déjà 28,5 % de la population des steppes kazakhes soit quelques 1 543 138 personnes 1039 .

      En Asie centrale comme en Transcaucasie, les populations russes pouvaient être conventionnellement divisées en deux groupes qui se distinguaient selon leurs motivations et leurs dispositions par rapport aux territoires de leur installation :

      a) les personnes pour qui ces terres n'étaient qu'un lieu de résidence provisoire, notamment, pour faire une carrière militaire ou pour bénéficier de promotions de toutes sortes ;

      b) les gens pour qui ces territoires étaient un refuge, devenus leur pays, néanmoins, partie intégrante de l'Empire russe. Plusieurs d'entre ces derniers apportèrent leur contribution à la glorification de leurs nouvelles petites patries. Parmi eux on trouve un certain nombre d'officiers, de fonctionnaires, de soldats, de commerçants et de représentants de l'intelligentsia progressiste russe qui s'y installèrent, d'une façon permanente, à l'instar des milliers de sectateurs et des paysans orthodoxes russes.

      


C. – Le renforcement des communautés russes pendant la période soviétique

      

      En 1926, 5,8 millions de Russes, soit 6,7 % du total de l'ethnie russe, vivaient en dehors de la Fédération de Russie dans les anciennes RSS d'Union soviétique 1040  contre 25,3 millions à la veille de la dissolution de l'URSS. Pendant la période soviétique, en Transcaucasie comme en Asie centrale, les Russes s'installaient principalement dans les villes.

      La mobilité des Russes et d'autres Slaves, comme d'ailleurs de tous les peuples soviétiques, prit une nouvelle envergure. On put l'observer durant les nombreuses campagnes de toute la période soviétique : l'industrialisation, l'alphabétisation, l'exploration des terres vierges, la construction du BAM 1041 , etc. Tous ces déplacements faciles de millions de personnes se basaient sur la psychologie et sur la « vieille habitude » russe (liogki na nogou – « pied facile de l'homme russe ») de se déplacer facilement. C'était la condition « anthropologique » 1042  de l'apparition des diasporas russes dans l'actuel étranger proche. Le conservatisme politique, le caractère défensif (okhranitelni) et le loyalisme vis-à-vis du centre sont typiques des diasporas russes, anciennes (cosaques) et nouvelles (soviétiques dites aussi « prolétariennes ».

      L'augmentation progressive des populations russes et slaves était due en grande partie à la politique soviétique de répartition de la main-d'œuvre en fonction de la « rationalité » économique, associée à la volonté de russifier l'ensemble du territoire et de parvenir à une homogénéisation des populations. Ainsi, la Russie envoyait une partie de sa population vers les républiques soviétiques pour assurer la constructions des « chantiers communistes » (villes industrielles, usines hydroélectriques, centrales nucléaires, etc.), la mise en valeur des terres vierges, etc. Aux causes de l'afflux des migrants russes s'ajouta également la famine dans la région volgienne au début des années 1930 1043 .

      À la fin de l'existence de l'URSS, la plus grande communauté russe parmi les républiques soviétiques méridionales était celle du Kazakhstan qui comptait 6,1 millions de personnes et devançait largement l'Ouzbékistan (1,7 millions), le Kirghizistan (916 000), l'Azerbaïdjan (392 000) et le Turkménistan (334 000).

      

      Tableau n° 30

      Les parts des Russes et russophones dans les républiques soviétiques méridionales selon le recensement de 1989

      

      

Républiques Nombre de Russes % Nombre de russophones %
Asie centrale



Kazakhstan 6 100 000 37,8 1 573 000 9,5
Ouzbékistan 1 700 000 8,3 500 000 2,5
Kirghizistan 916 000 21,5 174 000 4,0
Tadjikistan 388 000 7,6 107 000 2,1
Turkménistan 334 000 9,4 87 000 2,4

9 438 000
2 441 000
Caucase du Sud



Azerbaïdjan 392 000 5,6 137 000 1,9
Géorgie 341 000 6,3 142 000 2,6
Arménie 51 600 1,5 16 000 0,4

784 600
295 000
Total 10 222 600
2 736 000

      Source : d'après Itogi Vsesojuznoj perepisi naselenija 1989 g. [Les résultats du recensement soviétique de 1989], Goskomstat, Moscou, 1991 ; V. KABUZAN, Russkie v mire [Les Russes dans le monde], BLIC, Saint-Pétersbourg, 1996, p. 279.

      

      a) L'Azerbaïdjan : une présence russe de plus en plus urbaine

      

      À l'époque soviétique, la plus forte communauté russe en Transcaucasie était celle de l'Azerbaïdjan. Les premières décennies de la période soviétique furent des années de migration intensive des populations slaves vers cette ancienne république soviétique. En 1939, elle comptait déjà 528 000 Russes. Les nouveaux arrivants sont principalement des intellectuels, des médecins, des ouvriers qualifiés et des spécialistes, notamment dans l'industrie pétrolière, qui viennent par le biais des bulletins de placement, afin de travailler dans les entreprises locales. Cependant, peu à peu la république fédérée commence à former ses propres cadres pour satisfaire les besoins en main d'œuvre des différents secteurs de l'industrie nationale. Cela relativisa l'importance de l'immigration de travailleurs qualifiés.

      Tableau n° 31

      La répartition des populations Russes et russophones de l'Azerbaïdjan (1979-1999)

      

      

Groupes nationaux En milliers de pers. % dans la population totale En milliers de pers. % dans la population totale En milliers de pers. % dans la population totale

1979 1979 1989 1989 1999 1999
Russes 475 7,9 % 392,3 5,6 % 141,7 1,8 %
Arméniens 475,5 7,9 % 390,5 5,6 % (120,7)* (1,5 %)*
Ukrainiens 26,4 0,4 % 32,3 0,5 % 29 0,4 %
Juifs 35,5 0,6 % 30,8 0,4 % 8,9 0,1 %

      * Il s'agit de la population arménienne du Haut-Karabakh, territoire qui de facto est indépendant et n'est pas soumis à l'autorité de Bakou.

      Source : Armenian Daily, n° 54, 24.03.2001. (http://www.armenia.ru).

      

      Après la Deuxième Guerre mondiale, les autorités soviétiques déployèrent un gigantesque chantier « communiste » à 30 km de Bakou. Il s'agit de la construction de la ville de Soumgaït (Komsomolsk-sur-la-Caspienne), qui attira plusieurs milliers de Russes et de russophones. Par conséquent, les nouveaux arrivants complétèrent les populations urbaines russes du pays.

       En ce qui concerne les sectateurs, après la Révolution d'Octobre, les autorités soviétiques déployèrent une campagne contre la dévotion et le mode de vie traditionnel des Molokanes. En général, les communes des Molokanes prospérèrent jusqu'aux années 1930, période de la fameuse dékoulakisation. La faillite de plusieurs exploitations poussa alors à la migration intérieure des paysans vers les villes. Après la Deuxième Guerre mondiale, on observa le retour des Molokanes, notamment des jeunes, dans le pays de leurs ancêtres.

      Pendant la période soviétique, une des tendances du développement démographique de la communauté russe azerbaïdjanaise fut la baisse progressive du nombre de paysans russes sur fond d'augmentation considérable de la population rurale de l'Azerbaïdjan. En 20 ans (1959-1979), le nombre de Russes dans la campagne passa de 62 000 à 28 000 soit 55 % de baisse. Ils restèrent regroupés dans 20 villages dont seulement 8, auparavant mononationaux, avaient encore une population russe de 10 à 90 % 1044 . Dans tous les cas, il s'agit d'anciens villages de sectateurs 1045 . Géographiquement, ces villages étaient situés au nord-est (districts d'Ismaili et de Chemakha), au sud-est (district de Djalilabad et Massali) et à l'ouest (district de Kedabek) de la république soviétique. Les Doukhobors azerbaïdjanais restèrent regroupés dans le village de Slavianka.

      

      Tableau n° 32

      La répartition des peuples titulaires et des Russes dans les villes et dans la campagne des ex-républiques soviétiques de Transcaucasie en 1979

      

      

Ex-républiques soviétiques Part du peuple titulaire habitant dans Part des Russes dans

les villes la campagne les villes la campagne
RSS d'Arménie 68,9 % 31,1 % 2,9 % 1,2 %
RSS d'Azerbaïdjan 45,9 % 54,1 % 14,1 % 1,0 %
RSS de Géorgie 47,8 % 52,2 % 12,4 % 2,3 %

      Source : L. MAKAROVA, G. MOROZOVA et N. TARASOVA, Regional'nye osobennosti migracionnyx processov v SSSR [Les Particularités régionales des processus migratoires dans l'URSS], Naouka, Moscou, 1986, p. 94.

      

      Le processus global d'urbanisation fut à l'origine du dépeuplement des villages azerbaïdjanais de leurs habitants russes. La diminution du nombre d'actifs détermina un déclin démographique et le vieillissement de la population russe de la campagne. Dans plusieurs cas, on observa la disparition définitive de certains îlots russes dans le pays.

      S'y ajoute l'afflux massif des Azéris venus de localités voisines surpeuplées. Leur installation dans les villages auparavant purement russes ainsi que le taux élevé de leur croissance démographique aboutirent à la détérioration des rapports interethniques, ce qui poussa encore les paysans russes, désormais minoritaires, à quitter les terres qu'ils cultivaient depuis plus d'un siècle 1046 . Selon les statistiques, après avoir quitté l'Azerbaïdjan, les familles rurales russes s'installèrent principalement dans la campagne russe (en grande partie, dans les territoires de Krasnodar et de Stavropol) 1047 . Ainsi, de multiples problèmes d'origine économique, politique, culturelle, sociale et psychologique furent à l'origine du déclin démographique de la population rurale russe d'Azerbaïdjan. Le résultat en est un dépeuplement progressif des anciens villages russes de leurs habitants d'origine.

      Le faible taux de natalité des Russes enregistré depuis les années 1950-60 n'était pas en mesure d'assurer le simple renouvellement de la population russe. La compensation de ces pertes ne pouvait se faire que par le biais de nouveaux migrants. Cependant, à partir des années 1970, le flux des populations russophones commença à diminuer.

      

      b) Le Turkménistan : une immigration primordiale pour un développement rapide ?

      

      Dès l'instauration du régime soviétique au Turkménistan jusqu'à la veille de la Seconde Guerre mondiale (1939), la population russe dans la république tripla. Le pays ne connut jamais une telle hausse d'afflux de population russe. Ce furent des spécialistes, des ouvriers qualifiés et des cadres du parti qui devaient contribuer au développement de l'économie locale et au renforcement du nouveau régime soviétique. Dans les années 1930, pendant la collectivisation forcée, plusieurs milliers de personnes opprimées furent également contraintes de s'installer au Turkménistan. Les nouveaux arrivants s'établirent principalement dans les villes. Par exemple, juste avant la dissolution de l'URSS, les Russes représentaient 32% de la capitale d'Achkhabad 1048 .

      

      Tableau n° 33

      Le mouvement des populations russes au Turkménistan (1926-1989)

      

      

Années Milliers de personnes Part des Russes dans la population totale, % Part des Turkmènes dans la population totale, %
1926 75,3 7,7 73,8
1939 232,9 18,6 59,8
1959 262,7 17,3 60,9
1970 313 14,5 65,6
1979 349 12,6 68,4
1989 334 9,6 72,0

      Sources : d'après Š. KADYROV, Narodonaselenie Turkmenistana : istorija i sovremennost' [La population du Turkménistan : histoire et temps moderne], Ylym, Achkhabad, 1986, p. 41 (120) ; . KADYROV, « Turkmenistan : političeskie, tnokul'turnye i demografičeskie faktory smeny èlit » [« Le Turkménistan : les facteurs politiques, ethnoculturels et démographiques du changement des élites »], Azija i Afrika segodnja, n ° 11, Naouka, 2003, pp. 29-34 ; A. DE TINGUY, La grande migration. La Russie et les Russes depuis l'ouverture du rideau de fer, Plon, Paris, 2004, p. 497.

      

      À partir des années 1950, la migration russe s'arrêta pratiquement. Cependant, le nombre total des Russes continua d'augmenter légèrement grâce à un taux de natalité favorable, car le poids des jeunes dans les populations russes était important. Dans les années 1960, la représentation des Russes dans le gouvernement, l'administration, le parlement, le komsomol et le syndicat du Turkménistan était la plus élevée parmi les ex-républiques soviétiques 1049 . Jusqu'en 1947, le poste de premier secrétaire du Parti communiste de Turkménie fut également occupé par des personnes nommées à Moscou et non pas par des représentants autochtones de la république. Comme le constate l'historien turkmène Ch. Kadyrov, « plus la diaspora slave était importante en nombre, plus le processus de maturation de la conscience nationale turkmène devait se développer activement » 1050 .

      À l'époque soviétique, les mariages mixtes avec notamment des Russes devinrent prestigieux et avantageux pour les Turkmènes, car ils ouvraient de bonnes perspectives pour une future carrière. Curieusement, presque tous les premiers dirigeants du Turkménistan étaient mariés avec des femmes non-turkmènes (russes, juives, tatars). Les mêmes tendances se produisirent à d'autres maillons du pouvoir local. Ch. Kadyrov compare ce phénomène aux temps passés où les Turkmènes choisissaient les femmes parmi des afghanes ou persanes enlevées pendant les campagnes militaires. La seule différence maintenant était l'inversion des rôles : les hommes turkmènes jouaient le rôle d'« enlevés » 1051 . Inutile de souligner que les enfants issus de ces familles mixtes (turkméno-russes/russophones) étaient souvent russophones et russophiles ou encore biculturels et bilingues, mais jamais purement turkménophones. Les femmes russes ne s'assimilèrent jamais aux Turkmènes, rares furent les cas où elles parlaient le turkmène. Le fait que les populations russes n'étaient concentrées que dans les milieux urbains ne favorisa pas non plus leur intégration éventuelle.

      Dans les années 1970-80, la baisse de la natalité dans les familles russes et le solde négatif de la migration amenèrent à la diminution du nombre de Russes dans la population totale de la république. À la fin des années 1980, c'est la nomenklatura russe qui commença à quitter le pays. Elle entraîna également le départ massif d'autres catégories de population.

      

      Tableau n° 34

      Le poids démographique des Russes (sans compter les Ukrainiens, les Biélorusses et autres russophones) dans la population des Républiques d'Asie centrale en 1959-1989, %

      

      

Républiques 1959 1970 1979 1989





Kazakhstan 42,7 42,4 40,8 37,8
Ouzbékistan 13,5 12,5 10,8 8,3
Kirghizistan 30,2 29,2 25,9 21,5
Tadjikistan 13,3 11,9 10,4 7,6
Turkménistan 17,3 14,5 12,6 9,5

      Source : Geopolitičeskoe položenie Rossii : predstavlenija i real'nost' [La situation géopolitique en Russie : les idées et les réalités] (sous la direction de V. KOLOSOV), Art-Kur'er, Moscou, 2000, pp. 148-149.

      

      c) Kazakhstan : la principale terre d'accueil soviétique de la migration volontaire et forcée

      

      Traditionnellement, la plus grande communauté russe parmi les républiques soviétiques méridionales fut celle du Kazakhstan avec 6,1 millions de personnes sans compter 1,6 millions de russophones (1989).

      La Révolution d'Octobre, la Guerre civile, la collectivisation forcée et les répressions staliniennes se répercutèrent sensiblement sur la composition ethnique du Kazakhstan. En 1937, les Kazakhs devinrent minoritaires dans leur propre pays (38,8 %), tandis que les Russes et les Ukrainiens représentaient plus de 50 % de la population. À la différence du 19e et du début du 20e siècles, l'immigration russe changea de destination : elle fut désormais dirigée vers les villes où les plans quinquennaux soviétiques déployaient plusieurs « chantiers communistes ». Ce furent principalement les intellectuels, les médecins, les ouvriers qualifiés et les spécialistes qui s'installèrent dans le pays. Les Cosaques, quant à eux, furent anéantis en tant que classe.

      

      Tableau n° 35

      Les flux migratoires des Russes et des russophones au Kazakhstan (1920-1991)

      

      

Années 1920 Réfugiés de la Sibérie et de la région volgienne suite à la guerre civile 100 000
Années 1920-30 Koulaks déportés et membres de leurs familles 250 000
Années 1930 Ouvriers et spécialistes des années de l'industrialisation 1 250 000
1939-1945 Peuples déportés 1 300 000
1941-1945 Populations déplacées à cause de la Seconde Guerre mondiale 1 000 000
1954-1959 Mise en valeur des terres vierges 1 950 000
1920-1970 Migration « non organisée » 1 000 000
1946-1991 « Populations stratégiques » des sites militaires secrets 250 000

      Source : B. ABDYGALIEV, Rossija i kazaxstanskie russkie [La Russie et les Russes kazakhstanais], Institut de recherches stratégiques du Kazakhstan, Almaty, 1997, p. 13-15.

      

      Le Kazakhstan commença à accueillir des centaines de milliers de personnes déportées et de « peuples punis » (Coréens, Polonais, Allemands, Turcs, Tatars de Crimée, Kalmouks, Tchétchènes, Balkars et autres) dans des camps spéciaux dispersés sur tout le territoire de la république, ainsi que des criminels dont l'installation était interdite dans les grandes villes russes 1052 . En 1949, le nombre de déportés était de 800 000 dont une partie, plus tard, s'installera durablement dans le pays en complétant les rangs des russophones. Encore plus d'un million de personnes furent déplacées des régions centrales de l'Union soviétique pendant la Seconde Guerre mondiale dont un tiers s'installa définitivement au Kazakhstan après la guerre. La campagne de mise en valeur des terres vierges attira encore 1 950 000 personnes (1954-1959). Ainsi, en 1959, la part des Kazakhs dans la population totale baissa à 30 %, tandis que celle des Slaves et des Allemands monta jusqu'à de plus de 60 %. La croissance des Russes fut de 3,7 fois supérieure à celle des Kazakhs. Selon les chiffres avancés par M. Olcott, 38 % des Russes du Kazakhstan sont nés à cette époque en dehors de la république. La population russe restante était majoritairement constituée par ceux qui étaient issus de la première ou de la deuxième génération 1053 .

      

      Tableau n° 36

      La croissance des peuples principaux du Kazakhstan (1926-1970)

      

      

Peuples 1926 1970 Croissance, %




Kazakhs 3 628 000 4 238 000 116,7
Russes 1 275 000 5 522 000 433,1
Ukrainiens 860 000 933 000 108,5
Allemands 51 000 858 000 1 454,2

      Source : d'après A. ALEKSEENKO, « Kazaxstan v zerkale perepisej naselenija » [« Le Kazakhstan dans le miroir du recensement »], Population et sociétés, n° 47, août 2000 (version électronique).

      

      La majorité des personnes qui arrivaient pour travailler, avaient le sentiment de se trouver chez elles dans les nouveaux lieux d'habitation. Et cela n'était pas qu'une simple nouvelle vague de colonisation slave ou soviétique comme veulent le présenter beaucoup de chercheurs aussi bien occidentaux que post-soviétiques des républiques actuellement indépendantes. Les gens se déplaçaient à l'intérieur d'un État commun et arrivaient pour travailler afin de contribuer au développement économique de leur grande patrie (otetchestvo). Quant au Kremlin, hormis des objectifs économiques, il poursuivait, bien évidemment, d'autres buts qui découlaient de la doctrine et de l'utopie communistes auxquelles croyaient la majorité des peuples d'Union soviétique.

      Pour les mêmes raisons et de façon similaire, des représentants de toute nationalité se déplacèrent de leurs pays d'origine (rodina, petite patrie) dans les autres territoires de l'Union. Si on argumente que c'est un cas classique d'« envahissement de la métropole par les colonies », alors comment qualifier le phénomène d'installation des peuples des républiques nationales en dehors de la Fédération de Russie, vers d'autres républiques nationales ? Certes, il existait des tentatives de russification, mais l'objectif n'était pas la russification pure et simple. Elle se faisait pour la création d'une nouvelle entité historique – du peuple soviétique – qui devait être unie par la langue russe. Les Russes, selon G. Sokoloff, étaient parmi les moins racistes de tous les colons 1054 . Un détail important est également à souligner : il ne s'agissait pas d'instaurer et d'imposer la dominance de la culture russe. Sous le régime soviétique, les cultures nationales connurent toutes un épanouissement sans précédent. Elles se développaient en dépit de l'existence de toutes sortes de censure et de restrictions auxquelles la culture russe n'échappa pas non plus.

      À partir des années 1960, le flux migratoire vers le Kazakhstan ralentit pour cesser définitivement en une décennie. Dès le début des années 1970, le solde migratoire des Slaves devint négatif. Les Russes trouvèrent de moins en moins du travail sur place ce qui les poussa à émigrer 1055 . En conséquence, la part de l'ethnie kazakhe commença à croître.

      

      Tableau n° 37

      Répartition des populations kazakhes, russes et russophones (1926-1989), %

      

      


1926 1939 1959 1970 1979 1989







Russes 20,6 40,2 42,7 42,5 40,8 37,8
Ukrainiens 13 10,8 8,2 7,2 6,1 5,4
Allemands 0,8 1,5 7,1 6,6 6,1 5,8
Tatars 13 1,6 2,1 2,2 2,1 2,0
Biélorusses - 0,5 1,1 1,5 1,2 1,1
Coréens - 1,6 0,8 0,6 0,6 0,6
Polonais - - 0,6 0,5 0,4 0,4
Juifs - - 0,3 0,2 0,2 0,1


56,2 62,9 61,3 57,5 53,2
Kazakhs 58,1 37,8 30,0 32,6 36 39,7

      Source : d'après A. ALEKSEENKO, « Kazaxstan v zerkale perepisej naselenija » [« Le Kazakhstan dans le miroir du recensement »], Population et sociétés, n° 47, août 2000 (version électronique).

      

      Historiquement, les populations russes du Kazakhstan habitaient dans les villes, tandis que les Kazakhs étaient concentrés en campagne. Cependant, dans les années 1970-80, le pays connut une importante migration de l'ethnie kazakhe des villages en plein déclin vers les villes principalement russophones. Une sérieuse concurrence ethnique commença pour les postes de travail dans les domaines de la gestion, de l'éducation publique, des sciences, etc. 1056 

      

      Tableau n° 38

      La répartition des peuples titulaires et la part des Russes dans les villes et dans la campagne des ex-républiques soviétiques d'Asie centrale en 1979, %

      

      

Ex-républiques soviétiques Répartition du peuple titulaire dans Part des Russes dans

la ville, % la campagne,% la ville, % la campagne, %
Turkménie 32,9 67,1 25,7 0,8
Kazakhstan 29,5 70,5 54,2 24,8
Kirghizie 18,3 81,7 46,4 13,2
Ouzbékistan 28,6 71,4 24,8 1,20
Tadjikistan 25,1 74,9 28,3 0,9

      Source : MAKAROVA L., MOROZOVA G. et TARASOVA N., Regional'nye osobennosti migracionnyx processov v SSSR [Les Particularités régionales des processus migratoires dans l'URSS], Naouka, Moscou, 1986, p. 94.

      

      

      CONCLUSION

      

      La présence des populations russes dans les ex-républiques soviétiques caspiennes remonte à l'époque impériale. Les premiers points de peuplement russes y apparurent dès le 17e siècle. Dans le cadre de l'Empire russe puis de l'Union soviétique le déplacement aussi bien volontaire que forcé des populations, notamment russes et ukrainiennes, représentait une forme de migration intérieure qui avait des causes différentes : politique, économique, religieuse. L'Empire désirait résoudre le problème de l'intégration des nouveaux territoires conquis avant de contribuer à leur développement économique en caressant également l'idée de leur russification progressive par le biais de la migration aussi bien des Russes que des peuples de la Russie intérieure. Ces populations étaient censées véhiculer la politique tsariste dans les périphéries sur lesquelles l'Empire pouvait compter et s'appuyer pour la réalisation de différents programmes.

      Les Russes des périphéries impériales, devenues des républiques nationales à l'époque soviétique, se distinguaient de leurs compatriotes habitant en Russie d'Europe. Avec le temps, de gré ou de force, les populations russes se sont imprégnées de la culture des peuples indigènes. Il s'est en conséquence produit une certaine interactivité culturelle avec ces derniers qui se solda finalement par la différenciation des Russes transcaucasiens et centrasiatiques des Russes de la métropole de par leurs coutumes et traditions culturelles, religieuses et sociales. Ainsi, pendant les trois derniers siècles, des îlots de peuplement russe se constituèrent sur les territoires actuels des pays de l'étranger proche. Les populations russes étaient très hétérogènes : militaires, fonctionnaires, ouvriers, paysans de toutes sortes, sectateurs, Cosaques, etc.

      La colonisation russe de l'Azerbaïdjan était principalement paysanne, tandis que celle du Kazakhstan et du Turkménistan était aussi bien militaro-cosaque que paysanne, notamment dans les steppes kazakhes. L'influence des Russes et de la culture russe (européenne) sur le niveau de développement des peuples de ces périphéries impériales et sur la formation de l'intelligentsia nationale fut incontestable. Elle ne se substitua pas à la culture traditionnelle islamique et il se produisit une certaine symbiose qui donna naissance à des cultures nationales russo-/européano-islamiques uniques, azérie comme kazakhe et turkmène.

      Pendant les 70 années de la période soviétique, le nombre de Russes dans les pays de l'étranger proche augmenta de 4,3 fois. La quasi-totalité des nouveaux migrants s'établit dans les villes ce qui fut également à l'origine d'un niveau moindre d'intégration avec les peuples titulaires. En revanche, les autochtones et les minorités nationales locales se rapprochèrent des Russes et de la culture russe de manière beaucoup plus intense. Les seconds rejoignirent vite les rangs des populations dites russophones. Hormis les spécialistes accompagnant les multiples campagnes de développement économique, les républiques caspiennes, notamment le Kazakhstan, accueillirent plusieurs centaines de milliers de déportés issus des peuples « punis » ainsi que de personnes réprimées. La migration des Russes et russophones avait aussi bien des raisons économiques objectives (développement des économies nationales, nivellement des niveaux des républiques soviétiques) que politiques (présence de populations « loyales » dans les républiques nationales) et idéologiques (homogénéisation de la population, création d'une nouvelle entité historique le « peuple soviétique »).

      Pendant des siècles et jusqu'à l'implosion de l'URSS, la migration russe était centrifuge et dirigée du Nord au Sud et du Nord à l'Est. Dès les années 1970, le nombre de Russes commença à diminuer progressivement dans toutes les républiques soviétiques méridionales. Le faible taux de natalité des Russes et la dégradation des relations interethniques déclenchèrent un processus de rapatriement, concomitant avec le quasi arrêt de nouvelles vagues d'immigration. Ces phénomènes furent à l'origine de la diminution des communautés russes dans les républiques caspiennes, notamment dans les campagnes.

      

      

      

      

      

      

      


§ 2. L'exode des Russes des républiques caspiennes : les problèmes de l'intégration socioculturelle

      

      

      On peut parler d'exode massif des populations russes d'Asie centrale et du Caucase du Sud dès la fin de la perestroïka. À partir de 1988, le flux migratoire devint progressif et quasi-permanent. Ce fut l'année de l'éclatement du conflit arméno-azéri sur le dossier du Haut-Karabakh qui entraîna le déplacement forcé et sans précédent de centaines de milliers de réfugiés arméniens et azéris. D'autres conflits ethniques et mouvements indépendantistes surgirent simultanément. Le centre soviétique impliqua dès le début l'Armée soviétique dans ces événements tout en contribuant à l'éveil d'une russophobie inédite dans ces régions.

      Dans les républiques où le taux de croissance des peuples titulaires était élevé (Asie centrale et Azerbaïdjan), on observa un exode des populations allogènes qui rendit ces régions davantage mononationales. Les flux migratoires devinrent une sorte de « carte de visite post-soviétique » 1057  des anciennes républiques méridionales d'URSS.

      Selon les recensements nationaux, en 10 ans, le Caucase du Sud perdit 72 % et l'Asie centrale 30 % de leurs populations russes. Malgré la diminution drastique du nombre total des Russes, ces derniers restent encore fort présents au Kazakhstan.

      

      Tableau n° 39

      Les parts des Russes dans les anciennes républiques soviétiques méridionales

      (période post-soviétique)

      

      


Russes Russes
Républiques 1989 % 1999-2002
Asie centrale


Kazakhstan 6 100 000 37,8 4 500 000 (1999)
Ouzbékistan 1 700 000 8,3 1 150 000 (1999)
Kirghizistan 916 000 21,5 603 000 (1999)
Turkménistan 334 000 9,4 135 000 (1999)
Tadjikistan 388 000 7,6 68 200 (2000)

9 438 000
6 619 200
Caucase du Sud


Arménie 51 600 1,5 9 900 (2001)
Azerbaïdjan 392 000 5,6 142 000 (1999)
Géorgie 341 000 6,3 67 000 (2002)

784 600
218 900
Total 10 222 600
6 838 100

      Source : Synthèse des données issues des recensements nationaux [G.G.].

      Après le démantèlement de l'ex-URSS, les populations russes des républiques méridionales se retrouvèrent devant un dilemme : rester ou quitter les pays qui étaient devenus, semble-t-il, pour la plupart d'entre eux, une nouvelle ou une deuxième patrie. Plusieurs centaines de milliers de personnes choisirent de partir. À la fin des années 1990, on observa un ralentissement de l'émigration, notamment de l'Azerbaïdjan et du Kazakhstan. Cette baisse s'explique par le fait que les jeunes Russes, la partie la plus mobile et active de la population, avaient déjà massivement quitté les pays en question. Ceux qui sont restés, notamment les personnes âgées, ne veulent plus bouger ou ne disposent pas de moyens suffisants pour l'émigration.

       Une autre difficulté est liée aux conditions matérielles des candidats potentiels à l'émigration. Une partie de la population russe vit depuis plusieurs générations sur place et se considère comme autochtone. Ils ont des biens matériels, des habitudes et traditions adaptées aux conditions locales, des liens et des relations humaines intimes. Confrontés aux difficultés liées à l'émigration, ils décidèrent de se plier aux nouvelles conditions sociopolitiques établies par les pouvoirs nationaux. Pour cette partie des Russes, la Russie est davantage perçu « comme un arrière-plan historique plutôt que comme une patrie » 1058 . Autrement dit, les Russes sont contraints de suivre le chemin traditionnel d'autres diasporas ou groupes ethniques partout dans le monde, y compris de la Fédération de Russie elle-même : accepter progressivement les valeurs socioculturelles des pays d'accueil, apprendre les langues des peuples titulaires, s'intégrer dans les sociétés nationales en gardant, dans la mesure du possible, leurs traits ethnoculturels particuliers. Tout cela signifiait pour les Russes se débarrasser du statut exclusif d'antan dont ils jouissaient dans un milieu socioculturel allogène. Ce sont des problèmes complètement nouveaux qui se dressèrent devant eux en dehors des frontières de la Fédération de Russie. Leur résolution s'avéra particulièrement difficile pour les populations d'un âge avancé ou d'âge moyen qui « se sont formées comme des citoyens d'Union soviétique et non pas des républiques nationales » 1059 .

      Les émigrants qui sont rentré en Russie après avoir quitté les villes et les villages des républiques méridionales, ne donnaient pas une image positive de ces pays à l'opinion publique russe. Dans ce contexte, ils représentent, dans une certaine mesure, un facteur de désintégration russo-centrasiatique et russo-caucasienne. Influencée, l'opinion publique est de plus en plus encline à adopter l'idée que la Russie et les Russes doivent quitter le Caucase du Sud et l'Asie centrale. Certaines forces politiques russes en profitent pour valoriser l'ancienne thèse selon laquelle l'Asie centrale est un poids trop lourd pour la Russie.

      


A. – L'Azerbaïdjan : la dernière ligne de la présence russe au Caucase du Sud

      

      Selon le recensement de 1989, les Russes représentaient la deuxième ethnie de l'Azerbaïdjan (392 000 personnes soit 5,6 % de la population de la république dont 295 500 étaient concentrés à Bakou) suivis par les Arméniens majoritairement russophones (390 500 soit 5,5 % de la population dont 180 000 habitaient dans la capitale et 145 500 dans la région autonome du Haut-Karabakh). Parmi d'autres russophones, on recensait également 32 000 Ukrainiens, 8 000 Biélorusses, 28 000 Tatars, 25 000 Juifs. 1988 fut l'année du début du conflit sanglant arméno-azéri sur le dossier du Haut-Karabakh qui déclencha un flux migratoire jamais vu dans la région, aggravé par l'exode définitif des Azéris arméniens et par le déplacement forcé des Arméniens azerbaïdjanais : échanges de populations, déportations, déplacements forcés, purifications ethniques, etc. Compte tenu des conditions extrêmes de réalisation du recensement, il faut traiter les données avec beaucoup de réserves.

      À la suite des cataclysmes de la période post-soviétique, la composition ethnique et confessionnelle de l'Azerbaïdjan subit des changements considérables 1060 . À l'aube du 21e siècle, les minorités nationales en Azerbaïdjan ne formèrent que 9,4 % de la population totale (1999) contre 17,3 % en 1989. On comptait parmi eux 1,8 % de Russes contre 5,6 % (1989). Si, avant 1989, c'étaient les Arméniens et les Russes qui suivaient en nombre les Azéris, à l'heure actuelle, ils ont été remplacés par les Lezguiens, les Taliches et les Kurdes. Cela entraîna également un changement sensible dans la répartition religieuse de la population : 95 % de la population est musulmane et seulement 4 % est constituée de chrétiens.

      Parallèlement à l'exode massif des Arméniens, la migration toucha aussi les autres minorités ethniques de l'Azerbaïdjan, notamment les populations slaves et russophones, y compris d'ethnie azérie. En 10 ans (1989-1999), 88 % des Juifs azerbaïdjanais soit 31 285 personnes ont quitté le pays 1061 . L'intervention de l'armée soviétique à Bakou (1990) accéléra le départ massif des Russes qui se sentirent menacés à cause des actions du centre soviétique. Selon les données officielles des autorités azerbaïdjanaises, entre 1989 et 1995, 169 000 Russes, 15 000 Ukrainiens et 3 000 Biélorusses quittèrent la République 1062 .

      La période la plus critique des relations entre la Russie et l'Azerbaïdjan fut l'époque de la gouvernance du Front national de l'Azerbaïdjan (1992-1993). La plupart des Russes quittèrent le pays pendant ces deux années. L'arrivée au pouvoir de Heïdar Aliev contribua à la détente des relations bilatérales avec la voisine septentrionale et stabilisa l'émigration sans réussir à la stopper. Depuis, on observe un ralentissement de l'émigration : près de 10 000 personnes, Russes et russophones confondus, par an.

      De nos jours, la diaspora russe en Azerbaïdjan a été divisée par trois : selon différentes estimations, elle ne serait plus composée que de 120 000 personnes dont 32 000 ont obtenu la citoyenneté russe 1063 . Même sous présidence d'Aliev-père, la communauté russe ne réussit pas à soulever la question de la double citoyenneté considérée comme très vitale pour elle.

      Le départ massif des Russes de l'Azerbaïdjan est conditionné par des raisons :

      politiques : la guerre arméno-azérie, l'intervention de l'Armée soviétique à Bakou (janvier 1990), l'instabilité politique à l'intérieur du pays, l'évacuation des bases militaires de l'ancienne armée soviétique du territoire azerbaïdjanais (flotte de la Caspienne, 4e armée, gardes-frontières, troupes de la D.C.A. de la région militaire de Bakou, etc.). Plusieurs milliers de Russes faisaient leur service militaire dans ces structures. Avec l'évacuation des troupes russes, 70 à 80 mille personnes (officiers, cadres militaires ainsi que les membres de leurs familles) furent contraintes de quitter le pays 1064 .

      sécuritaires : l'implication de l'armée soviétique dans le conflit arméno-azéri au profit tantôt de l'Arménie tantôt de l'Azerbaïdjan créa pour les Russes un climat psychologique très défavorable pour leur avenir dans ces deux républiques voisines. La guerre frontalière arméno-azérie toucha également les districts septentrionaux des deux belligérants où existait une forte concentration de Russes Molokanes. Elle provoqua un exode des populations frontalières, y compris russes, sous le statut de réfugié. La politique nationaliste des autorités azéries (1992-1994), l'euphorie de l'indépendance, l'objectif de construire un État-nation, la politique de la Russie dans la région qualifiée de pro-arménienne et les propos russophobes des dirigeants du Front national furent à l'origine de la montée d'un nationalisme extrême dans le pays qui créa également chez les populations russes une atmosphère de peur et d'incertitude.

      économiques : les spécialistes russes sont progressivement évincés de leurs domaines « habituels » de travail (industrie pétrolière, administration, etc.) par les spécialistes et les cadres du peuple titulaire à cause de la politique ethnocratique du pouvoir 1065 . Vu l'importante concentration urbaine des populations russes, la fermeture de plusieurs entreprises industrielles, institutions scientifiques et d'autres établissements du secteur public républicains et fédéraux, où la « main d'œuvre russe » était largement impliquée, se répercuta également sur les motivations migratoires de ces populations.

      sociales : le niveau de vie en Russie (santé publique, éducation, sécurité sociale, liberté d'entreprendre, etc.) est plus élevé qu'en Azerbaïdjan.

      linguistiques : l'adoption de la nouvelle Loi sur la langue officielle était susceptible de créer une menace éventuelle d'assimilation culturelle « forcée ».

      personnelles : la réunification des familles, le désir naturel de certains Russes de retourner dans leur patrie historique qui a, de surcroît, un niveau de vie plus élevé.

      De nos jours, les Russes habitent principalement dans les grandes villes (Bakou, Soumgaït, Gandja, etc.) et dans certains districts ruraux (Ismailli, Gedabek, Chemakha). Selon l'enquête sociologique réalisée par le journal Sodroujestvo parmi les populations russes de Bakou, 185 sur 200 personnes interrogées ont déclaré avoir discuté dans leurs familles, au moins une fois, de l'émigration. Seules 34 d'entre elles avaient l'intention ferme de rester vivre en Azerbaïdjan 1066 . Les arguments principaux des réponses à la question « Quelles sont les facteurs qui poussent (ou sont potentiellement susceptibles de pousser) à l'idée d'émigration ? » furent : l'altération de la situation économique du pays, la crainte de voir un jour la frontière russo-azerbaïdjanaise fermée avec comme conséquence l'éloignement des familles, l'incertitude concernant aussi bien l'avenir de l'Azerbaïdjan que les relations russo-azerbaïdjanaises en général, l'absence d'aide et de soutien de la part de la Russie, leur patrie historique.

      

      Hormis Ivanovka, les autres anciens villages russes – Pavlovka, Alekseevka (région de Khatchmas), Vladimirovka (région de Kouba), Astrakhanovka et Khilmili (région de Chemakha) et d'autres – sont pratiquement dépeuplés de leurs habitants russes. La cellule familiale des paysans russes dans ces villages est souvent composée de deux membres. En règle générale, ce sont des personnes âgées. Ainsi, se produisit un vieillissement du village russe qui amène inévitablement à sa disparition. Leur dépeuplement définitif n'est qu'une question de temps. Du fait de l'émigration, on observe également la disparition de plusieurs fêtes nationales et familiales, de rites du calendrier orthodoxe et sectaire célèbres pour leur pittoresque et auxquels participaient souvent les Azéris, dans les villages. Les seuls témoignages du passage des populations russes restent encore certains noms slaves que portent les localités.

      Le cas du village molokane d'Ivanovka est unique. Il illustre la façon dont les régions de la Russie, en l'occurrence la capitale russe, s'investissent dans l'économie locale des territoires peuplés majoritairement par des Russes. La mairie de Moscou a ouvert une entreprise agricole dans ce village dont la production est exportée à Moscou. Cette nouvelle tendance – l'implication des régions russes dans la cause de leurs compatriotes de l'étranger proche – est de plus en plus pratiquée et porte déjà ses fruits.

      Tout au long des périodes tsariste et soviétique, une partie des Slaves (Ukrainiens et Biélorusses) s'identifiaient très souvent aux Russes. Cependant, la situation changea après l'indépendance de l'Azerbaïdjan. Ainsi, en 1989, parallèlement à la baisse du nombre des Russes, celui des Ukrainiens augmenta de 20 % 1067 . Ces derniers étaient plutôt porteurs de la culture russe qu'ukrainienne et plusieurs d'entre eux ne connaissaient même pas leur langue originelle. Les origines ukrainiennes de ces personnes leur ont permis de prendre leurs distances vis-à-vis des Russes souvent mal vus dans le pays. Ce choix était plutôt politique et circonstanciel qu'identitaire. Après l'évacuation de l'armée soviétique, à la différence des officiers russes qui préférèrent quitter le pays, plusieurs officiers ukrainiens décidèrent de rester et de participer à la formation de l'armée nationale azerbaïdjanaise. L'un d'entre eux, le général Timochenko, est même élu au parlement national.

      La mise à l'écart des Russes de la vie politique et du processus de construction du nouvel État eut pour résultat une passivité politique de la communauté russe qui, par peur et par prudence, ne se prononça pas publiquement pour défendre ses droits et ses intérêts.

      

      L'éloignement et l'isolement politiques des Russes azerbaïdjanais furent également conditionnés par le facteur du Karabakh. On ne pouvait obtenir des dividendes politiques en Azerbaïdjan qu'en s'engageant du côté azéri dans ce conflit. Cet engagement sous-entendait non seulement d'être anti-arménien, mais aussi de prendre ses distances à l'égard de la Russie. Si dans le premier cas la communauté russe réussit à garder une quasi-neutralité, dans le deuxième elle n'avait pas de choix raisonnable. C'est également pour ces deux raisons que la participation des Russes à la vie politique du pays était assez limitée. Dans le parlement azerbaïdjanais (Milli Mejlis), il n'y a qu'un seul député russe Mikaël Zabeline, le président de la Communauté russe de l'Azerbaïdjan qui est élu au scrutin de listes en étant membre du parti politique Nouvel Azerbaïdjan qui regroupe les anciens communistes et la nomenklatura du pays.

      Comme dans les autres ex-républiques soviétiques, les Russes azerbaïdjanais sont désireux de voir valorisé le statut de la langue russe ainsi que de voir adoptée l'institution de la double citoyenneté. Cependant, compte tenu des traditions culturelles séculaires, du voisinage immédiat de la Russie et du rôle géopolitique que cette dernière joue encore dans la région, l'importance de la communauté russe n'est pas totalement négligeable. Dans une certaine mesure, la dernière ligne de la diaspora russe au Caucase du Sud est celle de l'Azerbaïdjan.

      La vie politique de l'Azerbaïdjan a été marquée par une courte période d'actions et de manifestations dirigées contre la communauté russe du pays et provoquées par les décisions controversées du Centre soviétique concernant le conflit arméno-azéri sur la question du Haut-Karabakh. En fin de compte, les Azéris réussirent à ne pas faire d'amalgame entre le Kremlin, d'un côté, et la communauté russe locale et le peuple russe en général, de l'autre. Bien que les Russes d'Azerbaïdjan aient souffert plus que leurs compatriotes d'Arménie et de Géorgie, de nos jours leur nombre reste paradoxalement le plus important du Caucase du Sud.

      Les Russes sont regroupés dans différentes associations culturelles : La Communauté russe de la République d'Azerbaïdjan (la plus importante du pays avec 28 représentations dans les régions et plus de 70 000 membres enregistrés), le Centre culturel slave (21 000 membres), le Centre culturel azerbaïdjano-slave, société Sodroujestvo (Solidarité) avec plus de 6 000 membres, l'Amicale des Cosaques (1 500 membres, avec deux filiales à Gandja et à Soumgaït). Cependant, entre ces organisations communautaires, il n'existe pas de vraie coordination d'actions à cause de rivalités dissimulées. En conséquence, leur influence n'est pas grande, comme d'ailleurs dans les deux républiques voisines (Arménie, Géorgie). Le théâtre dramatique russe continue de fonctionner à Bakou, ainsi que l'ensemble Soudarouchka. Il y a également des troupes russes dans d'autres théâtres du pays.

      


B. – Le Turkménistan : la communauté russe prise au piège

      

      La cause principale de l'émigration russe réside dans la stratégie du pouvoir turkmène de construire un État-nation et dans le fait qu'il s'agit d'un des régimes les plus autoritaires du monde. La politique nationale des cadres, visiblement ethnocratique, ne tient pas compte de la composition multiethnique du pays. Après treize ans d'indépendance, la part de Russes dans la république indépendante a été réduite de 5 fois, passant de 10 % à 2 % à peine.

      

      Tableau n° 40

      Le mouvement des populations russes au Turkménistan (1989-2001)

      

      

Années Milliers de personnes Part des Russes dans la population totale, % Part des Turkmènes dans la population totale, %




1989 334 9,5 72
1995 300 6,7 78
2001 135 2,0 91
2003 110 1,8 95

      Source : Cité par Š KADYROV., Narodonaselenie Turkmenistana : istorija i sovremennost' [La population du Turkménistan : l'histoire et le temps moderne], Ylym, Achkhabad, 1986, p. 41 ; KADYROV, « Turkmenistan : političeskie, tnokul'turnye i demografičeskie faktory smeny lit » [« Le Turkménistan : les facteurs politiques, ethnoculturels et démographiques du changement des élites »], Azija i Afrika segodnja, n ° 11, Naouka, 2003, pp. 29-34 ; Èrkin Turkmenistan [Turkménistan libre]. (http://www.erkin.net).

      

      Compte tenu du fait que les Russes étaient presque tous citadins, ils subirent de plein fouet toutes les conséquences de la crise économique et des mesures restrictives et discriminatoires du régime de Niazov. Avec les Russes partirent également les Ukrainiens, les Biélorusses, les Arméniens, les Azéris, les Lezguiens, les Tatars, etc. En conséquence, la part des Turkmènes augmenta de 72 % (1989) à 95 % (2003) dans la population totale.

      Le 10 avril 2003, les présidents russe et turkmène signèrent un protocole qui abrogea l'accord bilatéral sur la double citoyenneté de 1993 1068 . Le raisonnement reposait sur l'idée que 10 ans étaient un délai suffisant pour faire un choix définitif sur la question de la citoyenneté. Sans attendre la ratification de l'accord conclu par la Douma d'État, les autorités turkmènes sortirent unilatéralement du Traité sur la double nationalité et commencèrent à forcer les populations russes à prendre une décision finale sur cette question complexe en leur accordant un délai de deux mois. Ceux qui décidaient de garder leur citoyenneté russe étaient poussés hors de la république, voire chassés, perdant en même temps tous leurs droits civils et leurs biens immobiliers. En effet, les étrangers n'ont pas le droit de posséder des biens immobiliers sur le territoire du Turkménistan.

      90 % des Russes (110 000) ayant la double citoyenneté à cette date furent concernés. En effet, la double citoyenneté ne se formalisait pas par deux passeports, mais par un seul passeport écrit en deux langues, et accompagné d'une attestation selon laquelle la personne détenait également la citoyenneté russe. Sur la base de ce dernier document, les individus pouvaient obtenir leur passeport russe et traverser librement la frontière. Selon le décret du président turkmène, ils sont privés, par voie coercitive, de leur nationalité russe bien que, du point de vue juridique, il soit absurde de priver une personne de la nationalité d'un autre pays. Seul ce pays extérieur peut prendre une telle décision. En réalité, le décret de Turkmenbachi créa les conditions « favorables » à un exode massif du reste des Russes du Turkménistan.

      La panique se répandit parmi les populations russes. Des milliers de Russes quittèrent la république pour s'épargner l'arbitraire. Nombre d'entre eux furent contraints de laisser leurs biens mobiliers et immobiliers ou de les céder pour rien. De surcroît, les personnes concernées ne pouvaient pas quitter le pays immédiatement, car pour cela une autorisation de sortie délivrée par les autorités turkmènes, dont les formalités duraient plusieurs semaines, était indispensable.

      Une fois de plus, la Russie montra son incapacité à défendre non seulement ses compatriotes, mais également ses citoyens, car presque tous les Russes du Turkménistan avait la double nationalité. Des dizaines de milliers de personnes furent abandonnés par le Kremlin. Cet abandon est-il le prix du contrat sur le gaz signé le même jour (le 10 avril 2003) entre les deux présidents Poutine et Niazov pour un délai de 25 ans ?

      Le départ massif des Russes affecta sensiblement l'économie nationale, notamment, l'industrie, ainsi que le développement des sciences, le système d'enseignement et le niveau culturel en général. Dès 1993, Niazov liquida par son oukase l'Académie des Sciences du Turkménistan dont la majorité des effectifs était constituée de Russes et de russophones 1069 .

      Les Russes contraints de rester dans le pays furent obligés de s'adapter aux nouvelles réalités politiques et aux nouvelles conditions de vie. Cependant, en l'absence de soutien politique, économique et juridique de l'État turkmène et de la Russie, leur sort reste incertain.

      En 1992, les Russes voulurent enregistrer une organisation communautaire, mais les autorités locales l'ont officiellement refusé. Ainsi, le Turkménistan devint le seul pays au monde à s'opposer à la constitution d'une association publique de la communauté russe. En 1995, les autorités turkmènes concrétisèrent officiellement cette position à l'encontre de la Communauté russe. Néanmoins, il existe deux organisations culturelles qui ne représentent que peu la communauté russe et ses problèmes : l'Association turkmène des liens culturels avec la Russie et le Centre des liens culturels turkméno-russes.

      


C. – Le Kazakhstan : les tentatives de reconstitution d'une diaspora forte

      

      À la veille de la dissolution de l'URSS (1989), sur le plan du poids démographique, la diaspora russe du Kazakhstan était la deuxième avec 6 277 500 de personnes soit 37,8 % de la population, après celle d'Ukraine qui comptait 11 400 000 de Russes. Le Kazakhstan était la seule république où le peuple titulaire était en minorité absolue (39,7 %). Dix ans après l'indépendance, le nombre de Russes dans la population totale avait baissé de 28,6 % soit de quelque 1 797 900 personnes (1999). Pendant la même période (1992-1999), 34 425 Kazakhs quittèrent également le Kazakhstan pour la Russie 1070 .

      

      Tableau n° 41

      La répartition des populations kazakhes, russes et russophones (1989-1999)

      

      

Peuples Années % dans la population totale

1989 1995 1999 1989 1995 1999
Russes 6 277 500 5 769 700 4 479 600 37,8 34,8 28,6
Ukrainiens 896 200 820 900 547 100 5,4 4,9 3,7
Allemands 957 500 507 200 353 400 5,8 3,1 2,4
Tatars 320 700 - 249 000 2,0 - 1,7
Biélorusses 178 000 - 111 900 1,1 - 0,75







Kazakhs 6 534 600 7 636 200 7 985 000 39,7 46 53,4

      Source : Statističeskoe obozrenie Kazaxstana [Revue statistique du Kazakhstan], n° 2, 2000.

      

      Après la dissolution de l'URSS, l'émigration des Russes et des russophones du Kazakhstan est devenue un phénomène permanent.

      

      

      

      Tableau n° 42

      L'émigration des populations russes du Kazakhstan (1992-2001)

      

      

1992 175 000
1993 170 129
1994 283 154
1995 160 883
1996 120 427
1997 174 616
1998 183 697
1999 89 998
2000 109 343
2001 37 947


Total 1 505 194

      Source : M. LARUELLE et S. PEYROUSE, Les Russes du Kazakhstan,

      Maisonneuve et Larose, Paris, 2003, pp. 319-332.

      

      Dans les régions septentrionales, frontalières avec la Russie, où sont concentrées les industries du Kazakhstan, les Russes sont encore majoritaires et constituent environ 66 % de la population. Plusieurs usines et entreprises industrielles sont définitivement ou temporairement fermées à cause de la crise et de la rupture des liens économiques consécutivement à l'implosion de l'URSS. Ces circonstances favorisèrent l'émigration des populations slaves aptes au travail ce qui eut une répercussion sur la qualité de la main-d'œuvre kazakhstanaise. En cas de reprise des activités industrielles, le gouvernement national serait confronté à un manque de spécialistes.

      La part des Slaves orientaux dans la migration intérieure du Kazakhstan est également importante. Parallèlement à l'émigration, les Slaves se déplacent également du sud vers le nord du pays principalement peuplé par les Russes. De ce fait, la composition ethnique dans plusieurs villes et régions change sans cesse.

      Pour changer la répartition ethnique des régions en faveur des Kazakhs, Astana à deux reprises modifia la division administrative de la république : en 1990 et 1997 1071 . En fait, certaines provinces où les populations russes constituaient la majorité furent fusionnées avec celles à dominance kazakhe.

      Ainsi, presque partout la part des Kazakhs augmenta, tandis que celle des non Kazakhs, notamment russe, diminua. Par exemple, dans les deux capitales kazakhstanaises, les Kazakhs sont passés de 17,7 % (1989) à 41,1 % (1999) à Astana, et de 23,8 % à 38,5% à Almaty 1072 . En dépit de tout cela, le nombre de Russes et russophones, hormis pour les provinces septentrionales, reste encore important dans le sud-est du Kazakhstan (Semiretchié).

      

      Tableau n° 43

      La répartition des Russes dans certaines provinces du Kazakhstan (1989)

      

      

Provinces Parts des Russes, %


Kazakhstan de l'Est 65,9
Kazakhstan du Nord 65,9
Karaganda 62,1
Alma-Ata 46,5
Koustanaï 46,2
Pavlodar 45,4
Tselinograd (Astana) 44,7
Koktchetav 39,5

      Source : Geopolitičeskoe položenie Rossii : predstavlenija i real'nost' [La situation

      géopolitique en Russie : les idées et les réalités] (sous la direction de V. KOLOSOV),

      Art-Kur'er, Moscou, 2000, p. 150.

      

      Les Russes qui rentrent du Kazakhstan ne sont pas traités par les autorités russes en tant que réfugiés, mais comme des migrants volontaires. Cette circonstance est à l'origine du changement de direction de l'émigration en dehors de la Russie. Par exemple, en 1994-1998, 24 % des émigrants russes du Kazakhstan soit quelques 170 000 de personnes choisirent les pays de l'étranger lointain comme l'Allemagne, les États-Unis et Israël 1073 . En 1998-2000, 134 000 personnes quittèrent à leur tour le Kazakhstan pour des pays en dehors de la CEI 1074 . Les émigrants furent majoritairement constitués par les Russes et russophones de la république.

      La capitale russe, pour sa part, est constamment hantée par l'ancien syndrome impérial : elle préfère souvent « se taire » pour ne pas être de nouveau accusée d'ambitions impériales et pour montrer qu'elle se démarque de l'image d'antan. C'est pour cette raison que la première rencontre du président russe avec la communauté russe de l'étranger proche n'eut lieu qu'en 2001, lors de la visite officielle de Poutine au Kazakhstan. Une seule nuance illustre ce que nous avons évoqué ci-dessus : cette rencontre, de surcroît, se fit hors de son programme officiel de visite.

      Les raisons principales de la dépopulation russe du Kazakhstan sont multiples.

      L'émigration. Les motifs sont différents :

      a) économiques : la fermeture des usines, la suppression des filiales des entreprises russes, la liquidation des bases et des sites militaires secrets sur le territoire du Kazakhstan, la cessation des commandes venant de Moscou et destinées au complexe militaro-industriel, la réorganisation des entreprises et leur privatisation, la baisse du niveau de vie, etc.

      b) ethno-politiques : l'interdiction de l'institution de la double citoyenneté, la discrimination, l'absence de promotion professionnelle, etc.

      Les Russes sont peu à peu évincés d'importantes institutions sociales, politiques, financières et juridiques. Leur participation dans les domaines des affaires et de l'entreprise décline également. Par exemple, en 1997, 80 % des cadres dirigeants kazakhstanais étaient des Kazakhs 1075  bien qu'ils ne représentassent que 50 % de la population du pays.

      La présence des Russes dans le gouvernement et dans les administrations locales est également en constante diminution. Ils sont sous-représentés dans les institutions étatiques et gouvernementales au niveau aussi bien régional que national. Malgré les déclarations définissant le Kazakhstan comme un État multiethnique, en réalité, les autorités nationales mirent le cap sur la kazakhisation et sur la construction d'un État-nation. Cela laisse la place à une lecture différente des déclarations officielles. De plus, dans le système clanique qui se forme dans le Kazakhstan actuel, il n'y a tout simplement pas de place pour les Russes. Bien que ce pays soit le plus modernisé parmi ses voisins centrasiatiques. Malgré les succès apparents du processus de modernisation, pour 95% des Kazakhs les valeurs et la loyauté claniques sont encore importantes 1076 .

      En général, la représentation des minorités nationales était mieux respectée sous le régime soviétique qu'à la période post-soviétique lorsque les pays ont reprit une voie « démocratique » de développement. Quant au taux de présence des Russes au pouvoir, il ne fut pas supérieur à leur part dans la population totale des républiques. À cet égard, le chercheur turkmène Ch. Kadyrov cite les données suivantes concernant les « composants étrangers » dans les populations et dans les pouvoirs locaux des républiques centrasiatiques tristement réputées pour être les plus « coloniales » :

      

      Tableau n° 44

      La représentation des peuples non titulaires dans les populations et dans les pouvoirs

      des républiques d'Asie centrale (les années 1970)

      

      


Républiques d'Asie centrale







Kazakh-stan Kirghizie Turkmé-nie Ouzbéki-stan Tadjikis-tan

% % % % %






Parts des Russes dans la population totale 40 29 15 13 12
Parts des peuples non titulaires dans les organes suprêmes du pouvoir local 50 35 34 22 15
Indexe de l'hégémonie ethnopolitique 10 6 19 9 3

      Source : Š KADYROV., « Ètnieskie istoki, èvoljucija i perspektivy turkmenskoj gosudarstvennosti » [« Les sources ethniques, l'évolution et les perspectives de l'État turkmène »], Vostok, 2003, n° 5, pp. 110-122.

      

      Selon Ch. Kadyrov, l'index de participation des peuples non titulaires dans les organes suprêmes du pouvoir se rapproche de l'indice idéal dans les États démocratiques. Autrement dit, la représentation de tel ou tel groupe de peuples dans les gouvernements est proportionnelle à leur part dans la population totale des républiques 1077 . À notre sens, le Kazakhstan était plus proche du passage de la société ethnique à la société civile à l'époque soviétique que de nos jours où les autorités s'efforcent de former une telle société en prenant paradoxalement le cap de l'ethnocentrisme.

      Les Russes ne réussirent pas à obtenir l'adoption d'une loi prévoyant la double nationalité. Selon l'amendement spécial à loi de citoyenneté (octobre 1995), le Kazakhstan interdit l'institution de la double citoyenneté. Cette décision du pouvoir

      

      kazakh avait pour objectif, entre autres, de décourager les non-Kazakhs, notamment les Russes et les russophones, d'acquérir la nationalité russe en continuant à résider dans le pays. C'est pourquoi, à l'heure actuelle, seules 21 000 personnes possèdent des passeports russes 1078 . La Russie, pour sa part, se distingua par son indifférence et son inaction à l'égard de cette question.

      En 1994, environ 30 % des Russes du Kazakhstan s'estimaient citoyens de ce nouveau pays indépendant, ce taux augmenta vertigineusement en 1997 pour atteindre 90 %. Cependant, si la plupart des Russes ont obtenu la nationalité kazakhstanaise, c'est parce qu'ils étaient contraints d'accepter cette nouvelle citoyenneté. La majorité d'entre eux ne se sent pas kazakh. C'est pourquoi l'échange des passeports soviétiques contre des passeports kazakhstanais ne peut pas être considéré comme un acte d'intégration harmonieuse. 30 % des personnes sondées qui voulaient rester dans le pays se considéraient néanmoins comme des citoyens de l'ex-URSS 1079 .

      c) linguistiques : la reconnaissance du kazakh en tant qu'unique langue officielle du pays en reléguant le russe au statut de langue interethnique, la restriction des domaines de l'utilisation de la langue russe, etc.

      d) psychologiques : l'adaptation psychologique des Slaves à de nouvelles conditions ethnopolitiques n'est pas facile, car ils voient passer leur statut d'ethnie dominante à celui d'une minorité nationale en à peine quinze années. Leur prise de conscience de ce phénomène n'est pas encore complète.

      d) historiques : retour dans la patrie historique, réunification des familles.

      La décroissance naturelle

      Selon le recensement de 1989, le nombre de Russes ayant plus de 50 ans était de 2 à 3 fois supérieur à celui des Kazakhs du même âge. Ceux de moins de 30 ans, au contraire, était moins nombreux que la même classe d'âge des Kazakhs. Ces tendances démographiques ont leur répercussion sur le renouvellement de la population russe du pays. L'émigration de beaucoup de jeunes amène, tout naturellement, un vieillissement des populations russes et remet en question la reproduction de l'ethnie russe.

      

      

      L'assimilation et la dérussification

      À l'époque soviétique, l'ethnopolitique fut axée sur l'appartenance à l'ethnie. Cette circonstance avait son impact sur les droits civils, sur la perspective sociale et sur la réussite professionnelle. C'est la raison pour laquelle une assimilation volontaire et forcée était très répandue. C'est ainsi qu'une partie des Ukrainiens, des Biélorusses, des Juifs et autres se considéra comme russe en inscrivant dans la fameuse colonne 5 (« Nationalité ») de leurs passeports soviétique la mention « Russe ». Après la dissolution de l'URSS, à la suite des changements politiques radicaux et de l'explosion de l'identitaire, il se produisit une dérussification d'un certain nombre de personnes, un retour à leurs origines ethniques qui diminua également le nombre absolu de Russes.

      La baisse du nombre de mariages mixtes

      La diminution de la formation des mariages mixtes entre les Slaves et les turcophones eut également son impact sur la dépopulation des Russes. En 1989, le nombre de membres de « familles mixtes » dans l'ensemble de l'Union soviétique s'élevait à 50 millions 1080 . Leur majorité était constituée par les représentants de l'ethnie russe. Les mariages mixtes étaient très répandus au Kazakhstan où cohabitaient plus de 100 nationalités.

      De nos jours, les populations russes acceptent mal le fait d'être dirigées par les Kazakhs. L'idée selon laquelle les Russes sont porteurs pour les nomades centrasiatiques de la civilisation européenne, donc progressiste, est bien enracinée dans la conscience nationale russe. À l'époque aussi bien tsariste que soviétique, c'est par le biais des Russes que les Kazakhs ont été initiés à la culture européenne et ont connu un développement spectaculaire. Dans le contexte de la révision de l'histoire impériale et soviétique, le nationalisme montant kazakh nourrit une certaine hostilité à l'égard des non Kazakhs et assimile souvent les Slaves du pays à l'ancien centre soviétique. Dans la conscience de beaucoup de Kazakhs, les populations russes sont souvent considérées comme « responsables » de l'étouffement de la culture nationale et de la langue kazakhe, des multiples problèmes écologiques, de la crise économique, etc.

      Certains nationalistes vont jusqu'à nier le rôle de la Russie et des populations russes et russophones dans le développement économique, culturel et social du Kazakhstan. Ils manipulent également les jeunes, notamment venus des villages, qui sont à la recherche de travail dans les villes. Dans ce contexte, de nombreux postes non qualifiés, mal payés et occupés actuellement par les non Kazakhs sont également convoités. Sur fond de nationalisme au quotidien, la pression des Kazakhs sur les Russes qui occupent même les postes inférieurs va augmenter. Compte tenu du fait que la majorité des citadins sont des non Kazakhs, notamment les Slaves, les nationalistes attisent l'idée que ce sont ces derniers qui se sont appropriés les ressources et les postes de travail des Kazakhs 1081 . Les Russes kazakhstanais considèrent ces actes guidés par une nouvelle lecture de l'histoire de la république comme signe d'ingratitude à leur égard et comme une blessure à leur fierté nationale 1082 .

      Contrairement aux quatre autres pays d'Asie centrale où les Russes préfèrent plutôt émigrer que de résister d'une quelconque manière, la situation au Kazakhstan est radicalement différente. L'émigration s'y conjugue avec une résistance plus ou moins active si on la compare aux autres communautés russes centrasiatiques. Menacées de séparatisme à cause de la présence des enclaves russes, les autorités kazakhstanaises manifestent une certaine flexibilité dans leur politique intérieure par rapport à leur plus importante minorité nationale.

      Mais les populations russes sont assez disparates. Les multiples organisations communautaires n'agissent pas de concert. Il n'existe pas de coordination des actions et des revendications communes. Tout cela s'explique par la longue période de colonisation du Kazakhstan qui dura plus de deux siècles. Les objectifs des nombreuses vagues de colons russes et leurs origines sociales furent différentes : Cosaques, paysans, sectateurs, peuples et personnes opprimés sous le régime de Staline, ouvriers, spécialistes, militaires, intellectuels, etc. Par conséquent, leur niveau d'attachement à la terre kazakhe n'était pas le même. En règle générale, les paysans russes constituaient le noyau des premiers flux migratoires vers le Kazakhstan. Ils sont donc bien intégrés et beaucoup d'entre eux parlent le kazakh. Les migrants de l'époque soviétique ne considèrent pas qu'ils soient venus pour s'installer durablement au Kazakhstan. Pour eux c'était un simple déplacement dans le cadre d'un seul État qui s'appelait l'Union soviétique. Pour les victimes des répressions staliniennes, ce déplacement était forcé et contre leur volonté.

      Ces divergences et disparités ne contribuent pas à ce que les Russes ressentent le besoin de se constituer en ethnie unie. Ils n'ont pas pleine conscience de leur identité et souffrent d'apathie politique 1083 . Seules trois organisations ont plus ou moins une importance politique : le mouvement Lad (Accord), la Communauté russe et les Cosaques. La diminution drastique des jeunes dans la population active se répercute aussi sur l'activité politique et économique des Russes. À l'heure actuelle, ils se sont plus attachés à résoudre les problèmes socio-économiques et l'organisation de l'émigration. La protestation passive des Russes s'exprime souvent à travers l'absentéisme. Du point de vue politique, ils ne sont pas unis malgré l'existence de plusieurs organisations et groupes politiques.

      L'aile la plus radicale des mouvements russes est constituée des Cosaques qui luttent pour leur réhabilitation politique après avoir été anéantis par les Bolcheviks. Le rêve des Cosaques d'aujourd'hui est de faire ressusciter la Grande Russie, celle d'avant 1917. Étant de bons travailleurs, militaires et serviteurs de l'État, ils aspirent à retourner aux vieilles valeurs cosaques. De nos jours, leurs descendants s'organisent et exigent la reconnaissance de leurs anciens privilèges. Ils se prononcent également pour la réunification de leurs terres d'antan avec la Russie. C'est la raison pour laquelle les Cosaques ont souvent des problèmes avec les autorités du pays. Déjà la loi kazakhstanaise interdit les rapports étroits entre les organisations cosaques du pays et celles de la Russie. En 1995-96 eut lieu un procès contre l'ataman du Semiretchié N. Gounkine 1084 . Sa résonance fut tellement forte que même le comité spécial de la Douma d'État russe porta plainte devant les autorités kazakhstanaises à propos des poursuites des populations russes, notamment des Cosaques 1085 .

      L'émigration des peuples européens du Kazakhstan se poursuivra encore pendant des décennies. En conséquence, les Russes deviendront de moins en moins nombreux. Les éléments de discrimination et la kazakhisation de la société continueront, ce qui aggravera le sentiment de malaise psychologique chez les populations russes. Cet état pourrait accroître la situation de conflictualité de ces dernières avec d'autres ethnies, notamment, avec les Kazakhs. La politisation de la « question russe au Kazakhstan » sera susceptible de représenter une autre menace. Le pire scénario serait l'auto-identification des régions septentrionales du Kazakhstan et la déclaration de leur indépendance ou de leur rattachement à la Russie. Un tel développement des événements correspondrait à la thèse de Soljenitsyne, exilé un temps dans un des camps de cette république, selon laquelle le nord du pays peuplé par les Russes doit être séparé du territoire actuel du Kazakhstan. Ajoutons pour information que plus de 730 000 Kazakhs habitent dans les régions frontalières de la Russie avec le Kazakhstan 1086 .

      Il y a plus d'une vingtaine d'organisations communautaires russes au Kazakhstan : le Mouvement public slave « Lad », la Communauté russe du Kazakhstan, l'Association des professeurs de l'école russe du Kazakhstan, l'Union des Cosaques du kraï des Steppes, la Communauté cosaque de Semiretchié. Les objectifs principaux de ces associations sont : la conservation et le développement de la langue et de la culture russe au Kazakhstan, la défense des droits des Russes et russophones. Les organisations cosaques, quant à elles, ne jouissent pas d'une grande popularité parmi les Russes du Kazakhstan.

      

      

      CONCLUSION

      

      À la période post-soviétique, la migration russe changea sa direction, établie depuis plusieurs siècles et devint centripète. Pendant les 13 dernières années, l'importance des populations russes dans les trois anciennes républiques soviétiques caspiennes diminua de 30% soit de quelque 2 049 000 personnes, passant de 6 826 000 à 4 777 000. Les trois causes principales du dépeuplement russe de ces territoires sont : l'émigration, la décroissance naturelle et l'assimilation.

      Après la dissolution de l'URSS, plusieurs analystes ont été enclins à considérer la présence des populations russes dans les républiques centrasiatiques comme un facteur de désintégration. D'autres, au contraire, estimaient qu'elles représentaient un grand potentiel d'intégration éventuelle entre la Russie, l'Asie centrale et le Caucase du Sud.

      La disparition de l'État soviétique accentua les différends interethniques existants et donna un nouveau sens aux relations nationales. Elle sema la confusion et provoqua un stress permanent chez les populations Russes et russophones des pays de la CEI qui se retrouvèrent en situation de minorités ethniques. La discrimination de ces dernières par les peuples titulaires devint de facto une réalité dans presque toutes les anciennes républiques soviétiques. Cela poussa ces dernières à se consolider après un tel choc et à se réunir en différents types d'organisations, y compris politiques. Une politisation de l'ethnie russe se produisit au Kazakhstan.

      La réaction des Russes est diverse selon les lieux de résidence. Elle est souvent passive et se traduit par un conformisme et un sentiment de frustration. Les communautés russes sont plutôt mobilisées par les questions liées à la conservation de leur originalité ethnoculturelle, au renforcement des liens spirituels et culturels avec leur patrie historique et à l'organisation de l'émigration. Cette nouvelle situation, marquée également par le manque de traditions de rassemblement communautaire, ne contribue guère à les unifier et partout elles se distinguent par leur inertie.

      Les populations russes se retrouvèrent face à des choix difficiles – entre adaptation et intégration aux sociétés nationales, émigration ou regroupement dans des « îlots nationaux ». Le choix entre ces différentes solutions dépend non seulement des motivations des Russes, mais également de la volonté des pouvoirs locaux représentés par les peuples titulaires, de l'environnement et de la conjoncture socioculturels des pays en question. Le climat social et psychologique dans les républiques détachées n'est guère favorable aux enclaves ni aux diasporas russes en constitution.

      L'État russe manque d'une stratégie élaborée envers ses diasporas dispersées dans l'étranger proche. Tantôt il prône un rapatriement afin de remédier à sa situation démographique en peine, tantôt il se prononce pour l'utilisation du potentiel des communautés russes à des fins géopolitiques, tantôt il se déclare verbalement garant des droits des minorités russes. Une fois qu'ils sont installés dans les nouveaux lieux d'habitation sur le territoire de la Russie, les nouveaux arrivants russes sont souvent considérés par les autorités russes comme des immigrants volontaires. Par conséquent, les migrants ne jouissent pas de droits et d'avantages spéciaux comme peuvent en avoir les réfugiés. Cette circonstance entrave sensiblement l'émigration vers la Russie. C'est la raison pour laquelle, ces dernières années, la vague d'immigration provenant des républiques méridionales en direction de la Russie s'est ralentie. De nombreux Russes ressortissants de ces pays préfèrent désormais émigrer en Europe occidentale ou aux États-Unis.

      À la différence des descendants des immigrants du 19e et du début du 20e siècles, qui étaient de bons agriculteurs, la plupart des Russes et des russophones d'aujourd'hui sont des spécialistes diplômés. Après les indépendances, la politique des cadres des républiques nationales fut d'emblée axée sur les représentants des peuples titulaires sans vraiment tenir compte du niveau ni professionnel ni d'instruction de ces derniers. La disparition soudaine du système hiérarchique soviétique avec sa stricte sélection des cadres a déjà un impact négatif sur la qualité des nouveaux recrutés. Dans la politique locale des cadres, on observe une nouvelle tendance : nombre de remplaçants sont recrutés dans les provinces. Ces derniers ne se distinguent pas obligatoirement par une expérience professionnelle ni par un niveau d'instruction plus élevé. D'abord, ils ont évincé les élites russes et russophones, ensuite ils se sont chargés de supplanter les dirigeants russifiés issus de la nomenklatura soviétique ou les promus des établissements supérieurs de Russie. Ce processus perdure.

      De nos jours, sur certains territoires, notamment dans les provinces septentrionales du Kazakhstan, les Russes occupent encore une place non négligeable dans le domaine industriel. Le départ de plusieurs spécialistes a déjà sensiblement affecté le développement de ce secteur des économies nationales en aggravant la crise existante. Au moment où les gouvernements tentaient d'influencer le processus d'émigration par des actes législatifs afin d'en contrecarrer les conséquences néfastes, les nationalistes locaux par leurs actions, au contraire, incitaient les Russes au départ. Le harcèlement individuel leur permit d'atteindre leurs objectifs. L'émigration des Russes entraîna de surcroît le départ des autres populations minoritaires. Les nouveaux États de la région sont les grands perdants de cet exode massif d'une partie de leurs citoyens qui ont souvent un niveau d'instruction élevé.

      La consolidation des communautés russes au Caucase du Sud et en Asie centrale est d'une actualité particulière pour la Russie. En se privant de ses communautés locales, elle perdra un levier non négligeable d'influence et de pression dans ces deux régions stratégiques. La constitution de fortes diasporas russes sur place serait susceptible de devenir un facteur important pour la politique russe à l'égard de son étranger proche. De nos jours, le processus de formation des diasporas russes est plus dynamique dans les pays d'Asie centrale, notamment au Kazakhstan. Ce développement de la situation pousse Moscou à élaborer une politique ciblée par rapport aux communautés russes de ce pays en constitution qui, cependant, n'a pas encore donné ses fruits.

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      


§ 3. Les aménagements linguistiques et la question du statut de la langue russe

      

      

      En 1989-90, dans l'ancien espace soviétique, commença à s'installer une nouvelle situation sociolinguistique qui continue à se développer de nos jours. L'origine de cette restructuration de la situation linguistique fut la dissolution de l'ex-URSS et l'adoption par les pouvoirs locaux de nouvelles lois sur les langues officielles. Ces mesures politiques et judiciaires et leurs dessous témoignent de l'avènement d'un changement radical des élites politiques dans les nouveaux États indépendants et d'une révision de la place des Russes et de la Russie dans les sociétés post-soviétiques.

      À l'heure actuelle, il existe une situation paradoxale. D'un côté, la langue russe reste toujours la langue du dialogue interethnique dans l'espace post-soviétique, sans bénéficier officiellement d'un tel statut. Elle est également la langue maternelle de dizaines de millions de personnes. De l'autre, dans presque toutes les anciennes républiques soviétiques, les autorités nationales font tout pour restreindre les sphères d'utilisation du russe, notamment, dans les écrits et dans l'enseignement.

      Selon les aménagements linguistiques entrepris, les langues des peuples dits titulaires sont juridiquement choisies en tant que langues officielles donc dominantes (lingua dominanta) des États nouvellement constitués. De ce fait, le statut de la langue russe, aussi bien juridique que social, est revisité à son détriment. Dans la plupart des Constitutions et des lois sur la langue officielle, le russe ainsi que les sphères de son utilisation ne sont même pas mentionnés (Arménie, Azerbaïdjan, Turkménistan, Ouzbékistan). Cette négligence évidente et la volonté démonstrative de nier le russe et son statut, ne tiennent pas compte du pourcentage des populations russes et russophones habitant dans ces pays désormais indépendants. Dans la totalité des États concernés, l'aménagement linguistique a été étroitement lié aux actes politiques des pouvoirs en place.

      Le chercheur moscovite V. Neroznak distingue deux types de glottopolitique d'État au sein d'une seule ou de plusieurs communautés linguistiques, qui sont fixés dans les Constitutions des pays de la CEI ainsi que des Pays baltes :

      une politique nationale de monolinguisme dominant ;

      une politique nationale de bilinguisme (ou de plurilinguisme)

      

      

      a) dominant,

      b) dominant à statut de coordination et

      c) coordonnant 1087 .

      En règle générale, les glottopolitiques des jeunes États indépendants, qui sont tous sur la voie de la construction d'États-nations, sont souvent révélatrices des tensions existantes dans leurs sociétés. Sur les exemples de l'Azerbaïdjan, de l'Ouzbékistan, du Turkménistan, et du Kirghizistan on peut observer les répercussions des décisions politiques sur le corpus des langues. La latinisation hâtive des graphies azérie, kirghize, ouzbèke et turkmène en constitue une preuve 1088 . Ce choix témoigne de la prise de distance des républiques turcophones vis-à-vis de Moscou et de la réorientation de leurs politiques étrangères en direction de la Turquie et aussi de l'Europe qui utilise, par excellence, l'alphabet latin.

      Les deux types d'aménagements – statut de la langue et changement de l'écriture – remettent en question les choix d'utilisation de la langue dans le circuit de diffusion de l'information et des médias : radio, télévision, presse imprimée, publicités, livres, ordinateurs, signalétique, vidéogrammes, satellites de télécommunication, etc.

      En effet, le statut officiel de la langue est une manifestation des rapports de forces dans les sociétés post-soviétiques. Les glottopolitiques nationales construites au détriment de la langue russe sont révélatrices des antagonismes existants (Pays baltes, Kazakhstan, Kirghizistan, Moldova) ainsi que des problèmes qu'éprouvent les populations russes et russophones. Dans toutes les ex-républiques soviétiques, les nouvelles politiques linguistiques ont abouti à des modifications complètes des équilibres économiques, car seules les personnes qui connaissent la langue officielle, dans leur majorité les représentants des peuples titulaires, avaient la possibilité d'accéder aux postes de commande économiques.

      Les politiques linguistiques pratiquées dans les pays en question ont mis au chômage toute une couche sociale constituée d'enseignants qualifiés et de l'intelligentsia scientifique, technique et des sciences humaines dont une partie choisit le chemin de l'émigration. Par conséquent, en dix ans (1990-2000), le nombre de chercheurs a baissé de 20 % au Kazakhstan

      et au Tadjikistan, de 18 % en Arménie et de 17 % au Kirghizistan 1089 . Dans ces pays, l'éviction du russe et les conséquences qui s'ensuivirent, a eu un impact négatif sur l'état et le niveau aussi bien du système d'enseignement que des sciences en général.

      La plus dure épreuve pour les populations russes est celle de l'adaptation psychologique et socioculturelle sous les nouveaux régimes, car la question des langues est inséparable de l'ethnie, de l'identité et de la culture nationale. Ainsi, « identité, économie, enjeux de pouvoir, mais aussi nationalisme peuvent entrer dans des revendications, faisant de la question des langues un cocktail explosif » 1090 . Pour les populations en question, décider de rester signifie choisir le bilinguisme et plus largement le biculturalisme. Les émigrants, en général, rejettent les perspectives de cette nouvelle identification. Cependant, parmi eux, il y avait un nombre de personnes qui se considéraient comme bilingues et biculturels, mais la crise économique et le fait de se voir éloignés voire coupés de leur patrie historique et ceux de leurs proches qui y résidaient les a poussés à prendre la décision d'émigrer.

      Sous le régime soviétique, les Russes n'étaient pas contraints d'étudier les langues nationales de leurs pays d'accueil. C'est pourquoi, après l'adoption des lois imposant l'usage exclusif des langues des peuples titulaires dans les écritures, l'administration et l'enseignement, les Russes se sentirent soudainement évincés et rejetés de ces structures. La situation fut plus dramatique pour les jeunes qui ne purent accéder aux Écoles supérieures à cause de leur ignorance des langues nationales des républiques où ils résidaient. Leur nouveau statut – « non indigène ou allogène (non autochtone) » – a fait d'eux des membres de la société qui ne jouissent pas de tous leurs droits civiques.

       Tout au long de leur présence dans ces territoires, les Russes n'ont jamais perdu la connaissance de leur langue maternelle et de leur identité culturelle. Pendant l'existence de l'URSS, à la différence des autres minorités ethniques, ils étaient privilégiés dans le choix de la langue de communication. Sous le régime soviétique, la langue russe dans les républiques nationales de jure n'avait pas de statut de langue officielle, de même qu'en Fédération de Russie. Néanmoins, de facto, elle était la langue dominante de cet espace. C'est seulement en 1990 que le russe fut reconnu comme la langue officielle de l'URSS selon la Loi sur les Langues des peuples de l'URSS.

      Dans le même temps, la connaissance de la langue russe des peuples titulaires de Transcaucasie et d'Asie centrale (hormis les Ouzbeks et les Kazakhs) était relativement plus faible que celle des autres peuples de l'ex-URSS. Selon les statistiques, le nombre de Géorgiens, d'Azéris et de Turkmènes qui possédaient le russe était deux fois moins important que celui des Biélorusses, Lituaniens ou Lettons.

      

      Tableau n° 45

      Le niveau de connaissance du russe parmi les peuples titulaires des ex-républiques soviétiques d'Asie centrale et de Transcaucasie (1979), %

      

      

Ex-républiques soviétiques % des peuples titulaires dans les populations des républiques soviétiques % des Russes dans les populations des républiques soviétiques % des peuples titulaires possédant le russe




RSS d'Arménie 89,7 2,3 34,8
RSS d'Azerbaïdjan 78,1 7,9 28,9
RSS de Géorgie 74,4 7,4 25,9
RSS de Kazakhstan 36,0 40,8 52,0
RSS de Kirghizie 47,9 25,9 28,8
RSS d'Ouzbékistan 68,7 10,8 53,3
RSS de Tadjikistan 58,8 10,4 28,3
RSS de Turkménie 68,4 12,6 24,8

      Source : L. MAKAROVA, G. MOROZOVA et N. TARASOVA, Regional'nye osobennosti migracionnyx processov v SSSR [Les particularités régionales des processus de migration dans l'URSS], Naouka, Moscou, 1986, p. 94.

      

      L'étude de ce tableau prouve qu'il n'y a pas de corrélation entre le poids démographique des Russes dans les ex-républiques soviétiques et la connaissance du russe par les peuples titulaires. Ainsi, en Arménie, la part des Russes est la plus faible (2,3 %), mais 34,8 % des Arméniens possèdent le russe ce qui est plus élevé que chez les Azéris (28,9 %), Géorgiens (25,9 %) ou Turkmènes (24,8 %) où le pourcentage des Russes est respectivement de 7,9 %, 7,4 % et 12,6%. Dans ce contexte, la répartition des peuples titulaires et des Russes dans les villes et à la campagne joue un rôle important. Les Russes, dans ces républiques, vivaient principalement dans les villes. C'est la raison pour laquelle les populations urbaines connaissent mieux le russe que les populations rurales. Dans toutes les anciennes républiques soviétiques méridionales, le pourcentage des hommes possédant le russe est plus élevé que celui des femmes de 1,5 à 2,5 fois. Cela est lié à la situation sociale des femmes dans ces pays.

      Les tentatives d'imposition forcée de la langue russe rencontrèrent une riposte là où la conscience et l'identité nationales étaient les plus développées (Arménie, Géorgie). Cela veut dire que pendant la période soviétique des résistances s'organisèrent, couronnées même de succès pour certaines. Tout dépendait du niveau de maturité de la conscience et de l'identité nationales.

      Pourtant, la connaissance du russe a toujours une importance primordiale et l'aura sans doute encore longtemps vu l'échelle de migration des populations entre le Caucase du Sud, certains États d'Asie centrale et la Russie. Le rôle du marché russe est également incontestable pour les pays de la région, notamment au regard des mouvements de main-d'œuvre.

      Ainsi, après l'indépendance de toutes les ex-républiques soviétiques, les autorités se soucièrent du niveau d'enseignement et des domaines d'usage des langues « titulaires », ce qui était tout à fait compréhensible. En règle générale, elles tentèrent de résoudre les problèmes linguistiques existants au détriment du russe, même là ou les positions de la langue « titulaire » n'étaient pratiquement pas menacées. Elles pensèrent naïvement que l'évincement du russe entraînerait automatiquement la hausse du prestige des langues nationales et surtout le niveau de leur enseignement. Certes, les domaines d'usage de celles-ci furent élargis, dans certains pays même elles furent imposées comme les seules langues officiellement autorisées. Les mesures prises non seulement évincèrent progressivement le russe de tous les niveaux d'études et de travail, mais entraînèrent la disparition graduelle du phénomène de bilinguisme et, plus largement, de biculturalisme établi pendant plusieurs décennies.

      


A. – L'Azerbaïdjan : La Loi sur la langue officielle revisitée au dépens du russe

      

      Parallèlement à l'augmentation du nombre de Russes, les domaines d'utilisation de la langue russe furent élargis, notamment dans les grandes villes où le russe évinçait petit à petit l'azéri dans toutes les sphères de la vie quotidienne. Tout au long de la période soviétique, en Azerbaïdjan, le nombre de gens qui considéraient le russe comme leur langue maternelle augmenta sans cesse. Mais la grande partie de ces populations était bilingue, donc, n'appartenait pas à l'ethnie russe : Ukrainiens, Arméniens, Géorgiens, Lezguiens, Tatars, Juifs, Oudines, etc. Leur choix de langue d'enseignement était souvent le russe. C'était la langue de prestige qui ouvrait des perspectives pour la carrière professionnelle future. Ce choix était également le signe de la mauvaise volonté des minorités ethniques (Russes, Arméniens, etc.) d'étudier l'azéri 1091 .

      Les Russes et les russophones n'avaient pas besoin d'apprendre l'azéri, car cela n'avait aucun impact sur leur vie professionnelle ni sur leur situation sociale et économique. Dans des grandes villes comme Bakou, Kirovabad, Soumgaït, Minguétchaour, etc., certains Azéris eux-mêmes préféraient confier leurs enfants aux écoles russes. En 10 ans (1978-1988), le nombre d'élèves scolarisés dans les écoles azéries diminua, passant de 83,7 % en 1978-1979 à 79,6 % en 1987-1988. À Bakou, les chiffres étaient plus inquiétants : 47 % puis 45 %. Pendant la même période, le nombre d'écoles russes augmenta de 9 %. Les écoles arméniennes et géorgiennes enregistrèrent également une baisse d'effectifs en faveur des écoles russes. Il existait aussi des écoles où l'enseignement s'effectuait en deux ou trois langues : azéro-russes, russo-arméniennes, azéro-russo-arméniennes, azéro-russo-géorgiennes (8 % des écoles de la république) 1092 . Rappelons que les premières écoles russes sur le territoire azerbaïdjanais commencèrent à fonctionner dans les années 1830.

      Le 25 décembre 1991, conformément à la Loi sur le renouvellement de l'alphabet de l'Azerbaïdjan avec l'alphabet latin, la langue azérie est de nouveau revenue à la graphie latine composée de 32 lettres 1093 . Il est curieux que la Constitution de la république emploie le terme de « langue azerbaïdjanaise », tandis que la Loi sur la Langue officielle utilise l'expression de « langue turque ».

      À la différence de leurs voisins Arméniens, le droit des Azerbaïdjanais de choisir la langue d'éducation est fixé juridiquement dans la Loi sur la Langue officielle du 22 décembre 1992 : « Les citoyens de la République azerbaïdjanaise ont la garantie et le droit de choisir leur langue d'éducation » (art. 3). Dans l'éducation publique, aussi bien secondaire que supérieure, les programmes de formation existent en deux langues : azéri et russe. Il en résulte que les droits des populations russes et russophones d'obtenir une éducation en langue russe sont garantis de jure et de facto, et cela à tous les niveaux de l'enseignement. En dépit de cela, le nombre d'élèves scolarisés dans les écoles azéries passa de 79,6 % en 1987-1988 à 91,7 % en 1995-1996. À Bakou cette évolution a respectivement été de 45 % puis de 78 % 1094 .

      Avant 2002, près de 125 000 écoliers (13 % des élèves azerbaïdjanais) faisaient leurs études dans les écoles russes. Sur 2 783 écoles secondaires, 379 dispensait en un enseignement mené en deux langues : russe et azéri. Les 18 écoles supérieures et 19 filiales des établissements similaires de la Fédération de Russie, ainsi que les 38 écoles spécialisées et professionnelles comptaient près de 20 000 étudiants 1095 . Il existait des facultés russes dans presque tous les établissements supérieurs.

      Cette situation perdura jusqu'en juin 2002 quand la nouvelle Loi sur la langue nationale entra en vigueur. Cette nouvelle rédaction de la loi était motivée par l'augmentation dans le pays de l'usage du russe, ainsi que du nombre d'écoles de langue russe, qui fut perçue par les autorités comme une menace pour la langue nationale azérie. Par exemple, au cours des quelques dernières années, une vingtaine de nouveaux établissements privés russes furent créés en Azerbaïdjan 1096 . La nouvelle loi devait « encourager » l'apprentissage et l'utilisation de l'azéri de la part non seulement des Russes, qui sont de moins en moins nombreux, mais également des russophones. C'est la raison pour laquelle une partie de la population azerbaïdjanaise, y compris les Azéris russophones (majoritairement citadins), n'accueillit pas avec enthousiasme cette nouvelle Loi sur la langue, de même que le passage à la graphie latine.

      Une des exigences de la Loi est que les textes officiels ne doivent être rédigés qu'en azéri et en alphabet latin au lieu du cyrillique. Dans les entreprises, on n'accepte plus les demandes d'embauche rédigées en russe. De même, la commission spéciale qui étudie les dossiers d'inscription aux concours d'entrée dans les universités, y compris, dans les filières russes, refuse d'examiner ceux qui sont rédigés en russe. Même ceux qui connaissent l'azéri sont embarrassés, car il faut également maîtriser la nouvelle graphie sur la base de l'alphabet latin et non pas cyrillique 1097 .

      Dans la vie privée et dans les domaines non étatiques, notamment dans les grandes villes, de nombreuses personnes dont la majorité sont Azéris préfèrent et continuent toujours à communiquer en russe. Ils « se cantonnent malgré tout à l'alphabet cyrillique, quitte à ne lire que des journaux russes » 1098 . De nos jours, 38 % des Azéris sont bilingues et parlent le russe couramment 1099 . L'apprentissage du russe a également une dimension économique, car plus de 2 000 000 d'Azéris, soit presque un tiers de la population, travaillent à l'heure actuelle et vivent avec leurs familles, d'une façon provisoire ou permanente, en Fédération de Russie 1100 .

      En d'autres termes, les sphères d'influence de la langue et de la culture russes sont beaucoup plus importantes que le poids démographique des Russes en constant déclin. De ce point de vue, on peut constater que l'imposition de la Loi et de l'alphabet latin n'a pas encore atteint les résultats escomptés. De plus, la Loi sur la langue passe sous silence l'application de l'azéri dans le secteur de l'entreprise privée.

      Les Russes et les russophones sont inquiets et considèrent que la nouvelle Loi sur la langue lèse leurs droits et intérêts. Compte tenu du fait que seulement 32 % des Russes parlent l'azéri 1101 , cela constitue un handicap d'origine qui empêche leur promotion professionnelle et leur participation active dans la vie politique de leur pays d'accueil.

      Actuellement, en Azerbaïdjan, une vingtaine de journaux et de revues sont publiés en russe dont plus de 12 dans la capitale (Vestnik, Sodroujestvo, Zerkalo, Baku Sun, Turan, Panorama, Ejednevnye novosti, Bakinski Boulvar, Ekho, etc.). Il existe également des émissions quotidiennes de radio et de télévision pour l'auditoire russe. Les principales chaînes russes (ORT, RTR, NTV) sont relayées sans aucune restriction.

      


B. – Le Turkménistan : un espace linguistique et informatique russe quasi-absent

      

      Avant la dissolution de l'URSS, 70 % de la population de la Turkménie soit 2 500 000 personnes savaient parler russe. 27 % d'entre eux considéraient le russe comme leur langue maternelle. De surcroît, 70 % de l'intelligentsia turkmène était diplômée des établissements supérieurs de Russie 1102 .

      Avant 2001, il existait 49 écoles russes. Dans les 56 autres, l'enseignement était en partie en russe. Le nombre total des élèves était d'environ 130 000. Depuis février 2001, l'enseignement dans les établissements supérieurs est exclusivement assuré en langue turkmène. Le Ministère de l'éducation a transformé les 49 écoles restantes en écoles mixtes russo-turkmènes. Dans les écoles turkmènes, le Ministère n'accorde à la langue russe qu'une heure par semaine 1103 . Tous les établissements préscolaires russes ont fermé leurs portes. Dans l'éducation nationale, la plupart des chaires de langue et de littérature russes ont été supprimées et les enseignants licenciés. Les russophones qui n'ont pas réussi à obtenir l'attestation de connaissance de la langue turkmène ont également été licenciés du service public, des ministères, des banques.

      De nos jours, seuls 4 % des jeunes promus des écoles secondaires (3 600 sur 80 000) ont la possibilité de continuer leurs études dans les établissements supérieurs 1104  où le délai d'études a été réduit à deux ans selon l'oukase de Turkmenbachi 1105 . Une partie de ce type d'établissements est fermée à cause du manque de cadres enseignants. La plupart des postes d'enseignants étaient occupés par des Russes et des russophones. Après le départ de nombre d'entre eux, le pays manque de spécialistes qualifiés. Dès 1995, les sections russes furent fermées dans les établissements supérieurs du pays. Il n'existe aucune filiale des établissements supérieurs de la Russie sur le territoire du Turkménistan. De surcroît, à partir du 1er juin 2004, les diplômes obtenus à l'étranger (notamment en Russie et dans les pays de la CEI) ne sont plus valables. Les possesseurs de ces diplômes, essentiellement les juristes, les médecins et les économistes, furent tous licenciés.

      Ces mesures qui réduisirent les domaines d'utilisation du russe mirent dans une situation difficile les Russes et les russophones du Turkménistan. Les jeunes se sont subitement retrouvés privés de la possibilité de poursuivre leurs études supérieures dans leur langue maternelle qui était souvent la seule langue qu'ils connaissaient. Ces circonstances conjuguées aux difficultés socio-économiques ont représenté un puissant stimulant à l'émigration. Des milliers de russophones du pays (Ukrainiens, Biélorusses, Arméniens et autres) partagèrent le même sort.

      Le 21 janvier 1993, le parlement turkmène vota le troisième changement d'alphabet national au cours du 20e siècle. La loi entra en vigueur à partir de 1996. Après le Congrès de Bakou (1926), la langue turkmène fut latinisée en abandonnant l'écriture arabe. À la veille de la Seconde Guerre mondiale, sous le régime de Staline, le turkmène, à l'instar du kazakh, de l'azéri, du kirghiz, de l'ouzbek et du tadjik, adopta la graphie cyrillique. Celle-ci resta l'écriture officielle jusqu'en 1996. Cependant, la nouvelle latinisation de l'alphabet national ne signifia pas la restauration de l'alphabet de 1939. Cette nouvelle décision de changement d'écriture « traduit davantage une volonté politique affichée, plutôt qu'une décision linguistique qui exprimerait avec précision les réalités phonétiques et phonologiques du turkmène moderne et standard » 1106 .

      Au Turkménistan, le premier journal russe Akhal-Teke apparut dès 1886 1107 . À l'heure actuelle, il n'existe presque plus d'espace d'information russe au Turkménistan. En 1994, les autorités turkmènes cessèrent de diffuser les émissions de la chaîne russe RTR. À partir de 1998, une autre chaîne, l'ORT, ne fut retransmise que six heures par jour le soir, sous un régime de rediffusion après avoir subi une censure sévère. Les émissions en langue russe sur la télévision nationale furent réduites à néant (10 minutes par jour pour les nouvelles officielles) 1108 .

      Il ne reste qu'un seul journal quotidien russe Neïtralnyï Tourkmenistan [Turkménistan neutre], fondé par Turkmenbachi lui-même, et une seule revue littéraire Vozrojdenie, après la fermeture définitive de la deuxième (Achkhabad). Les publications en langue russe dans d'autres journaux du pays ne sont plus autorisées. Depuis octobre 1996, les abonnements aux revues et aux journaux russes, ainsi qu'étrangers, sont interdits aux particuliers et aux organisations non gouvernementales. Le 21 janvier 2004, le Comité de la sécurité nationale (ancien KGB) a détenu V. Mamedov, le dirigent de la communauté russe de la ville de Turkmenbachi, après son interview par la station de radio russe Maïak, qualifiée de diffamatoire 1109 .

      Si ces tendances continuent, dans 10-15 ans, l'utilisation du russe au Turkménistan sera réduite à néant. À l'instar de l'Opéra national et d'autres établissements culturels, le théâtre dramatique russe Pouchkine, le plus ancien théâtre russe d'Asie centrale, a été fermé et le bâtiment détruit. Paradoxalement, c'est dans le théâtre Pouchkine qu'en 1922 fut ouvert un studio théâtral qui accueillit les jeunes Turkmènes en contribuant ainsi à la formation et à la création du théâtre national turkmène 1110 . Ces fermetures ont mis au chômage des artistes et des professionnels dont la majorité était russe.

      


C. Le Kazakhstan : une difficile reconquête de l'espace de communication russe

      

      En 1982, 70 % des promus du Kazakhstan étaient issus des écoles secondaires de langue russe. 1111  En dépit du fait que le nombre de Russes est en baisse et n'atteint actuellement plus que 29 % de la population du pays, 84,8 % des habitants du Kazakhstan soit 12 673 400 personnes maîtrisent le russe, tandis que 64,4 % seulement de la population kazakhstanaise soit 9 631 300 de personnes parlent le kazakh 1112 .

      La glottopolitique de l'État kazakhstanais est de type dominant/coordonnant. Le statut officiel de la langue russe est défini dans l'art. 7 de la Constitution : « 1. Dans la République du Kazakhstan, la langue officielle est le kazakh. 2. Dans les organisations et les établissements des collectivités locales, le russe est utilisé officiellement au même titre que le kazakh ». Les analystes considèrent que c'était un compromis qui avait pour but d'apaiser les nationalistes aussi bien kazakhs que russes.

      Dans la pratique, la langue russe reste encore la langue dominante et préférée de la communication interethnique pour les 130 nationalités qui habitent au Kazakhstan. Mais cette situation ne peut pas perdurer. On observe déjà que le kazakh devient progressivement la langue de la communication interethnique parmi les minorités turcophones et musulmanes du pays et évince peu à peu le russe de ce domaine. Le gouvernement kazakh prend en permanence des mesures administratives afin d'élargir les sphères d'utilisation du kazakh dans la république. Par exemple, à la fin des années 1990, 60 à 70 % des émissions des antennes nationales étaient encore en russe. La Loi sur les médias de 1999 imposa que le temps accordé à la langue officielle passe à 50 % à partir de 2002 1113 .

      L'ancienne nomenklatura soviétique nationale qui a su garder ses positions dans le Kazakhstan devenu indépendant, était russophile et utilisait principalement le russe. Elle fut contrainte de réapprendre le kazakh tout en continuant à donner la préférence à l'utilisation du russe. En outre, la langue russe reste toujours la principale source d'accès aux informations dans tous les domaines des sciences et des techniques. Cependant, la nouvelle génération kazakhe qui talonne l'ancienne, valorise davantage la langue kazakhe. Ainsi, le débat concernant les langues « n'est pas un conflit interethnique russo-kazakh, mais plutôt un conflit intra-ethnique de différentes générations de Kazakhs ainsi que la manifestation du clivage entre la ville et la campagne qui divise de plus en plus le Kazakhstan en deux camps » 1114 . De toute évidence, la situation deviendra plus dramatique quand la génération, qui a aujourd'hui 20-30 ans, accédera au pouvoir. Le processus de l'évincement graduel du russe se produit paradoxalement en même temps qu'on érige en héros Abaï, le plus grand penseur et illuminateur kazakh du 19e siècle qui, de surcroît, était russophile et promouvait l'importance de la connaissance et de l'utilisation de la langue russe ainsi que l'apprentissage dans les écoles russes 1115 .

      Certains analystes sont enclins à considérer que les actes législatifs des nouveaux pouvoirs concernant les langues officielles sont une sorte de revanche de la situation linguistique « discriminatoire » qui existait à l'époque soviétique. Le régime soviétique, certes, rêvait de voir le russe utilisé partout et par tous. Mais on ne peut pas résumer la politique linguistique de l'URSS « à une russification tout azimuts » 1116 . Elle ne supposait pas le remplacement, l'évincement complet et encore moins l'interdiction des langues nationales. Les lois soviétiques dans le domaine des langues n'étaient pas aussi radicales (elles étaient même très loin de l'être) que celles des régimes post-soviétiques dans les nouveaux États. Les formes de résistance, passive ou active, aux tentatives d'imposition forcée de la langue russe existaient toujours. Les décisions de Moscou concernant le domaine linguistique se réalisaient sur place d'une manière différenciée. Leur mise en application n'était « uniforme ni dans le temps, ni dans l'espace » 1117 . Elles ont rencontré une riposte là où le niveau de maturité de la conscience et de l'identité nationales était le plus élevé et développé (Arménie, Géorgie). Non seulement cette résistance existait, mais elle pouvait aussi atteindre les résultats escomptés.

      De nos jours, au Kazakhstan les Russes réussissent mieux dans les sphères ethnoculturelles : la construction des églises, l'ouverture des filiales d'établissements supérieurs de la Russie, la diffusion de la presse imprimée de langue russe, la transmission des chaînes russes existantes et l'ouverture de nouvelles chaînes, etc. L'enseignement du russe est obligatoire dans tout type d'écoles. Quant à l'enseignement supérieur, il est assuré en kazakh et en russe dans les unités de formation parallèles. Environ 1 500 000 soit 48,4 % des 3 100 000 élèves et 181 000 soit 68 % des étudiants reçoivent leurs formations scolaires et universitaires en langue russe. Dans l'avenir, les autorités kazakhstanaises sont désireuses d'introduire un système d'enseignement sur la base du trilinguisme : le kazakh, le russe et l'anglais 1118 . En ce qui concerne les établissements préscolaires de langue russe, leur nombre est supérieur à ceux de langue kazakhe 1119 .

      En 2001, au Kazakhstan, on publiait 526 journaux et revues en langue russe (186 en Kazakh) 1120 , plus de 400 en deux langues (russe et kazakh). Des dizaines de chaînes bilingues, ainsi que de langue russe sont retransmises sans restriction. Au contraire, c'est l'utilisation de la langue kazakhe qui reste encore, dans une certaine mesure, secondaire.

      

      

      CONCLUSION

      

      Le problème de la langue est étroitement lié à l'identité ethnique et culturelle de quelque 20-25 millions de Russes et russophones qui se sont retrouvés dans l'étranger proche à la suite du plus important cataclysme géopolitique de la fin du 20e siècle.

      Après 1991, le contexte linguistique changea subitement dans l'espace post-soviétique. Le statut du russe a été revisité et relégué au second plan. Désormais seules les langues des peuples titulaires sont déclarées « langues officielles » dans la majorité des pays post-soviétiques.

      En règle générale, fruit de décisions purement politiques, les nouvelles lois sur les langues nationales ignorèrent les pratiques et la conjoncture linguistiques établies dans les anciennes républiques soviétiques. Elles révélèrent les antagonismes et les rapports de force, aussi bien politique qu'économique dans les sociétés post-soviétiques. Désormais, faire une carrière ou accéder aux poste de commande économiques n'est plus possible sans la connaissance des langues des peuples titulaires ce qui a mis au chômage un nombre considérable de Russes et russophones (excepté au Kazakhstan) et a poussé des dizaines de milliers d'entre eux à émigrer.

      L'attitude des pays caspiens vis-à-vis de la langue russe est révélatrice des différentes prises de position des pouvoirs locaux. L'utilisation du russe est largement tolérée au Kazakhstan, réduit à néant au Turkménistan et limité progressivement en Azerbaïdjan.

      En principe, au Kazakhstan et en Azerbaïdjan il n'existe pas d'intolérance ouverte à l'égard des Russes. Mais il existe un sentiment général de marginalisation et d'isolement croissant des populations non titulaires sur les plans économique, politique et surtout culturel. L'entourage culturel musulman et la perte drastique du statut privilégié de la langue russe deviennent de plus en plus gênants pour elles, les poussant à se replier sur elles-mêmes ou tout simplement à prendre le chemin de l'émigration. Les Russes qui, pour différentes raisons restent, sont contraints de choisir le bilinguisme et, plus largement le biculturalisme.

      Malgré tout, la connaissance du russe prime encore au Kazakhstan et en Azerbaïdjan, et pour longtemps sans doute. Ce phénomène est la conséquence, en premier lieu, de facteurs économiques, en deuxième lieu, du fait que les anciennes élites nationales, toujours au pouvoir ainsi que la plupart des diplômés ont été formés à l'époque soviétique et souvent dans des établissement de langue russe. La situation changera vraisemblablement quand la première génération post-soviétique, formée dans les universités et Écoles supérieures nationales ou occidentales plutôt que russes, arrivera au pouvoir.

      C'est au Kazakhstan que les Russes réussissent le mieux à s'organiser et à consolider leurs positions dans les associations communautaires culturelles. En revanche, au Turkménistan, il leur est quasiment impossible d'exercer toute activité diasporale.

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      


§ 4. L'église orthodoxe russe : une activité religieuse et un dépeuplement russe en hausse parallèle

      

      

      Pendant des situations de crises, le facteur confessionnel peut être facilement utilisé. En tout cas, cet élément a toujours été présent dans la politique étrangère russe depuis le Moyen Âge au titre de la défense des chrétiens orthodoxes. Aujourd'hui encore, on peut entendre de pareilles énonciations, comme pendant la guerre au Kosovo quand les forces nationalistes, l'église orthodoxe russe (EOR) et certains représentants du Kremlin prenaient la cause des Serbes de même confession que les Russes.

      En principe, en Asie centrale et dans le Caucase du Sud, il n'existe pas d'intolérance religieuse à l'égard des non musulmans, en l'occurrence des Russes. Cependant, l'environnement culturel musulman majoré par de multiples nouveaux problèmes économique, politique, linguistique et identitaire, qui conduisent à un isolement et à une marginalisation des peuples non titulaires, devient de plus en plus gênant pour les Russes et russophones. Le sentiment d'éloignement des traditions culturelles provoque un « instinct de conservation » de l'identité qui se manifeste, par excellence, dans le retour vers les églises, vers l'orthodoxie et, à un moindre degré, vers des religions orientales et différentes sectes protestantes (baptisme, Témoins de Jéhovah, etc.). Cette « flambée » de religiosité peut également être considérée comme une riposte au défi islamique en pleine expansion. Ainsi, le rôle de l'église orthodoxe en tant que foyer de consolidation communautaire augmente.

      Les pays de la CEI font partie des territoires canoniques de l'EOR qui ne coïncident plus avec les frontières étatiques, comme à l'époque soviétique. Il en résulte que presque tous les orthodoxes habitant dans ces pays se trouvent sous la juridiction spirituelle de l'EOR. Après l'église catholique, l'EOR est la deuxième religion à posséder une organisation centralisée de ce type. Cependant, le synode suprême de Moscou mène une politique équilibrée et prudente dans les diocèses des nouveaux États indépendants de l'étranger proche. À la différence de l'église orthodoxe de Russie, les diocèses essayent de s'écarter au maximum des activités politiques des pays respectifs pour ne pas être accusés d'ingérence dans leurs affaires intérieures. De plus, l'éloignement du centre spirituel (Moscou) rend moins radicale l'orthodoxie avec ses dogmes.

      Néanmoins, on ne peut pas parler de neutralité totale ou permanente de l'EOR, notamment au Kazakhstan. Bon gré mal gré, elle est impliquée dans certains processus politiques de ce pays. Le soutien de l'EOR (officiellement, de certains ecclésiastiques orthodoxes) au mouvement cosaque, la partie la plus intransigeante des populations russes, n'est pas dissimulé, ce qui provoque l'indignation du pouvoir kazakh.

      Bien évidemment, l'EOR n'agit pas indépendamment des autorités russes, notamment, quand il s'agit de politique étrangère. Le processus de démocratisation de la société russe a également touché la sphère des relations entre l'EOR et le pouvoir central. Peu à peu, l'église orthodoxe s'écarte du rôle de « serviteur docile du pouvoir », institutionnalisé depuis Pierre le Grand. De nos jours, elle peut se permettre de soutenir les partis nationalistes qui se trouvent dans l'opposition, notamment ceux qui défendent les intérêts des minorités russes dans l'étranger proche. Pour résumer, le facteur religieux est susceptible d'être intégré dans les relations russo-centrasiatiques 1121  et, dans une moindre mesure, russo-azerbaïdjanaises.

      À l'heure actuelle, les activités de l'EOR peuvent être qualifiées de passives, prudentes et attentistes. En manque de choix raisonnables, elle mène une politique conformiste vis-à-vis des pouvoirs locaux. Cependant, l'EOR est à même de consolider en son sein les fragments restants des populations russophones et de négocier, si besoin est, avec les autorités locales, la situation des minorités russes qui « continuent à voir en l'Eglise l'un des vesteurs fondamentux de leur présence en Asie centrale » 1122 . Elle peut également devenir un des maillons de la lutte commune des organisations laïques et des partis politiques pour la défense des droits des minorités ethniques.

      Au Kazakhstan, le nombre d'orthodoxes dépasse 35 % de la population (29 % des Russes, 4 % des Ukrainiens). L'EOR du Kazakhstan est la plus importante de toute la région centrasiatique et transcaucasienne. Elle a trois éparchies (d'Astana [anciennement d'Almaty], d'Ouralsk et de Tchimkent), 212 paroisses (seulement 62 en 1989), 8 monastères dont 3 pour femmes 1123 . La construction de nouvelles et la réouverture d'anciennes églises sont en plein essor. En outre, l'EOR du Kazakhstan mène des activités théologiques concernant l'instruction, l'enseignement et la bienfaisance. Pour cela, elle a ouvert 48 écoles paroissiales, une école pour les cadres religieux (sacristains, régents, dirigeants des coraux ecclésiastiques, etc.), une faculté de théologie, 18 bibliothèques paroissiales, etc. Il existe deux associations orthodoxes russes : la Fondation de bienfaisance internationale orthodoxe « Vedi » 1124  et la Société orthodoxe de bienfaisance du développement de l'éducation et de la culture Svetotch 1125 .

      La situation ethno-confessionnelle du Kazakhstan a une particularité : l'orthodoxie et l'islam, ayant chacun leur base ethnique, sont considérés comme les deux piliers spirituels de la société kazakhstanaise contemporaine. Ces deux religions dominantes ont élaboré une sorte de code commun de comportement et de coopération dans les différentes sphères de la vie sociétale. En particulier, les positions de l'orthodoxie et de l'islam convergent en ce qui concerne la limitation et la restriction des activités religieuses de différentes sectes. Il s'agit pour ces alliés d'infortune de lutter contre la concurrence de ces nouvelles religions et sectes auprès des fidèles. Ainsi, l'EOR est inquiète de voir prospérer les religions proches comme le catholicisme, le baptisme, l'adventisme, le luthérianisme, etc., tandis que l'islam traditionnel du Kazakhstan craint la pénétration de l'islam extrémiste sous différentes formes comme le wahhabisme et d'autres. Malgré la prudence apparente des actions de l'EOR au Kazakhstan, on observe, néanmoins, un certain prosélytisme dans ses entreprises, comme, par exemple, des tentations de traduire l'office en langue kazakhe 1126 .

      En Azerbaïdjan, l'émigration post-soviétique des populations russes, dont la majorité était orthodoxe, a touché également le clergé orthodoxe du pays. En conséquence, plusieurs lieux de culte ont subi un déclin. Le 28 septembre 1998, le Synode de l'Église orthodoxe russe (à Moscou) a restauré l'éparchie de Bakou-Caspienne qui, hormis le territoire azerbaïdjanais, englobe également le Daghestan et la Tchétchénie.

      Actuellement, l'EOR est représentée par six paroisses russes dont trois à Bakou et une à Gandja, une à Soumgaït et une dans le district de Khatchmas. Ces paroisses sont dirigées par un doyen ecclésiastique de l'EOR. La plupart des Ukrainiens, des Biélorusses, des Grecs, des Moldaves fréquentent aussi ces lieux de culte orthodoxes russes.

      Au Turkménistan, l'Église orthodoxe russe est la seule religion chrétienne autorisée. En effet, il n'y a que deux confessions qui sont enregistrées officiellement : la branche sunnite de l'islam et l'EOR. Cette dernière dispose de 13 paroisses situées dans toutes les régions du pays. Elle est contrôlée par les autorités turkmènes. En dépit de l'enregistrement officiel, la réglementation turkmène interdit l'importation de toute littérature religieuse venant de l'étranger. Par contre, l'existence d'écoles du dimanche auprès des paroisses est autorisée.

      

      


CONCLUSION GÉNÉRALE

      

      

      Depuis la fin du 16e siècle la Russie a choisi pour son développement le vecteur asiatique. Malgré leur faible densité de population, ces immenses étendues – les steppes kazakhes, la Sibérie et l'Extrême-Orient – ont déterminé une partie substantielle de sa grandeur.

      Dès le 18e siècle, la Russie s'est interposée entre les mondes musulmans turc et persan au Caucase du Sud et en Asie centrale. Compte tenu de son importance stratégique, cette vaste région n'a jamais échappé aux ambitions de conquête et de domination des puissances voisines. L'absence d'unité des peuples autochtones a facilité la mainmise étrangère. Aux 19e et 20e siècles, la Russie a fortement marqué le destin de la région.

      Il convient d'analyser les aspects positifs et négatifs de l'influence russe. La Russie a exercé sur les régions qu'elle a conquises une domination dont les particularités la différencient des puissances coloniales classiques et de leurs pratiques. La pénétration russe a eu différentes facettes : tantôt souhaitée par certaines populations en mal de protection, tantôt subie par d'autres sous la contrainte et dans la violence. Le destin des peuples concernés n'aurait sans doute pas été le même s'ils étaient tombés dans le giron de la Turquie, de la Perse, de la Chine ou encore de l'Angleterre.

      Une intégration forcée au monde musulman aurait pu avoir comme conséquence une assimilation plus profonde de ces peuples au détriment de leurs particularités, processus qui avait déjà démarré avant l'arrivée des Russes. Le sort des Turkmènes et des Azéris iraniens comme celui des Kurdes en Turquie est une illustration de cette négation durable des différences au sein des États musulmans. En revanche, les Azéris et les Turkmènes « russes » ont pu développer une identité pour constituer aujourd'hui des nations indépendantes. Pour les Kazakhs, n'est-ce pas l'avancée russe qui a endigué celle des Chinois qui s'étaient déjà appropriés le Xinjiang et visaient les vastes étendues kazakhes faiblement peuplées ? Quel est le sort des turcophones (ouïgours, kazakhs, mongols) ou encore des Tibétains dans la Chine d'hier et d'aujourd'hui ?

      Ainsi peut-on dire qu'une telle région stratégique, fragilisée par sa fragmentation, avait peu de chances d'échapper, au cours de son histoire, à la convoitise des empires. Son intégration dans l'Empire russe, malgré tous ses aspects négatifs, a eu des contreparties positives sur le long terme pour les principaux peuples de la région. Dans la même perspective, le temps a montré que les avantages tirés par les Russes de la cohabitation dans le cadre des États communs n'ont pas été aussi importants que ceux acquis par les peuples en question.

      À l'heure actuelle, le Caucase du Sud et l'Asie centrale sont l'une des composantes de la politique étrangère russe. La Caspienne, cœur de ce vaste espace géopolitique, reste toujours au centre des préoccupations de la Russie qui y a eu, y a et y aura encore longtemps des intérêts géostratégiques. La proclamation des indépendances du Kazakhstan, de l'Azerbaïdjan et du Turkménistan a radicalement changé la nature de leurs relations bilatérales avec la Russie. Le poids de cette dernière, en tant que l'un des pôles mondiaux, dépend de la réalisation de ses atouts géographiques et culturels sur le continent eurasien, dont la Caspienne est aujourd'hui le centre de gravité. Cependant, toute valorisation ne doit pas être comprise comme la constitution d'un nouvel empire qui ne pourrait d'ailleurs plus fonctionner. Pour réussir, elle nécessitera sûrement la création d'un système effectif d'intégration régionale qui s'appuierait sur un atout géopolitique incontestable : « devenir un pont entre l'Europe et l'Asie ». L'hégémonie totale d'une seule puissance dans la région caspienne et plus largement dans l'Eurasie est difficilement envisageable.

      Les ressources énergétiques constituent l'enjeu principal de la Caspienne. Son processus de désenclavement a commencé, mais il nécessitera des années pour se réaliser pleinement. En attendant, la Russie s'efforce de valoriser au maximum ses avantages géopolitiques afin de se réimposer en tant que maillon indispensable dans les échanges entre Orient et Occident. Tout en conservant quelques-unes des nouvelles routes et voies d'acheminement des produits énergétiques, elle a vu son monopole d'antan disparaître progressivement. C'est pourquoi, dans un premier temps, elle a vainement tenté de bloquer les divers projets de conduites d'hydrocarbures qui marginalisaient son territoire.

      En dépit des déclarations selon lesquelles la région caspienne fait partie de sa sphère « légitime » et de son périmètre de sécurité, la Russie est dépourvue des moyens d'exercer un contrôle efficace politique, économique ou militaire efficace sur cette zone. Avec l'arrivée au pouvoir de V. Poutine, elle a commencé à élaborer une politique pragmatique à l'égard de cette région qui mise davantage sur les profits économiques susceptibles d'apporter ultérieurement des crédits politiques.

      Avec la dissolution de l'Union soviétique, les Russes ont perdu leur statut particulier de peuple dominant dans tout l'espace post-soviétique. De nos jours, dans les pays caspiens (excepté au Kazakhstan), ils sont privés de la possibilité de défendre leurs intérêts par des moyens politiques. Les nouveaux régimes autoritaires en place sont formés sur la base du système clanique (tribalisme) auquel les Russes n'ont pas accès dans la mesure où ils sont considérés comme élément étranger. À cause du caractère clos de ces clans, les Russes ne comprennent tout simplement pas ce nouveau système et n'arrivent pas à s'adapter et à élaborer une stratégie d'action commune. C'est pourquoi, dans presque tout l'espace post-soviétique, les communautés russes sont réputées être inertes et désunies.

      Ainsi, à l'origine du processus lent de formation des diasporas russes se trouvent des raisons aussi bien objectives (instabilité politique et économique) que subjectives (hétérogénéité, passivité, conformisme). Pour les membres des communautés, être écartés d'une participation active à la vie politique, signifie être limités dans la promotion sociale et professionnelle. Ajoutons également que les « élites communautaires » russes essayent souvent de trouver un arrangement avec les autorités des pays désormais d'accueil, plutôt que de se tourner vers la Russie, de laquelle elles n'attendent plus de protection.

      Une des conséquences du départ massif, voire de la fuite, des populations russes et russophones ainsi que d'une partie des élites nationales prorusses fut la triste dérive des régimes politiques des nouveaux États vers l'autoritarisme. On ne pouvait pas qualifier de démocratique le système soviétique de gouvernance, notamment dans les républiques méridionales. Mais les régimes de la période post-soviétique, en particulier en Asie centrale et en Azerbaïdjan, n'ont pas fait avancer la démocratie, bien au contraire.

      Dans un futur proche, le Kazakhstan et le Turkménistan verront leurs dirigeants changer. La nouvelle génération ne sera pas marquée par l'idéologie communiste et par la mémoire historique soviétique, comme l'était celle des anciens leaders, tous issus de la nomenklatura passée. En l'absence de « vie commune » dans le creuset soviétique, les liens et les relations entre ces nouveaux dirigeants ne seront pas non plus les mêmes. La nouvelle génération des élites pourrait finir par donner une autre coloration aux politiques menées, aussi bien intérieures qu'étrangères. Il s'agit des composantes traditionnelles, culturelles et confessionnelles (islamiques). Cependant, cette nouvelle génération nuancera sa politique en fonction de la formation d'une partie de ses futurs cadres en Occident et encore en Russie. Dans ce contexte, le panturquisme et encore moins le panislamisme ont peu de chances de s'implanter dans la région. En effet, tous deux supposent des idéologies et des structures supranationales. Il est peu probable que les jeunes pays, qui ont connu le goût de l'indépendance, veuillent maintenant y renoncer rapidement.

      Le Kazakhstan demeure encore bipolaire. Le nord, peuplé majoritairement par les Russes, se tourne vers la Russie, le sud, essentiellement kazakh, excepté le Semiretchié, s'oriente vers l'Asie centrale. La capitale kazakhstanaise tente de conserver ces deux vecteurs de développement : européen et asiatique. Ils constituent ses deux pôles d'attractions qui se distinguent culturellement, politiquement et économiquement, mais sans néanmoins s'opposer. Ainsi, en dépit de toutes les péripéties de la période post-soviétique, les Russes sont toujours présents au Kazakhstan où ce facteur peut encore jouer.

      La Russie n'a pas encore réussi à élaborer vis-à-vis de la région caspienne une politique multidimensionnelle qui défendrait mieux ses intérêts nationaux. Or, pendant les treize années post-soviétiques, plusieurs lignes directrices se sont profilées sans toutefois être suivies d'une manière cohérente. Il s'agit de :

      chercher et proposer des solutions de désenclavement de la région caspienne qui valorisent son territoire ;

      faire partie d'un maximum de consortiums internationaux qui explorent et exploitent les richesses minérales de la région ;

      travailler à la modernisation et à la création d'autres voies de communication (chemin de fer, autoroutes, voies maritimes) qui même si elles ne font plus de son territoire un passage obligé, pourront devenir une des variantes alternatives de première importance, y compris pour ses propres productions ;

      élaborer un statut pour la Caspienne qui tient non seulement compte des intérêts économiques des pays littoraux, mais également des problèmes de protection de l'environnement et des ressources biologiques ;

      participer activement à la recherche de solutions aux multiples conflits ethniques de la région, d'autant qu'une partie des populations locales gardent encore de fortes prédispositions prorusses ;

      essayer de créer une alliance énergétique Russie-Asie centrale, notamment dans le domaine gazier, qui augmentera le poids géopolitique non seulement de la Russie, mais également des jeunes pays de la région ;

      défendre les intérêts et les droits des millions de compatriotes russes qui habitent encore dans les pays caspiens ;

      continuer à lutter contre le terrorisme en commun avec ses voisins caspiens, car deux foyers du terrorisme international, la Tchétchénie et l'Afghanistan, se trouvent à proximité de la mer Caspienne.

      La précipitation des États à se séparer de la Russie, et vice versa, leur a peut être fait rater l'occasion de partager un développement commun plus serein. Quelle part de profit et de perte leur a apportée la séparation ? Il est difficile de le dire.

      Malgré son nouveau statut de puissance régionale, la Russie garde un potentiel pour regagner du terrain. Son histoire précédente démontre qu'elle s'est sortie plusieurs fois de situations difficiles grâce à la concentration maximale de ses forces intérieures. Un pays qui est à la fois européen et asiatique, continental et océanique, qui relie géographiquement et historiquement l'Europe à l'Asie ne peut pas être longtemps négligé. La vocation et la nature eurasiatique de la Russie la rendent incontournable pour la création d'un système de sécurité intracontinental voire mondial. Toute réussite de la Russie dépendra du niveau de développement du processus de démocratisation de la société russe et de la capacité du pays à sortir de la crise économique en révisant les réformes entamées.

      

      


BIBLIOGRAPHIE

      

      Ouvrages, thèses et articles cités

      

      

      

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      et sur les relations russo-turkmènes

      

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      DAVLETOV, Dž., Prisoedinenie Turkmenii k Rossii [Le rattachement de la Turkménie à la Russie], Ylym, Achkhabad, 1972, 254 pages.

      GRODEKOV, N., Vojna v Turkmenii, tom 1 [La guerre en Turkménie, volume 1], Saint-Pétersbourg, 1883, 435 pages.

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      Les journaux et revues cités et consultés

      

      Actualité et Droit International

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      Žurnal teorii i praktiki evrazijstva

      

      

      Sites Internet consultés

      

      Alexander's Gas and Oil Connections (http://www.gasandoil.com).

      Agence internationale de l'énergie de l'OCDE (AIE) (http://www.iea.org).

      Asie centrale (http://www.asie-centrale.com).

      Azerbaïdjanais de Russie (http://www.azerros.ru).

      BP (http://www.bp.com).

      Caspian Business News (http://www.caspianbusinessnews.com).

      Caspian Oil and Gas (http://www.eventseye.com).

      Caspian Development and Export (http://www.caspiandevelopmentexport.com).

      Caspian Environment Programm (http://www.caspianenvironment.org).

      Caspian Sea (http://www.caspiansea.com).

      Central Asia and Caucasus (http://www.ca-c.org).

      Central Asia Caucasus Institute Analyst (http://www.cacianalyst.org).

      Central Asia-Caucasus Institute and Silk Road Studies Program (http://www.silkroadstudies.org/BTC.htm).

      Centre for Energy Policy, Moscou (http://www.energy.ru).

      Center for Foreing Policy and Analysis, Almaty (http://www.cvi.kz).

      Chevron (http://www.chevron.com).

      Country Analysis Briefs (http://www.eia.doe.gov).

      Demografija Rossijskoj Federacii [La démographie de la Fédération de Russie] (http://www.demography.narod.ru).

      Duxovnoe nasledie [Héritage spirituel] (http://www.nasledie.ru).

      Eurasianet (http://www.Eurasianet.org).

      Eurasia (http://www.eurasia.org).

      Interstate Oil and Gas Transport to Europe (INOGATE) (http://www.inogate.org).

      International Institute for Caspian Studies (http://www.caspianstudies).

      Iran Media in English (http://www.parstime.com).

      Juridičeskaja Rossija [La Russie juridique] (http://www.law.edu.ru/norm).

      Kalmneft' (http://www.kalmneft.ru).

      Lukoil Oil Company (http://www.lukoil.ru).

      Réseau Internet pour le droit international (http://www.ridi.org).

      Rossijskie sootečestvenniki [Les compatriotes russes] (http://www.rusedina.org).

      Sécurité européenne (http://www.european-security.org).

      Sénat (http://www.senat.fr).

      The Eisenhower Institute (http://www.eisenhowerinstitute.org).

      TRACECA (http://www.traceca-org.org).

      Trésor de la langue française au Québec (http://www.tlfq.ulaval.ca).

      Turkménistan (http://www.dogryyol.com).

      Turkménistan (http://www.turkmenistan.ru).

      United Nations (http://www.un.org).

      

      http://www.ansar.ru

      http://caspinfo.net

      http://www.inosmi.ru

      

      


LISTE DES TABLEAUX

      

      

      Tableau n° 1 : La répartition des réserves pétrolières caspiennes entre les pays riverains, estimations occidentales (juillet 2005), p. 170.

      Tableau n° 2 : La répartition des réserves gazières caspiennes entre les pays riverains, estimations occidentales (juillet 2005), p. 171.

      Tableau n° 3 : Les réserves prouvées des pays caspiens en matière du pétrole (2004), p. 171.

      Tableau n° 4 : La production de pétrole dans les pays caspiens (1994-2004), p. 175.

      Tableau n° 5 : Les parts des compagnies dans le consortium Azéri-Tchirag-Gunechli (1999), p. 181.

      Tableau n° 6 : Les parts des compagnies dans le consortium Karabakh, p. 182.

      Tableau n° 7 : Les parts des compagnies dans le consortium Chah Deniz, p. 182.

      Tableau n° 8 : Les réserves pétrolières du secteur russe de la Caspienne appartenant à Loukoïl, p. 188.

      Tableau n° 9 : Les parts des compagnies étrangères dans Agip KCO (ancien OKIOC) en 2004, p. 193.

      Tableau n° 10 : Les parts des pays selon la ligne médiane ordinaire, p. 225.

      Tableau n° 11 : La répartition éventuelle des réserves énergétiques de la Caspienne, p. 226.

      Tableau n° 12 : Les participations financières dans le C.P.C., p. 264.

      Tableau n° 13 : Les oléoducs existants et en projet : la voie septentrionale ou russe, p. 266.

      Tableau n° 14 : Les oléoducs existants et en projet : la voie occidentale I ou géorgienne (caucasienne), p. 270.

      Tableau n° 15 : Le prolongement des « voies russe et géorgienne » d'exportation du pétrole caspien, p. 271.

      Tableau n° 16 : Les participants au groupe de financement de l'oléoduc Bakou-Ceyan, p. 272.

      Tableau n° 17 : Les oléoducs existants et en projet : la voie occidentale II ou turque, p. 278.

      Tableau n° 18 : Les oléoducs existants et en projet : voie méridionale I et II, pp. 282-283.

      Tableau n° 19 : Les oléoducs existants et en projet : la voie orientale ou chinoise, p. 286.

      Tableau n° 20 : Les réserves prouvées des pays caspiens en matière du gaz naturel (2004), p. 289.

      Tableau n° 21 : La production de gaz naturel dans les pays caspiens (1994-2004), p. 289.

      Tableau n° 22 : Le Blue Stream, p. 297.

      Tableau n° 23 : Les gazoducs existants et en projet : l'acheminement du gaz turkmène, p. 298.

      Tableau n° 24 : La répartition financière dans le Consortium international CentGas, p. 299.

      Tableau n° 25 : Les gazoducs existants et en projet : la voie afghane, p. 301.

      Tableau n° 26 : Les gazoducs existants et en projet : l'acheminement du gaz iranien et azerbaïdjanais, p. 304.

      Tableau n° 27 : Les actionnaires du gazoduc Bakou-Tbilissi-Erzeroum, p. 305.

      Tableau n° 28 : La répartition et nombre total des populations russes en Transcaucasie (1873-1914), p. 479.

      Tableau n° 29 : La répartition des populations russes dans certaines provinces septentrionales du Kazakhstan selon le recensement de 1897, p. 485.

      Tableau n° 30 : Les parts des Russes et russophones dans les républiques soviétiques méridionales selon le recensement de 1989, p. 487.

      Tableau n° 31 : La répartition des populations Russes et russophones de l'Azerbaïdjan (1979-1999), p. 488.

      Tableau n° 32 : La répartition des peuples titulaires et des Russes dans les villes et dans la campagne des ex-républiques soviétiques de Transcaucasie en 1979, p. 489.

      Tableau n° 33 : Le mouvement des populations russes au Turkménistan (1926-1989), p. 490.

      Tableau n° 34 : Le poids démographique des Russes (sans compter les Ukrainiens, les Biélorusses et autres russophones) dans la population des Républiques d'Asie centrale en 1959-1989, p. 491.

      Tableau n° 35 : Les flux migratoires des Russes et des russophones au Kazakhstan (1920-1991), p. 492.

      Tableau n° 36 : La croissance des peuples principaux du Kazakhstan (1926-1970), p. 493.

      Tableau n° 37 : Répartition des populations kazakhes, russes et russophones (1926-1989), p. 494.

      Tableau n° 38 : La répartition des peuples titulaires et la des Russes dans les villes et dans la campagne des ex-républiques soviétiques d'Asie centrale en 1979, p. 495.

      Tableau n° 39 : Les parts des Russes dans les anciennes républiques soviétiques méridionales (période post-soviétique), p. 497.

      Tableau n° 40 : Le mouvement des populations russes au Turkménistan (1989-2001), p. 504.

      Tableau n° 41 : La répartition des populations kazakhes, russes et russophones (1989-1999), p. 506.

      Tableau n° 42 : L'émigration des populations russes du Kazakhstan (1992-2001), p. 507.

      Tableau n° 43 : La répartition des Russes dans certaines provinces du Kazakhstan (1989), p. 508.

      Tableau n° 44 : La représentation des peuples non titulaires dans les populations et dans les pouvoirs des républiques d'Asie centrale (les années 1970), p. 510.

      Tableau n° 45 : Le niveau de connaissance du russe parmi les peuples titulaires des ex-républiques soviétiques d'Asie centrale et de Transcaucasie (1979), p. 521.

      


ANNEXES

      

      CHRONOLOGIE

      

      

      864-884 Premières campagnes des brigands russes sur la mer Caspienne

      879-912 Règne du prince Oleg

      880 Prise de l'Abaskoun

      909 Apparition des 16 barques russes sur la côte du Tabaristan, prise et pillage d'Abaskoun

      910-912 Prise et incendie de Sary, écrasement de la résistance des troupes musulmanes au Gilân et au Chirvan

      913-914 Campagne caspienne du prince Igor sur 500 bateaux, attaques sur l'Abaskoun, le Tabaristan, le Gilân et Bakou

      943 Prise de Berdaa

      965 Prise par Sviatoslav des deux villes principales de l'État khazar : Sarkel sur le Don et Itil sur la Volga

      987 Les Rous viennent à l'aide de l'émir de Derbent dans la lutte contre sa noblesse locale

      988 Baptême de la Rous par le prince Vladimir

      989 Garde russe au service de l'émir de Derbent

      1030 Débarquement de 38 bateaux aux bords du Chirvan, les Rous à Gandja

      1032 Nouvelle campagne et extermination des Rous à leur retour par l'émir de Derbent

      1033 Attaques sans succès des Rous et des Alains sur Derbent

      12e siècle, 2e moitié Campagne militaire des Rous et leurs alliés Alains et Khazars contre le Chirvan

      14e-15e siècles Les ouchkouïniks sillonnent la Volga et la Caspienne

      1375 Défaite des ouchkouïniks à Hadji-Tarkhan (Astrakhan)

      1395 Dévastation de Saraï par les troupes de Tamerlan

      1462-1505 Règne d'Ivan III

      1465 Arrivée de Hasan bek, l'envoyé spécial du chirvanchah, à Moscou

      1466 Arrivée de l'ambassade du boïar Vassili Papine à Chemakha

      1466-1472 Voyage d'Afanassi Nikitine en Inde

      1501-1736 Avènement des Séfévides en Perse

      1502 Fin de la Horde d'Or

      1511 Dans une lettre à Vassili III, le moine de Pskov Philothée qualifie

      Moscou de « Troisième Rome »

      1524 Fondation de la foire de Makarev

      1533-1584 Règne d'Ivan le Terrible

      16e siècle, 2e moitié Formation de communautés cosaques sur la Volga, le Iaïk et le Terek

      1552 Prise de Kazan

      1554 Prise d'Astrakhan

      1555 Création de la Compagnie (anglaise) de Moscovie

      1556 Liquidation de la Horde nogaï

      1556 Chute du khanat d'Astrakhan

      1557 La Grand Kabardie passe sous le protectorat de la Russie

      1567 Construction de la forteresse de Terka sur la Sounja en Tchétchénie

      1568 L'envoyé spécial du tsar, Alexis Khoznikov, arrive à Kazvin

      1569 Expédition turque contre Astrakhan et sa défaite

      1581-1585 Expédition d'Ermak contre le khanat de Sibérie

      1583 Prise de Bakou par les Ottomans

      1587 Ambassade d'Andi bek à Moscou

      1587-1629 Règne d'Abbas I

      1594 La première ambassade kazakhe arrive à Moscou

      1598-1605 Règne de Boris Godounov

      1599 Alliance politique et militaire entre Abbas I et Boris Godounov

      1604 Naissance de la Nouvelle Djoulfa arménienne

      1613 Avènement au trône des Romanov

      1613 Ambassade d'Amir Ali-bek à Moscou

      1613 Prise d'Astrakhan par l'ataman cosaque rebelle I. Zaroutski et Marina

      Mnichek

      1615 Envoi de la première ambassade russe en Perse d'Abbas I

      1642-1667 Règne d'Abbas II

      1649, 1 juillet Oukase interdisant aux Anglais de commercer librement en Russie

      1667 Conclusion du contrat avec la Compagnie de commerce des Arméniens de la Nouvelle Djoulfa

      1667-1671 Soulèvement de Stépan Razine

      1667 Début de la campagne caspienne de l'ataman Stépan Razine avec la bande des Cosaques du Don

      1670-1671 Révolte paysanne razinchtchina

      1667 Construction du premier bâtiment de guerre russe « Orël »

      1667 Schisme des Vieux Croyants

      1669 Défaite de la flotte persane aux bords de l'île Svinoj, près de Bakou

      1669 Oukase d'Alexis Mikhaïlovitch à propos de la construction de la flotte caspienne

      1677 Piratage des Cosaques de Iaïk sur la Caspienne sous le commandement de Vassili Kasimov

      1696 Piratage des Cosaques de Iaïk sur la Caspienne sous le commandement d'Ivan Chamenok

      17e siècle, fin une partie des Turkmènes de Manguychlak devient volontairement sujets russes en se déplaçant dans la province d'Astrakhan

      1700 Expédition de Meer pour étudier la côte occidentale de la Caspienne

      1701 Israël Ori rencontre Pierre le Grand et présente le plan de libération des Arméniens du joug persan

      1716-1718 Ambassade d'Artemi Volynski en Perse avec une mission secrète

      1715-1717 Expéditions de Bekovitch-Tcherkasski en Asie centrale (Khiva)

      1717 Conclusion d'une Convention commerciale entre la Russie et la Perse

      1718-1719 Expéditions de Soïmonov et de von Verden, établissement de la carte détaillée de la Caspienne

      1721 Paix de Nystad avec la Suède

      1721 Pierre le Grand devient le premier empereur de la Russie

      1722 Début de la campagne caspienne de Pierre le Grand

      1723, juillet Prise de Bakou par les Russes

      1723, 12 septembre Le traité russo-persan de Saint-Pétersbourg qui reconnaît la domination russe sur la Caspienne et sur la bande côtière méridionale

      1724 Traité de Constantinople définissant les sphères d'influence des Empires russe et ottoman en Transcaucasie

      1731 Le premier khanat kazakh (Petite Horde) est intégré à l'Empire russe

      1732, 21 janvier Le Traité de Recht avec la Perse qui stipule le repli russe des territoires caspiens occupés

      1734 Traité anglo-russe d'amitié, de coopération et de navigation

      1735 Fondation d'Orenbourg

      1735, 10 mars Traité de Gandja avec la Perse, qui confirme et organise le repli des territoires caspiens occupés

      1736-1747 Nadir chah au pouvoir en Perse

      1746 Oukase interdisant le passage par le territoire russe des marchands anglais se rendant en Perse

      1762-1796 Avènement au trône de Catherine II

      1772-1774 Soulèvement populaire sous la direction de Pougatchev

      1774, 10 juillet Traité de Kutchuk Kaïnardji donnant aux Russes accès à la mer Noire

      1777-1781 Transfert des Cosaques au Kouban, naissance de la cosaquerie de Terek

      1779-1925 Dynastie Qadjar en Perse

      1781 Expédition navale de Voïnovitch au sud de la Caspienne

      1783, 24 juillet Traité de Gueorguievsk entre le roi géorgien Irakli II et la Grande Catherine. La Géorgie est placée sous la protection russe.

      1792-1794 Les Cosaque de la mer Noire et du Don sont transférés au Kouban

      1796 Création d'une carte détaillée de la Caspienne par Nagaev

      1796 Prise définitive de Derbent

      1801-1825 Règne d'Alexandre Ier

      1801, 12 septembre Annexion de la Géorgie par l'Empire russe

      1802 Accord de Gueorguievsk entre l'Empire et les khanats musulmans qui renforce les positions russes dans la région

      1802 Les Turkmènes de Manguychlak sont reçus par le tsar Alexandre Ier

      1804-1813 Première guerre russo-persane

      1805 Incorporation des khanats de Karabakh et de Cheki

      1806 Incorporation des khanats de Kouba et de Bakou

      1813, 24 octobre Traité de Gulistan, seule la Russie a le droit de posséder une flotte navale sur la Caspienne

      1817 Transfert de la foire de Makarev à Nijni Novgorod

      1817 Début de la guerre du Caucase qui durera jusqu'en 1864

      1819 Création du Département asiatique du Ministère russe des affaires étrangères

      1819 Rattachement d'une partie de la Grande Horde à la Russie

      1821 Mirzoev, le futur entrepreneur pétrolier de l'Empire russe, acquiert des puits pétroliers sur l'Apchéron

      1825-1855 Règne de Nicolas Ier

      1826-1828 Deuxième guerre russo-persane

      1828, 12 février Traité de Turkmentchaï, perte du Caucase par la Perse

      1828 L'Arménie orientale est rattachée à l'Empire russe

      1829-1864 Guerre du Caucase

      1830, avril I. Paskevitch, gouverneur du Caucase, présente au tsar Nicolas 1er un projet pour l'introduction en Transcaucasie du mode russe de gouvernement

      1830 Un oukase spécial du tsar interdit aux sectateurs de s'installer dans les régions méridionales de la Russie, hormis en Transcaucasie

      1833, 8 juillet Traité d'Unkiar-Iskelessi

      1834 Fondation du premier fort russe (Novo-Aleksandrovski) sur la côte turkmène

      1839 Echec d'une expédition russe contre Khiva

      1840 Ouverture d'un trafic permanent dans les eaux turkmènes

      1842 Première base navale russe sur l'île Achouradeh, sur la rive orientale

      1844, novembre Création de la vice-royauté du Caucase

      1849-1850 Création de la compagnie de navigation Mercure

      1853-1856 Guerre de Crimée

      1855-1881 Règne d'Alexandre II

      1859 Construction de la première raffinerie près de Bakou

      1863 Construction de la première usine pétrolière près de Bakou

      1865 Publication du Règlement provisoire de gestion de la région du Turkestan

      1865 Achèvement de la colonisation des terres kazakhes

      1867, 11 juillet Création du Gouvernement général du Turkestan, siège à Tachkent

      1867 Transfert de la base maritime caspienne d'Astrakhan à Bakou

      1868 Création de la société de transport Caucase et Mercure

      1869 Fondation de Krasnovodsk

      1873, 31 juillet Le khanat de Khiva se reconnaît vassal de la Russie

      1874, mars Création de la région Transcaspienne

      1874 Création de la flotte pétrolière caspienne

      1876, 19 février Conquête du khanat de Kokand devenu province russe de Fergana

      1877 Construction du Zoroastre, premier tanker caspien

      1877-1878 Guerre russo-turque

      1879 Défaite russe face aux Turkmènes de Teke

      1879 Fondation de la Société anonyme d'exploitation du naphte des frères Nobel

      1881-1894 Règne d'Alexandre III

      1881 Conquête de la forteresse turkmène de Guéok-Tepe. Annexion du Turkménistan

      1881, 27 novembre Convention russo-persane de délimitation à l'est de la Caspienne

      1881-1889 Construction du chemin de fer Transcaspien

      1883 Ouverture du chemin de fer de Bakou à Batoum financé par les Rothschild

      1884 Annexion de Merv

      1885, 18 mars Conquête de la vallée de Kouchka, achèvement de l'annexion du Turkménistan

      1885, 10 septembre Armistice russo-afghane

      1888 Voie ferrée Caspienne-Samarcande

      1893 Interdiction aux étrangers d'extraire le pétrole dans la Caspienne

      1894-1917 Règne de Nicolas II

      1895 Fixation de la frontière en Asie centrale par le Traité du Pamir avec l'Angleterre

      1897 La province Transcaspienne fait partie du Gouvernement général du Turkestan

      1897 Premier recensement de la population de l'Empire russe

      1898 la Russie est le premier pays producteur de pétrole au monde

      1899 l'installation en Transcaucasie des sectateurs ainsi que des personnes n'ayant pas d'origines russes est interdite

      1903 Grève générale à Bakou

      1905 Formation du Parti constitutionnel musulman

      1905-1907 Première Révolution russe

      1905, 6 février Début de la guerre arméno-tatare

      1905-1912 Révolution persane

      1906 Ouverture de l'oléoduc reliant Bakou à Batoum

      1906, 9 novembre Début de la réforme agraire de Stolypine

      1907, 31 août Accord russo-britannique de Saint-Pétersbourg sur le partage de la Perse en zones d'influence. Aux termes de l'accord, l'Asie centrale passe sous contrôle russe.

      1908, 23 juillet Révolution Jeune turque

      1914, 3 novembre La Russie déclare la guerre à l'Empire ottoman

      1916, juin Oukase du tsar obligeant la « réquisition » des allogènes pour réaliser des travaux à l'arrière

      1917, 27 février Révolution bourgeoise démocratique de Février

      1917, 9 mars Comité spécial de Transcaucasie ou Ozakom

      1917, mars Première Conférence des Musulmans de Transcaucasie à Bakou

      1917, avril Le parti Moussavat se prononce en faveur d'une autonomie dans le cadre d'une future Fédération russe

      1917, 24-25 octobre Coup d'état (révolution) d'Octobre

      1918, 23 février Formation du Séïm (diète) transcaucasienne

      1918, 3 mars Signature du Traité de paix séparée de Brest-Litovsk

      1918, 30 mars La révolte des Musulmans est écrasée à Bakou

      1918, avril-juillet Commune de Bakou

      1918, 26 mai Indépendance de la Géorgie

      1918, 28 mai Indépendance de l'Azerbaïdjan

      1918, 29 mai Indépendance de l'Arménie

      1918, 25 juillet Le Soviet de Bakou fait appel aux Anglais

      1918, 15 septembre L'Armée de l'Islam s'empare de Bakou. Massacre des Arméniens de

      Bakou

      1918, 20 septembre Les 26 commissaires de Bakou sont fusillés

      1918, 30 octobre Armistice de Moudros

      1919, juin Rapatriements des troupes britanniques de Transcaucasie

      1919, 22 août Accord dit de Bakou entre Arménie et Azerbaïdjan concernant le statut

       provisoire du Haut-Karabakh

      1919, août Accord anglo-persan selon lequel l'Angleterre devait établir un protectorat en Iran. Finalement, il échoua.

      1920, 4 avril Massacre de la population arménienne de Chouchi

      1920, 26 avril Proclamation de la République soviétique populaire de Khârezm

      1920, 28 avril Renversement du gouvernement nationaliste Moussavat en Azerbaïdjan. Soviétisation de l'Azerbaïdjan

      1920, 4 juin Proclamation de la République soviétique socialiste de Gilân

      1920, 26 août Création de la République autonome kirghize (kazakhe)

      1920, 1-8 septembre Congrès des peuples d'Orient à Bakou

      1920-1924 Orenbourg est la capitale de l'autonomie kirghize (kazakhe)

      1921, 20 janvier Création de la République autonome soviétique socialiste du Daghestan au sein de la RFSSR

      1921, 21 février Reza Khan occupe Téhéran avec les troupes cosaques

      1921, 26 février Traité d'amitié russo-persan selon lequel seuls les deux pays riverains jouissaient de droits égaux et exclusifs de navigation et de pêche

      1921, 28 février Traité d'amitié russo-afghan

      1921, 16 mars Traité d'amitié et de fraternité russo-turc

      1921 Parution de l'ouvrage La sortie vers l'Orient donnant naissance au mouvement eurasiste

      1922, 12 mars Création de l'Union fédérale des Républiques socialistes soviétiques de Transcaucasie

      1923, 4 juillet Le Haut-Karabakh est maintenu en Azerbaïdjan sous le statut de région

       autonome

      1923 Enregistrement d'une communauté molokane à Achkhabad

      1924, février Le Nakhitchevan devient une République autonome rattachée à l'Azerbaïdjan

      1924, 27 octobre Soviétisation du Turkménistan et de l'Ouzbékistan

      1924 Proclamation de la République éphémère du Turkménistan du Sud

      1925 L'autonomie kirghize devient l'autonomie kazakhe avec pour capitale Kyzyl-Orda

      1925, 12 décembre Avènement de la dynastie Pahlavi

      1926 Congrès de Bakou : latinisation des langues d'Asie centrale et de l'Azerbaïdjan

      1926-1941 Règne de Reza Pahlavi en Iran

      1927, 1er octobre Traité soviéto-iranien sur l'Exploitation des pêcheries de la côte méridionale de la mer Caspienne

      1929 Alma-Ata devient la capitale du Kazakhstan

      1930-1932 Quelques 1,3 millions de personnes quittent le Kazakhstan afin d'éviter les répressions staliniennes

      1931, 27 octobre Traité d'Établissement, de commerce et de navigation soviéto-iranien

      1934 Construction du canal Moscou-Volga

      1934 L'instruction secrète de H. Iagoda aux troupes frontalières pour considérer la ligne Astara (Azerbaïdjan) – Hassan-Kouli (Turkménie) comme ligne de démarcation maritime soviéto-iranienne de facto.

      1935, 27 août Traité de commerce et de navigation soviéto-iranien interdisant toute navigation sur la Caspienne aux pays tiers

      1936 Arménie, Géorgie et Azerbaïdjan deviennent des Républiques fédérées

      1936 L'autonomie kazakhe est transformée en république fédérée du Kazakhstan

      1936, 21 juillet Convention de Montreux sur les Détroits turcs

      1936-1938 Environ 50 000 Azéris partent pour l'Iran afin d'éviter les purges staliniennes

      1937, 8 juillet Pacte de Saadabad entre l'Iran, l'Irak, l'Afghanistan et la Turquie

      1939, 18 octobre Protocole secret irano-allemand. L'Iran devient un des principaux fournisseurs de matières premières pour l'industrie de guerre allemande

      1940, 25 mars Traité de Commerce et de navigation soviéto-iranien. La Caspienne est déclarée « mer soviétique et iranienne »

      1941, 25 août Invasion de l'Iran par les troupes britanniques et soviétiques. L'abdication au trône de Reza chah

      1941-1944 Déportation en Asie centrale et en Sibérie des « peuples punis »

      1942, 29 janvier Traité tripartite entre l'Angleterre, l'URSS et l'Iran. Moscou et Londres s'engagent à respecter formellement l'intégrité territoriale et les droits souverains de l'Iran

      1943, novembre Conférence de Téhéran entre Staline, Roosevelt et Churchill

      1945 Fondation du Parti démocrate d'Azerbaïdjan en Iran

      1945, novembre Proclamation de la République autonome d'Azerbaïdjan

      1946, 22 janvier Proclamation de la République kurde en Iran

      1946, 12 décembre L'armée iranienne reprend le contrôle de Tabriz évacuée par les Soviétiques

      1947, 6 octobre Accord entre les États-Unis et l'Iran sur la mission militaire américaine en Iran qui renforce le contrôle américain sur l'armée iranienne

      1949, novembre Exploration industrielle des gisements pétroliers à Neftianye kamni (proche de Bakou) sans consulter l'Iran

      1951, 15 mars Nationalisation du pétrole en Iran

      1954, décembre Accord frontalier et financier soviéto-iranien

      1954, février Début de la campagne de mise en valeur des terres vierges au Kazakhstan

      1955, 23 octobre L'Iran adhère au Pacte de Bagdad, devenu CENTO en 1959 après le retrait de l'Irak

      1956 Parution du livre de D. Meining Heartland et Rimland dans l'histoire de l'Eurasie

      1961, 15 décembre Début de l'exploitation du gisement d'Ouzen au Kazakhstan

      1964 Le Kazakhstan compte 46 communautés orthodoxes, l'Ouzbékistan 20, le Turkménistan 4.

      1969-1970 Explosions nucléaires souterraines sur le Manguychlak

      1970 Délimitation administrative du secteur soviétique de la Caspienne par le Ministère de l'Industrie pétrolière d'URSS

      1971, 21 octobre Inauguration du gazoduc vers l'URSS (IGAT)

      1979, 1er avril Proclamation de la République islamique d'Iran

      1971, 11 novembre L'Iran dénonce unilatéralement les articles 5 et 6 du traité russo-persan de 1921

      1975 Parution du livre de Souleïmenov A et Zed, aussitôt interdit

      1979 L'URSS reconnaît le nouveau régime d'Iran

      1982, 10 décembre Convention de l'ONU sur le droit de la mer dite de « Montego-Bay » (Jamaïque)

      1986, 17 décembre Début des émeutes au Kazakhstan contre la nomination du russe Kolbine à la tête de la république

      1988, 20 février Demande officielle du Haut-Karabakh d'être rattaché à la RSS d'Arménie

      1988, 28 février Début de pogromes d'Arméniens à Soumgaït (30 km de Bakou)

      1988, 18 juillet Rejet de la possibilité de modifier les frontière au Haut-Karabakh par le Soviet suprême d'URSS

      1989, 12 janvier Création d'une administration spéciale en Haut-Karabakh dirigée par A. Volski

      1989, 28 novembre Abolition de l'administration spéciale en Haut-Karabakh, rétablissement de la tutelle azérie sur la région sécessionniste

      1989, 1 décembre L'Arménie et le Haut-Karabakh proclament leur unification

      1990, 13 janvier Début de pogromes d'Arméniens à Bakou

      1990, 27 décembre Proclamation de la souveraineté de l'État de la Tchétchéno-Ingouchie

      1991, 18 janvier Le Ministère de l'Industrie pétrolière et le gouvernement azerbaïdjanais signent la résolution reconnaissant les « droits » de l'Azerbaïdjan sur son secteur administratif de la Caspienne, y compris sur les fonds marins

      1991, 9 avril Proclamation de l'indépendance de la Géorgie

      1991, 23 avril Projet du traité « 9 + 1 » entre Gorbatchev et les neuf républiques soviétiques qui ont participé au référendum

      1991, juin Sommet arméno-azéri selon l'initiative de la Russie et du Kazakhstan à Kislovodsk (Russie)

      1991, 30 août Déclaration de l'indépendance de la République d'Azerbaïdjan

      1991, 4 septembre Création de la République du Haut-Karabakh

      1991, 8 septembre Aïaz Moutalibov est élu premier président de l'Azerbaïdjan

      1991, 21 septembre Proclamation d'indépendance de l'Arménie

      1991, 23 septembre Deuxième sommet arméno-azéri selon l'initiative de la Russie et du Kazakhstan à Kislovodsk (Russie)

      1991, 18 octobre Acte constitutionnel d'indépendance de l'Azerbaïdjan

      1991, 27 octobre Proclamation d'indépendance du Turkménistan

      1991, novembre L'Ossétie du Sud autoproclame la république dans le cadre de la Fédération de Russie

      1991, 8 décembre Accord de Belovej sur la fin de l'URSS

      1991, 10 décembre Référendum au Karabakh au profit de l'indépendance

      1991, 16 décembre Proclamation d'indépendance du Kazakhstan

      1991, 21 décembre Déclaration d'Alma-Ata, où les États membres de la CEI garantissent le respect des engagements internationaux découlant des accords signés par l'ex-URSS

      1991, 25 décembre Loi de la République azerbaïdjanaise sur le renouvellement de l'alphabet national en alphabet latin

      1992, février Début des négociations sur le statut juridique de la Caspienne à l'initiative de l'Iran

      1992, 4 mars Démission de Moutalibov

      1992, 8 mars Prise de Chouchi par les forces arméniennes du Karabakh

      1992, 4 avril Etablissement des relations diplomatiques entre la Russie et l'Azerbaïdjan

      1992, 15 mai Signature à Tachkent du Traité de sécurité collective de la CEI entre la Russie, le Kazakhstan, le Kirghizistan, l'Ouzbékistan, le Tadjikistan et l'Arménie

      1992, 18 mai Prise du « corridor de Latchine » par les forces arméniennes

      1992, 7 juin Aboulfaz Eltchibeï devint président de l'Azerbaïdjan

      1992, 25 juin Accord de coopération économique du bassin de la mer Noire à Istanbul avec la participation des onze États dont la Russie et les trois pays du Caucase du Sud

      1992, 12 octobre Signature du Traite d'amitié, de coopération et de sécurité mutuelle entre la Russie et l'Azerbaïdjan

      1992, octobre L'Iran lance une proposition de former six commissions spécialisées afin d'élaborer en commun des accords concernant la Caspienne, notamment sur le statut juridique et sur l'environnement

      1992, 4 novembre Proclamation d'indépendance de la Tchétchénie

      1992, 22 décembre Loi sur la langue officielle de la République azerbaïdjanaise

      1992 Création du Caspian Pipeline Consortium avec la participation de la Russie, du Kazakhstan et d'Oman

      1992 L'Azerbaïdjan et le Turkménistan adhèrent à l'Organisation de la Conférence islamique

      1992 Refus officiel des autorités turkmènes d'enregistrer l'organisation communautaire russe

      1992-1994 7 800 mosquées sont ouvertes en Asie centrale

      1993, 21 janvier Le parlement turkmène vote le troisième changement d'alphabet national au cours du 20e siècle

      1993, mars Tension ethnique entre Lezguiens et Azéris au nord de l'Azerbaïdjan

      1993, 6 avril Chevron commence l'exploitation du gisement de Tenguiz au Kazakhstan

      1993, 12 juin Signature de la Déclaration sur l'exploitation commune des gisements entre la Socar et les compagnies étrangères

      1993, été-automne L'Azerbaïdjan perd sept districts qui ne font pas partie du Haut-Karabakh

      1993, 18 juin Heïdar Aliev arrive au pouvoir en Azerbaïdjan

      1993, 20 septembre L'Azerbaïdjan rejoint la CEI

      1993, 3 octobre H. Aliev devient président de l'Azerbaïdjan au suffrage universel

      1993, 23 octobre L'Azerbaïdjan cède 10 % de sa part dans le consortium international à Loukoïl

      1993, 23 octobre La Géorgie rejoint la CEI

      1993, 20 novembre Accord russo-azerbaïdjanais de Coopération dans le domaine de la prospection et de l'exploration des gisements de pétrole et de gaz sur le territoire de la République d'Azerbaïdjan dans lequel les parties contractantes mentionnent le « secteur azerbaïdjanais de la Caspienne »

      1993, décembre La Géorgie devient membre de la CEI

      1993 Lancement du projet TRACECA (Transport Corridor Europe-Caucasus-Asia) par Bruxelles

      1994, 10 janvier Le Partenariat pour la paix est lancé par B. Clinton lors du sommet de l'OTAN

      1994, 4 mai L'Azerbaïdjan rejoint le Partenariat pour la paix

      1994, 10 mai Le Turkménistan rejoint le Partenariat pour la paix

      1994, 12 mai Protocole de Bichkek qui instaure un cessez-le-feu au Karabakh toujours en vigueur à ce jour

      1994, 27 mai Le Kazakhstan rejoint le Partenariat pour la paix

      1994, 22 juin La Russie rejoint le Partenariat pour la paix

      1994, 1er juillet Mesures restrictives de la Turquie concernant le transport des marchandises à risque par les Détroits turcs

      1994, 20 septembre Signature du « contrat du siècle »

      1994, 12 décembre Début de la première guerre tchétchène

      1994, 19 décembre La Russie ferme sa frontière avec la Géorgie et l'Azerbaïdjan

      1994, 22 décembre R. Kotcharian devient le premier président au Haut-Karabakh

      1994-1996 Première guerre de Tchétchénie

      1995, janvier La Russie reprend la construction de la centrale nucléaire de Bouchir

      1995, 28 janvier Création de l'Union douanière entre la Russie, le Kazakhstan et la Biélorussie, élargie au Kirghizistan (1996)

      1995, 21 avril Le Kazakhstan devient un État dénucléarisé

      1995, 30 avril Premières élections parlementaires en Haut-Karabakh

      1995, 22 octobre Conception à New York du projet de gazoduc transafghan

      1995, 10 novembre Signature à Bakou du deuxième contrat pétrolier (gisement Karabakh) où Loukoïl devient opérateur avec au total 32,5 % des parts

      1995, 12 novembre Nouvelle Constitution de l'Azerbaïdjan qui déclare unilatéralement que le secteur azerbaïdjanais de la Caspienne est partie intégrante de la République d'Azerbaïdjan

      1995, novembre Lancement du programme INOGATE (Interstate Oil and Gas Transport to Europe) de l'UE

      1995 L'Azerbaïdjan refuse de signer le concept de sécurité collective de la CEI

      1995 Le Kazakhstan adhère à l'Organisation de la Conférence islamique

      1995 Le gouvernement kazakhstanais refuse d'enregistrer sur son territoire l'Eglise orthodoxe russe de l'étranger

      1996, 18 janvier Accord russo-azerbaïdjanais sur l'évacuation du pétrole « initial » via le territoire russe

      1996, 8 mars Accord azerbaïdjano-géorgien sur l'évacuation du pétrole « initial » via le territoire géorgien

      1996, 13 mai Inauguration à Sarakhs du chemin de fer reliant l'Iran au Turkménistan

      1996, 27 mai Cessez-le-feu en Tchétchénie signé à Moscou

      1996, 4 juin Signature à Bakou du troisième contrat pétrolier (gisement Chah Deniz) où Loukoïl obtient 10 % des parts

      1996, 5 août Adoption par le Congrès américain de l'Iran-Lybia Sanction Act, levé pour la Libye en 2004

      1996, 31 août Accord de Khassaviourt. Evacuation des troupes fédérales du territoire de la Tchétchénie

      1996, décembre Décision russo-kazakhstanaise de construire l'oléoduc Tenguiz-Novorossisk

      1996 Création du GUAM par la Géorgie, l'Ukraine et l'Azerbaïdjan et élargi à la Moldavie le 13 octobre 1997

      1997, janvier Début des désaccords entre l'Azerbaïdjan et le Turkménistan à propos des gisements litigieux Azeri et Tchirag

      1997, janvier Accord décennal entre les pays caspiens sur les quotas de pêche

      1997, 3 juin Signature à Moscou du Traité d'amitié, de coopération et de sécurité mutuelle entre la Russie et l'Azerbaïdjan

      1997, 14 août Le gouvernement turkmène lance un appel d'offres international concernant les travaux de prospection et d'extraction des réserves énergétiques sur le plateau continental de son secteur

      1997, août Décision de création de l'oléoduc Kazakhstan-Iran

      1997, 24 septembre Le Kazakhstan cède ses parts dans deux grands projets pétroliers à la Chine

      1997, octobre Les réseaux gaziers turkmène et iranien se connectent

      1998, 2 juillet Déclaration d'amitié perpétuelle entre la Russie et le Kazakhstan

      1998, 6 juillet Accord russo-kazakhstanais Sur la délimitation des fonds marins de la partie septentrionale de la mer Caspienne

      1999, février L'Azerbaïdjan se retire du TSC de la CEI

      1999, 23 avril Le GUAM devient GUUAM après avoir été élargi à l'Ouzbékistan

      1999, avril La première conduite alternative à la « voie russe » Bakou-Soupsa est opérationnelle après réhabilitation

      1999, 2 août Début de la deuxième guerre de Tchétchénie

      1999, 11 août S. Niazov déclare le secteur national turkmène de la Caspienne comme faisant partie intégrante du Turkménistan

      1999, 29 décembre Création du Forum de Shanghai

      1999 Accord quadripartite (États-Unis, Turquie, Azerbaïdjan, Géorgie) concernant la construction de l'oléoduc Bakou-Ceyan

      2000, 21 avril Adoption de la nouvelle Doctrine militaire de la Russie

      2000, été Un nouveau tronçon d'oléoduc est mis en service et éloigne l'acheminement du pétrole du territoire de la Tchétchénie

      2000, 10 octobre Transformation à Astana de l'Union douanière en Communauté économique eurasiatique (CEE) entre la Russie, le Kazakhstan, le Kirghizistan, la Biélorussie et le Tadjikistan

      2000 Le Ministère russe de la Défense achève la création de l'infanterie navale de la mer Caspienne

      2000 Découverte du gisement de Kachagan, la plus importante depuis les années 1970

      2001, 23 juillet Les forces navales iraniennes expulsent des eaux, considérées par l'Iran comme siennes, deux bateaux de prospection géologique d'une compagnie pétrolière azerbaïdjano-britannique.

      2001, 8-9 septembre Visite de V. Poutine à Bakou

      2001, octobre L'oléoduc Tenguiz-Novorossisk est opérationnel

      2001, 29 novembre Accord entre l'Azerbaïdjan et le Kazakhstan qui délimite les fonds marins de la Caspienne

      2001 Dégradation des relations entre Bakou et Achkhabad à propos des gisements litigieux. Le Turkménistan rappelle son ambassadeur de Bakou

      2002, 25 janvier Signature de l'accord sur la location par la Russie de la station radar située au nord de l'Azerbaïdjan

      2002, 28 février Transformation de l'Organisation de la coopération centrasiatique en Communauté économique centrasiatique avec la participation de la Russie

      2002, 23-24 avril Premier sommet des pays riverains de la mer Caspienne

      2002, mai Accord bilatéral russo-kazakhstanais sur la ligne médiane modifiée. Exploitation conjointe des gisements litigieux selon le principe de la parité

      2002, 18 septembre Début de la construction de l'oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyan

      2002, 23 septembre Accord bilatéral russo-azerbaïdjanais sur la délimitation du fond marin

      2002, 30 décembre Le gazoduc sous-marin le plus profond du monde relie les côtes turque et russe de la mer Noire

      2003, 17 février Le ministre kazakhstanais de la Défense annonce la nécessité de la création de forces navales nationales sur la Caspienne

      2003, 27 février Accord russo-azerbaïdjanais sur la coopération militaire comprenant notamment la vente d'armes russes

      2003, 27 mars Accord irano-turkmène sur l'exploration et l'exploitation conjointe de gisements au sud de la Caspienne

      2003, 14 mai Accord tripartite (Russie, Kazakhstan, Azerbaïdjan) sur le point de jonction des lignes de délimitation

      2003, 10 avril Abrogation unilatérale de la double citoyenneté pour les Russes du Turkménistan

      2003, 18 juin La Douma d'État ratifie l'accord russo-azerbaïdjanais sur la délimitation des fonds marins caspiens des territoires contigus

      2003, 18 juin Accord de principe kazakhstano-turkmène sur la délimitation des fonds marins caspiens

      2004, 17 mai Accord entre le Kazakhstan et la Chine sur la construction d'un oléoduc reliant les réseaux gaziers nationaux

      2004, 1er juin Les diplômes étrangers, notamment russes, ne sont plus reconnus par le Turkménistan

      2004 Début de la construction du gazoduc Iran-Arménie

      2005, 13 mars Loukoïl crée avec KazMounaïGaz la Compagnie pétrolière et gazière caspienne pour l'exploitation du gisement de Khvalynskoe

      2005, 25 mai Inauguration officielle d'une partie de l'oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyan

      2005, 26 août Le Turkménistan annonce son changement de statut d'État membre de la CEI remplacé par celui de membre associé

      

      Carte n° 1

      Les régions caspiennes de la Fédération de Russie

      

      

       Source : http://www.nti.org/db/nisprofs/maps/southern.htm

      

      

      FÉDÉRATION DE RUSSIE

      

      

      

      

      

      DONNÉES GÉNÉRALES

      

      Superficie : 17 075 400 km², (1/6 des terres émergées) sur 11 fuseaux horaires

      Population (2005) : 143 420 000 habitants

      Capitale (2003) : Moscou (8 916 000 habitants)

      Principales villes : Saint-Pétersbourg (4 400 000 hab.), Nijni Novgorod (1 85 000 hab.), Novossibirsk (1 471 000 hab.), Samara (1 448 000 hab.), Volgograd (1 433 000 hab.), Rostov sur le Don (1 347 000 hab.), Ekaterinbourg (1 286 000 hab.), Tcheliabinsk (1 269 000 hab.), Omsk (1 134 000 hab.), Kazan (1 106 000 hab.), Oufa (1 033 000 hab.), Perm (991 000 hab.)

      Langue officielle : russe

      Pays limitrophes : la Finlande, la Norvège, l'Estonie, la Lettonie, la Pologne, la Lituanie, la Biélorussie, l'Ukraine, la Géorgie, l'Azerbaïdjan, le Kazakhstan, la Chine, la Mongolie, la Corée du Nord

      Monnaie nationale : rouble russe

      

      

      HISTOIRE

      

      862-912 : Dynastie des Princes de Novgorod et de Kiev — Création de la Rous de Kiev, dont fait partie la Moscovie.

      912 - 1157 : Dynastie des Grands-Princes de Kiev.

      1157 - 1327 : Dynastie des Grands-Princes de Vladimir.

      1239-1241 : Invasions tataro-mongoles, périt 50 % de la population russe, on détruit toutes les grandes villes russes excepté Novgorod.

      1240-1480 : Jougs tataro-mongols.

      5 avril 1244 : Victoire d'Alexandre Nevski face aux chevaliers teutoniques.

      1317 - 1547 : Dynastie des Grands-princes de Moscou.

      1547 - 1598 : Tsar, avec Ivan IV, dit Ivan le Terrible.

      1581 : La marche du chef cosaque Ermak à la Sibérie occidentale, les Russes commencent à peupler et maîtriser la Sibérie.

      1598 - 1612 : Le temps des troubles.

      1612 : L'expulsion des envahisseurs polonais de Moscou.

      1613 : Tous les états élisent tsar Mikhaïl Romanov.

      1613 - 1917 : Dynastie des Romanov.

      1914-1918 : La Russie prend part à la Première guerre mondiale aux côtés des Alliés.

      2 mars 1917 : Révolution de février.

      7 novembre 1917 : Révolution d'Octobre.

      1921 : lancement de la Nouvelle Politique Économique de Lénine ou NEP.

      30 décembre 1922 : création de l'Union soviétique comprenant plusieurs républiques, notamment celle de la fédération de Russie.

      1941 : entrée en Seconde Guerre Mondiale.

      1945 : Capitulation de l'Allemagne.

      1953 : La mort de Staline est suivie d'un assouplissement du régime autoritaire.

      1956 : Dans son rapport secret présenté devant le XXe Congrès du PCUS, Khrouchtchev dénonce le culte de Staline.

      1961 : Premier vol de l'homme dans l'espace, Youri Gagarine.

      1968-70 : Les limites de l'économie à planification centralisée apparaissent.

      11 mars 1985 : Mikhaïl Gorbatchev est nommé Secrétaire Général du PCUS. Lancement de la perestroïka.

      1988 : Gorbatchev engage la glasnost (« transparence ») pour la liberté d'expression et d'information.

      1989 : Retrait de l'armée soviétique d'Afghanistan.

      15 mars 1990 : Le congrès des députés du peuple élit Mikhaïl Gorbatchev président de l'URSS.

      août 1991 : Tentative de putsch, mené par les conservateurs, pour freiner la dislocation du système.

      8 décembre 1991 : La Russie, la Biélorussie et l'Ukraine créent la Communauté des États indépendants (C.E.I.).

      27 décembre 1991 : Création de la Fédération de Russie.

      21 septembre 1993 : Eltsine dissout le Parlement.

      12 décembre 1993 : adoption de la Constitution russe par référendum

      31 décembre 1999 : Boris Eltsine démissionne de son poste de président de la Fédération de Russie. Vladimir Poutine, premier ministre depuis août 1999, devient président par intérim.

      

      DÉMOGRAPHIE

      

      Densité : 8,4 hab./km²

      Population urbaine (2000) : 73,1 %

      Taux de natalité (2004 : 9,8/000

      Taux de mortalité (2004) : 14,5/000

      Taux de mortalité infantile (2005) : 15,4/000

      Espérance de vie (2004) : femmes : 72,5 ; hommes : 60

      Structure de la population par âge (2002) : moins de 15 ans : 18 %, 15-65 ans : 69,5 %, plus de 65 ans : 12,5 %.

      Groupe majoritaire : russe (82 %)

      Groupes minoritaires : plus de 100 autres nationalités et ethnies, Russes (83 %), Tatars (3,8%), Ukrainiens (3 %).

      Religions : majorité chrétienne orthodoxe (environ 80 %), islam (15 à 20 millions de musulmans, soit environ 12 % de la population), bouddhisme, judaïsme.

      

      

      ÉCONOMIE

      

      Rang mondial selon l'indicateur du développement humain (IDH) (2002) : 57e

      PNB (2004) : 582,4 milliards de dollars

      PNB par habitant (2003) : 4 100 dollars

      Taux de croissance annuelle du PIB (2004) : 7,1 %

      Structure du PIB (2000) : agriculture : 7,1 %, mines et industries : 38,7 %, services : 54,2 %

      Exportations (2004) : 120 000 millions de dollars, principalement des matières premières

      Importations (2004) : 67 000 millions de dollars

      Production de pétrole et de gaz (2003) : 409,1 millions de tonnes, du gaz naturel 616,5 milliards de m³ (1er rang mondial)

      Principaux clients (2003) : Pays-Bas, Allemagne, Italie, Biélorussie, Ukraine, Chine Principaux fournisseurs (2003) : Allemagne, Biélorussie, Ukraine, Chine, Japon, Kazakhstan, Italie, États-Unis, France

      Dette extérieure (2003) : 108,9 milliards de dollars

      

      NATURE DE L'ÉTAT

      

      Régime politique : république fédérale

      Chef de l'État : Vladimir Poutine depuis 1999

      Organisation administrative : 89 sujets (49 régions, 21 républiques, 10 districts autonomes, 6 territoires, 1 région autonome et deux villes d'importance fédérale (Moscou et Saint-Pétersbourg)

      Lois linguistiques : Loi sur la langue officielle de la Fédération de Russie adoptée le 20 mai 2005 par la Douma d'État. En vigueur depuis le 2 juin 2005.

      Fait partie de : la Communauté des États indépendants (CEI), de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), du Partenariat pour la paix de l'OTAN, du Forum de Shanghai, de la Communauté économique eurasiatique, du Traité de sécurité collective de la CEI

      Forces armées (1999) : 1 004 100 hommes

      Budget de la défense (1999) : 2,85 % du PIB

      

      Carte n° 2

      La République du Kazakhstan

      

      

       RÉPUBLIQUE DU KAZAKHSTAN

      

      

      

      

      

      DONNÉES GÉNÉRALES

      

      Superficie : 2 724 900 km²

      Population (2003) : 14 831 000 habitants

      Capitale (2001) : Astana (313 000 habitants)

      Principales villes (2003) : Almaty (1 176 000 hab.), Karaganda (437 000 hab.), Chimkent (360 000), Pavlodar (300 000 hab.)

      Langue officielle : kazakh et russe ( %)

      Pays limitrophes : la Fédération de Russie au nord, le Turkménistan, l'Ouzbékistan et le Kirghizistan au sud, la Chine à l'est

      Monnaie nationale : tenge

      

      

      HISTOIRE

      

      

      IX e siècle - Islamisation du territoire kazakh.

      XIIIe siècle - Invasion de Gengis Khan et des Mongols.

      du XVIIe au XVIIIe siècle - Invasions venues de l'Est.

      1820-1850 - Annexion à l'Empire russe.

      Vers 1850 - Afflux de paysans russes.

      1920 - République autonome socialiste soviétique.

      À partir du 5 décembre 1936 - République socialiste soviétique.

      25 octobre 1990 : le Kazakhstan proclame sa souveraineté (indépendance le 16 décembre 1991)

      2 mars 1992 : adhésion à l'ONU

      mai 1992 : devient membre de l'UNESCO

      27 mai 1994 : Adhésion au Partenariat pour la paix de l'OTAN.

      30 août 1995 : Adoption d'une nouvelle Constitution

      décembre 1995 : Élections législatives et création d'un Parlement à deux chambres.

      1997 : Déplacement de la capitale d'Almaty à Akmola rebaptisée Astana par la suite

      

      

      DÉMOGRAPHIE

      

      Densité : 5,5 hab./km²

      Population urbaine (2000) : 56,4 %

      Taux de natalité (20002 : 14,0/000

      Taux de mortalité (2002) : 10,6/000

      Taux de mortalité infantile (2000) : 18,9/000

      Espérance de vie (2003) : femmes : 71,5 ; hommes : 60,5

      Structure de la population par âge (2000) : moins de 15 ans : 27 %, 15-65 ans : 66,1 %, plus de 65 ans : 6,9 %.

      Groupe majoritaire : kazakh (53,4 %)

      Groupes minoritaires (2001) : Kazakhs (53,4 %), Russes (28,9 %), Ukrainiens (3,7 %), Allemands (2,5 %), Ouzbeks (2,5 %), Tatars (1,7 %), Ouighours (1,4 %) Biélorusses, Coréens, Azeris(1,9%), etc.

      Religions : musulmans : 47 %, orthodoxes 44 %, protestants 2 %, autres 7 %.

      

      

      ÉCONOMIE

      

      Rang mondial selon l'indicateur du développement humain (IDH) (2002) : 78e/177

      PNB (2003) : 30,8 milliards de dollars

      PNB par habitant (2003) : 2 080 dollars

      Taux de croissance annuelle du PIB (2004) : 9,1 %

      Structure du PIB (2003) : agriculture : 7,7 %, mines et industries : 37,7 %, services : 54,6 %

      Exportations (2003) : 12,9 milliards de dollars, exclusivement des matières premières, dont 68% d'hydrocarbures

      Importations (2003) : 8,4 milliards de dollars principalement en bien d'équipement

      Production de pétrole (2003) : 51,3 millions de tonnes

      Principaux clients (2003) : Russie, 39,2% ; Allemagne, 8,9% ; Etats-Unis, 5,6% ; Chine, 6%

      Principaux fournisseurs (2003) : Russie 15,2%, Chine 12,8%, Italie 7,9%, Ukraine, 3,5%

      Fonds pétrolier : Le Kazakhstan a mis en place un Fonds pour les générations futures alimenté par les revenus du sous-sol qui s'élevait en mars 2005 à 5,1 milliards de dollars. Selon le FMI il pourrait atteindre 80 à 100 milliards de dollars d'ici trente à quarante ans.

      Dette extérieure : 24,450 millions de dollars (2003)

      

      

      NATURE DE L'ÉTAT

      

      Régime politique : république à régime présidentiel autoritaire, une des cinq Républiques centrasiatiques issues de l'ex-URSS

      Chef de l'État : Noursoultan Nazarbaev depuis le 1er décembre 1991

      Organisation administrative : 14 régions, 3 municipalités (Almaty, Astana, Baïkonour)

      Lois linguistiques : La Loi sur les langues du 11 juillet 1997, la mise en oeuvre de la Loi sur les langues (4 mai 1998).  

      Fait partie de : la Communauté des États Indépendants (CEI), de l'Organisation de la conférence islamique, de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), du Partenariat pour la paix de l'OTAN, du Forum de Shanghai, de la Communauté économique eurasiatique, du Traité de sécurité collective de la CEI

      Forces armées (1999) : 64 000 hommes

      Budget de la défense (1999) : 0,8 % du PIB

      

      

      

      

      

      

      

      

      Carte n° 3

      La République d'Azerbaïdjan

      

      

       RÉPUBLIQUE AZERBAÏDJANAISE

      

      

      

      

      

      DONNÉES GÉNÉRALES

      

      Superficie : 86 600 km²

      Population (2004) : 8 321 000 habitants

      Capitale (2001) : Bakou (1 964 000 habitants)

      Principales villes : Gandja (304 500 hab.) Soumgaït (281 000 hab.), Minguetchaour (100 500 hab.)

      Langue officielle : azéri (90 %)

      Pays limitrophes : la Fédération de Russie (Daghestan) au nord, l'Iran au sud, la Géorgie et l'Arménie à l'ouest

      Monnaie nationale : manat azerbaïdjanais

      

      

      HISTOIRE

      

      1804 : Le tsar Alexandre conquiert Gandja à la Perse, qui devient Elizavetpol.

      1813 : Le Traité de Gulistan donne à la Russie les provinces de Perse situées au nord de l'Araxe.

      fin du XIXe siècle : L'Azerbaïdjan découvre ses richesses en « or noir » et Bakou devient le premier producteur mondial de naphte.

      HYPERLINK "http://fr.wikipedia.org/wiki/1918" \\\\o "1918" 1918 : L'Azerbaïdjan se proclame république indépendante.

      HYPERLINK "http://fr.wikipedia.org/wiki/1920" \\\\o "1920" 1920 : Le pays est occupé par l'HYPERLINK "http://fr.wikipedia.org/wiki/Arm%C3%A9e_rouge" \\\\o "Armée rouge" Armée rouge et rattaché à l'Union soviétique avant d'être intégré en HYPERLINK "http://fr.wikipedia.org/wiki/1922" \\\\o "1922" 1922 à la Fédération transcaucasienne et à l'HYPERLINK "http://fr.wikipedia.org/wiki/URSS" \\\\o "URSS" URSS.

      HYPERLINK "http://fr.wikipedia.org/wiki/30_ao%C3%BBt" \\\\o "30 août" 30 août HYPERLINK "http://fr.wikipedia.org/wiki/1991" \\\\o "1991" 1991 : L'Azerbaïdjan proclame son indépendance après l'effondrement du bloc communiste.

      

      1992 : Le pays adhère à l'Organisation des Nations unies.

      juin 1992 : Aboulfazl Eltchibey, le chef du Front populaire azéri (FPA), est élu président au suffrage universel avec 55 % des voix.

      juin 1993 : À la suite d'une courte guerre civile, il est destitué et remplacé provisoirement par l'ancien dirigeant soviétique Heïdar Aliev.

      Octobre 1993 : Aliev est élu président avec 98,8 % des suffrages lors d'un scrutin incontesté.

      1993 : La Guerre du Karabakh avec l'Arménie aboutit à l'occupation par les troupes arméniennes de la partie occidentale de l'Azerbaïdjan séparant l'Arménie du Haut-Karabagh.

      20 septembre 1994 : Signature du « contrat du siècle ».

      novembre 1995 : La nouvelle Constitution de la République Azerbaïdjanaise est adoptée.

      septembre 1998 : Le Sommet de la Route de la Soie est tenu pour la première fois à Bakou et réunit plus de 32 pays.

      octobre 1998 : L'Azerbaïdjan, la Géorgie, le Kazakhstan, la Turquie, l'Ouzbékistan et les États-Unis signent un projet d'accord portant sur la construction d'un oléoduc qui reliera Bakou à Ceyhan (en Turquie) et qui acheminera le pétrole de la Caspienne vers les pays occidentaux.

      janvier 2001 : L'Azerbaïdjan devient membre du Conseil de l'Europe.

      novembre 2001 : Premier forum mondial à Bakou qui réunit tous les Azerbaïdjanais du monde.

      15 octobre 2003 : Ilham Aliev est élu président.

      

      

      DÉMOGRAPHIE

      

      Densité : 96 hab. /km²

      Population urbaine (2003) : 57,3 %

      Taux de natalité (2003) : 19,8 /000

      Taux de mortalité (2003) : 9,8/000

      Taux de mortalité infantile (2003) : 29,3/000

      Espérance de vie : femmes : 75,5 ; hommes : 68,7

      Structure de la population par âge (2000) : moins de 15 ans : 29 %, 15-65 ans : 64,2 %, plus de 65 ans : 6,8 %.

      Groupe majoritaire : azéri (90,6 %)

      Groupes minoritaires : Lezguien (2,2 %), Russe (1,8 %), Arménien (1,5 %), Taliche (1 %), Avar (0,6 %), Turc (0,5 %), Tatar (0,4 %), Ukrainien (0,4 %), Tsakour (0,2 %), Géorgien (0,2 %), Kurde (0,2 %), Tat (0,1 %), etc.

      Religions : musulmans : 94 % dont 70 % de chiites et 30 % de sunnites ; orthodoxes : 4,8%, dont russes 2,5% ; arméniens 2,3%.

      

      

      ÉCONOMIE

      

      Rang mondial selon l'indicateur du développement humain (IDH) (2002) : 91e sur 177

      PNB (2002) : 6,1 milliards de dollars (+11,2% en 2003)

      PNB par habitant (2002) : 710 dollars

      Taux de croissance annuelle du PIB (2002) : 10,6 %

      Structure du PIB (2000) : agriculture : 15,2 %, mines et industries : 49,5 %, services : 35,3%

      Exportations (2003) : 2,59 milliards de dollars dont hydrocarbures (89%), agriculture (3,1%)

      Importations (2003) : 2,62 milliards de dollars principalement en bien d'équipement

      Production de pétrole (2003) : 15,4 millions de tonnes dont 10,7 pour l'exportation

      Principaux clients (2002) : Allemagne (59%) Israël (8 %), Italie, Russie, France

      Principaux fournisseurs (2002) : États-Unis (16%) ; Turquie et Russie (10 %) ; Turkménistan (9%); Kazakhstan (7%).

      Fonds pétrolier 1127  : Créé le 29 décembre 1999. Pour pallier aux fluctuations du prix des hydrocarbures et destiné aux générations futures, lorsque les ressources pétrolières et gazières seront épuisées. En 2003 il totalisait plus d'un milliard de dollars. Chaque année une partie du fonds est débloquée.

      Dette extérieure (2003) : 1,575 millions de dollars (21 % du PNB)

      

      

      

      

      

      

      NATURE DE L'ÉTAT

      

      Régime politique : république fédérale à régime présidentiel autoritaire, une des trois Républiques transcaucasiennes issues de l'ex-URSS

      Chef de l'État : dirigée depuis le 15 octobre 2003 par Ilham Aliev, fils du président sortant Heïdar Aliev.

      Situation politique : 20 % du territoire sont sous contrôle arménien, suite au conflit du Haut-Karabakh (4 400 km²), de facto indépendant (cessez-le-feu depuis 1994).

      Organisation administrative : 65 districts, une république autonome (Nakhitchevan (5 500 km²) enclavée entre l'Iran, l'Arménie et la Turquie), 11 municipalités.

      Lois linguistiques : Loi de la République azerbaïdjanaise sur le renouvellement de l'alphabet national par l'alphabet latin du 25 décembre 1991; Loi sur la langue officielle de la République azerbaïdjanaise du 22 décembre 1992.

      Fait partie de : la Communauté des Etats indépendants (CEI), de l'Organisation de la Conférence islamique, du Conseil de l'Europe et est intégrée dans la nouvelle politique européenne de voisinage définie par l'Union européenne.

      Forces armées (1999) : 72 100 hommes

      Budget de la défense (1999) : 2,6 % du PIB

      

      

      Carte n° 4

      La République du Turkménistan

      

      

       RÉPUBLIQUE DU TURKMENISTAN

      

      

      

      

      

      DONNÉES GÉNÉRALES

      

      Superficie : 488 100 km²

      Population (2004) : 5 650 000 habitants

      Capitale (2001) : Achkhabad (744 000 habitants)

      Principales villes (2004) : Turkmenbachi (217 000 hab.), Dachovouz (165 000 hab.), Mary (123 000 hab.)

      Langue officielle : turkmène

      Pays limitrophes : le Kazakhstan au nord, l'Ouzbékistan à l'est, l'Iran au sud, l'Afghanistan au sud-est

      Monnaie nationale : manat turkmène

      

      

      HISTOIRE

      

      VIIe et VIIIe siècles : Invasions arabes et conversion de la population à l'islam.

      XIIIe siècle : La région est annexée à l'Empire de Gengis Khan.

      XIVe siècle : La région est incorporée à l'Empire de Tamerlan.

      1881 : Prise de Geok-Tepe par l'armée russe et début de la colonisation.

      1919 : L'armée rouge occupe le Turkménistan.

      1924 : Fondation de la République Socialiste Soviétique du Turkménistan dans le cadre de l'URSS.

      1948 : Destruction d'Achkhabad par un tremblement de terre.

      27 octobre 1991 : Indépendance du Turkménistan.

      21 décembre 1991 : Le Turkménistan adhère à la CEI.

      1991 : L'alphabet cyrillique est remplacé par l'alphabet latin.

      2 mars 1992 : le Turkménistan adhère à l'ONU.

      21 juin 1992 : Election de Saparmurat Niazov à la présidence de la République pour cinq ans.

      15 janvier 1994 : Prolongation par référendum du mandat présidentiel jusqu'en 2002.

      1995 : Proclamation officielle de la neutralité du Turkménistan.

      12 décembre 1999 : Elections législatives ; le Parti démocratique du Turkménistan remporte l'ensemble des cinquante sièges.

      28 décembre 1999 : Le Parlement amende la Constitution pour permettre au président Niazov de rester à son poste pour une durée illimitée.

      

      

      DÉMOGRAPHIE

      

      Densité (2004) : 11,6 hab. /km²

      Population urbaine (1999) : 44,9 %

      Taux de natalité (2003) : 27,8/000

      Taux de mortalité (2003) : 8,8/000

      Taux de mortalité infantile (2003) : 73,1/000

      Espérance de vie : femmes : 70,4 ; hommes : 63,9

      Structure de la population par âge (2000) : moins de 15 ans : 37,6 %, 15-65 ans : 58,1 %, plus de 65 ans : 4,3 %.

      Groupe majoritaire : turkmène (77 %)

      Groupes minoritaires : Ouzbèks (9,2 %), Russe (6,7 %), Kazakhs (2 %), Tatars (0,8 %).

      Religions : Seuls les musulmans sunnites (90 %) et les Russes orthodoxe sont officiellement reconnus.

      

      

      ÉCONOMIE

      

      Rang mondial selon l'indicateur du développement humain (IDH) (2002) : 86e/177

      PNB (2001) : 5,24 milliards de dollars

      PNB par habitant (2001) : 990 dollars

      Taux de croissance annuelle du PIB (2002) : 5,1 %

      Structure du PIB (2001) : agriculture : 26 %, mines et industries : 32 %, services : 31 %

      Exportations (2003) : milliards de dollars dont hydrocarbures (75 %)

      Importations (2003) : 2,72 milliards de dollars principalement en bien d'équipement

      Production de pétrole et de gaz (2003) : 10,4 millions de tonnes et 59, 1 milliard m³

      Principaux clients (2002) : Ukraine (46 %), Italie (18 %), Iran (11 %), Turquie (5 %)

      Principaux fournisseurs (2002) : Russie (21 %), Ukraine (15 %), Turquie (9 %), EAU (8 %), Allemagne (5%)

      Dette extérieure (2001) : 2,48 millions de dollars (51 % du PIB)

      

      

      NATURE DE L'ÉTAT

      

      Régime politique : république à régime présidentiel autoritaire, une des cinq Républiques centrasiatiques issues de l'ex-URSS

      Chef de l'État : dirigée depuis le 21 juin 1992 par Saparmourat Niazov.

      Organisation administrative : 5 régions.

      Fait partie de : la Communauté des Etats indépendants (CEI), de l'Organisation de la Conférence islamique, de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), et du Partenariat pour la paix de l'OTAN

      Forces armées (1999) : 17 500 hommes

      Budget de la défense (1999) : 3,3 % du PIB

      Lois linguistiques : Loi sur la langue de la République socialiste soviétique du Turkménistan (05/20/90). Loi du 21 janvier 1993 portant sur l'alphabet latin.

      

      Carte n° 5

      La République islamique d'Iran

      

      

       RÉPUBLIQUE ISLAMIQUE D'IRAN

      

      

      

      

      

      DONNÉES GÉNÉRALES

      

      Superficie : 1 633 188 km²

      Population (2005) : 68 017 000 habitants

      Capitale (2001) : Téhéran (11 225 000 habitants)

      Principales villes : Ispahan (2 652 000 hab.), Meched (2 061 000 hab.), Tabriz (1 213 000 hab.), Chiraz (1 176 000 hab.).

      Langue officielle : persan (75 %)

      Pays limitrophes : le Turkménistan, l'Azerbaïdjan et l'Arménie au nord, l'Irak à l'ouest, la Turquie au nord-ouest, l'Afghanistan et le Pakistan à l'est

      Monnaie nationale : rial iranien

      

      HISTOIRE

      VIe-IVe siècle av-JC : Empire perse Achéménide. Fondation de Persépolis par Darius 1er vers 515 av. JC.

      VIe siècle av-JC : Zoroastre (ou Zarathoustra) fonde le zoroastrisme à partir du culte aryen d'Ahura Mazda.

      334 av-JC : Victoire d'Alexandre contre Darius III. Les Séleucides (Grecs) gouvernent la Perse.

      224-651 : Empire perse Sassanide. Le zoroastrisme est établi comme religion officielle.

      1055 : Dynastie turque Seldjoukide.

      1222 : Conquêtes mongoles de Gengis Khan.

      1360-1402 : Tamerlan et la dynastie Timouride.

      1501-1722 : Dynastie Séfévide qui redonne son indépendance à la Perse, fait du chiisme la religion nationale.

      1729-1747 : Nader Shah Afchar chasse les envahisseurs afghans et rétablit la puissance de l'Empire persan.

      XIXe siècle : L'Iran est l'objet des convoitises de la Russie et de la Grande-Bretagne.

      1925 : Dynastie Pahlavi.

      1941 : Le nord de l'Iran est occupé par l'armée soviétique

      1951 : Mossadegh, élu Premier ministre, décide la nationalisation du pétrole.

      mars 1975 : Un accord met provisoirement fin au différend territorial qui oppose l'Iran à l'Irak à propos de la souveraineté sur le Chott el Arab et des îles du golfe arabo-persique.

      janvier 1979 : Révolution islamique. Départ du chah le 16.

      1er février 1979 : Retour de l'Ayatollah Khomeini.

      1er avril 1979 : Instauration de la République islamique.

      septembre 1980-août 1988 : Guerre Iran-Irak. Un cessez le feu est signé en juillet 1988.

      août 1990 : Signature de la paix avec l'Irak, sur la base du statu quo ante.

      23 mai 1997 : Election du Président Mohammad Khâtami.

      février 1999 : Premières élections municipales.

      juillet 1999 : Emeutes étudiantes.

      5 mai 2000 : Elections législatives. Victoire des réformateurs.

      17 avril 2001 : Signature d'un accord de sécurité entre l'Arabie Saoudite et l'Iran, incluant la lutte contre le terrorisme et le blanchiment de l'argent.

      8 juin 2001 : Élection présidentielle. Le président sortant, Mohammad Khatami est réélu.

      2005 : Élection présidentielle. Victoire des conservateurs.

      

      

      

      DÉMOGRAPHIE

      

      Densité : 40,4 hab. /km²

      Population urbaine (2005) : 61,6 %

      Taux de natalité (2002) : 17,2/000

      Taux de mortalité (2002) : 5,5/000

      Taux de mortalité infantile (2000) : 44,2/000

      Espérance de vie (2000) : femmes : 70,8 ; hommes : 68,8

      Structure de la population par âge (2000) : moins de 15 ans : 37,4 %, 15-65 ans : 59,2 %, plus de 65 ans : 3,4 %.

      Groupe majoritaire : farsi (51 %)

      Groupes minoritaires : azéri (20 %), kurde (9 %), louri (6,6 %), arabe (2,1 %), turkmène (1,5 %), baloutchi (1,3 %), takestani (0,3 %), arménien (0,2 %), pashtou (0,18 %), taliche (0,17 %), domari (0,1 %), assyrien, géorgien, kazakh, etc.

      Religions : musulmans : 99 % dont 89 % de chiites et 10 % de sunnites ; chrétiens et autres : 1%. Le chiisme est la religion officielle.

      

      

      ÉCONOMIE

      

      Rang mondial selon l'indicateur du développement humain (IDH) (2002) : 101e/177

      PNB (2003) : 130 milliards de dollars

      PNB par habitant (2003) : 1940 dollars

      Taux de croissance annuelle du PIB (2001) : 4,8 %

      Structure du PIB (2003) : agriculture : 13 %, mines et industries : 34 %, services : 53 %

      Exportations (2000) : 28 345 millions de dollars dont hydrocarbures (89%), agriculture (3,1%)

      Importations (2000) : 15 207 millions de dollars

      Production de pétrole et de gaz (2003) : 190 millions de tonnes, 5e rang mondial pour le pétrole et 6e pour le gaz

      Principaux clients (2002) : Japon, Emirats arabes unis, Chine, Italie

      Principaux fournisseurs (2002) : Allemagne, Emirats arabes unis, France, Italie

      Dette extérieure (2003) : 10,960 millions de dollars

      

      

      NATURE DE L'ÉTAT

      

      Régime politique : république islamique à régime semi-présidentiel

      Chef de l'État : Ali Hoseini Khamenei, guide de la révolution

      Organisation administrative : 28 provinces

      Lois linguistiques : seul le farsi est utilisé, que ce soit dans les débats oraux ou la rédaction des lois et règlements. Bien que la Constitution reconnaisse avant tout les minorités religieuses, elle semble néanmoins accorder une protection juridique aux langues des minorités.

      Fait partie de : l'Organisation de la Conférence islamique, membre de l'OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole)

      Forces armées (1999) : 513 000 hommes

      Budget de la défense (1999) : 2,5 % du PIB

      

      Carte n° 6

      Les campagnes des Rous en direction de la Caspienne (10e-11e siècles)

      

      Carte n° 7

      L'expansion russe de 1533 à 1598

      

      Source : J. CHANNON et R. HUDSON, Atlas historique de la Russie, Autrement, Avon, 2003, p. 39.

      

      Carte n° 8

      De la Moscovie à la Russie impériale

      

      Source : J. CHANNON et R. HUDSON, Atlas historique de la Russie, Autrement, Avon, 2003, p. 51.

      

      Carte n° 9

      La population rurale russe de Transcaucasie (1832-1916)

      

      

      Source : ISMAIL-ZADE, D., Russkoe krest'janstvo v Zakavkaz'e. 30-e gody XIX – načalo XX v. [La Paysannerie russe en Transcaucasie. Années 30 du XIX – début du XX siècles], Nauka, Moscou, 1982.

      

      Carte n° 10

      La mise en valeur de la steppe de Moughan par la paysannerie russe (début du 20e siècle)

      

      Source : ISMAIL-ZADE, D., Russkoe krest'janstvo v Zakavkaz'e. 30-e gody XIX – načalo XX v.

      [La Paysannerie russe en Transcaucasie. Années 30 du XIX – début du XX siècles], Nauka, Moscou, 1982.

      

      Carte n° 11

      La délimitation des frontières de l'Iran moderne.

      Le partage russo-anglais de 1907

      

      Source : d'après M.-R. DJALILI, Géopolitique de l'Iran, Complexe, Bruxelles, 2005, p. 17.

      

      Carte n° 12

      L'environnement caspien

      selon R. Dekmejian et H. Simonian

      

      Source : R. DEKMEJIAN et H. SIMONIAN, Troubled waters. The Geopolitics of the Caspian Region, I.B. Tauris, New York, 2003, p. 9.

      

      Carte n° 13

      Statut juridique de la Caspienne : position de la Russie

      

      

      

      Carte n° 14

      Statut juridique de la Caspienne : position du Kazakhstan

      

      

      Carte n° 15

      Statut juridique de la Caspienne : position de l'Azerbaïdjan

      

      

      Carte n° 16

      Statut juridique de la Caspienne : position du Turkménistan

      

      Carte n° 17

      Statut juridique de la Caspienne : position de l'Iran

      

      Carte n° 18

      La répartition des principaux gisements pétroliers et gaziers de la Caspienne

      

      Source : http://www.populationdata.net/cartes/mer_caspienne_petrole.html

      

      Carte n° 19

      Le programme TRACECA de l'UE

      

      Source : TRACECA http://www.traceca-org.org.

      

      

      Carte n° 20

      Le programme INOGATE de l'UE (oléoducs)

      

      

      Source : Interstate Oil and Gas Transport to Europe (INOGATE) (http://www.inogate.org).

      

      Carte n° 21

      Le programme INOGATE de l'UE (gazoducs)

      

      Source : Interstate Oil and Gas Transport to Europe (INOGATE) (http://www.inogate.org).

      

      Carte n° 22

      Les projets de contournement du Bosphore

      

      Source: http://www.eia.doe.gov/emeu/cabs/Caspian/Maps.html

      

      Carte n° 23

      Géopolitique des routes : corridors Est-Ouest

      

      

      Carte n° 24

      Les populations russes dans l'étranger proche

      

      Source : The University of Texas at Austin (http://www.libutexas.edu/maps).

      

      Carte n° 25

      Le pla Hopple

      

      

      


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Avec mes meilleures salutations.

François de Siebenthal
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